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Opinion

Israël, Gaza et la civilisation de la torture
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 24 octobre 2010

1 - Les religions et la politique

Les problèmes précis que le messianisme hébreu pose à la planète politique et que j'ai partiellement évoqués la semaine dernière ne trouveront aucune réponse rationnelle sur la scène internationale aussi longtemps que, faute d'une connaissance à la fois anthropologique et territorialisée du sacré vétéro-testamentaire et chrétien, la mémoire historique mondiale demeurera tributaire des méthode d'investigation et d'analyse infra scientifiques d'aujourd'hui.

Certes, depuis la semaine dernière, Israël s'est enfin officiellement reconnu pour un "Etat juif et démocratique". Mais Tel-Aviv n'a pas précisé si la judéité d'Israël repose sur une ethnie issue de la descendance d'Abraham, sur la possession exclusive d'un territoire accordé aux ancêtres par une divinité qui en aurait délimité les frontières ou sur une foi et une loi religieuses dictées à Moïse, "auteur" du Pentateuque. Tant que l'Etat hébreu ne précisera pas la nature et le statut de son assise juridique, la communauté internationale ne sera pas informée de la nature de la nation qui vient de débarquer dans le jus gentium. S'il s'agit de fonder une démocratie sur une ethnie et un territoire, M. Aimé Césaire en a démontré la difficulté dans sa pièce La tragédie du roi Christophe. Aux yeux du grand poète, il est certes compliqué, mais parfaitement possible de plaquer les principes du régime démocratique sur la négritude martiniquaise.

Mais pour l'instant, et en raison du silence de l'Etat d'Israël sur le fond, l'anthropologie historique se contente de constater l'incompatibilité de quelque foi religieuse que ce soit avec le tribunal du suffrage universel, donc avec l'autorité de la juridiction suprême qui définit les régimes démocrates.

Ce point décisif est de nature à effaroucher les esprits non philosophiques. Et pourtant, c'est par définition que la fraction d'une population dont la cohérence mentale repose sur la croyance religieuse ne saurait se livrer à un débat proprement politique, tellement il demeure dans la logique interne de toute foi de se mettre à l'écoute des consignes théologiques que le ciel lui communique ou lui dicte par la voix de ses textes sacrés ou d'un clergé assermenté à cette fin, tandis qu'à l'inverse, la démocratie est censée se livrer exclusivement à une réflexion guidée par la raison terrestre. On l'a vu hier encore au Brésil : le parti catholique a demandé à la candidate à la présidence de l'Etat si elle croyait en l'existence de Dieu, et nullement si elle allait gouverner le pays dans le même esprit social que Lula, qui me semble trop intelligent pour croire qu'un Dieu réduit à une vapeur dans l'espace - sinon on tomberait dans le panthéisme - dirige les affaires de la planète. C'est pourquoi seuls les Grecs anciens ont statué, par la voix de Platon, que les dieux ne disposent d'aucun pouvoir de se mêler des affaires des cités et, à l'inverse, que les Athéniens ne jouissent d'aucun levier pour soulever l'Olympe.

C'est pourquoi, depuis des années, l'anthropologie historique et critique, que j'appelle la théopolitique , n'avait nul besoin d'une officialisation tardive - et par la voix des intéressés eux-mêmes - des relations viscérales que tous les peuples de la terre entretiennent depuis des millénaires avec un fantastique sacré que l'encéphale actuel de notre espèce sécrète encore sur les cinq continents. Certes encore, la compréhension de mes analyses psychogénétiques de l'évolution de la vie onirique de l'espèce simiohumaine se trouvera en outre accélérée par d'autres revendications de ce type d'identité des nations au sein d'une culture mondiale devenue panculturaliste, donc fondée sur une légitimation aussi subreptice que confuse de toutes les cosmologies mythiques que charrie le globe terrestre; mais les principes universels de 1789 dont Israël chapeaute maintenant le Jahvé de ses ancêtres peineront grandement à se localiser derechef en Judée et à placer un peuple sous le joug sanglant du glaive biblique.

2 - La démocratie chrétienne, islamique ou juive

Certes, ce spectacle nous condamnera à une introspection philosophique rigoureuse : il nous sera fermement rappelé que la notion de "démocratie chrétienne" se révèle aussi floue et incohérente que la notion toute récente d'"Etat juif et démocratique" - , pour ne pas remonter jusqu'à la démocratie théocratique de Calvin à Genève au XVIe siècle. Comment une démocratie dite chrétienne, islamique ou juive se proclamerait-elle à la fois démocratiques et religieuses dès lors, comme il est rappelé plus haut, qu'aucun régime populaire et aucun culte ne sauraient, en bonne et saine logique philosophique, se fonder conjointement sur les verdicts faillibles, mais irrévocables, du suffrage universel - donc sur les majorités issues d'un suffrage populaire flottant - et sur l'autorité obligatoirement tenue pour infaillible d'une divinité. A l'inverse, comment un christianisme, un islam ou un judaïsme qualifiés de républicains par un abus de langage évident ne tomberaient-ils pas dans une acéphalie sans remède si leurs théologies s'avisaient de subordonner des jugements réputés révélés par des dogmes aux certitudes tumultueuses, éphémères et désordonnées des multitudes. L'anthropologie rationnelle souhaite bien du plaisir aux théologiens qui préciseront le statut vaticanesque du suffrage universel et aux politologues qui démontreront les fondements religieux du vote changeant des majorités.

