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Les Défis de l'Europe

La République et les enjeux intellectuels de l'histoire
Quatrième lettre ouverte au Président de la République

Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Samedi 17 novembre 2012


1 - Une formule d'exorciste : Habeas corpus
2 - Imbroglios et emberlificotements
3 - " Faire nation, c'est faire bloc " (M. Hollande, 13 novembre 2012)
4 - Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts
5 - Les martyrs de la raison
6 - L'Europe de Ptolémée
7 - Une Europe de somnambules
8 - La France et l'Elysée sous le regard de l'histoire
9 - La chèvre et le chou
10 - Le César de la démocratie
11 - L'affaire Calas de notre temps
12 - Une civilisation à la croisée des chemins

1 - Une formule d'exorciste : Habeas corpus

M. le Président,

En vérité, deux balances des nations se présentent à votre regard. La première pèse l'ossature des esclaves sur la scène internationale, la seconde la musculature des conquérants. Observons en premier lieu les vassaux de l'étranger. La honte de leur servitude est gravée sur leur front. La France debout dont vous avez la charge, M. le Président, a-t-elle intérêt à assister sans mot dire à l'abaissement d'une Europe couchée ? Bien plus, la lettre et l'esprit des lois de la République l'autorisent-elles à humer le fumet qui monte de l'Europe des valets?

Songez que l'humiliation des nations asservies du Vieux Monde ne les déshonore pas toutes seules: quand une Angleterre en livrée menace de se ruer en pleine cité de Londres et les armes à la main dans les locaux de l'ambassade d'un Etat de l'Amérique du Sud, l'Equateur et d'y capturer, mort ou vif, un réfugié australien qui y bénéficie d'un droit d'asile proclamé par son protecteur à la face du monde, quelle est la fatwa des démocraties que le Foreign Office d'un successeur de Churchill a rédigée en secret à l'encontre du damné? Vous savez que le malheureux est accusé par Downing Street d'avoir fait connaître à tout le genre humain une pluie d'assassinats que le plus puissant empire du monde, les Etats-Unis d'Amérique, a perpétrés au cours des trois dernières décennies. Vous savez que l'hérétique portait autour du cou une pancarte sur laquelle on lisait une plaisanterie latine: Habeas corpus. Si la France réfugiée à Londres en 1940, avait affiché la pancarte: "Nation en exil cherche abri", savez-vous, M. le Président, pourquoi cette France-là, vous la cherchez en vain des yeux?

L'Angleterre vassalisée tente de se soustraire à tous les regards, l'Angleterre honteuse de son asservissement n'ose faire étalage de son abjection sur la scène internationale. Pourquoi ne se précipite-t-elle pas tête baissée dans l'indignité spectaculaire de livrer en toute hâte, pieds et poings liés, la victime pantelante aux crocs et aux griffes de son prédateur? Pourquoi recourt-elle aux services discrets d'un petit passeur tremblant des quatre membres, pourquoi charge-t-elle un pâle homme de main, la Suède, de s'acquitter à sa place de la tâche d'expédier une moelle si précieuse au fauve sans foi ni loi qui l'attend? La vassalité du lionceau anglais aurait-elle la vertu d'alléger la lâcheté du géant qui a planté ses crocs dans la nuque de sa victime? Le petit bourreau anglais et sa corde de chanvre attendent la bénédiction en tapinois de leur commanditaire d'outre-Atlantique - faut-il avoir mauvaise conscience pour veiller de la sorte à détourner l'attention du monde!

2 - Imbroglios et emberlificotements

M. le Président, voyez comme tout se tient sur la scène des valets : si vous tentez de faire jouer cavalier seul à la France, non seulement l'Amérique vous écartera rudement de la table du jeu, parce que cet empire n'a jamais d'alliés et qu'il tient toujours la barre de l'histoire entre ses seules mains, mais vous serez ridiculisé de surcroît et tourné en dérision à la face du monde. Vous venez d'en faire l'expérience sous l'œil des caméras du monde entier: votre ministre des affaires étrangères vous a convaincu de vous ruer tête baissée dans l'impasse que M. Chevènement vous avait pourtant clairement et publiquement signalée dans le Monde. Puis le Qatar et Washington vous ont tenu sans ménagements à l'écart de l'accord de Doha, qu'ils ont obtenu non point au forceps, mais à la mitraillette. Vous avez aussitôt reconnu ce gouvernement de pacotille aux côtés d'un ilote ivre, la Turquie, tandis que le monde arabe en dénonçait l'artifice et que Washington refusait à son tour de valider son propre montage. Croyez-vous qu'un diplomate sérieux aurait compromis pour longtemps l'avenir des relations de la France avec la Russie et la Chine, croyez-vous que François 1er ou Louis XIV auraient détourné à ce point leur regard du monde de leur temps?

