Les Défis de l'Europe
La République et
les enjeux intellectuels de l'histoire
Quatrième lettre ouverte au Président de
la République
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 17 novembre
2012
1 -
Une
formule d'exorciste : Habeas corpus
M. le Président,
En vérité, deux balances des nations se
présentent à votre regard. La première
pèse l'ossature des esclaves sur la
scène internationale, la seconde la
musculature des conquérants. Observons
en premier lieu les vassaux de
l'étranger. La honte de leur servitude
est gravée sur leur front. La France
debout dont vous avez la charge, M. le
Président, a-t-elle intérêt à assister
sans mot dire à l'abaissement d'une
Europe couchée ? Bien plus, la lettre et
l'esprit des lois de la République
l'autorisent-elles à humer le fumet qui
monte de l'Europe des valets?
Songez
que l'humiliation des nations asservies
du Vieux Monde ne les déshonore pas
toutes seules: quand une Angleterre en
livrée menace de se ruer en pleine cité
de Londres et les armes à la main dans
les locaux de l'ambassade d'un Etat de
l'Amérique du Sud, l'Equateur et d'y
capturer, mort ou vif, un réfugié
australien qui y bénéficie d'un droit
d'asile proclamé par son protecteur à la
face du monde, quelle est la fatwa des
démocraties que le Foreign Office d'un
successeur de Churchill a rédigée en
secret à l'encontre du damné? Vous savez
que le malheureux est accusé par Downing
Street d'avoir fait connaître à tout le
genre humain une pluie d'assassinats que
le plus puissant empire du monde, les
Etats-Unis d'Amérique, a perpétrés au
cours des trois dernières décennies.
Vous savez que l'hérétique portait
autour du cou une pancarte sur laquelle
on lisait une plaisanterie latine:
Habeas corpus. Si la France réfugiée
à Londres en 1940, avait affiché la
pancarte: "Nation en exil cherche abri",
savez-vous, M. le Président, pourquoi
cette France-là, vous la cherchez en
vain des yeux?
L'Angleterre vassalisée tente de se
soustraire à tous les regards,
l'Angleterre honteuse de son
asservissement n'ose faire étalage de
son abjection sur la scène
internationale. Pourquoi ne se
précipite-t-elle pas tête baissée dans
l'indignité spectaculaire de livrer en
toute hâte, pieds et poings liés, la
victime pantelante aux crocs et aux
griffes de son prédateur? Pourquoi
recourt-elle aux services discrets d'un
petit passeur tremblant des quatre
membres, pourquoi charge-t-elle un pâle
homme de main, la Suède, de s'acquitter
à sa place de la tâche d'expédier une
moelle si précieuse au fauve sans foi ni
loi qui l'attend? La vassalité du
lionceau anglais aurait-elle la vertu
d'alléger la lâcheté du géant qui a
planté ses crocs dans la nuque de sa
victime? Le petit bourreau anglais et sa
corde de chanvre attendent la
bénédiction en tapinois de leur
commanditaire d'outre-Atlantique -
faut-il avoir mauvaise conscience pour
veiller de la sorte à détourner
l'attention du monde!
2 -
Imbroglios et emberlificotements
M. le
Président, voyez comme tout se tient sur
la scène des valets : si vous tentez de
faire jouer cavalier seul à la France,
non seulement l'Amérique vous écartera
rudement de la table du jeu, parce que
cet empire n'a jamais d'alliés et qu'il
tient toujours la barre de l'histoire
entre ses seules mains, mais vous serez
ridiculisé de surcroît et tourné en
dérision à la face du monde. Vous venez
d'en faire l'expérience sous l'œil des
caméras du monde entier: votre ministre
des affaires étrangères vous a convaincu
de vous ruer tête baissée dans l'impasse
que M. Chevènement vous avait pourtant
clairement et publiquement signalée dans
le Monde. Puis le Qatar et
Washington vous ont tenu sans
ménagements à l'écart de l'accord de
Doha, qu'ils ont obtenu non point au
forceps, mais à la mitraillette. Vous
avez aussitôt reconnu ce gouvernement de
pacotille aux côtés d'un ilote ivre, la
Turquie, tandis que le monde arabe en
dénonçait l'artifice et que Washington
refusait à son tour de valider son
propre montage. Croyez-vous qu'un
diplomate sérieux aurait compromis pour
longtemps l'avenir des relations de la
France avec la Russie et la Chine,
croyez-vous que François 1er ou Louis
XIV auraient détourné à ce point leur
regard du monde de leur temps?