3 - L'anthropologie de la peur

Israël rappelle donc opportunément, bien que par la bande, à un Occident décérébré que, sitôt doté d'un Saint Siège, le monothéisme chrétien n'a pas tardé, lui aussi, à diversifier le contenu doctrinal fatalement provisoire d'une théologie pourtant censée unifiée depuis le concile de Nicée en 325 et de Chalcédoine en 451. Puis, n'a-t-on pas vu, à partir du XVIe siècle, tout le nord de l'Europe, suivi de l'Amérique et de l'Angleterre, expulser manu militari de l'enceinte de ses croyances sacrées les prodiges cultuels stupéfactoires que le catholicisme romain et les peuples latins ont conservés, notamment le prodige hallucinant de la transsubstantiation? Quant aux chrétiens du Moyen Orient, ils ont introduit dans une théologie du meurtre de l'autel officiellement inébranlable des variantes théologiques résolument anti romaines, donc hostiles au calcul du montant de la rançon payée à la divinité sur la croix, tellement les mythes cosmologiques sont nécessairement organisés et mis en place au gré des besoins cérébraux et psychiques diversement agencés et inégalement maniables de l'humanité.

En revanche, l'anthropologie historique pèse le poids politique des croyances religieuses sur la balance de la peur. Elle sait que ce n'est pas l'obscurantisme qui explique le refus religieux de l'héliocentrisme hier, de l'évolutionnisme et de la psychanalyse aujourd'hui, parce que l'enjeu existentiel de la découverte de Copernic était immense, tandis que celui de permettre à des couples stériles de recourir à la fécondation assistée ressortit à la crainte. C'est pourquoi, on voit des Etats laïcs prendre la relève de l'obscurantisme religieux pour l'interdire, eux aussi, ce qui démontre que seul un effroi confus et inné d'ébranler un "ordre naturel" du monde tenu pour rassurant peut expliquer à la lumière de l'inconscient simiohumain l'effarouchement parallèle des Etats et des Eglises devant les progrès de la science.

Aussi la confession de foi d'Israël, qui se proclame un "Etat juif et démocratique ", présente-t-elle en outre l'avantage non négligeable, aux yeux de la science anthropologique, d'illustrer comme à souhait la cécité politique d'un humanisme mondial privé de profondeur et dont l'infirmité intellectuelle interdit d'avance toute analyse objective de la nouvelle stratégie politico-messianique que Tel Aviv inaugure désormais sous les yeux de toutes les chancelleries. Je vais donc poursuivre mon analyse de la politique étrangère d'Israël de la semaine dernière et notamment du contenu anthropologique de la rencontre de Deauville du 18 octobre entre M. Medvedev, M. Sarkozy et Mme Merkel. Pour tenter de la comprendre, il faut commencer par observer au télescope les chemins sur lesquels le messianisme vétéro-testamentaire est parvenu à diriger la politique internationale du XXI siècle.


1 - Le nouvel accès à la compréhension du monde
2 - L'enjeu anthropologique de l'avènement du monothéisme
3 - Le sens anthropologique du sceau de la terreur
4 - L'histoire théologique des démocraties
5 - Israël à Deauville
6 - Israël et l'OTAN
7 - Israël et la carte de la Géorgie
8 - La nasse mondiale du messianisme théocratique
9 - Le temple de Nabuchodonosor
10 - L'avenir spirituel d'Israël
11 - L'Europe de Guillaume Tell

1 - Le nouvel accès à la compréhension du monde

La semaine dernière, j'ai commencé d'entrer quelque peu dans les arcanes des tractations mythologiques menées entre Israël et l'Arabie Saoudite; et j'ai souligné que le récit historique traditionnel est devenu aveugle précisément pour être demeuré "vrai" à une échelle ridiculement bidimensionnelle. C'est que le temps des huissiers a perdu la valeur explicative que sa myopie lui accordait. Comment combler le fossé entre savoir et comprendre si aucun Etat au monde ne saurait désormais se risquer à conclure avec le monde arabe des contrats d'armement qui feraient froncer le sourcil à Israël et au gigantesque satellite de sa théologie qu'on appelle encore les Etats-Unis d'Amérique si les ressorts anthropologiques du sacré des modernes demeurent aussi peu décryptés que ceux Moyen Age?

Une France à nouveau prisonnière de l'OTAN n'ose livrer que des Mistral désarmés à la Russie, le Kremlin n'ose livrer ses S300 à l'Iran - il est question de passer par le canal du Venezuela. Comment expliquer que M. Ahmadinejad ait été reçu en triomphe à Beyrouth et que la politique pro israélienne de la France lui ait aliéné le Liban, la Syrie ainsi que de nombreux Etats de la Ligue arabe sans que le Quai d'Orsay paraisse s'en soucier ? L'enjeu est immense, parce que l'Europe entière est en passe de manquer le tournant le plus décisif de l'histoire de l'après-guerre, celui qui dotera la planète d'un pôle politique entièrement nouveau et dont la France aurait pu être la plaque tournante.

