Analyse
La science politique mondiale et la
simianthropologie
L'avenir
d'Israël
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Lundi 14 décembre 2009
Introduction
A -
L'histoire et l'extraordinaire
C'est une
grande erreur de s'imaginer que l'histoire présenterait une
suite d'évènements dûment recensés et dont le tissu globalement
uniforme permettrait à une raison politique banalisée d'user des
moyens du bord de la logique pour gérer des circonstances
relativement semblables les unes aux autres depuis des
millénaires. Sitôt qu'on y regarde de plus près, on découvre que
le temps déroule un tapis tellement inattendu que l'exception
n'a cessé de dicter son chemin à une science de la mémoire
cahotique et incertaine.
Prenez la
bataille de Salamine : qu'un vaste empire attaquât une cité
minuscule n'était pas une nouveauté historique, mais que le nain
décidât de déserter ses ruelles et engageât la bataille sur mer
exigeait l'invention d'une politique inconnue des ancêtres et
surgie de la tête du seul Thémistocle. Puis, Sparte, qui se
vantait de se passer de murailles, mais qui n'en craignait pas
moins pour la poitrine nue de ses héros une rivale cuirassée de
pierres, voulut interdire à Athènes de s'enfermer dans une
enceinte imprenable. Comment résoudre cette difficulté en
tapinois, comment se changer en forteresse sans attirer
l'attention de l'ennemi, puis le mettre devant un exploit
accompli ? Ici encore, on fit appel à l'encéphale de
Thémistocle, comme plus tard à celui des Lycurgue et des Solon.
Mais voici
un tournant tardif de l'histoire politique dont il n'existait
pas de précédent: peu à peu les dieux qui nous ressemblaient
comme des frères et dont les bras et les jambes défiaient
seulement les nôtres par leur taille et leur musculature se sont
vus remplacés par un géant invisible et vaporeux que nous avons
beau avoir concrétisé tant bien que mal à le flanquer d'un
rejeton réputé ressembler à son géniteur céleste, et même censé
se calquer sur lui en tous points, il n'en est pas moins évident
que nous nous sommes vus, une fois de plus, contraints de
changer entièrement les paramètres de notre science politique,
parce que les guerriers d'Homère, même tenus pour les chouchous
d'Arès et d'Athéna ne faisaient plus le poids sur les champs de
bataille face aux croisés enflammés d'une sainte ardeur et dont
la bannière portait l'effigie ou le signe d'un créateur proclamé
omniscient et omnipotent du cosmos. Nous nous étions mis un
paradis et force marmites du diable sur les bras afin de
ridiculiser les modestes foudres de Zeus; il nous a fallu rien
de moins qu'un roi de l'éternité pour aller en armes arracher
son squelette au désert et fonder un empire sur un tombeau.
B - La politique
et la magie
Mais
franchissons quelques siècles de plus : voici que les fidèles du
ciel nouveau se déchirent à belles dents entre eux. Les uns
voudraient interdire à leur Eglise de proclamer des dogmes
infaillibles et d'autoriser leurs prêtres à produire tous les
jours un prodige ahurissant sur l'autel, les autres tentent de
peindre le sceptre de leur théologie de couleurs plus
compatibles avec le bon sens que celles de leurs rivaux. Quelle
tempête dans l'encéphale et dans l'encrier des rois ! Comment
gérer des sujets s'ils n'ont plus la même tête politique, que
faire si la moitié de l'encéphale de la couronne elle-même
croise le fer avec l'autre moitié, que faire si les disciples de
deux ou trois rebelles allient leurs prophéties avec celles
d'Albion et s'il faut aller en nombre assiéger La Rochelle où
les hérétiques se sont retranchés et refusent de rentrer au
bercail ?
