Les Défis de l'Europe
La République et
les enjeux intellectuels de l'histoire
Troisième lettre ouverte au Président de
la République
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 10 novembre
2012
1 -
L'Europe entre
Ptolémée et Copernic
M. le Président,
Le
bouclier de la foi démocratique et
libératrice, mais armé jusqu'aux dents
qui achèvera la domestication politique
et intellectuelle de l'ex-Europe de la
pensée rationnelle ne sera
définitivement installé en Pologne qu'en
2020. Mais connaissez-vous une autorité
plus experte que la religieuse dans
l'art de faire progresser ses
annonciations avec une lenteur
vassalisatrice? C'est pas à pas que
toute religion forge la cuirasse de ses
séraphins. J'ai déjà dit (-
Les danseurs de
corde,
15 avril 2012)
que le sacré prend son temps, parce que
les rites et les liturgies angélisent
les usages sociaux. Le sacré n'est pas
pressé, le sacré n'ignore pas que les
rêves cultuels placent les âmes
craintives sous le duvet de leurs ailes,
le sacré n'ignore pas que les croyances
se forgent à l'école d'apprentissage
d'un surnaturel protecteur.
Qu'en sera-t-il dans huit ans de
l'asservissement mental de l'Europe au
despotisme de la démocratie messianisée
américaine? Quand l'avant-dernière année
de votre second mandat aura sonné au
beffroi des dévotions nouvelles de la
France - le pieux successeur de M.
Barack Obama aura achevé sa première
questure d'évangélisateur en chef de
l'univers - croyez-vous vraiment que les
garnisons de l'étranger mettront l'épée
de leur catéchèse au fourreau et se
glisseront gentiment hors du territoire
des nations soumises depuis trois quarts
de siècle aux apôtres impérieux de la
liberté universelle? Peut-être
savez-vous que seuls de terribles
soubresauts permettront à un Churchill
de l'Europe embrumée d'attiser la rage
populaire et d'en canaliser le torrent
au nom des patries désireuses de jeter
au feu leurs livrées rapiécées.
2 - Le continent de
l'hétéroclite
Mais il y a plus, Monsieur le Président:
je connais, dans votre propre parti, une
foule d'esprits éminents - MM.
Chevènement, Védrine, Rocard et d'autres
- qui confessent leur scepticisme à
l'égard des chances d'une Europe à
genoux de vaincre des songes politiques
en louage et de jamais reconquérir dans
le monde le rang qu'ambitionnait encore
le réalisme troué de F. Mitterrand. Si
vous nourrissez un espoir de retirer nos
fronts de la poussière, croyez-vous
qu'il vous suffira de jouer à Dieu le
père en Palestine et ailleurs et de
faire tinter les ciboires de la
démocratie apostolique sur la scène
internationale? Inutile de tendre
l'hostie et le rameau d'olivier à une
planète prosternée devant les idéaux
statufiés et durcis de 1789.
Les esprits avertis de la gauche se
gardent bien de l'impudeur politique
d'exprimer le désespoir de leur
catéchèse à haute et intelligible voix.
Et pourtant, ils observent la Suisse
comme un paradigme tragique du sort qui
guette un Vieux Monde faussement irénisé
par la métamorphose des idéalités
guerrières de l'Amérique en colombes de
la paix et en béton de la foi.
Savez-vous qu'en 1815, les Helvètes ont
proclamé que la neutralité de leur
nation serait éternelle? L'irruption de
nos sans-culottes dans le Valais leur
avait ouvert les yeux sur la chute
inévitable de l'utopie démocratique dans
les mains d'un nouvel Alexandre: jamais,
disent-ils depuis lors, une ambition
nationale fermement conçue et conduite
d'une main de fer n'enflammera un peuple
de Zürichois et de Tessinois, de
Genevois et de Bâlois, de Bernois et de
Vaudois artificiellement rassemblés en
faisceau d'une patrie commune.
Deux siècles seulement plus tard, la
Suisse est effectivement devenue à la
fois un Titan bancaire aux pieds
d'argile et une société anonyme que
dirige un conseil d'administration
chargé de gérer les poids monétaires
respectifs des ethnies naines
qu'incarnent les cantons. On entend
dire, dans vos propres rangs, que si
l'on n'habillera jamais des mêmes
vêtements nationaux des Neuchâtelois et
des Appenzellois, comment le ferait-on
avec des Flamands et des Wallons, des
Catalans et des Espagnols, des Portugais
et des Finlandais? Essayez donc de faire
monter côte à côte sur la scène
internationale des Suédois et des
Siciliens, des Germains et des Grecs,
des Autrichiens et des Italiens, des
Danois et des Polonais ! Les Bernardin
de Saint Pierre de notre temps lancent
leur Paul et leur Virginie s'empêtrer
dans l'arène tempétueuse de la politique
mondiale.