Quant à l'Egypte, il a suffi à M. Morsi de faire un instant allégeance à l'Occident sur la Syrie et l'Iran, il y a deux mois de cela, pour que vous envoyiez votre ministre des affaires étrangères au Caire, ce que vous aviez d'abord refusé. Puis, l'habile fellah du Nil ayant fait des avances épistolaires remarquées à M. Shimon Peres, vous avez expédié M. Fabius en mission. Mais, dans la nuit, Washington a brutalement anéanti toutes vos velléités de prendre en main la rébellion syrienne. Quant au Caire, il a rappelé sur l'heure son ambassadeur à Tel-Aviv à la suite de l'assassinat en pleine jour de M. Ahmad al-Ja'bari par un missile israélien qui a pulvérisé, dans une rue de Gaza, la voiture que le cheikh du Qatar venait de lui offrir.

3 - " Faire nation, c'est faire bloc " (M. Hollande, 13 novembre 2012)

De quel Etat étranger la France se montrera-t-elle principalement l'otage ? Approuverez-vous le siège et le bombardement de Gaza par un Etat hébreu prêt à déclencher une opération "plomb durci n°2" ? Vous avez tenté, une fois de plus, de couper la poire en deux ou en quatre et vous avez évangéliquement exhorté "les deux camps" à la "modération".

Voyez-vous, M. le Président, nul ne sert un maître à demi et à frais réduits. Si vous rapprochiez résolument la France de la Russie et de la Chine, il vous faudrait, en tout premier lieu, reconquérir la spécificité, donc le prestige perdu de la diplomatie française sur la scène internationale: vous ne vous rendrez à nouveau estimable aux yeux de vos interlocuteurs que si vous retirez derechef la France du joug vassalisateur de l'OTAN sous lequel votre prédécesseur l'avait replacée. Mais vous n'entraineriez dans l'ambition gaullienne retrouvée ni l'Europe des licols, ni la France ficelée au CRIF En toutes circonstances, demandez-vous donc ce que Mazarin, Richelieu ou Talleyrand auraient fait à votre place et dites-vous bien que leur premier souci serait de ne pas placer à la tête de la politique extérieure de la France des Français de grande valeur, mais que singularise la double identité qu'ils revendiquent etqui les déchire entre leur patrie d'adoption et celle de leurs origines - dès lors qu'ils entendent clairement lui demeurer fidèles, comme MM. Badinter, Jean-François Kahn, Noam Chomsky, Kissinger, Barenboïm et d'autres l'ont si clairement et souvent pathétiquement souligné.

L'heure approche, M. le Président, où il vous faudra faire ce choix douloureux et quelquefois cruel ou renoncer aux responsabilités statutairement attachées à votre charge, parce que le cuisant échec de l'Union des pays riverains de la Méditerranée était inscrit dans l'évidence que le monde arabe n'y admettrait jamais l'Etat d'Israël et que, de son côté, l'Etat hébreu tenterait de s'en rendre aussitôt le seul maître. Il fallait un M. Kouchner pour feindre de le découvrir avec un grand retard et au détriment des intérêts de la France

4 - Les yeux d'Ezéchiel sont ouverts

Croyez- vous vraiment, M. le Président, que vous parviendrez à vous dérober cinq ans durant à la tâche impérieuse de regarder en face la situation diplomatique de la France dans le monde? Votre prédécesseur, avait appelé M Védrine au Quai d'Orsay, mais le CRIF était aussitôt monté à l'abordage et M. Sarkozy avait capitulé dans la journée. Mais, à la fin de son mandat, la France a contribué à l'admission de la Palestine à l'UNESCO.