Mais faute de connaître les ressorts psychobiologiques du messianisme hébreu, l'historien européen et laïc demeure exclusivement formé aux méthodes classiques d'analyse de la politologie dite rationnelle d'aujourd'hui, de sorte qu'il se contente de constater, mais sans en connaître les causes profondes, qu'Israël tient effectivement les rênes du monde profane d'aujourd' hui entre ses mains; mais on ne fera pas progresser d'un pouce une science historique encore ancrée dans l'axiomatique et la problématique naïves du rationalisme bi-dimensionnel du XVIIIe siècle si l'on oublie d'appliquer au XXIe siècle le mot de Necker, qui disait qu'un Etat domine le monde s'il règne sur les imaginations.

Et pourtant, depuis la guerre de Troie, la science historique se veut explicative des songes de l'humanité. Comment apprendre à les déchiffrer si les mythes sacrés ne passent pour explicatifs qu'aux yeux des siècles aveuglés par leur foi ? C'est dire que le verbe expliquer nous appelle à chausser des lunettes d'anthropologue, faute de quoi le champ entier de l'intelligibilité de notre espèce demeurera lové dans une compréhensibilité étroitement littérale de la durée historique dite profane. Pour que la connaissance du temporel mérite enfin le nom de science, il faudra se résoudre à mettre en place une expérimentation inédite du sens des évènements du passé et du présent. Quel sera le système d'irrigation intellectuelle du vrai s'il y faut la percée d'un nouveau Discours de la méthode, donc l'élaboration et l'avènement d'un décodage du monde dûment informé des fondements psychobiologiques inconscients du sacré et notamment d'un défrichage de l'inconscient qui commande les messianismes politico-religieux?

2 - L'enjeu anthropologique de l'avènement du monothéisme

Si les évènements échappent désormais à une interprétation semi rationaliste dont la vue n'a cessé de baisser depuis la séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905 - rationalisme partiel que la civilisation européenne avait balisée depuis le XVIIIe siècle - suffira-t-il qu'un finalisme de type biblique et assorti de son corollaire, le mythe d'une apocalypse générale, se révèlent les maîtres masqués de la logique superficielle qu'affichait la science historique anté anthropologique? Nullement: les retrouvailles guerrières d'Israël avec l'eschatologie du Vieux Testament ne mettraient pas à ce point la classe dirigeante semi réflexive des Etats-Unis sous la tutelle du mythe de la rédemption si ladite téléologie n'était devenue le compagnon d'armes universel et omniprésent de l'encéphale "biblique" d'une humanité que deux millénaires du messianisme monothéiste semblent avoir suffi à eschatologiser à titre psychobiologique.

Pour le comprendre, il faut interpréter la portée du naufrage de l'innéisme religieux précédent, celui du polythéisme. Il est évident que l'Arabie Saoudite n'achèterait pas des armes apocalyptiques inutilisables par nature et par définition et qui ne visent aucun adversaire en chair et en os si, dans les profondeurs du psychisme, la terreur nucléaire ne se trouvait pas articulée avec un mythe de l'apocalypse devenu atavique et qui paraît s'être gravé dans le capital psychogénétique de notre espèce vingt siècles seulement après la mort du Jupiter des Anciens. Le scénario fantastique de la fin du monde que médiatise une théologie vétéro-testamentaire relativement tardive n'est sans doute que la mise en images biblique d'un "instinct de mort" immémorial et que Freud avait pressenti. Dans un monde désormais tout entier converti aux châtiments posthumes d'un monothéisme pré-nucléarisé, le genre simio - humain devra décrypter à nouveaux frais le sens de son trépas punitif, du fait que l'humanisme hérité de la Renaissance ne s'est pas ouvert à la connaissance rationnelle du besoin de torturer les morts dans l'éternité et demeure privé du regard sur l'inconscient qu'attendent une "raison historique" et une "raison politique" de plus en plus intimement confondues à l'école d'une seule et même géhenne infernale.

Mais pour le comprendre, il importe que la science historique mette en évidence le sens viscéral de la fin du paganisme anté-carcéral, parce qu'il aura suffi de deux mille ans, comme il est dit plus haut, pour que l'enjeu concentrationnaire de la mort des dieux antiques fût oublié à l'école d'une mémorisation irréfléchie ou superficielle de l'histoire de la torture. Quel est le sens anthropologique du mythe des tourments éternels? Celui que révèle la perte des attaches anciennes de l'humanité avec les Célestes peu terrorisants et privés de bourreaux que les cités avaient enracinés dans leur enceinte et mis gentiment au service de leurs murailles.