Peine perdue :
cette fois-ci l'axiomatique générale de la science politique a
reçu un coup tellement mortel qu'il faudra non seulement
attendre trois siècles pour mettre la main sur une thérapeutique
radicale, celle qui se décidera à disqualifier à jamais toutes
les religions du monde dans l'ordre politique et qui les
séparera de l'autorité exclusive et seule souveraine des Etats,
mais patienter en outre jusqu'en 1958 pour imposer dans les
écoles confessionnelles de la France des manuels scolaires
cartésiens et des maîtres diplômés par un Etat rationnel. Mais
rien n'y fera : il faudra de surcroît aller jusqu'à interdire
aux enseignants croyants dans les écoles religieuses pourtant
soumises à l'enseignement de l'Etat de corriger les épreuves du
baccalauréat, tellement on se décidera enfin à reconnaître que
les esprits nés magiques le demeureront à titre
psychobiologique.
C - Autres avatars de la raison politique
Ce n'est pas seulement la
difficulté de faire fonctionner l'encéphale humain sur un mode
relativement rationnel qui n'a cessé de mettre la raison
politique sens dessus dessous. Souvenez-vous de l'invention de
l'artillerie, qui mit la Suisse hors jeu à Marignan et qui
confia pour toujours la direction des affaires du monde aux
seuls Etats de taille à fondre des canons. Puis, en 1945,
l'invention de la bombe atomique a laissé, une fois de plus, la
science politique au bord du chemin. Ne disposait-on pas enfin
d'un thermomètre capable de prendre la température de
l'intelligence simiohumaine et de préciser le degré de
développement du petit pois qui sert de cervelle à cette espèce?
Car, pendant trente ans, on a vu tous les Etats réputés
rationnels rivaliser d'imagination au chapitre du nombre de fois
que chacun d'eux pouvait faire exploser notre astéroïde ; puis,
à l'heure tardive où le singe vocalisé a découvert qu'une seule
fois suffisait à la fête, les gouvernements ont commencé de
songer que deux adversaires armés d'une foudre suicidaire se
neutralisaient réciproquement et que l'apocalypse n'est
décidément pas une arme de guerre - mais cette évolution
partielle des capacités du crâne simiohumain est encore en
cours; et l'on voit des Etats-enfants continuer de se défier sur
le champ de bataille de leur délire atomique comme leurs
ancêtres d'hier sous le sceptre de Zeus, d'Arès et de Poséidon.
Si des
Martiens débarquaient sur la terre, personne ne douterait que
les Etats et les gouvernements du monde entier demeureraient
sans voix ; car la panne cérébrale de la science politique
serait si grave que son ignorance donnerait froid dans le dos.
Alors seulement, tous se diraient en tout premier lieu : "Décidément,
c'est un savoir nouveau qu'il nous faut acquérir afin de tenter
de faire face à une situation aussi extraordinaire."
D - Israël
et la science politique mondiale
En 1948, le monde
a pris, une fois de plus, une décision politique dont l'histoire
mondiale ne présentait aucun équivalent, celle de réinstaller en
Judée le peuple que les légions de Titus avaient vaincu en 70 de
notre ère. Voilà de quoi mettre cul par-dessus tête une science
politique que l'invention du Dieu unique, puis la séparation des
Etats et des Eglises et enfin l'invention de la bombe
thermonucléaire ont mise successivement dans tous ses états.
Mais, cette fois-ci, la question est posée de savoir si, à
l'issue de si longues et si douloureuses épreuves, la science
politique du genre humain peut conquérir un regard de
l'extérieur sur elle-même.
1 -
L'Histoire et l'extraordinaire
2 -
Comment placer l'Histoire sous les feux de la raison?
3 -
La science historique et la légitimation de la force
4 -
L'enseignement idéaliste de l'Histoire
5 -
Une science politique infirme
6 -
Les premiers pas d'une théologie de la peur politique
7 -
Qu'est devenue la notion de "raison politique"?
8 -
L'embarras cérébral de la politologie moderne
9 -
L'enjeu anthropologique du "conflit israélo-palestinien"
10
- La résistance des "Peaux-Rouges"
1 - L'Histoire et
l'extraordinaire
Le
déclic d'une simianthropologie transcendantale remonte aux
accords de Munich en 1938. Toute la classe politique de haut
niveau était consciente de ce qu'Hitler ne se laisserait pas
arrêter - donc leurrer à ses yeux - par les arrangements et les
compromis diplomatiques en usage entre les chancelleries en
temps de paix: ce Tamerlan moderne était d'une autre trempe.