Cette fois le CRIF a tout de suite proclamé que vous seriez aussi facile à piloter que M. Sarkozy. Et un baromètre sûr de la quadriplégie politique de l'Europe vient de vous être fourni par le "rapport Védrine" qui exclut, comme vous le lui aviez demandé, une seconde sortie du commandement intégré de l'OTAN, parce qu'une telle démarche "ne serait comprise de personne, ni aux Etats-Unis, ni en Europe" et que cela "ruinerait toute possibilité d'action et d'influence". Bref, le rapport Védrine "a le mérite de faire entrer la participation à l'OTAN dans le consensus français". C'est oublier purement et simplement que le principe même d'une "Europe de la défense" est une fantasmagorie saugrenue, puisque le Vieux Continent n'est menacé par personne et qu'il s'agit d'une soumission à vide. Sparte rebelle à Rome est devenue un village au bord de l'Eurotas. Mais la France est une Sparte à laquelle l'Eurotas apporterait le soutien de la Chine, de la Russie, de l'Inde, de l'Amérique du Sud et l'avenir n'est pas du côté du renoncement.

Comme vous le savez, M. G. W. Bush avait dû attendre la fin de son second mandat pour tenter de mobiliser le monde sur la question du sort des Palestiniens; et vous savez également que M. Barack Obama avait tout de suite été jugulé à la suite de son discours du Caire du 4 juin 2009, mais qu'il reprendra peut-être l'offensive à l'occasion de son second mandat - il sera donc assassiné, comme je l'avais prédit dans mon Barack Obama en Egypte: "Je serai assassiné"1er juin 2009. Mais la mobilisation de la planète contre l'Iran fera maintenant long feu et Gaza se replacera au cœur de l'histoire du monde. M. le Président, il vous faudra charger vos épaules des intérêts réels et à long terme de la France, tout simplement parce qu'il est bien impossible que les yeux du monde entier ne s'ouvrent jamais plus sur la réalité.

5 - Les martyrs de la raison

Il n'est pas coutumier, en outre, M. le Président, qu'un philosophe laïc plonge sa plume dans l'encrier des théologies, il n'est pas d'usage que le cogito cartésien porte le regard de la raison sur les documents anthropologiques saisissants et précieux à ce titre qu'on appelle des doctrines religieuses, il est mal reçu que les ultimes disciples d'un certain buveur de ciguë athénien nous montrent du doigt la science des Etats qui se cache derrière les masques universitaires de la Liberté, les gri-gri officiels de la Liberté, les cierges et les prie-Dieu de la Liberté.

Mais la guerre entre l'empire américain et l'Europe se déroule sur un champ de bataille nouveau, puisque Descartes y apprend peu à peu le maniement des armes qui lui permettront de combattre les régiments d'hosties et de totems que la démocratie verbifique brandit désormais sous les yeux d'une conscience universelle sidérée par tant d'effronterie. C'est que, depuis Renan, la France de la raison a négligé de poursuivre la spéléologie du sacré inaugurée par le siècle des Lumières ; et aujourd'hui, elle a pris un grand retard dans le décryptage psychopolitique des mythes religieux. C'est pourquoi le Quai d'Orsay n'a pas formé des diplomates en mesure de l'éclairer sur les secrets d'une planète à nouveau largement tributaire de divers Olympe.

Décoder le message politique que camouflent les confessions de foi et les prières, décrypter le langage vassalisateur de la politique d'outre-Atlantique, contraindre la démocratie messianisée à entrer dans le confessionnal de Machiavel, c'est tenter de remettre en marche un moteur de la compréhension rationnelle de l'histoire du monde que le XVIIIe siècle avait commencé d' universaliser et dont les premiers exploits avaient retenti chez les encyclopédistes.