3 - Le sens anthropologique du sceau de la terreur

Dès le Vè siècle, un christianisme désarrimé des labours par son ciel et paniqué par le néant grand ouvert sous ses pas a tenté, par la médiation hâtive des statues rassurantes de saints dressées sur ses lopins et surtout par la surmultiplication des effigies de Marie dans tous les villages de combler cette béance et retrouver in extremis la proximité des dieux familiers d'autrefois, donc le type de civisme cultuel propre à un polythéisme encore à l'abri des paniques cosmologiques et des menaces apocalyptiques. La religion de la croix a ajouté à ses arpents mal apaisés une vie de séraphins voletants dans l'éternité. Mais une oisiveté de l'Erèbe assaisonnée d'un ennui indicible ne frappe pas assez vivement les imaginations domestiquées par l'épouvante: le catholicisme a marqué, en outre, et pour longtemps l'inconscient religieux de l'Occident du sceau de la crucifixion des justes. Quelle empreinte indélébile que celle d'une terreur et d'une atrocité religieuses fondées sur des rôtissoires immortelles! Pour comprendre comment Israël prospère sur le terreau de l'inconscient mondial d'une humanité désormais torturée dans l'éternité de l'Hadès, il faut se représenter l'univers mental qui a conduit Tibère à limiter le pouvoir religieux lénifiant des villes de son temps, qui garantissaient une impunité hyperbolique dans leurs temples aux gens de sac et de corde qui y trouvaient un sûr asile. Mais du moins, un sacré rassurant et résolument municipalisé campait-il dans les rues et les ruelles tranquilles des cités.

Les Ephésiens racontaient que Diane et Apollon n'étaient pas nés à Delos, comme le croyait le vulgaire, mais chez eux, et plus précisément sur les bords riants du fleuve Cenchrius, dans le bois enchanté d'Ortygie. De plus, Latone, parvenue au terme de sa grossesse s'était appuyée sur un olivier qui existait encore et y avait donné le jour à deux divinités - et c'était là qu'Apollon avait tué les Cyclopes, puis s'était mis à l'abri de la colère de Zeus. Plus tard, Bacchus avait vaincu les Amazones, mais il avait épargné celles qui s'étaient réfugiées en suppliantes au pied de l'autel. Tacite: "On rendit plusieurs sénatus-consultes enveloppés de paroles respectueuses, mais qui imposaient néanmoins des restrictions au droit d'asile : on suspendrait des tables d'airain dans les temples, afin de fortifier l'autorité des nouveaux décrets et d'éviter à l'avenir que, sous couvert de piété, on en vînt à des revendications chimériques". (Annales, L. 3, chap.61)

Si le monothéisme ne s'était pas fondé sur un terrorisme religieux transcendant au cercle familial, l'arme nucléaire ne trouverait pas dans les imaginations le renfort d'une géhenne sanglante. On voit pour quelles raisons anthropologiques la fin du paganisme a transporté l'effroi et le besoin de protection inconscient du genre simio humain vers un ciel déserteur des bienveillances de l'autorité municipale des dieux d'autrefois et enraciné dans un royaume des fours infernaux allumés jour et nuit. Le gigantisme des châtiments chrétiens répondait enfin aux pires forfaits. Mais si seuls des feux à tisonner dans l'éternité étaient de taille à dissuader Prométhée, qu'allait-il advenir des offrandes bucoliques aux dieux moins féroces que le monothéisme condamnait à végéter?

Une offrande publique enchanteresse ayant été offerte à la Fortune Equestre à Rome pour le rétablissement rapide d'Augusta, mère du gentil Tibère, il a fallu faire voyager l'offrande sous bonne escorte jusqu'à Antium, parce que le temple de cette déesse dans la ville éternelle avait été malencontreusement consumé dans un incendie et que son sanctuaire le plus proche se trouvait à Antium. Pour la même raison, le flamine de Jupiter ne pouvait s'absenter de la capitale de l'empire plus de deux jours de suite; et encore fallait-il que ce ne fût pas aux époques où tombait le sacrifice public. Bien plus, en 242 ab urbe condita, le consul Aulus Prestrinius, qui était prêtre de Mars, n'avait pu partir pour l'armée dont il avait reçu le commandement, parce que le Grand Pontife le lui avait interdit. C'est que la religion était un lieu de refuge si douillettement localisé, que les prêtres ne pouvaient en quitter les enchantements sans courir le risque d'offenser des dieux dont il était indélicat d'abuser de leur naturel complaisant. Mais que vaudrait maintenant le transport solennel d'une offrande d'un lieu à un autre dans une religion sous laquelle l'ubiquité d'un feu infernal alimente un rôtissement sans fin des fidèles?

La démunicipalisation précipitée de l'Olympe a conditionné une métamorphose sauvage des terreurs jardinières des Anciens. Le Jupiter des barbares désormais unifiés par l'éternité des châtiments qui les frappe a installé le premier camp de concentration universel de l'humanité dévote sous les dalles de tous les temples de la chrétienté, de toutes les mosquées de l'islam et de toutes les synagogues de Jahvé.