Mais comment calibrer ce spécimen à l'école de la science
historique de l'époque? Pourquoi l'opinion européenne et
mondiale répugnait-elle à se poser les vraies questions, sinon
parce que, vingt ans seulement après le traité de Versailles, la
nécessité de recommencer une tuerie qui avait fait des millions
de morts faisait dresser les cheveux sur la tête. Aucun
gouvernement démocratique ne pouvait prendre la responsabilité
d'en découdre à nouveaux frais avec une Allemagne derechef armée
jusqu'aux dents. Et puis, la France n'avait-elle pas retrouvé
l'Alsace et la Lorraine? L'essentiel n'était-il pas acquis avec
l'effacement de la honte nationale de 1870? Quel enjeu vital
méritait-il un nouvel égorgement universel et comment l'imposer
à tous les peuples et à toutes les nations? C'est pourquoi le
conflit relativement coutumier qui oppose les verdicts de la
logique politique de haut vol aux banalités de l'histoire au
quotidien échouait à dramatiser le train municipal du monde aux
yeux de l'opinion planétaire endormie; mais derrière les
timidités de la raison démocratique ordinaire régnait une
angoisse si profonde qu'un rien risquait de la faire débarquer
dans l'arène de la médiocrité des jours.
C'est pourquoi la presse était demeurée fort discrète sur
l'exclamation d'Edouard Daladier - alors Président du Conseil et
négociateur des accords de Munich - qui, au spectacle de la
foule prête à le porter en triomphe à son retour de Berlin,
s'était écrié : "Quels cons!". Quasiment à la même heure,
Winston Churchill s'écriait: "Vous avez la honte, la guerre,
vous l'aurez aussi".
La
simianthropologie tente de fonder une science du politique dont
le regard de l'extérieur sur notre espèce transcenderait le
modeste recul dont l'anthropologie classique se contentait et
qui, faute d'avoir théorisé sa distanciation embryonnaire à
l'égard de son objet, manque toujours d'une axiomatique générale
en mesure de légitimer ses méthodes exclusivement
photographiques d'observation de l'humanité. C'est dire que
l'anthropologie classique n'était pas explicative, mais
seulement descriptive, tandis que la simianthropologie sera
nécessairement critique, donc philosophique, du seul fait qu'il
lui appartiendra de peser la notion même de raison sur une
balance nouvelle afin d'accéder à une rationalité interne dont
la distanciation sera argumentée et rigoureusement démontrée.
La
crise économique actuelle est venue à point nommé consolider
d'avance une politologie dont l'assiette méthodologique sera
simianthropologique, parce qu'il est devenu évident que la
gauche tombe dans l'utopie et que la droite retourne à la
jungle. Or, l'axiomatique réduite à la plateforme de la
politologie classique ne saurait rendre compte du Charybde et du
Scylla entre lesquels le singe vocalisé est condamné à osciller:
il y faut une pesée du cerveau onirique qui ensanglante les
évadés de la nuit animale; il y faut une encéphalologie
articulée avec une interprétation prospective de l'évolution
darwinienne revisitée par une science des mutations
psychogénétiques et de leur détection.
2 - Comment placer l'histoire sous les
feux de la raison?
Le regard du
pédagogue républicain, du moraliste bon teint, de l'homme
politique issu des urnes ou de l'historien scolarisé et
catéchisé par les idéaux de la démocratie ne saurait rendre
compte des arcanes d'une dramaturgie qui en appelle à un regard
nouveau sur l'humanité. Il y faut, en tout premier lieu, une
réflexion sur la puissance semi animale de la peur, une pesée
des faiblesses et de la myopie de l'entendement moyen des évadés
ahuris de la zoologie, un recul ébahi dont aucune de nos
sciences dites humaines ne dispose encore, parce qu'il y
faudrait l'audace de conquérir une extériorité traumatisante à
l'égard des mutants stupéfiés d'un quadrumane à fourrure.