6 - L'Europe de Ptolémée

La semaine dernière, je vous écrivais: "Qu'en sera-t-il de l'asservissement mental d'une Europe des chantres de la Liberté? En 2020, l'avant-dernière année de votre second mandat aura sonné au beffroi des idéalités d'une France sur la défensive, en 2020, le successeur de M. Barack Obama aura achevé la première questure de son apostolat. Croyez-vous vraiment qu'en 2020, les garnisons de l'étranger mettront subitement l'épée au fourreau et se glisseront gentiment hors de l'Europe embrumée ou bien savez-vous pertinemment que seuls de terribles ébranlements des bréviaires de la démocratie permettront à un Churchill de l'Europe d'attiser la fureur des peuples humiliés et de canaliser le torrent déchaîné de l'histoire de la Liberté, tellement les patries enrageront au spectacle de leurs dirigeants asservis. Attendrez-vous que les Français arrachent dans le sang le masque de leur classe politique en livrée?"

La question la plus décisive qui se posera à votre quinquennat sera celle de votre balance à peser le temps de la France civilisatrice. Pour l'instant, l'aiguille de l'horloge qu'on appelait la Démocratie trotte timidement sur le cadran du destin qui vous a porté à la tête d'une France fatiguée du vocabulaire des illusions. A ce titre, un Président de la République occupe nécessairement le rang et exerce nécessairement les responsabilités d'un témoin du seul Etat au monde que sa vocation intellectuelle appelle à illustrer les conquêtes de la raison politique d'avant-garde de son époque. Mais la potence du destin sur laquelle vous vous trouvez cloué est celle d'une Clio devenue fantasque en diable. Si vous précédez le train paresseux d'une Europe ralentie, la banalité des jours passera sans bruit au large de vos pas, mais si votre allure traînante prend du retard sur le convoi des infirmes, on entendra des géants de l'histoire couvrir de leur voix de Stentor les médiocres lamentations d'une nation sans tête.

7 - L'Europe des somnambules

M. le Président, deux milliards de disciples de Muhammad ont les yeux fixés sur le seul peuple au monde qui ait jailli tout casqué des murailles d'une forteresse abattue. La France des cerveaux vides dont vous avez la charge ne saurait se lécher les babines au spectacle de la servitude honteuse de sa compagne, l'Angleterre. M. le Président, j'y reviens, la France cartésienne ne saurait déguster la mise en esclavage tranquille de la nation de Shakespeare et de Dickens. Une France délivrée du Jupiter de la monarchie capétienne laissera-t-elle un Equateur du Golgotha se dresser les mains nues face à une Angleterre domestiquée par les rêveurs de la démocratie? Vous êtes allé dire à l'Afrique des sorciers que parler français, c'est défendre la dignité humaine. Laquelle? Celle que notre magicien d'outre-Atlantique nous a montrée d'un doigt vassalisateur? Protégez-nous de l'arrimage des fausses élites de la France aux sortilèges d'un empire étranger, protégez les somnambules du mythe démocratique des tentations de la trahison, apprenez à déclouer les idéaux de 1789 crucifiés sur la potence de la vassalisation?

Il y a trois mois seulement, et pour la première fois depuis 1789, la civilisation mondiale a pointé l'index en direction de l'arène des fauves de la démocratie. Le conquérant moderne est un tigre habillé en croisé du salut du monde. Comme il est dit plus haut, pour la première fois depuis 1789, un ex-défenseur de la souveraineté de tous les peuples de la terre - ce défunt s'appelait l'Angleterre - a tenté de s'attaquer coram populo à un exilé placé sous la protection du droit d'asile qu'un Etat démocratique et souverain lui avait accordé, pour la première fois depuis 1789, l'opinion publique de la planète des démocraties dites libératrices a ouvert des yeux horrifiés sur le ramassis des esclaves évangélisés par un empire au masque d'ange.

Quelques semaines plus tard, faute que le printemps arabe ait donné tout subitement aux nations musulmanes les armes de l'indépendance des Etats que nous avons mis trois siècles à conquérir, à perdre et à reconquérir partiellement, les guerriers d'Allah ont fait flotter l'étendard d'une foi demeurée souveraine dans leur cœur; et les têtes de pont des nouveaux vassalisateurs ont été saccagées sur tout le pourtour de la Méditerranée. Porterez-vous le regard de la France de la raison sur une planète en attente des Copernic de l'intelligence politique, conduirez-vous la France de Ptolémée à celle de Galilée?