Quant à l'Egypte, il a suffi à M. Morsi
de faire un instant allégeance à
l'Occident sur la Syrie et l'Iran, il y
a deux mois de cela, pour que vous
envoyiez votre ministre des affaires
étrangères au Caire, ce que vous aviez
d'abord refusé. Puis, l'habile fellah du
Nil ayant fait des avances épistolaires
remarquées à M. Shimon Peres, vous avez
expédié M. Fabius en mission. Mais, dans
la nuit, Washington a brutalement
anéanti toutes vos velléités de prendre
en main la rébellion syrienne. Quant au
Caire, il a rappelé sur l'heure son
ambassadeur à Tel-Aviv à la suite de
l'assassinat en pleine jour de M. Ahmad
al-Ja'bari par un missile israélien qui
a pulvérisé, dans une rue de Gaza, la
voiture que le cheikh du Qatar venait de
lui offrir.
3 - "
Faire nation, c'est faire bloc " (M.
Hollande, 13 novembre 2012)
De quel
Etat étranger la France se
montrera-t-elle principalement l'otage ?
Approuverez-vous le siège et le
bombardement de Gaza par un Etat hébreu
prêt à déclencher une opération "plomb
durci n°2" ? Vous avez tenté,
une fois de plus, de couper la poire en
deux ou en quatre et vous avez
évangéliquement exhorté "les deux
camps" à la "modération".
Voyez-vous, M. le Président, nul ne sert
un maître à demi et à frais réduits. Si
vous rapprochiez résolument la France de
la Russie et de la Chine, il vous
faudrait, en tout premier lieu,
reconquérir la spécificité, donc le
prestige perdu de la diplomatie
française sur la scène internationale:
vous ne vous rendrez à nouveau estimable
aux yeux de vos interlocuteurs que si
vous retirez derechef la France du joug
vassalisateur de l'OTAN sous lequel
votre prédécesseur l'avait replacée.
Mais vous n'entraineriez dans l'ambition
gaullienne retrouvée ni l'Europe des
licols, ni la France ficelée au CRIF En
toutes circonstances, demandez-vous donc
ce que Mazarin, Richelieu ou Talleyrand
auraient fait à votre place et
dites-vous bien que leur premier souci
serait de ne pas placer à la tête de la
politique extérieure de la France des
Français de grande valeur, mais que
singularise la double identité qu'ils
revendiquent etqui les déchire entre
leur patrie d'adoption et celle de leurs
origines - dès lors qu'ils entendent
clairement lui demeurer fidèles, comme
MM. Badinter, Jean-François Kahn, Noam
Chomsky, Kissinger, Barenboïm et
d'autres l'ont si clairement et souvent
pathétiquement souligné.
L'heure approche, M. le Président, où il
vous faudra faire ce choix douloureux et
quelquefois cruel ou renoncer aux
responsabilités statutairement attachées
à votre charge, parce que le cuisant
échec de l'Union des pays riverains de
la Méditerranée était inscrit dans
l'évidence que le monde arabe n'y
admettrait jamais l'Etat d'Israël et
que, de son côté, l'Etat hébreu
tenterait de s'en rendre aussitôt le
seul maître. Il fallait un M. Kouchner
pour feindre de le découvrir avec un
grand retard et au détriment des
intérêts de la France
4 - Les yeux
d'Ezéchiel sont ouverts
Croyez- vous vraiment, M. le Président,
que vous parviendrez à vous dérober cinq
ans durant à la tâche impérieuse de
regarder en face la situation
diplomatique de la France dans le monde?
Votre prédécesseur, avait appelé M
Védrine au Quai d'Orsay, mais le CRIF
était aussitôt monté à l'abordage et M.
Sarkozy avait capitulé dans la journée.
Mais, à la fin de son mandat, la France
a contribué à l'admission de la
Palestine à l'UNESCO.