De
l'extériorité sacrilège d'un si haut étonnement, on trouvera
quelques prémisses méthodologiques hautement profanatrices chez
Cervantès, Swift, Shakespeare ou Kafka - mais, pour l'instant,
ni la politologie officielle, ni la science historique édulcorée
par l' éducation nationale, ni la psychologie universitaire, ni
la psychanalyse d'école ne sont près de recevoir des leçons des
grands interrogateurs de la condition simiohumaine, qui ne se
sont, du reste, exprimés que sous les formes figurées dont use
la prudence littéraire. Aussi, le Collège de France lui-même y
regarderait-il à deux fois avant de confier une chaire d' "histoire
véritable", donc pétrifiante, comme disait Lucien, aux
peseurs abyssaux des secrets d'un animal que les Tacite et les
Thucydide n'enseignent à décrypter qu'entre les lignes. Mais
qu'en serait-il d'une connaissance de la "condition
historique" de notre espèce qui ferait courir de si grands
périls à une science banalisée de notre mémoire qu'on
baptiserait cette discipline la simianthropologie?
3 - La science historique et la
légitimation de la force
Il
ne suffira pas de promulguer un édit pudibond, qui interdirait
purement et simplement à une science aussi peu médicamenteuse de
voir le jour, parce que l'histoire réelle est bien décidée à se
rappeler au bon souvenir de ses évangélistes et de ses
catéchistes. D'abord, la question du poids que le succès ou
l'échec des armes exerce sur la notion même de "vérité
historique" est la clé la plus massive de l'interprétation
pseudo rationnelle du monde. Par bonheur, la science des
thérapeutes du passé est précisément sur le point de ne plus
réussir à honorer la force d'une argumentation dont la vulgate
s'empressait de légitimer les vainqueurs.
Prenons l'exemple du marxisme: dès 1936, Walter Citrine,
ambassadeur d'Angleterre à Moscou, avait révélé l'existence des
goulags soviétiques, mais cette information avait laissé
l'Occident à son indifférence, parce que si, dans le cas où,
vingt siècles après le Discours sur la montagne et
son célèbre "Heureux les simples en esprit", l'utopie
d'abolir le capitalisme avait triomphé, les damnés des goulags
auraient été passés par profits et pertes. Du reste l'Union
soviétique ne s'est pas effondrée en raison de l'indignation
vertueuse de la planète des innocents aux mains pleines devant
une version du camp de concentration dûment évangélisée par le
prolétariat mondial, mais seulement parce que l'humanité n'est
pas convertissable à la sainteté politique, ce que le
christianisme avait redécouvert dès le premier siècle. Peut-on
rendre l'histoire contemporaine intelligible si l'on n'observe
pas que la guerre d'Irak n'a provoqué une réprobation de plus en
plus générale qu'au fur et à mesure de l'échec des armes
américaines sur le terrain et que seule la longueur de la guerre
en Afghanistan fait de plus en plus douter de la légitimité de
ce champ de bataille? C'est toujours la victoire qui fait
changer de camp à la vérité simiohumaine.
4 - L'enseignement idéaliste de
l'histoire
Je
ne pose pas la question de la méthode en moraliste, mais en
simianthropologue de la politique : on ne saurait prétendre
rendre intelligible la narration dite historique des évènements
si l'échec de Hitler, de Staline et de la démocratie de la
rédemption et du salut par l'intercession guerrière du mythe de
la Liberté - l'Amérique en répand la foi à l'échelle de la
planète - rend tout simplement irrationnelle la connaissance du
passé telle qu'elle se définissait depuis Thucydide, parce que
le simplisme de la narration historique n'est plus scientifique.
L'âge de l'édulcoration pieuse du récit serait-il sur le point
de s'achever? Dans ce cas, comment armerons-nous la science de
la mémoire d'une connaissance anthropologique des entrailles de
l'esprit de dévotion? Il nous faudra bien, en fin de parcours,
nous rendre à l'évidence qu'Israël nous place devant une
reduplication criante de la cécité de Clio à laquelle les Etats
européens étaient appelés à faire face en 1938 ; car toute la
classe dirigeante de notre temps voit clair comme le jour que le
conflit entre Israël et la Palestine défie les axiomes et les
présupposés sur lesquels la politologie classique s'est
construite, tout le monde perçoit d'instinct que la science
contemporaine des droits et des devoirs des Etats les laisse
désarmés jusqu'au ridicule devant des évènements
concentrationnaires dont la solution en appelle à une
connaissance plus profonde du sang simiohumain. Mais la classe
dirigeante de la civilisation mondiale ne se trouve-t-elle pas
aussi radicalement dépourvue d'une anthropologie du sanglant
qu'en 1938 devant Hitler et Staline?