3 - Une science
politique au berceau
Vous savez, Monsieur le Président, que
nous sommes demeurés de fidèles écoliers
de nos "ancêtres les Gaulois". Nous
concédons du bout des lèvres que, depuis
1789, les autres peuples de la terre
méritent leur titre d'égaux du peuple
français, mais seulement dans les récits
édifiants de notre Révolution dont nous
mettons les images entre les mains des
enfants. Nous pensons qu'il a manqué à
un genre humain encore en bas âge de
boire le lait de la langue de Montaigne
au berceau. Aussi les grammaires
disparates et confuses des peuplades qui
trottinent à nos côtés dévident-elles
leurs phrases tout de travers et dans un
ordre des vocables ennemi du sens
commun. Un verdict irrévocable du peuple
des Druides vous condamnera à faire une
croix sur le pieux fédéralisme politique
de l'Europe des enfants de chœur; et
vous vous direz que si, cinq siècles
après sa défaite à Marignan, la petite
Suisse ne parvient pas à se donner une
âme nationale sur le fondement de sa
monnaie unique, de sa constitution
confédérale et de son droit civil et
pénal unifié, parce que ses trois
langues ne mettent pas le sujet, le
verbe et le complément dans le bon
ordre, on ne construira pas l'Europe sur
quatre monothéismes, vingt-quatre
idiomes et des dizaines de climats, de
géographies et d'empires ensevelis dans
une gloire tombale difficilement
effaçable des mémoires de leurs
héritiers rapetissés à Lilliput.
4 - Le retard de la
politologie française
Mais, dans le même temps, vous savez que
la France laïque ne dispose pas encore
d'intellectuels informés du contenu
politique universel des théologies
locales et des enjeux psycho politiques
qu'elles charrient sur notre astéroïde .
Du coup, on cherche en vain à l'ENA et
rue saint Guillaume une science
politique qui porterait le regard d'une
anthropologie française sur l'encéphale
de l'humanité. Nous avons chassé les
mythes religieux de nos ancêtres de
notre culture scolaire et universitaire,
mais nous n'avons pas pris le temps
d'étudier et de comprendre le contenu
des délires sacrés qui assiègent
l'encéphale de notre espèce. Nous le
payons fort cher aujourd'hui, puisque
notre classe dirigeante et nos
diplomates n'ont pas de politologie
explicative des dévotions et des
prêtrises que pratique un animal
démentiel de naissance, alors que les
messianismes musulman et hébraïque
écrivent à nouveau l'histoire réelle,
donc auto-sanctifiée, de la planète sous
nos yeux de Mohicans ahuris.
Encore une fois, M. le Président, si
vous ne vous informez pas des progrès de
la connaissance anthropologique des
Olympes dont notre siècle est gros, si
la distanciation laïque à l'égard du
sacré devait renvoyer la France de la
raison à un recul intellectuel aussi
inexistant que celui du Moyen Age à
l'égard de la transsubstantiation
eucharistique, vous n'aiderez pas la
politologie française à quitter l'âge de
pierre; car pour l'instant, notre
intelligence de la politique se trouve
tellement éloignée de l'action sur le
terrain qu'on demande à cor et à cri des
astronomes ambitieux de faire transiter
la politologie française de l'âge
ptolémaïque à l'âge de Copernic.
Avez-vous seulement évoqué les rouages
et les ressorts abyssaux du messianisme
hébreu et du mythe de la terre promise
avec M. Netanyahou? Connaissez-vous les
arcanes eschatologiques et
sotériologiques du cerveau humain? La
classe dirigeante du XVe siècle ne
disposait d'aucune avance intellectuelle
sur le cerveau de l'humanité de son
temps. Mais si votre politique date du
XIXe siècle, comment interpréteriez-vous
l'élan de l'Amérique du Sud, dont deux
moteurs, l'Argentine et le Brésil,
rappellent au monde de la pensée de
demain que des nations pleinement
souveraines et inspirées par une
ambition commune mettront un terme à
l'expansion du mythe pseudo séraphique
de la Liberté démocratique si vous ne
passez pas de la politologie du concile
de Trente à celle de notre temps et vous
ne cesserez de renforcer le despotisme
angélisé de l'Amérique . Entendez-vous
la cloche fêlée du nucléaire sonner à
vos oreilles? Connaissez-vous les
secrets bibliques de l'apocalypse
mécanique? Une Renaissance se définit
par un approfondissement vertigineux de
la connaissance du genre humain. Notre
humanisme a davantage de retard sur nos
anthropologues que la scolastique du
XVIe siècle sur la philologie d'Erasme.