On comprend également que la théologie de la torture des morts déterritorialisés ait permis aux horticulteurs des trois dieux réputés uniques de rassembler le genre simiohumain dans une acceptation florale ou un refus hérétique du "don" du salut dont, deux millénaires plus tard, la terreur nucléaire illustrera la nouvelle politique de la greffe de la torture sur les guerres mondialisées. Par bonheur, le chemin rocailleux qui s'ouvre à l'interprétation anthropologique de l'espérance et de la panique religieuses qu'illustre le mythe de la torture sacralisée des trépassés, ce chemin, dis-je, a de grandes chances de se trouver débroussaillé par les verdicts sanglants que le tribunal des évidences ne cesse de rendre sous les yeux effarés de la foi. Elle se veut biblique, apocalyptique et planétaire à son tour, la politique eschatologique de la mort qu'Israël impose progressivement à une planète convertie à la torture rédemptrice. Certes, ces bénédictions paniquées rencontreront des obstacles sur la route caillouteuse des évènements sidérants qui jalonneront la sainte marche du simianthrope vers la "délivrance"; et pourtant, il est devenu aisé non seulement d'en prévoir les péripéties, mais de les décrire avant l'heure, tellement elles s'inscrivent d'ores et déjà dans la logique médusée des crucifiés.

4 - L'histoire théologique des démocraties

C'est ainsi que le parachutage théologique, il y a six décennies, du "peuple jui " sur le territoire d'une autre ethnie ne cesse de produire les métastases fatales d'un cancer appelé à dévorer la notion de plus en plus ahurie de "légitimité"; car, dès lors que la Liberté est tenue pour la valeur fondatrice de toute gouvernance pseudo salvifique de l'histoire et de la politique mondiales, une apocalypse mythique devient le sceptre et le timon des démocraties rédemptrices du monde dans les imaginations. Les coupables se voient désormais menacés d'une foudre ciblée par la divinité en personne. A son grand ébahissement, M. Barack Obama n'a pu obtenir de la nation du "salut" ni qu'elle abandonne un seul mètre carré du territoire du futur "grand Israël", ni qu'elle renonce à conquérir toute la Cisjordanie. Pourquoi cela, sinon parce qu'Israël est devenu à lui-même une divinité placée entre le salut et l'apocalypse. Sa vengeance, même si elle devait se trouver retardée, ne donnera pas dans le détail. Vingt siècles après la destruction de Jérusalem par les légions de Titus, le peuple hébreu est reparti à la conquête sanglante de la patrie de ses songes sacrés. Mais il se trouve plus que jamais assis entre deux selles. Sa foi s'est planétarisée au point qu'un Jahvé désormais armé de la foudre nucléaire se montre cent fois mieux caparaçonné que du temps de Moïse.

Du coup, c'est à la face du monde qu'un M. Barack Obama abasourdi en est réduit à mettre en scène des simulacres d'une sainteté piteuse; et c'est aux yeux d'un astéroïde réputé bénéficier, lui aussi, d'une "délivrance" suicidaire qu'on voit ce théologien désemparé montrer les saints crocs de la "démocratie" et de la "justice" du Dieu de justice des chrétiens à la Palestine terrassée et menacer de couper les vivres à ce peuple privé de sa terre, alors que, dans le même temps, ces crédits sont censés lui être généreusement accordés au nom d'une "délivrance" politique désormais spécialisée dans l'alimentaire. On voit le double sceptre des châtiments horrifiques et des récompenses paradisiaques mis en place par les monothéismes de la torture débarquer dans la politique punitive des démocraties par le relais d'une apocalypse nucléaire vengeresse et qui mime la schizoïdie cérébrale du "Dieu" rançonneur lui-même.

Mais que penser de la sainteté des "droits de l'homme" si M. Mahmoud Abbas se voit sommé par la tartufferie divine de reprendre docilement et sans aucune chance de succès des "négociations" fulminatoires avec Israël ? Dans le même temps, l'Etat dichotomique annonce crûment au globe terrestre que le peuple hébreu rassemblé par Jahvé réduira son humble interlocuteur au rang de figurant. Qui ne voit que l'imbroglio n'est pas de nature diplomatique, qui ne voit qu'il s'agit de la mise en scène d'une théologie biphasée? Mais toute théologie n'est crue vraie que de s'enraciner dans la psychophysiologie bipolaire du créateur. Ce sont donc, paradoxalement, les contradictions internes du monothéisme nucléaire et de son fils naturel, la démocratie d'une Liberté bifide qui jettent sur la table l'épée de la pesée anthropologique de l'histoire comprise et raisonnée de demain.

5 - Israël à Deauville

On peut comprendre que la connaissance historique des pressions personnalisées qu'Israël exerce sur les sénateurs et sur les membres la chambre des représentants des Etats-Unis échapperont toujours à une historiographie privée d'accès à ce genre de documents par la discrétion intéressée des acteurs des deux bords. Mais que dire de l'affaiblissement cruel qu'Israël a fait subir à M. Barack Obama sur la scène internationale? Si chacun a pu observer de visu que cet Etat a réussi en quelques jours seulement et sans effort apparent à tuer dans l'œuf les promesses désopilantes dont débordait le discours mythologique du Caire du 6 juin 2009, il est aisé d'assister au spectacle public de la mise en place d'une nouvelle pseudo coalition des pays européens à Deauville, tellement cette fausse alliance est visiblement appelée à renforcer le mécanisme de la vassalisation démocratique du continent européen. Il y faut maintenant le voile trompeur d'un armement mythologique à nouveau calqué sur le mythe de la "guerre des étoiles" imaginé par G. W. Bush et antérieur à l'attentat du 11 septembre 2001. En ce temps-là les Etats-Unis se cherchaient un fantôme militaire à combattre, parce que l'OTAN était déjà privé d'ennemis en chair et en os. Il faut à nouveau suer sang et eau pour en susciter de tels dans l'imagination guerrière d'une humanité sans cesse en quête de spectres et de démons à terrasser.