Cette
fois le CRIF a tout de suite proclamé
que vous seriez aussi facile à piloter
que M. Sarkozy. Et un baromètre sûr de
la quadriplégie politique de l'Europe
vient de vous être fourni par le "rapport
Védrine" qui exclut, comme vous le
lui aviez demandé, une seconde sortie du
commandement intégré de l'OTAN, parce
qu'une telle démarche "ne serait
comprise de personne, ni aux Etats-Unis,
ni en Europe" et que cela "ruinerait
toute possibilité d'action et
d'influence". Bref, le rapport
Védrine "a le mérite de faire entrer
la participation à l'OTAN dans le
consensus français". C'est oublier
purement et simplement que le principe
même d'une "Europe de la défense"
est une fantasmagorie saugrenue, puisque
le Vieux Continent n'est menacé par
personne et qu'il s'agit d'une
soumission à vide. Sparte rebelle à Rome
est devenue un village au bord de
l'Eurotas. Mais la France est une Sparte
à laquelle l'Eurotas apporterait le
soutien de la Chine, de la Russie, de
l'Inde, de l'Amérique du Sud et l'avenir
n'est pas du côté du renoncement.
Comme vous le
savez, M. G. W. Bush avait dû attendre
la fin de son second mandat pour tenter
de mobiliser le monde sur la question du
sort des Palestiniens; et vous savez
également que M. Barack Obama avait tout
de suite été jugulé à la suite de son
discours du Caire du 4 juin 2009, mais
qu'il reprendra peut-être l'offensive à
l'occasion de son second mandat - il
sera donc assassiné, comme je l'avais
prédit dans mon
Barack Obama en
Egypte: "Je serai assassiné"1er
juin 2009. Mais la mobilisation de la
planète contre l'Iran fera maintenant
long feu et Gaza se replacera au cœur de
l'histoire du monde. M. le Président, il
vous faudra charger vos épaules des
intérêts réels et à long terme de la
France, tout simplement parce qu'il est
bien impossible que les yeux du monde
entier ne s'ouvrent jamais plus sur la
réalité.
5 - Les martyrs
de la raison
Il n'est pas coutumier, en outre, M. le
Président, qu'un philosophe laïc plonge
sa plume dans l'encrier des théologies,
il n'est pas d'usage que le cogito
cartésien porte le regard de la raison
sur les documents anthropologiques
saisissants et précieux à ce titre qu'on
appelle des doctrines religieuses, il
est mal reçu que les ultimes disciples
d'un certain buveur de ciguë athénien
nous montrent du doigt la science des
Etats qui se cache derrière les masques
universitaires de la Liberté, les
gri-gri officiels de la Liberté, les
cierges et les prie-Dieu de la Liberté.
Mais la guerre entre l'empire américain
et l'Europe se déroule sur un champ de
bataille nouveau, puisque Descartes y
apprend peu à peu le maniement des armes
qui lui permettront de combattre les
régiments d'hosties et de totems que la
démocratie verbifique brandit désormais
sous les yeux d'une conscience
universelle sidérée par tant
d'effronterie. C'est que, depuis Renan,
la France de la raison a négligé de
poursuivre la spéléologie du sacré
inaugurée par le siècle des Lumières ;
et aujourd'hui, elle a pris un grand
retard dans le décryptage
psychopolitique des mythes religieux.
C'est pourquoi le Quai d'Orsay n'a pas
formé des diplomates en mesure de
l'éclairer sur les secrets d'une planète
à nouveau largement tributaire de divers
Olympe.
Décoder le message politique que
camouflent les confessions de foi et les
prières, décrypter le langage
vassalisateur de la politique
d'outre-Atlantique, contraindre la
démocratie messianisée à entrer dans le
confessionnal de Machiavel, c'est tenter
de remettre en marche un moteur de la
compréhension rationnelle de l'histoire
du monde que le XVIIIe siècle avait
commencé d' universaliser et dont les
premiers exploits avaient retenti chez
les encyclopédistes.
6 -
L'Europe de Ptolémée
La semaine dernière, je vous écrivais:
"Qu'en sera-t-il de l'asservissement
mental d'une Europe des chantres de la
Liberté? En 2020, l'avant-dernière année
de votre second mandat aura sonné au
beffroi des idéalités d'une France sur
la défensive, en 2020, le successeur de
M. Barack Obama aura achevé la première
questure de son apostolat. Croyez-vous
vraiment qu'en 2020, les garnisons de
l'étranger mettront subitement l'épée au
fourreau et se glisseront gentiment hors
de l'Europe embrumée ou bien savez-vous
pertinemment que seuls de terribles
ébranlements des bréviaires de la
démocratie permettront à un Churchill de
l'Europe d'attiser la fureur des peuples
humiliés et de canaliser le torrent
déchaîné de l'histoire de la Liberté,
tellement les patries enrageront au
spectacle de leurs dirigeants asservis.