8 - La France et l'Elysée sous le regard de l'histoire

Observons de plus près les arcanes et les mécanismes de la servitude diplomatique et intellectuelle de l'Europe des démocraties vassalisées par leur évangélisme tout verbal. Ne nous y trompons pas, Monsieur le Président, ce n'est pas la liberté de la presse de Londres qui a contraint le Guardian à publier la lettre de menaces outrageantes que le chef du Foreign Office de sa très gracieuse Majesté, M. Hague, a adressée au Ministre des affaires étrangères de l'Equateur, M. Patino, mais seulement la crainte que ce terrible document fût publié à Quito, puis dans le monde entier et que la domestication au grand jour du Royaume des Windsor se trouvât étalée encore davantage à la face du monde. Mais si la France demeurait les bras croisés au spectacle de la mise dans les fers de l'ex-Angleterre de Winston Churchill, croyez-vous vraiment qu'aucune voix plus informée des secrets d'un empire de type démocratique que les Tacite ou les Suétone ne demandera à notre pays de s'asseoir à son tour sur le banc d'infamie aux côtés des descendants sans cervelle des hérauts de l'indépendance de la Grèce en 1830, les Byron et les Shelley ? Déjà les yeux des historiens de notre civilisation sont fixés sur nous. Raconteront-ils aux enfants la pleutrerie d'un siècle de silence cérébral de la France?

Monsieur le Président, l'heure a sonné pour les Etats civilisateurs du monde entier de prendre leurs responsabilités intellectuelles et morales face aux générations à venir.

9 - La chèvre et le chou

Mais savez-vous que, de leur côté, les Etats-Unis se sont bien gardés de fonder leur constitution sur la défense des prérogatives naturelles du genre humain face à l'arbitraire des Etats, savez-vous que leur pragmatisme au petit pied leur permet de délégitimer à leur guise et à tout moment les apanages universels du citoyen, savez-vous que l'empire de la bannière étoilée peut à tout moment se proclamer en danger de mort et suspendre l'habeas corpus pour ce motif? Savez-vous qu'il y suffit d'une décision souveraine du pouvoir exécutif, savez-vous que les droits intellectuels de la personne s'y trouvent alors suspendus sine die, savez-vous que le glaive d'une démocratie décérébrée interdit tout recours au législatif et au judiciaire?

Souvenez-vous du Sénateur McCarthy, qui avait terrorisé l'Amérique sous prétexte que le péril marxiste gangrenait les consciences, souvenez-vous des procès en hérésie intentés aux écrivains, aux acteurs, aux journalistes par le grand inquisiteur de la démocratie, souvenez-vous qu'à l'époque, ce fut un acteur, Ronald Reagan, qui avait osé tenir tête au gardien suprême de l'orthodoxie. Mais aujourd'hui, Monsieur le Président, l'orthodoxie a changé de canons et de bouches à feu, aujourd'hui les foudres du ciel des démocraties guerrières ne sont plus réfutables qu'à l'aide de l'artillerie des Etats laïcs.

Pourquoi cela? Pour tenter de comprendre cette mutation de l'instinct de conservation des Etats, observons l'emplacement exact des batteries de l'obscurantisme et la largeur de leur fenêtre de tir. En 1948, le grand logicien des mathématiques, Kurt Gödel, accompagné d'Albert Einstein, demandait la citoyenneté américaine au juge en charge de prendre acte des déclarations du candidat: "Il y a, dans votre Constitution, dit Gödel, une brèche qui permet de transformer en toute légalité votre pays en une dictature."

Effrayé, Einstein fait signe au profanateur de se taire, sinon l'auteur du célèbre théorème qui porte son nom serait allé jusqu'à signaler aux gardiens du temple l'endroit exact de la Constitution de l'Amérique qui permet au Président de cet Etat d'abroger d'un trait de plume les droits réputés inaliénables de la personne humaine.