Depuis la chute du mur de Berlin, l'OTAN fonctionne donc sur le même modèle de la dissuasion imaginaire d'un ennemi fantomatique que le mythe de la "sécurité" d'Israël, qui se fonde sur la crainte affectée qu'affiche jour et nuit cet Etat de se trouver menacé par une coalition infernale d'ennemis censés décidés, les méchants, à le rayer de la surface du globe: on sait également que cette terreur simulée n'est destinée qu'à "remplir les oreilles", comme dit Tacite, et qu'il y faut une éloquence "creuse et sonnante". Mais Israël rend désormais à une Amérique scindée sur le modèle de son ciel le même service diplomatique ambigu que l'Amérique lui rend depuis soixante ans, tellement l'essentiel, pour le vainqueur et "délivreur" de 1945, est désormais de perpétuer la présence faussement pacificatrice et devenue militairement grotesque, de cinq cents camps retranchés et armés jusqu'aux dents en Europe. Il n'y a plus d'ennemi à vaincre sur le terrain, mais Washington sait que tout Etat dont le territoire se trouvera "iréniquement" occupé à titre permanent par les armées du ciel de la démocratie, demeurera nécessairement un manchot sur la scène internationale.

C'est pourquoi le rôle théologique d'un Israël dédoublé à Deauville est de perpétuer et de rendre plus indissoluble que jamais l'alliance pseudo catéchétique des Etats-Unis avec une Europe à vassaliser saintement par les armes, ce que souligne l'agitation frénétique de M. Rasmussen sur les lieux, puisque les Etats-Unis ont l'habileté de placer un saint Georges natif du Vieux Continent au secrétariat général de l'OTAN. C'est ainsi que l'expansion "apostolique" des Etats-Unis et celle d'Israël poursuivent le même objectif bivalent: interdire toute "dérive" des négociations avec la Russie qui pourraient inciter une Europe asservie à se désarrimer du Nouveau Monde et à reconquérir sa souveraineté militaire d'autrefois.

Le rôle "apostolique" et guerrier d'Israël était focal à Deauville du seul fait que si l'asservissement de l'Europe bicéphale aux fantasmes que la religion démocratique brandit sous ses yeux devait devenir incurable, l'Amérique le devra aux bons soins agressifs et dévots du peuple hébreu, tellement il y a fort longtemps que les peuples les plus endormis dans leurs fausses dévotions se seraient réveillés si "l'Etat juif et démocratique" n'avait pas élevé la critique cartésienne et de simple bon sens de la domination américaine ambidextre au rang du délit d'anti-sémitisme et si toute pensée pseudo rationnelle et politiquement convenable doit éviter l'impiété de revendiquer les retrouvailles du Vieux Monde avec une indépendance désormais proclamée incongrue.

6 - Israël et l'OTAN

Comment la diplomatie d'Israël s'applique-t-elle, en outre, et sous les yeux du monde entier, à dissoudre l'alliance de la Russie avec la Chine? Pour cela, l'accès massif du Kremlin au marché du Vieux Monde est nécessaire et inversement, l'ouverture complète de l'industrie européenne au gaz et au pétrole russes. Mais cette nécessité stratégique demeure subordonnée à la condition impérative que la Russie et l'Occident s'acharneront de conserve à obtenir la pestifération de l'Iran sur la scène internationale - tour de force diplomatique qu'Israël a largement réussi à imposer à Deauville.

Dans cette configuration des pièces sur l'échiquier du monde, on comprend que M. Medvedev sera appelé à jouer le rôle d'un polichinelle diplomatique à deux têtes. D'un côté, on fera miroiter à une moitié de son cerveau la participation pleine et entière de la Russie au même asservissement patient qu'à l'Europe soumise à l'OTAN, puisque cette organisation demeurera évidemment placée sous le commandement exclusif d'un général américain; quant à la seconde moitié de sa cervelle, on lui facilitera la libre circulation des touristes russes sur le Vieux Continent - mais la suppression de la férule des visas se fera goutte à goutte, parce qu'il ne faut pas consommer les carottes d'un seul coup. De plus, on paraîtra même demander à M. Medvedev d'aider la France et un embryon d'Europe à ébranler le règne fatigué du dollar au G8 et au G20 au printemps 2011; mais cet hameçon bi-cérébral servira seulement à renforcer encore davantage les moyens de pression financiers d'Israël sur Wall Street. En échange, la Maison Blanche se verra sommée d'opposer sans faille son veto à l'ONU dans le cas où quelques membres du concile mondial permanent des démocraties de la "justice" et du "droit" opposeraient leur hérésie à l'expansion systématique du peuple hébreu en Cisjordanie et à Jérusalem.