Attendrez-vous que les Français
arrachent dans le sang le masque de leur
classe politique en livrée?"
La question la plus décisive qui se
posera à votre quinquennat sera celle de
votre balance à peser le temps de la
France civilisatrice. Pour l'instant,
l'aiguille de l'horloge qu'on appelait
la Démocratie trotte timidement sur le
cadran du destin qui vous a porté à la
tête d'une France fatiguée du
vocabulaire des illusions. A ce titre,
un Président de la République occupe
nécessairement le rang et exerce
nécessairement les responsabilités d'un
témoin du seul Etat au monde que sa
vocation intellectuelle appelle à
illustrer les conquêtes de la raison
politique d'avant-garde de son époque.
Mais la potence du destin sur laquelle
vous vous trouvez cloué est celle d'une
Clio devenue fantasque en diable. Si
vous précédez le train paresseux d'une
Europe ralentie, la banalité des jours
passera sans bruit au large de vos pas,
mais si votre allure traînante prend du
retard sur le convoi des infirmes, on
entendra des géants de l'histoire
couvrir de leur voix de Stentor les
médiocres lamentations d'une nation sans
tête.
7 - L'Europe des
somnambules
M. le Président, deux milliards de
disciples de Muhammad ont les yeux fixés
sur le seul peuple au monde qui ait
jailli tout casqué des murailles d'une
forteresse abattue. La France des
cerveaux vides dont vous avez la charge
ne saurait se lécher les babines au
spectacle de la servitude honteuse de sa
compagne, l'Angleterre. M. le Président,
j'y reviens, la France cartésienne ne
saurait déguster la mise en esclavage
tranquille de la nation de Shakespeare
et de Dickens. Une France délivrée du
Jupiter de la monarchie capétienne
laissera-t-elle un Equateur du Golgotha
se dresser les mains nues face à une
Angleterre domestiquée par les rêveurs
de la démocratie? Vous êtes allé dire à
l'Afrique des sorciers que parler
français, c'est défendre la dignité
humaine. Laquelle? Celle que notre
magicien d'outre-Atlantique nous a
montrée d'un doigt vassalisateur?
Protégez-nous de l'arrimage des fausses
élites de la France aux sortilèges d'un
empire étranger, protégez les
somnambules du mythe démocratique des
tentations de la trahison, apprenez à
déclouer les idéaux de 1789 crucifiés
sur la potence de la vassalisation?
Il y a
trois mois seulement, et pour la
première fois depuis 1789, la
civilisation mondiale a pointé l'index
en direction de l'arène des fauves de la
démocratie. Le conquérant moderne est un
tigre habillé en croisé du salut du
monde. Comme il est dit plus haut, pour
la première fois depuis 1789, un
ex-défenseur de la souveraineté de tous
les peuples de la terre - ce défunt
s'appelait l'Angleterre - a tenté de
s'attaquer coram populo à un
exilé placé sous la protection du droit
d'asile qu'un Etat démocratique et
souverain lui avait accordé, pour la
première fois depuis 1789, l'opinion
publique de la planète des démocraties
dites libératrices a ouvert des yeux
horrifiés sur le ramassis des esclaves
évangélisés par un empire au masque
d'ange.
Quelques semaines plus tard, faute que
le printemps arabe ait donné tout
subitement aux nations musulmanes les
armes de l'indépendance des Etats que
nous avons mis trois siècles à
conquérir, à perdre et à reconquérir
partiellement, les guerriers d'Allah ont
fait flotter l'étendard d'une foi
demeurée souveraine dans leur cœur; et
les têtes de pont des nouveaux
vassalisateurs ont été saccagées sur
tout le pourtour de la Méditerranée.
Porterez-vous le regard de la France de
la raison sur une planète en attente des
Copernic de l'intelligence politique,
conduirez-vous la France de Ptolémée à
celle de Galilée?
8 - La
France et l'Elysée
sous le regard de l'histoire
Observons de plus près les arcanes et
les mécanismes de la servitude
diplomatique et intellectuelle de
l'Europe des démocraties vassalisées par
leur évangélisme tout verbal. Ne nous y
trompons pas, Monsieur le Président, ce
n'est pas la liberté de la presse de
Londres qui a contraint le Guardian à
publier la lettre de menaces
outrageantes que le chef du Foreign
Office de sa très gracieuse Majesté, M.