Certes, on sait confusément qu'à l'instar de l'expansion
planétaire de la rédemption et de la martyrologie marxistes,
l'alliance de l'esprit mystique et sacrificiel d'Israël avec
l'utopie politique de type chrétien soulève une énigme biblique,
celle de l'appartenance des hommes au culte qu'ils rendent à un
sang mythique: M. Prasquier, président du comité
représentatif des institutions juives de France s'écrie: "Nous
pouvons vivre loin d'Israël, mais nous ne pouvons vivre sans
Israël". Ce modèle de sacralisation d'une chair
colloquée sur un espace mythologisé du monde n'est-il pas le
même que celui dont l'eschatologie communiste avait largement
illustré les promesses entre 1917 et la chute du mur de Berlin?
Un savant de l'envergure de M. Joliot-Curie - aux côtés de Jean
Perrin et des Curie, ses travaux le situent à l'origine de la
fabrication de la bombe atomique française - ce savant, dis-je,
croyait dur comme fer en l'existence charnelle du "paradis
soviétique", et ce songe reprenait mot à mot le programme du
physicisme politique chrétien de Thomas More dans son Ile
d'Utopie de 1518.
Aussi est-ce bien en vain que Jean Daniel dénonce le "judéocentrisme
pathologique" de certains de ses co-religionnaires. Si
les mondes oniriques renvoient à une pathologie, l' approche
laïque et républicaine de l'identité cérébrale de l'humanité ne
résout en rien la question que pose à la science historique
mondiale un infantilisme qu'un demi milliard de chrétiens se
partagent encore de nos jours et en toute bonne foi. On sait
que, selon le catéchisme, l'Eglise est une "société parfaite".
Mais ni Freud, ni Jung n'ont étudié l'idéalisme simiohumain en
tant que masque politique à la fois sanglant et universel, et
cela parce que toutes les écoles de psychanalyse sont demeurées
étrangères non seulement à un défrichage de l'inconscient
religieux de l'humanité, mais à tout décryptage des liens que la
politique entretient avec l'animalité spécifique du sacré depuis
la nuit des temps.
5 - Une
science politique infirme
Il
ne suffira en rien de rejeter en rhétoricien l'étude
scientifique de la dérive vers la tyrannie inscrite dans les
gènes du religieux pour résoudre la question de la dichotomie
cérébrale qui caractérise une espèce vertueusement scindée de
naissance entre le monde réel et des mondes à la fois fabuleux
et condamnés à glisser dans le concentrationnaire. Le
Krouchtchev biface qui a cru désacraliser Staline n'en a pas
moins envoyé l'armée russe écraser le "printemps de Prague"
; et nous ne savons pas si le général Jaruzelski, qui a ordonné
l'état de siège de la Pologne face à Solidarnosc, a voulu
préserver la nation du sort de la Tchécoslovaquie.
Or, il se trouve que l'embarras des Etats bipolaires de type
démocratique et de leur humanisme biphasé face à l'expansion
guerrière et théologique confondues d'Israël relève de la même
carence de la connaissance scientifique actuelle de l'encéphale
à la fois sanglant et onirique des évadés de la zoologie que
celle dont témoigne, vingt ans après la chute du mur de Berlin,
un monde demeuré ignorant des arcanes meurtriers conjoints du
marxisme et de la foi du Moyen Age. L'armée du peuple biblique a
bien pu écraser Gaza sous les bombes au phosphore et l'Etat
d'Israël a beau continuer d'y effectuer des raids tueurs, le
monde entier n'en assiste pas moins, à la fois sidéré et passif,
à la métamorphose d'une population de plus d'un million six
cents mille habitants en un gigantesque camp d'agonie. Que
celui-ci soit encerclé et soumis, aux yeux de tous, à un blocus
alimentaire meurtrier laisse la science politique contemporaine
aussi muette que face à l'apparition soudaine de l'arme du
suicide universel en 1945; mais si notre civilisation avait
approfondi davantage le "Connais-toi", sans doute la
politique mondiale ne demeurerait-elle pas aussi désarmée que
nous la voyons.