7 - Israël et la carte de la Géorgie

Mais une autre carte maîtresse des deux boîtes osseuses d'Israël dans le concert des grands est l'étroite dépendance de la Georgie à son égard, du fait que Tel Aviv a armé cet agresseur de la Russie en 2008 et continue de l'armer. Or, Moscou piétine depuis vingt ans aux portes de l'Organisation mondiale du commerce, faute d'un accord unanime des autres Etats à son adhésion, de sorte que l'opposition de la seule Géorgie suffit à bloquer l'entrée de l'ex-empire des tsars dans cet organisme international; et Washington évoque un délai minimal d'un an pour faire éventuellement fléchir Tbilissi, ce qui, là encore, place Tel-Aviv au cœur des tractations et des arrangements de Deauville.

Mais Israël s'est en outre suffisamment insinué dans toutes les instances de l'Union européenne pour contrôler de près et en sous-main toute velléité d'accession de l'Europe à la souveraineté d'un véritable acteur de la planète, tellement les conditions et les restrictions impérieuses évoquées ci-dessus seront tenues pour incontournables. On se donnera même l'avantage de paraître arborer les dehors d'un mini complot anti américain; mais il faut savoir que tout le paysage est en trompe l'œil et qu'il ne vise qu'à masquer une diplomatie entièrement pilotée par Israël et par son allié d'outre-Atlantique, puisqu'elle demeure tout entière vouée à perpétuer non seulement le pelotonnement docile du Vieux Monde sous le parapluie du Pentagone, mais à renforcer encore la mise de ce continent sous la tutelle militaire d'un empire étranger.

8 - La nasse mondiale du messianisme démocratique

De plus, toute prétendue indépendance de l'Europe fondée sur le préalable de l'éjection pure et simple du monde arabe et de la Chine de la scène internationale n'est qu'une forme un peu rajeunie de l'enfermement du monde entier dans les serres de l'aigle à deux têtes qui dirige le vol du messianisme de type démocratique: il s'agit seulement de fournir un habillage "théologique" un peu repeint aux ailes de l'empire américano-israélien, de sorte que si l'on entend persévérer à ignorer les clés d'un évangélisme de la "Liberté " désormais planétarisé au profit du Nouveau Monde, on passera au large de la diplomatie mondiale du nouveau Verbe de la rédemption et de la délivrance - celui auquel la religion du salut sécularisé par les principes de 1789 sert désormais de théâtre intercontinental Le maître secret de tout cet "apostolat" aux couleurs ravivées s'appelle Avigdor Lieberman, le puissant Ministre des Affaires étrangères d'Israël, qui contrôle la majorité messianisée dont dispose M. Benjamin Netanyahou à la knesset et qui mobilise au profit d'un nouvel élan du libéralisme mondial les juifs influents de Russie dont il est originaire. Mais écoutons Tacite, le plus actuel des historiens romains: "Déjà, écrit-il, dans les profondeurs d'une autre partie de l'empire, le destin posait les fondements d'un nouvel ordre de l'univers". (Tacite, Histoires, L. II, chap. 1)

9 - Le temple de Nabuchodonosor

La question décisive des relations auto sacrificielles, donc suicidaires que les hommes de génie ont toujours entretenues avec les peuplades sauvages appelées à les assassiner guidera les premiers pas d'une anthropologie historique en mesure de raconter le dépérissement de la civilisation des offertoires - dépérissement auquel l'Etat d'Israël conduit la raison politique mondiale sans le savoir et à son propre détriment sur le long terme. Car la catastrophe cérébrale du naufrage haut en couleurs des prophètes ressuscitera les spécimens les plus explosifs de cette tribu et les replacera au cœur de l'histoire moderne des immolations, tellement les géants de la pensée juive se sont tous révélés des dynamiteurs des rites tribaux de leur temps.

Comment se fait-il que tous les visionnaires de cette nation sans aucune exception aient été des transporteurs de sacrilèges? Ce sont eux qui, les premiers, ont brisé la barrière de l'interprétation littérale et sanglante des paroles du ciel. Puis des iconoclastes modernes - les Spinoza, les Bergson - ont pris le relais de l'entreprise éternelle de décloisonner les écritures sacrées de leur nation et de son idole. Comment se fait-il que ce soit à Einstein et à Freud que revient le mérite immortel d'avoir pulvérisé le sens commun, le premier, au sein de la géométrie velue et musclée d'Euclide, le second, au cœur de la machine cérébrale de la vieille psychologie à trois dimensions du Moyen Age?