Hague, a adressée au Ministre des
affaires étrangères de l'Equateur, M.
Patino, mais seulement la crainte que ce
terrible document fût publié à Quito,
puis dans le monde entier et que la
domestication au grand jour du Royaume
des Windsor se trouvât étalée encore
davantage à la face du monde. Mais si la
France demeurait les bras croisés au
spectacle de la mise dans les fers de
l'ex-Angleterre de Winston Churchill,
croyez-vous vraiment qu'aucune voix plus
informée des secrets d'un empire de type
démocratique que les Tacite ou les
Suétone ne demandera à notre pays de
s'asseoir à son tour sur le banc
d'infamie aux côtés des descendants sans
cervelle des hérauts de l'indépendance
de la Grèce en 1830, les Byron et les
Shelley ? Déjà les yeux des historiens
de notre civilisation sont fixés sur
nous. Raconteront-ils aux enfants la
pleutrerie d'un siècle de silence
cérébral de la France?
Monsieur le Président, l'heure a sonné
pour les Etats civilisateurs du monde
entier de prendre leurs responsabilités
intellectuelles et morales face aux
générations à venir.
9 - La chèvre et
le chou
Mais
savez-vous que, de leur côté, les
Etats-Unis se sont bien gardés de fonder
leur constitution sur la défense des
prérogatives naturelles du genre humain
face à l'arbitraire des Etats,
savez-vous que leur pragmatisme au petit
pied leur permet de délégitimer à leur
guise et à tout moment les apanages
universels du citoyen, savez-vous que
l'empire de la bannière étoilée peut à
tout moment se proclamer en danger de
mort et suspendre l'habeas corpus pour
ce motif? Savez-vous qu'il y suffit
d'une décision souveraine du pouvoir
exécutif, savez-vous que les droits
intellectuels de la personne s'y
trouvent alors suspendus sine die,
savez-vous que le glaive d'une
démocratie décérébrée interdit tout
recours au législatif et au judiciaire?
Souvenez-vous du Sénateur McCarthy, qui
avait terrorisé l'Amérique sous prétexte
que le péril marxiste gangrenait les
consciences, souvenez-vous des procès en
hérésie intentés aux écrivains, aux
acteurs, aux journalistes par le grand
inquisiteur de la démocratie,
souvenez-vous qu'à l'époque, ce fut un
acteur, Ronald Reagan, qui avait osé
tenir tête au gardien suprême de
l'orthodoxie. Mais aujourd'hui, Monsieur
le Président, l'orthodoxie a changé de
canons et de bouches à feu, aujourd'hui
les foudres du ciel des démocraties
guerrières ne sont plus réfutables qu'à
l'aide de l'artillerie des Etats laïcs.
Pourquoi
cela? Pour tenter de comprendre cette
mutation de l'instinct de conservation
des Etats, observons l'emplacement exact
des batteries de l'obscurantisme et la
largeur de leur fenêtre de tir. En 1948,
le grand logicien des mathématiques,
Kurt Gödel, accompagné d'Albert
Einstein, demandait la citoyenneté
américaine au juge en charge de prendre
acte des déclarations du candidat: "Il
y a, dans votre Constitution, dit Gödel,
une brèche qui permet de transformer en
toute légalité votre pays en une
dictature."
Effrayé, Einstein fait signe au
profanateur de se taire, sinon l'auteur
du célèbre théorème qui porte son nom
serait allé jusqu'à signaler aux
gardiens du temple l'endroit exact de la
Constitution de l'Amérique qui permet au
Président de cet Etat d'abroger d'un
trait de plume les droits réputés
inaliénables de la personne humaine.
10 - Le César de
la démocratie
Vous
connaissez sans doute le Patriot Act,
qui n'est que la copie exacte de la "suspension
clause" de 1787 évoquée plus haut
par Kurt Gödel. Mais connaissez-vous les
théorèmes du "National Security
presidential directive",
connaissez-vous toute la géométrie de la
"Homeland Security presidential
directive", connaissez-vous les
axiomes du "National defense
autorisation Act", connaissez-vous
les postulats de la "Sedition et
allen Acts de 1798" dont le contenu
a été confirmé en 2012 où il est dit -
article 1031 - que le président des
Etats-Unis ordonne sans autre forme de
procès l'interrogatoire et le maintien
en détention administrative à perpétuité
de tout Américain ou étranger sous
l'accusation, aussi facile
qu'approximative, de "terrorisme"
ou seulement de sympathie globale pour
le "terrorisme"? Savez-vous que
le Président Obama décide de sa propre
initiative et sans aucun contrôle, ni du
judiciaire, ni du législatif, de la
déportation ou de la livraison d'un
suspect à un pays pratiquant la torture?