6 - Les
premiers pas d'une théologie de la peur politique
J'ai déjà dit que
la paralysie actuelle de la réflexion politique des Etats
résulte du même type de terreur diffuse, mais profonde des
nations du monde entier, dont a témoigné l'Europe de 1938 face
au nazisme, puis de l'Europe de 1917 à 1989 face à un
prophétisme prolétarien dont personne, encore de nos jours, n'a
compris les ressorts anthropologiques de son expansion
messianique.
Ce
qui domine, dans l'inconscient d'une géopolitique encore
cérébralement aussi désarmée que la théologie du Moyen Age,
c'est le manque d'une radiographie anthropologique de la peur
dans l'Histoire. Mais, en 1939, la terreur n'était pas encore
devenue énigmatique. Quels sont les secrets simiohumains, donc
semi zoologiques de la peur? L'épouvante se laissait même
partiellement décrypter à l'école de la raison politique moyenne
de tous les temps, celle qui connaissait superficiellement
quelques ressorts du simianthrope religieux, comme je l'ai
rappelé plus haut. Mais l'angoisse résulte maintenant de la
chute de notre astéroïde dans une catastrophe distincte des
carnages massifs d'autrefois; car, cette fois-ci, l'affolement
se nourrit d'une source imprécise et privée de contours
saisissables. Tout le monde constate, sidéré, qu'Israël ne
dispose en rien d'une armée redoutable. Et pourtant, ce peuple
glace d'effroi les forces guerrières de la mappemonde. Comment
se fait-il que, sur les cinq continents, les chancelleries ne
sachent quel chemin emprunter pour tenter de mettre un terme,
même munichois, donc fatalement provisoire à la conquête
systématique de la Cisjordanie sous la bannière flamboyante de
l'étoile de David?
La
pauvreté de la connaissance humaniste de l'humanité un demi
millénaire après la Renaissance se révèle si crûment que M.
Barack Obama a pu envoyer en toute naïveté un négociateur
chevronné, M. George Mitchell à Jérusalem. Mais son échec
n'aurait pas provoqué la stupéfaction effarée de tous les
Talleyrand de la planète si la diplomatie mondiale disposait de
quelques rudiments d'une simiantropologie critique, donc d'une
pesée de l'encéphale d'une espèce dont les rêves sont pétris de
sang.
7 -
Qu'est devenue la notion de "raison politique"?
Pour faire seulement un premier pas dans la compréhension des
fondements psychobiologiques de la candeur sanglante de
l'humanisme mondial d'aujourd'hui, il faut observer que le
cerveau simiohumain se ferme comme une huître sitôt que sa
survie dans un monde imaginaire se trouve menacée. Essayez donc
de démontrer à un chrétien que le miracle à la fois cruel et
séraphique dit de la transsubstantiation eucharistique est
d'ordre onirique et que la sublimation de l'histoire remplit une
fonction politique décisive, puis observez comment il va se
clore sur lui-même comme un mollusque rétractile.