5 - L'Europe et
l'avenir de la pensée
Monsieur le Président, le continent de
Bolivar se réveille pour vous rappeler
que si le Vieux Continent devait
reconquérir le rang d'une puissance
mondiale, il ne se trouvera pas
chapeauté d'un conseil d'administration
helvétisé et de dizaines de milliers de
gratte-papier fédérés . L'Amérique du
Sud, elle, a déjà compris pourquoi elle
s'affaiblirait de s'unir en un
conglomérat artificiel de nations. Elle
sait qu'elle accoucherait d'un monstre
schizoïde et viscéralement dichotomisé
entre deux branches incompatibles d'une
même langue, l'espagnol et le portugais.
Mais comment se fait-il que Brasilia,
Buenos Aires, Mexico débarquent
bruyamment sur la scène du monde aux
côtés de Pékin, de New-Delhi, de Moscou,
tandis que l'Europe polyglotte dort à
poings fermés?
C'est que la souveraineté, donc
l'ambition proprement politique des
peuples vivants demeure conditionnée par
les relations que l'âme et la raison des
Etats-nations entretiennent avec les
mythes fondateurs dont ils demeurent
tributaires, donc avec l'identité
onirique qui inspire leur culte. Aussi
longtemps que la fable religieuse répond
aux battements du cœur de la population
et à sa tournure d'esprit, le clergé du
pays jouit d'un statut confusible avec
le rang et la nature d'une fraction du
genre humain fermement arrimée au ciel
de l'endroit.
C'est pourquoi, M. le Président, jamais
l'Eglise grecque ne perdra ses
privilèges. On ne dépossède pas des
théologiens devenus les propriétaires
sacrés du tiers du territoire de la
nation, on ne réfute pas le verdict d'un
Olympe censé avoir remis les arpents du
ciel entre les mains de ses augures.
C'est dire qu'elle avorterait dans
l'œuf, l'ambition d'un gouvernement laïc
de l'Hellade qui tomberait dans
l'impiété de réclamer des impôts à des
plénipotentiaires épanouis du cosmos.
Mais comment remplir l'escarcelle du
Créateur s'il est non moins difficile
d'affamer le petit peuple à l'école du
profane ? Comment faire maigrir des
régiments de fonctionnaires gros et gras
et à l'abri des huissiers du temporel si
l'Etat demeure le gardien assermenté du
cordon ombilical qui rattache le ciel à
la terre? On ne guérit pas une
démocratie universelle, mais raidie dans
une théocratie locale si l'on se résout
à réclamer leur écot à la haute
aristocratie d'Etat et à la noblesse de
robe de la bureaucratie républicaine.
Tenter de faire entrer la Grèce en
Europe n'est pas de l'acharnement
thérapeutique, c'est demander à la
médecine de faire pousser la seconde
jambe d'un unijambiste de naissance.
Mais une politologie française confite
dans les idéalités du XIXe siècle
renvoie la classe dirigeante de l'Europe
actuelle à la théologie de Thomas
d'Aquin dont l'Eglise a vainement tenté
de sortir en 1962.
6 -
Une anthropologie des fondements de la
politique
Monsieur le Président, je vous écris en
anthropologue des relations schizoïdes
que les évadés de la zoologie
entretiennent avec leur encéphale depuis
qu'ils se cherchent des interlocuteurs
imaginaires dans le vide de l'immensité,
je vous écris en observateur des
carences psychobiologiques dont souffre
une science politique dichotomisée sur
le modèle de la théologie dite des "deux
natures" du Messie ; et je vous le dis
avec la simplicité d'un modeste élève du
paysan du Danube: si vous
n'approfondissez pas votre connaissance
d'un Adam dont on ne vous a pas enseigné
les coordonnées à l'ENA et rue Saint
Guillaume, nous courons au naufrage
politique de l'Europe.