10 - Le César de la démocratie

Vous connaissez sans doute le Patriot Act, qui n'est que la copie exacte de la "suspension clause" de 1787 évoquée plus haut par Kurt Gödel. Mais connaissez-vous les théorèmes du "National Security presidential directive", connaissez-vous toute la géométrie de la "Homeland Security presidential directive", connaissez-vous les axiomes du "National defense autorisation Act", connaissez-vous les postulats de la "Sedition et allen Acts de 1798" dont le contenu a été confirmé en 2012 où il est dit - article 1031 - que le président des Etats-Unis ordonne sans autre forme de procès l'interrogatoire et le maintien en détention administrative à perpétuité de tout Américain ou étranger sous l'accusation, aussi facile qu'approximative, de "terrorisme" ou seulement de sympathie globale pour le "terrorisme"? Savez-vous que le Président Obama décide de sa propre initiative et sans aucun contrôle, ni du judiciaire, ni du législatif, de la déportation ou de la livraison d'un suspect à un pays pratiquant la torture?

Et voilà pourquoi, Monsieur le Président, la plupart des décisions de Guantanamo invoquent la "suspension clause" de 1787, et voilà pourquoi la justice américaine a traqué pendant des années et sur toute la terre le champion du monde du noble jeu, Bobby Fisher, le plus grand génie des échecs de tous les temps, qu'on appelait le Mozart des soixante quatre cases. Son crime ? Il avait joué a ux échecs dans des pays jugés ennemis par la Maison Blanche. C'est donc pour crime de lèse majesté que Bobby Fisher a été livré à la lâcheté politique des nations du monde entier et qu'il n'a trouvé refuge qu'en Islande, qui lui devait l'immense retentissement du championnat du monde à Reykjavik en 1972. L'Islande et l'Equateur seront-ils seuls à se tenir debout face à la "suspension clause" qui, depuis 1787 et dans le monde entier, n'a "d'équivalent juridique dans aucune constitution démocratique"? (Jean-Philippe Immarigeon, Pour en finir avec la Françamérique, éditions Ellipse, 2012)

11 - L'affaire Calas de notre temps

Monsieur le Président, l'enjeu est de taille: depuis deux siècles, la France fonde les droits de l'individu sur des valeurs morales qu'elle a proclamées universelles au seul nom des prérogatives attachées à l'usage de la raison. L'éthique d'un solitaire du cosmos, un certain Adam, a pris le pas sur les droits du Dieu des théologiens. Pourquoi cela? Parce que s'il n'existe pas d'homme parfait, il ne saurait non plus exister un Dieu parfait, puisque toute divinité n'est jamais que l'effigie idéale de la perfection que l'homme est en mesure de se forger. C'est pourquoi les prophètes sont des examinateurs drastiques de la finitude du Dieu de leur temps. La France de la raison n'est donc que le forgeron inlassable du Dieu moins rudimentaire que serait un Jupiter de l'intelligence, de l'éthique et de la politique, et à ce titre, les Voltaire et les Renan sont les prophètes de la France ascensionnelle.

A vous, M. le Président, de civiliser Jahvé et de cérébraliser Allah au nom de la France du destin de l'intelligence du monde. Que ferez-vous de cette universalité-là de la France à l'heure où seul l'avenir de la raison du monde redonnera à la nation sa vocation politique à l'échelle de la terre?

La pensée française se révèle la charge explosive et le détonateur de la spiritualité du monde. Nos philosophes ont patiemment déposé cette bombe au cœur de toutes les doctrines dites révélées. Mais c'est une lourde responsabilité politique de défendre également la tolérance, cette béquille des infirmes de l'intelligence et des unijambistes de la vie spirituelle. Voltaire accordera-t-il tous leurs droits à l'ignorance et à la sottise, Voltaire défendra-t-il l'obscurantisme qu'il avait combattu toute sa vie, Voltaire assermentera-t-il encore les juges et les assesseurs d'un tribunal de la pensée logique si la raison peut se trouver accusée en retour d'empiéter sur les convictions religieuses les plus primitives et s'il faut s'incliner devant le nouveau totem des sorciers et des magiciens sur les cinq continents - une tolérance fétichisée? M. le Président, l'affaire Assange ne ressortit pas à une superstition locale : non seulement nos relations diplomatique avec toute l'Amérique du Sud ne sont pas subalternes, non seulement l'Equateur jette les droits de la dignité de sa diplomatie et de la souveraineté de son Etat à la tête des Etats-Unis sous les yeux du monde entier, mais la planète de l'instance spirituelle que la France appelle la raison ne passera pas outre à une affaire Calas du XXIe siècle qui marquera votre quinquennat de son empreinte au même titre que votre politique en Palestine.