Pourquoi le myste de la sainteté d'une chair et d'un sang
accouchés par la torture n'entrera-t-il en rien dans un débat
sur le sang pur et le sang souillé de l'histoire? Pourquoi le
prodige hématologique de l'autel de la rédemption se révèle-t-il
consubstantiel à la définition séraphique d'un catholicisme
édénisé dès le premier siècle? On sait que ce phénomène a trouvé
son illustration dès le XIe siècle avec Bérenger, qui n'a
échappé au bûcher que pour s'être aussitôt rétracté: il avait
déclaré tout de go que ce prodige paradisiaque changeait les
disciples du Christ en une "troupe de sots". Mais aussi
longtemps que la politologie moderne ne saura pourquoi la vie
religieuse du singe devenu onirique et qui fait parler ses
globules rouges sur les autels, aussi longtemps que la question
de la nature d'un animal flottant dans des mondes tout ensemble
iréniques et sanglants ne sera pas abordée, la "communauté
internationale", comme on dit, ne comprendra goutte à
l'attachement dichotomique des juifs à la terre mythique d'un
Israël de sang. Et pourtant, l'alliage viscéral et mythique d'un
sang sublimé et d'une terre mythifiée renvoie à la bipolarité de
l'encéphale des disciples de saint Ignace, qui vivent saintement
dans une Rome tout ensemble surréelle et plongée dans la géhenne
de l'histoire. Toute la mystique juive est fondée sur la
concrétisation d'un Royaume de chair et de sang de Yahvé sur la
terre. La proportion des rabbins qui évoquent une "Jérusalem
spirituelle" est infime et ces illuminés passent pour des
innocents aux mains pleines. Le marxisme était tout entier un
rêve théologique hébreu.
8 - L'embarras cérébral de la politologie
moderne
Mais, contrairement à la crainte physique que répandaient les
légions cuirassées de Hitler et de Staline, les légions du ciel
censées débarquer sur la terre et que nourrit le cerveau
biblique d'Israël tétanisent l'entendement politique d'un
humanisme occidental qui s'était imaginé que la croyance
religieuse n'était qu'un délire superficiel et soluble dans la
pédagogie républicaine: il suffisait, pensait-on, de reléguer
tout ce fatras de superstitions dans le privé, alors que
l'Occident de la pensée critique aurait dû s'engouffrer dans la
brèche et fonder une spéléologie exploratrice des abysses de la
vie mythologique du simianthrope vocalisé par son sang. Et voici
que, faute de courage intellectuel, le monde entier se trouve
livré à une psychologie bucolique et indigne de la postérité
philosophique qui aurait fécondé les premières audaces
anthropologiques du siècle des Lumières.
Mais le drame politique mondial qu'illustrera le conflit du
Moyen Orient diffère de celui que le combat contre le nazisme ou
le stalinisme avaient mis en scène: car, d'un côté, la paralysie
de la raison moderne la condamne à s'imaginer qu'elle est entrée
depuis belle lurette en possession d'un savoir positif
concernant l'histoire de l'humanité, tandis que, de l'autre,
l'histoire sur le terrain est de nature à renforcer sans cesse
les illusions d'une politique de plus en pmlus convaincue que
les obstacles à vaincre sont aisés à surmonter. C'est ainsi que
la Suède propose tout à trac à la diplomatie mondiale que l'Etat
d'Israël revienne dare dare à ses frontières de 1967, que la
moitié de Jérusalem soit redonnée sur l'heure à l'Etat
palestinien, que le retour des réfugiés leur assure sans ambages
d'heureuses retrouvailles avec les terres dont ils ont été
chassés par l'Occident biblique de 1948.
Face au projet
d'une limpidité cartésienne de Stockholm , le monde entier
manifeste son embarras cérébral sans parvenir à s'en formuler
les causes véritable, puisque personne ne sait pour quelles
raisons mystérieuses des décisions politiques en apparence fort
simples à prendre et faciles à mettre à exécution à l'école du
bon sens politique de Voltaire terrifient les chancelleries et
contraignent des Etats démocratiques si fièrement rationnels à
recourir à mille ruses, faux-fuyants et simulacres pour tenter
de décourager une Suède que le protestantisme a mise à l'école
du Discours de la méthode et qui voudrait introduire le coin de
la raison luthérienne dans le débat.