10- L'avenir spirituel d'Israël

Mais voici que le vieil esprit tribal d'Israël relève la tête, et déjà les voyants de ce peuple "à la nuque raide" prêchent le retour des populations expulsées de leurs terres, déjà les nouveaux Isaïe annoncent que Jérusalem sera rendue aux Arabes, déjà les nouveaux Ezéchiel font accepter à Jahvé la souveraineté d'un autre Etat sur ses terres, déjà les nouveaux Jérémie réveillent les Etats arabes à la voix d' Allah, déjà les nouveaux Daniel préviennent les Zélotes que la démographie des peuples de l'islam mettra le couteau sur la gorge au couple des croisés du monde moderne - Washington et Tel Aviv - déjà les nouveaux Elie crient au peuple américain qu'il est temps, pour lui de reprendre son destin en mains, déjà les nouveaux Tobie prophétisent que l'Iran, la Turquie, le Brésil et, à leur côté, la Russie, la Chine, l'Inde, l' Amérique du Sud et même l'Europe combattront le messianisme vétéro-testamentaire dont l'Israël des païens tient le sceptre à trois branches entre ses mains. Décidément, les nouveaux profanateurs juifs sortent de terre à la voix de l'autre Jahvé. A chaque génération, la race des prophètes appelle à en découdre avec l'éternelle statue de Bel le tueur que les siècles dressent dans le temple de Nabuchodonosor.

Peut-être l'anthropologie spirituelle du XXIe siècle aura-t-elle la "chance" paradoxale d'assister à l'assassinat de quelques prophètes. Il est rare qu'une science nouvelle et qui fait seulement ses premiers pas dans le sang des hommes ait l'occasion d'enregistrer les péripéties de l'histoire des décapitations de l'esprit. La chimie, l'héliocentrisme, la relativité générale n'ont pas bénéficié d'obstacles aussi propices à leur approfondissement théorique, parce que les autels des phlogisticiens, des géocentristes et des euclidiens ont rendu les armes après une brève résistance, tandis que, cette fois-ci, les politologues du sacrifice verront l'aiguille de leur sismographe tracer sur leur cadran des sinusoïdes d'une telle amplitude que nous aurons sans doute le privilège d'assister à une course d'un type inédit entre l'histoire guerrière d'Israël et celle d'une civilisation de l'agonie et de la résurrection de la pensée.

11 - L'Europe de Guillaume Tell

L'Europe des funérailles de la raison des prophètes serait-elle devenue la Suisse des annonciations? On sait que ce petit Etat commémore chaque année le serment de trois paysans du pays qui, il y a sept siècles, en 1291, l'année même de l'effondrement de l'empire romain de Jérusalem, ont juré de secouer les armes à la main le joug que l'étranger autrichien faisait peser sur leur terre. Depuis lors cette nation, si minuscule qu'elle soit, cultive la mémoire de son tyrannicide, Guillaume Tell. Certes, la prairie sacrée du Grütli sur laquelle les trois conjurés s'étaient rendus nuitamment n'est pas de taille à apostropher de génération en génération la planète des Gessler de Gaza, parce que les héros universels ont besoin de l'assise d'un territoire d'une certaine étendue pour faire entendre leur appel. Et pourtant, d'Ulysse à nos jours, l'histoire du monde et celle d'un arc à tendre, celui d'un héroïsme de l'esprit.

L'Europe pensante d'aujourd'hui est-elle mieux lotie que l'archer de Schiller? Quel Guillaume Tell lancera-t-il le continent européen à la reconquête de son ciel et de son identité politique confondues si la science de notre encéphale dédoublé ne nous faisait tendre l'arc de la raison du monde? L'Europe de l'histoire se trouve émiettée entre vingt-deux langues fatiguées et trois religions moribondes. Comment le fractionnement helvétique du Vieux Continent ferait-il entendre la voix du tireur helvétique à Gaza?

Mais déjà le rendez-vous d'Israël avec l'histoire du sang et de la mort répond à un calibre des évènements dont il n'est même plus nécessaire de montrer du doigt le tragique, tellement le théâtre sur lequel les événements sont appelés à se dérouler défie l'imagination. L'anthropologie historique n'a plus besoin de dérouler des démonstrations titanesques sur le théâtre des songes sacrés qui mènent le monde dès lors que le blocus d'une ville de quinze cent mille habitants vient rappeler à tous les peuples et à tous les gouvernements de la planète que la science historique de demain fera monter à nouveau le mythe hébreu sur les planches du monde?

Il n'est plus besoin de se presser sur une scène aussi étroite: l'histoire dichotomique du globe terrestre se déroulera si bien sous la poigne de fer de l'Etat "juif et démocratique" que l'anthropologie philosophique et critique aura tout le temps de démasquer l'inconscient messianique et biblique qui régit les gènes scissipares d'une espèce animale tragiquement bancalisée par le grossissement onirique de son encéphale et par son ratatinement sur ses arpents; et cette discipline des sanglants séraphins n'aura pas besoin non plus de jouer les Cassandre d'une collision titanesque entre l'encéphale terrestre et l'encéphale théologique de l'histoire, puisque ce sont les faits qui joueront les arbalétriers assermentés.

On cherche le serment de la raison qui radiographierait l'identité politique et spirituelle d'une Europe scindée, elle aussi, entre l'arc tendu des prophètes et les "terres promises" d'une humanité faussement angélique. Mais peut-être est-il fécond de rappeler que la civilisation née de l'alliance du sang des guerriers avec la littérature a accouché des archers de l'universel. La civilisation européenne sera l'Antigone de Gaza.

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Publié le 24 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/


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