Et voilà
pourquoi, Monsieur le Président, la
plupart des décisions de Guantanamo
invoquent la "suspension clause"
de 1787, et voilà pourquoi la justice
américaine a traqué pendant des années
et sur toute la terre le champion du
monde du noble jeu, Bobby Fisher, le
plus grand génie des échecs de tous les
temps, qu'on appelait le Mozart des
soixante quatre cases. Son crime ? Il
avait joué a ux échecs dans des pays
jugés ennemis par la Maison Blanche.
C'est donc pour crime de lèse majesté
que Bobby Fisher a été livré à la
lâcheté politique des nations du monde
entier et qu'il n'a trouvé refuge qu'en
Islande, qui lui devait l'immense
retentissement du championnat du monde à
Reykjavik en 1972. L'Islande et
l'Equateur seront-ils seuls à se tenir
debout face à la "suspension clause"
qui, depuis 1787 et dans le monde
entier, n'a "d'équivalent juridique
dans aucune constitution démocratique"?
(Jean-Philippe Immarigeon,
Pour en finir avec la Françamérique,
éditions Ellipse, 2012)
11 -
L'affaire Calas de notre temps
Monsieur le Président, l'enjeu est de
taille: depuis deux siècles, la France
fonde les droits de l'individu sur des
valeurs morales qu'elle a proclamées
universelles au seul nom des
prérogatives attachées à l'usage de la
raison. L'éthique d'un solitaire du
cosmos, un certain Adam, a pris le pas
sur les droits du Dieu des théologiens.
Pourquoi cela? Parce que s'il n'existe
pas d'homme parfait, il ne saurait non
plus exister un Dieu parfait, puisque
toute divinité n'est jamais que
l'effigie idéale de la perfection que
l'homme est en mesure de se forger.
C'est pourquoi les prophètes sont des
examinateurs drastiques de la finitude
du Dieu de leur temps. La France de la
raison n'est donc que le forgeron
inlassable du Dieu moins rudimentaire
que serait un Jupiter de l'intelligence,
de l'éthique et de la politique, et à ce
titre, les Voltaire et les Renan sont
les prophètes de la France
ascensionnelle.
A vous, M. le Président, de civiliser
Jahvé et de cérébraliser Allah au nom de
la France du destin de l'intelligence du
monde. Que ferez-vous de cette
universalité-là de la France à l'heure
où seul l'avenir de la raison du monde
redonnera à la nation sa vocation
politique à l'échelle de la terre?
La pensée française
se révèle la charge explosive et le
détonateur de la spiritualité du monde.
Nos philosophes ont patiemment déposé
cette bombe au cœur de toutes les
doctrines dites révélées. Mais c'est une
lourde responsabilité politique de
défendre également la tolérance, cette
béquille des infirmes de l'intelligence
et des unijambistes de la vie
spirituelle. Voltaire accordera-t-il
tous leurs droits à l'ignorance et à la
sottise, Voltaire défendra-t-il
l'obscurantisme qu'il avait combattu
toute sa vie, Voltaire assermentera-t-il
encore les juges et les assesseurs d'un
tribunal de la pensée logique si la
raison peut se trouver accusée en retour
d'empiéter sur les convictions
religieuses les plus primitives et s'il
faut s'incliner devant le nouveau totem
des sorciers et des magiciens sur les
cinq continents - une tolérance
fétichisée? M. le Président, l'affaire
Assange ne ressortit pas à une
superstition locale : non seulement nos
relations diplomatique avec toute
l'Amérique du Sud ne sont pas
subalternes, non seulement l'Equateur
jette les droits de la dignité de sa
diplomatie et de la souveraineté de son
Etat à la tête des Etats-Unis sous les
yeux du monde entier, mais la planète de
l'instance spirituelle que la France
appelle la raison ne passera pas outre à
une affaire Calas du XXIe siècle qui
marquera votre quinquennat de son
empreinte au même titre que votre
politique en Palestine.