Car entre l'échiquier politique rabougri
sur lequel les nations laïques déplacent
leur bipolarité cérébrale et l'échiquier
insaisissable des otages d'une
révélation bifide, comment
contrôlerez-vous d'une main de fer les
finances célestes et terrestres de
l'Italie, du Portugal ou de l'Espagne de
la même manière que celles du ciel de la
Suède ou de la Finlande? On n'unifie pas
une administration fiscale diversement
scindée entre l'idéalisme et le
réalisme, le temporel et le sacré; et
si, tout au long du XVIIIe siècle, les
termes de "royaume", de "monarchie", de
"trône" n'avaient pas cédé la place aux
termes de "nation" et de "peuple",
jamais Talleyrand n'aurait pu, à la
veille de la Révolution, soumettre le
clergé français à l'impôt.
Les Français les plus éveillés
commencent de porter un regard
interrogateur sur l'histoire du cerveau
du monde et de se demander si le passage
du sceptre mental de l'empire para
religieux du Nouveau Monde des mains de
M. Barack Obama dans celles de M. Mitt
Romney aurait changé le sort de l'Europe
des vassaux. On se souvient que, le 22
octobre 2012, le candidat républicain
avait vivement reproché à son rival
d'avoir quelque peu desserré les écrous
de la conduite hégémonique des affaires
politiques et militaires du monde dont
la Maison Blanche détenait le monopole
de plein droit depuis 1945. Mais, de
toute évidence, ce reproche électoral
était sans fondement anthropologique et
sacerdotal: non seulement le président
démocrate a consolidé l'occupation
messianique de l'Allemagne et de
l'Italie, mais il en a confirmé la
perpétuité au point qu'à l'instar de ses
prédécesseurs, il se vante de ce que la
sotériologie américaine se trouve
maintenant gravée à jamais dans la
Constitution même de tous ses vassaux
européens. Puis il a pris la décision,
non moins applaudie par les intéressés,
d'étendre le glaive du rêve rédempteur
jusqu'aux portes de la Russie; et, pour
ce faire, il a commencé d'installer un
bouclier anti-missiles d'un type non
moins sotériologique que le précédent -
ce qui lui a permis au passage et comme
dans la foulée, de ridiculiser
l'eschatologie désuète de la bombe
atomique française. C'est dire que
l'assiette obamienne de la prêtrise
démocratique a renvoyé l'évangélisme de
la génération précédente à un modèle
anachronique de l'église de la Liberté.
7 - Une gauche
orpheline de ses idéaux
De plus, M. Barack Obama a inauguré une
base navale de l'empire à Cadix, ce qui
achève de rendre ridicule la vieille
forteresse de Gibraltar. Il s'agit de
l'expansion la plus miraculeuse que la
démocratie évangélisatrice ait
enregistré. Certes, le spectacle de la
passivité des populations et de la
classe dirigeante allemande et italienne
face, ici à l'incrustation de deux cents
places fortes du Nouveau Monde, là, à
l'implantation de cent trente sept
garnisons de même nature et provenance
ressortira demain à une forme nouvelle
de la littérature, la politologie
fantastique. Mais les historiens de la
sénescence du Vieux Monde diront que le
glaive de la foi démocratique s'était
quelque peu émoussé dans les mains d'un
César de la Liberté dont l'ossature
donnait quelques signes de fatigue. Car
pour que la nation victorieuse de Hitler
perpétuât son règne sur notre astéroïde,
il fallait non seulement se résigner à
brandir le gigantesque subterfuge
stratégique de l'OTAN, mais demander à
un César affaibli de nommer tous les
cinq ans un valet de pied chargé de
gérer, au nom de son maître, une
alliance de vingt-huit peuples dont la
livrée était devenue trop voyante.
Monsieur
le Président, comment défendrez-vous
tout au long du nouveau mandat de M.
Barack Obama, le bilan de ce grand
vassalisateur de la planète de la
Liberté, comment ferez-vous valoir aux
Français que le Patriot Act
entérinerait les heureuses retrouvailles
du peuple américain avec la pratique de
la torture judiciaire que Louis XVI
avait délégitimée en 1780, comment
vanterez-vous aux yeux de l'électorat de
gauche que la Maison Blanche continue
d'assassiner librement et sur la terre
entière tout ennemi de son choix? Vous
savez, comme je vous l'ai rappelé dans
mes Lettres précédentes, que les drones
tueurs de M. Barack Obama ne sont soumis
à aucun contrôle du pouvoir législatif
et judiciaire. Ne craignez-vous pas que
votre apologie renouvelée d'un président
censé civilisateur - et honoré du "prix
Nobel de la paix" précisément à ce titre
- se trouvera entravée par l'érosion de
la foi naïve de vos électeurs en la
démocratie?