9 - L'enjeu anthropologique du "conflit
israélo-palestinien"
Mais le bélier rudimentaire de la politique protestante ignore
que la vie onirique du simianthrope se divise entre deux univers
mentaux, celui des créateurs et celui des simples surmois
collectifs sur lesquels les humains fondent leur sanglante
identité de groupe ou de masse. Les mondes balzacien, swiftien,
cervantesque, shakespearien, kafkaïen sont plus vrais aux yeux
de leurs géniteurs que le monde des sens. Léonard de Vinci sait
que son univers pictural est plus réel que celui dont se
rassasient les yeux de chair, Euler sait que le cosmos des
mathématiques pures est plus réel que celui de la matière,
Einstein sait que la physique de la relativité est une hostie de
la raison, et ainsi de suite. Mais les surmois unifiés par le
social sont calqués sur les légions romaines, qui allaient au
combat précédées des aigles qui leur donnaient l'identité
guerrière de l'empire romain. Israël s'étend à l'école du surmoi
conquérant qui sert de drapeau aux peuples et aux nations, mais
son identité terrestre est lestée de surcroît par le dieu
messianique qui transporte cet Etat dans le ciel et qui lui
donne des ailes de sang.
C'est pourquoi la planète des Thémistocle et des Solon court
vers la conflagration la plus gigantesque de tous les temps,
celle qui, vingt-cinq siècles après la bataille de Salamine dira
si un peuple a le droit d'incarner sur la terre le dieu en armes
qu'il est devenu à lui-même sur son Golgotha intérieur et qui
fait de sa parole la chair de son esprit. Pour la première fois
depuis que le simianthrope se collète avec son encéphale, le
retard de la science anthropologique sur la science politique
conduira le monde à une guerre sans remède, parce qu'il sera
démontré qu'il ne fallait pas transporter une nation dissoute
depuis deux millénaires sur les terres de l'alliance de son sang
avec ses songes bibliques ressuscités.
10 - La résistance des "Peaux-Rouges"
Le temps presse:
en 1939, il avait suffi d'attendre l'offensive conjointe de
l'Allemagne et de la Russie contre la Pologne pour que les
démocraties européennes courussent aux armes dans les conditions
prophétisées par Winston Churchill, c'est-à-dire dans le
déshonneur et l'épée dans les reins. Bien pire est la fatalité
politique qui condamnera le monde entier à tenter de se laver de
sa honte à Gaza. Déjà, deux milliards de musulmans piétinent aux
portes de Jérusalem, déjà tous les gouvernements des Etats
arabes se sont vus contraints par la rue d'enterrer le projet
d'une alliance des Etats riverains de la Méditerranée que la
France avait cru pouvoir conduire à son terme en y introduisant
l'Etat juif.
Et
puis, les peuples arabes ne sont pas les Peaux-rouges:
impossible, au siècle d'internet, de les parquer dans leurs
réserves. Et puis, cinquante deux pour cent de la population de
Gaza a moins de dix-huit ans. Et puis, la démocratie mondiale
rêve de droit, de justice et de liberté - avec une foi de ce
genre sur les bras, comment les dirigeants européens vont-ils
persévérer à serrer dans leurs bras, hier les Sharon, les Mme
Livni et les Olmert, aujourd'hui MM. Nethanyaou et Libermann? Et
puis, comment l'Amérique pourrait-elle se laisser ridiculiser
longtemps sur la scène internationale par une poignée de croisés
de leur patrie mythique? Mais l'Occident ne sait pas encore
qu'il a donné la Judée au peuple de l'avènement terrestre du
royaume du ciel et que cette folie donnera un siècle de fil à
retordre à une démocratie fondée sur un mythe non moins sanglant
que celui d'Israël - le songe d'un débarquement évangélique et
guerrier de la Démocratie sur notre astéroïde.
Mais la partie sera beaucoup plus difficile à jouer que face à
Hitler et à Staline, parce que la civilisation occidentale se
voit poussée dans ses derniers retranchements politiques par
l'histoire sanglante d'un monde des anges. Confessera-t-elle un
retard de la connaissance de l'encéphale simiohumain bien plus
tragique que celui dont le Moyen Age avait illustré le gouffre ?
On ne sait rien des évadés sanglants de la nuit si l'on ignore
que la boîte osseuse de cette espèce est bifide de naissance et
que la bipolarité de son encéphale irénique et tueur la condamne
à vivre davantage dans l'irréel qui la transporte dans un
univers du meurtre sauveur que sur une terre qu'on qualifiait de
ferme par un évident abus de langage.
Publié le 14 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
|