Il est des symboles du degré de maturité
de l'encéphale de la politique mondiale,
il est des points de fixation de
l'intelligence des Etats, il est des
signaux qui cristallisent la conscience
morale du monde. Songez que vous n'avez
déjà plus affaire à un conflit entre un
individu et un pays, mais entre des
chancelleries, songez que l'écho
international d'un procès où l'accusé
n'est autre que la liberté de la presse
sur la planète entière s'est déjà fait
entendre dans toute l'Europe.
Croyez-vous que le prix Nobel de la Paix
accordé au Vieux Continent cette année
aurait conduit Oslo au ridicule sur la
scène du monde si la paix des vassaux
n'était pas trompeuse en diable et si
les Européens n'avaient cessé de se
battre entre eux que pour des motifs
piteux et dont ils n'ont pas à se
vanter? Car la docilité diplomatique
dont ils font preuve leur donne d'autres
chats à fouetter - il ne s'agit plus,
pour eux, que de suivre leur chef sur
ses champs de bataille à lui. Voyez
comme tout se tient : si la paix est une
manière de défendre les droits des
neurones du genre humain, quelle
servitude de porter la livrée des
supplétifs d' un conquérant!
12 -
Une civilisation à la croisée des
chemins
Monsieur
le Président, si la France renonçait à
peser la vassalité de l'Angleterre sur
la balance des valeurs spirituelles qui
inspirent la République depuis le XVIIIe
siècle, vous ne fonderez plus jamais la
diplomatie du Vieux Monde sur une morale
civilisatrice et ascensionnelle; et si
vous conduisiez le peuple de Descartes
et de Voltaire à trahir les philosophes
qui ont substitué à jamais les droits de
la pensée critique à ceux du génocidaire
du Déluge, la postérité ne témoignera
d'aucune indulgence pour votre passage à
la tête de la République. Car la France
de l'esprit est pascalienne, la France
dit, avec l'auteur des
Provinciales: "Pourquoi me
tuez-vous?- Eh quoi! Ne demeurez-vous
pas de l'autre côté de l'eau? Mon ami,
si vous demeuriez de ce côté, je serais
un assassin et cela serait injuste de
vous tuer de la sorte; mais puisque vous
demeurez de l'autre côté, je suis un
brave, et cela est juste."
M. le Président, dites-vous que jamais
les cartes n'auront été aussi clairement
distribuées sur l'échiquier pascalien de
l'éthique qu'on appelle l'histoire,
dites-vous que jamais les Etats n'auront
été mis à ce point en demeure de
redresser l'échine de la démocratie dans
le monde, dites-vous que jamais il ne
nous aura été plus clairement demandé de
tuer l'idole qui cache son bois sec sous
notre culte falsifié de la Liberté.
Croyez-vous que la civilisation
française serait universelle si elle
n'obéissait pas à une ascension morale
de la raison? Savez-vous que l'Amérique
a signé son arrêt de mort le jour où
elle a réintroduit la torture dans le
code pénal de sa "démocratie",
savez-vous que deux cent vingt ans après
l'abolition de la torture sous Louis
XVI, la France et l'Europe n'ont aucun
ennemi du dehors à combattre, savez-vous
que si nous cessions de combattre notre
auto vassalisation dans nos cœurs, si
nous cessions de lutter contre notre
auto asservissement dans nos têtes, si
nous cessions d'exorciser notre auto
assujettissement mental sur le champ de
bataille de la pensée rationnelle, si
nous cessions de dénoncer notre
apostolat verbifique, si nous cessions
de ridiculiser l'orthodoxie démocratique
et sa fausse justice, nous perdrions
Pascal et Voltaire, Montaigne et Molière
en chemin?
Puisse votre statut de guide et de
gardien de la raison de la France faire
entrer la République dans un siècle
nouveau de l'intelligence, puissiez-vous
redonner à la France le rang d'une
sentinelle de la conscience du monde.
La semaine
prochaine, je vous entraînerai dans la
caverne où les anthropologues de la
torture ont dressé leur campement; et
nous verrons si la politologie moderne a
quelque leçon à retenir des spéléologues
qui observent les barbares dans leur
miroir des châtiments infernaux où leur
boucher suprême du cosmos couve la
sauvagerie de ses vengeances du manteau
de la sainteté de sa justice. .
Le 17 novembre 2012
Reçu de l'auteur
pour publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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