8 - Les deux
Césars
Le 22 octobre
2012, les deux Césars n'ont-ils pas
souligné qu'ils conduiraient la même
politique sur la scène internationale et
M. Barack Obama n'a-t-il pas, au cours
de la campagne, reproché à son rival
qu'il criait seulement plus fort que
lui, mais non plus efficacement? Les
deux Césars n'ont-ils pas validé
l'institutionnalisation des assassinats
commis par leur "disposition
Matrix", qui codifie et
rationalise les meurtres extra
judiciaires commis sur ordre du
Président et sur un rythme pratiquement
quotidien? Les deux Césars n'ont-ils pas
légalisé la torture, la détention
arbitraire, la déportation, le
déploiement systématique des drones, ces
machines à tuer à l'échelle
internationale, les deux candidats
n'ont-il pas légitimé une "armée
du Président" soustraite au
commandement du Pentagone, les deux
Césars n'ont-ils pas approuvé les
rencontres hebdomadaires des agents de
la Cia et de l'état-major du crime
d'Etat, qui dressent, d'un commun
accord, la liste des assassinats à
perpétrer, les deux Césars ne
revendiquent-ils pas, pour tout
Président élu, le droit d'ordonner des
exécutions sommaires et sans preuves,
les deux Césars n'ont-ils pas salué la
promulgation du "National
Autorisation Act" qui permet au
Président en exercice de jeter à
perpétuité n'importe quel citoyen en
prison et sans acte d'accusation, les
deux Césars n'ont-ils pas confirmé que
la liste des assassinats à commettre
sont élaborés par la "New Counter
Terrorism Center (NCTC)", les
deux César n'ont-ils pas reconnu
l'existence, dans l'aile ouest de la
Maison Blanche d'un "Murder Inc.",
les deux saints de la démocratie
n'ont-ils pas salué ensemble
l'institutionnalisation des assassinats
d'Etat?
9 - Le
marché de la piété
Sans doute avez-vous remarqué que la
stratégie de campagne de M. Barack Obama
lui a interdit de tomber dans
l'irresponsabilité de ruiner le crédit
encore officiellement attaché aux piétés
démocratiques de l'empire, alors que M.
Romney a vu le tapis rouge de la foi du
monde sanctifier les pas du mythe
américain de la Liberté. Du reste, il
est revenu au candidat républicain
d'entonner, le 22 octobre, le cantique
du salut du monde au profit de la
grandeur de l'empire américain.
Mais ne craignez-vous pas que votre
public électoral d'innocents aux mains
pleines aperçoive enfin le double
tranchant des glaives cachés sous les
goupillons de la démocratie messianisée?
Puisque l'Amérique conquérante a
confirmé sur son trône un souverain
aussi impérieusement qu'astucieusement
apostolique, pensez-vous que des
centaines de millions d'échines
assouplies par trois quarts de siècle de
génuflexions, se prosterneront de
nouveau plus bas que terre devant une
grandeur militaire tenue pour pour
vertueusement délivrante?
Car la bannière de la gauche est celle
de ses masques sacerdotaux. Quand la
messe est récitée par un Richelieu ou un
Mazarin de la démocratie, le réalisme
politique s'avance déguisé sous la
pourpre cardinalice d'une religion des
droits de l'homme. Aussi les professions
de foi de la France de gauche sont-elles
plus aisées à débiter sous le sceptre et
les ciboires de Barack Obama. Mitt
Romney aurait éprouvé davantage de
difficultés à se placer à la tête du
clergé mondial de la Liberté.