Il est des symboles du degré de maturité de l'encéphale de la politique mondiale, il est des points de fixation de l'intelligence des Etats, il est des signaux qui cristallisent la conscience morale du monde. Songez que vous n'avez déjà plus affaire à un conflit entre un individu et un pays, mais entre des chancelleries, songez que l'écho international d'un procès où l'accusé n'est autre que la liberté de la presse sur la planète entière s'est déjà fait entendre dans toute l'Europe. Croyez-vous que le prix Nobel de la Paix accordé au Vieux Continent cette année aurait conduit Oslo au ridicule sur la scène du monde si la paix des vassaux n'était pas trompeuse en diable et si les Européens n'avaient cessé de se battre entre eux que pour des motifs piteux et dont ils n'ont pas à se vanter? Car la docilité diplomatique dont ils font preuve leur donne d'autres chats à fouetter - il ne s'agit plus, pour eux, que de suivre leur chef sur ses champs de bataille à lui. Voyez comme tout se tient : si la paix est une manière de défendre les droits des neurones du genre humain, quelle servitude de porter la livrée des supplétifs d' un conquérant!

12 - Une civilisation à la croisée des chemins

Monsieur le Président, si la France renonçait à peser la vassalité de l'Angleterre sur la balance des valeurs spirituelles qui inspirent la République depuis le XVIIIe siècle, vous ne fonderez plus jamais la diplomatie du Vieux Monde sur une morale civilisatrice et ascensionnelle; et si vous conduisiez le peuple de Descartes et de Voltaire à trahir les philosophes qui ont substitué à jamais les droits de la pensée critique à ceux du génocidaire du Déluge, la postérité ne témoignera d'aucune indulgence pour votre passage à la tête de la République. Car la France de l'esprit est pascalienne, la France dit, avec l'auteur des Provinciales: "Pourquoi me tuez-vous?- Eh quoi! Ne demeurez-vous pas de l'autre côté de l'eau? Mon ami, si vous demeuriez de ce côté, je serais un assassin et cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais puisque vous demeurez de l'autre côté, je suis un brave, et cela est juste."

M. le Président, dites-vous que jamais les cartes n'auront été aussi clairement distribuées sur l'échiquier pascalien de l'éthique qu'on appelle l'histoire, dites-vous que jamais les Etats n'auront été mis à ce point en demeure de redresser l'échine de la démocratie dans le monde, dites-vous que jamais il ne nous aura été plus clairement demandé de tuer l'idole qui cache son bois sec sous notre culte falsifié de la Liberté.

Croyez-vous que la civilisation française serait universelle si elle n'obéissait pas à une ascension morale de la raison? Savez-vous que l'Amérique a signé son arrêt de mort le jour où elle a réintroduit la torture dans le code pénal de sa "démocratie", savez-vous que deux cent vingt ans après l'abolition de la torture sous Louis XVI, la France et l'Europe n'ont aucun ennemi du dehors à combattre, savez-vous que si nous cessions de combattre notre auto vassalisation dans nos cœurs, si nous cessions de lutter contre notre auto asservissement dans nos têtes, si nous cessions d'exorciser notre auto assujettissement mental sur le champ de bataille de la pensée rationnelle, si nous cessions de dénoncer notre apostolat verbifique, si nous cessions de ridiculiser l'orthodoxie démocratique et sa fausse justice, nous perdrions Pascal et Voltaire, Montaigne et Molière en chemin?

Puisse votre statut de guide et de gardien de la raison de la France faire entrer la République dans un siècle nouveau de l'intelligence, puissiez-vous redonner à la France le rang d'une sentinelle de la conscience du monde.

La semaine prochaine, je vous entraînerai dans la caverne où les anthropologues de la torture ont dressé leur campement; et nous verrons si la politologie moderne a quelque leçon à retenir des spéléologues qui observent les barbares dans leur miroir des châtiments infernaux où leur boucher suprême du cosmos couve la sauvagerie de ses vengeances du manteau de la sainteté de sa justice. .

Le 17 novembre 2012

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
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