10 - La stupeur
des pauvres
M. le Président, il est devenu clair
comme le jour que l'évangélisme
politique des Jaurès et des Victor Hugo
ne renforce plus que les armées de
nantis à vie de l'Etat et que les
"victoires du peuple" ne profitent
jamais qu'aux fonctionnaires. Si seule
cette caste exerce l'autorité de faire
grève aux frais de la population,
comment serez-vous jamais un Président
de gauche doublé d'un nouveau Général de
Gaulle de notre temps? Où la gauche et
la droite classiques sont-elles donc
passées sur une planète qui a changé de
référents politiques? Sachez que la
masse des miséreux a découvert dans
l'effroi qu'elle vit sur les décombres
de sa propre victoire, parce que le
triomphe d'un capitalisme de rapaces sur
l'utopie du marxisme évangélisateur a
changé les possédants en dépeceurs
impitoyables des malheureux. Le degré de
spécialisation intellectuelle qu'exige
toute activité appelée à faire vivre son
homme est devenu si élevé qu'un citoyen
sur trois maîtrise trop insuffisamment
la syntaxe et l'orthographe de sa lange
maternelle pour accéder à un emploi
honorant et bien rémunéré.
11- Les pièges de
la lenteur
Quelle est la seule porte de votre
destin à demeurer entrebâillée? Votre
chance réside dans la cécité politique
des élites démocratiques européennes à
l'égard de leur propre assujettissement;
car leur esclavage même commence de se
trouver paralysé par l'affichage de
vêtures trop criantes de la servitude
consentie d'un continent. Votre
quinquennat pourra s'engouffrer dans
cette brèche. Quelle chance que la
démonstration trop crue des petits
profits d'une servitude universellement
applaudie finisse par ouvrir les yeux
des masses! Car rien n'est plus
dangereux, pour une nation domestiquée,
que le spectacle de la petite valetaille
des serviteurs de l'étranger qui s'est
installée à sa tête.
Puisque
M. Obama a été réélu, le rideau tombera
moins rapidement, hélas, sur la chute de
la pièce qui aura vu, soixante-dix ans
durant, l'alliance des Etats-Unis et
d'Israël conduire des affaires du globe
terrestre. Vous disposerez de l'avantage
inespéré d'expérimenter la vassalisation
de l'Europe à l'aide d'un Barack Obama
qui disposera de la plus terrible alliée
des tyrannies, la lenteur. Savez-vous
que les politiques bétonnées par des
rituels se sont toujours révélées les
auxiliaires les plus efficaces du
despotisme? Savez-vous que pour défier
un sceptre de fer, il faut que le temps
ralenti des esclaves se soit changé en
l'acier trempé de l'obéissance à leur
maître. M. Barack Obama se révèlera donc
un forgeron plus redoutable du déclin un
instant retardé de la France que son
adversaire républicain parce que plus
insidieux et mieux caché sous les
oriflammes de l'apostolat démocratique.
Raison
de plus, Monsieur le Président, de poser
publiquement la question de savoir si,
après plus de vingt-cinq mille cinq
cents représentations de la tragédie
intitulée: "L'Europe asservie",
la France continuera de regarder le
monde par le petit bout de la lorgnette
ou si vous ouvrirez des yeux sur
l'histoire réelle du monde et sur les
véritables enjeux de la politique
internationale.
12 - "Prenez la
mesure du péril "
Mais je ne suis pas le seul, par
bonheur, à penser que votre mission est
à la fois immense et clairement tracée,
parce que l'heure de la liquéfaction du
volet militaire de l'Alliance atlantique
approche à grands pas. Quand il devient
de jour en jour plus absurde
d'emmailloter l'Europe des marmots dans
les plis d'un drapeau étranger, alors
que personne ne menace notre
civilisation les armes à la main, votre
tâche d'homme d'Etat crève les yeux:
élargir l'horizon mental des conseillers
dont vous avez composé le gouvernement
de la France.
Aidez-les à prendre la mesure du péril
proprement cérébral que court le
Continent de l'intelligence,
apprenez-leur à scanner les mythes
religieux, mettez-les à l'écoute de
l'Ecole française des successeurs de
Renan - sinon jamais votre diplomatie ne
conquerra l'assise d'une spectrographie
mondiale des cosmologies oniriques dont
la démocratie messianisée américaine
porte les clés à la ceinture. On ne
dévassalisera pas l'Europe à la pointe
des baïonnettes: mettez l'intelligentsia
mondiale à l'écoute des précurseurs de
la pensée transptolémaïque qui s'incarne
d'ores et déjà dans une avant-garde
gallicane de la raison politique: et
souvenez-vous de Necker, qui disait que
le maître des imaginations religieuses
ou parareligieuses est le vrai souverain
du monde.
Reçu de l'auteur
pour publication
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