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d'actualité
Brève histoire des
déconvenues
et de la course à l'abîme de la Ve
République
Manuel
de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Samedi 9 novembre 2013
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1 - Les
républiques dans la tempête
2 - De Gaulle
3 - De Pompidou à Mitterrand
4 - Les premiers ravages
politiques de l'inculture de
l'Etat
5 - La sacerdotalisation de
la magistrature
6 - M. Sarkozy
7 - François Hollande
8 - L'homme d'Etat face au
réel
9 - La généalogie des
civilisations
10 - La classe du savoir et
de la parole
11 - Les Tziganes et la
France
12 - Une vérification
expérimentale
13 - Le retour de l'octroi
14 - La course à l'abîme
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1 - Les
républiques dans la tempête
Dans les époques
livrées aux ouragans de l'histoire, les
démocraties ont besoin de vrais chefs
d'Etat. Mais que faire si, de toute
nécessité, le gouvernement populaire se
révèle viscéralement rebelle à ouvrir le
chemin du pouvoir à l'homme politique né
pour affronter les tempêtes, puisque le
mode de sélection des représentants du
peuple souverain ne peut conduire qu'à
l'élection de petits notables locaux?
Les Romains avaient résolu un instant
cette aporie constitutionnelle, donc
insurmontable par nature et par
définition: ils faisaient nommer un
dictateur par leur Sénat d'oligarques
éclairés, mais pour six mois seulement -
un paysan pouvait suffire à la manœuvre.
On n'imagine pas une démocratie à la
fois développée et qui serait pourtant
demeurée vertueuse au point de traiter
en simples hommes de main une super
élite d'agriculteurs plébéiens prêts à
servir de sauveteurs empressés à la
patrie en danger et qui retourneraient
modestement à leur charrue après un
semestre de pouvoir à la fois absolu et
hautement désintéressé.
La Ve République
est née de la médiocrité municipale des
IIIe et IVe Républiques. Si l'encéphale
d'un chef d'Etat se cachait dans le
troupeau des petits parlementaires, il y
détonnerait autant que le candide
Pompée, qui à son retour triomphal de la
Judée vaincue avait tenté de se fondre
dans le troupeau des sénateurs au petit
pied. Si Cincinnatus avait été sénateur,
comment l'aurait-on réduit à la
minusculité parmi ses confrères ou, tout
au contraire, comment lui aurait-on mis
une couronne de lauriers sur la tête -
imprudence suicidaire et qui valut à
Jules César un prompt assassinat par ses
pairs, les petits aristocrates ambitieux
de l'époque?
2 - De Gaulle
En 1946, la classe
des notables de Lilliput a renvoyé le
Gulliver du 18 juin dans ses foyers,
parce qu'on ne se rend pas impunément
coupable de l'exploit de sauver une
nation; puis, en 1962, sitôt la guerre
d'Algérie coûteusement terminée,
l'Assemblée Nationale a tenté de
licencier ce microbe à l'exemple des
nombreux Présidents du consei, que ses
confrères piétineraient tous les six
mois, parce que le tour de son
successeur était venu. Comment "caser"
ou jeter aux oubliettes après usage un
personnage historique auquel l'histoire
a accordé une stature incompatible avec
l'allurede croisière paisible des
républiques? Le Général n'était ni
Pompée, ni Cincinnatus. En 1962, le
peuple français aux abois a élu le seul
chef d'Etat qu'elle avait sous la main,
mais comment ne pas lui donner une
majorité parlementaire de fidèles
exécutants de ses volontés, comment ne
pas replonger dans la médiocrité une
République péniblement sauvée?
Aussi la gangrène
de la corruption de la société civile
s'est-elle aussitôt révélée non moins
mortifère que sous les IIIe et IVe
Républiques; et les scandales en chaîne
n'ont pas tardé à renforcer l'autonomie,
puis l'arrogance d'une phalange de
caciques à mi-chemin entre la haute
noblesse de cour et une garde de
sicaires. Il est alors apparu qu'un
peuple de roitelets du suffrage
universel ne saurait porter un regard de
haut et de loin sur la planisphère et
sur le gouffre vers lequel elle se
précipite: seule une connaissance
anthropologique de la bancalité du genre
humain peut donner à la classe
dirigeante d'une démocratie le recul
nécessaire à la pesée des destinées du
globe terrestre.
3 - De Pompidou à
Mitterrand
Une fois de plus,
la rue a tenté d'écrire l'histoire de la
France, une fois de plus, la République
est tombée dans la turba
qu'évoquait Cicéron.
-
Le Vatican et l'avenir de la pensée
politique mondiale , 2 novembre
2013
Alors Georges
Pompidou, excellent helléniste, poète au
goût sûr et banquier émérite des
Rothschild lancera la police d'un
certain Marcellin, sénateur, aux
trousses d'un peuple de 1968 qu'il
fallait faire rentrer dans le rang afin
de remettre la classe dirigeante en
complet veston. Puis son successeur, M.
Giscard d'Estaing prononcera les paroles
les plus élégamment allogènes à tout
véritable chef d'Etat: les Français,
disait-il, passeraient désormais avant
la France. Mais tout pouvoir est
solitaire, autoritaire et tenté par
l'arbitraire. Il a fallu renvoyer un
Poniatowski devenu trop familier.
Sous la Ve
République, on joue les grands
chambellans. Mais il y faut du tact. Si
M. Chirac n'avait pas été inutilement
humilié par l'incongruité de se voir
invité à déjeuner au Fort de Brégançon
aux côtés d'un maître nageur tout rouge
de se trouver là, l'histoire de la
France n'aurait pas été aussi
bouleversée par une entorse aux usages
du monde et aux règles de l'étiquette
que l'empire romain le fut par le nez de
Cléopâtre - la vengeance de l'offensé a
porté au pouvoir un ancien ministre de
la IVe République, M. François
Mitterrand. Tout le petit personnel bien
cravaté des notables d'autrefois est
remonté à ses côtés sur la scène.
Naturellement, la
gauche, alors imbibée d'un marxisme
évangélisateur, a conduit l'économie
française au naufrage annoncé; et le ras
de marée d'une nouvelle majorité
parlementaire a remis le pouvoir
exécutif entre les mains de ce qu'il
restait de la bourgeoisie. Mais, en bon
cacique de la IVe République, M.
Mitterrand a su prendre appui sur la
lettre de la Constitution de la Ve
République pour demeurer à l'Elysée.
Alors, la France a connu la plus
claudicante des démocraties bicéphales.
Certes, le chef de l'Etat n'était plus
ni un Coty, ni un Lebrun, ni un Vincent
Auriol, puisqu'il demeurait l'élu du
peuple souverain pour sept longues
années ; mais, dans le même temps, un
Président de la République privé de sa
majorité parlementaire, se trouvait dans
l'incapacité, faute d'exécutif à ses
ordres, de faire approuver par le
Parlement et de promulguer des lois,
tandis que l'initiative législative se
retrouvait tout entière entre les seules
mains des élus de la nation - mais
passés sous la tutelle de Matignon - de
sorte que le Premier Ministre était
devenu plus puissant tant en politique
intérieure que sur la scène
internationale que le Président assis
sur les coussins d'un trône tout
d'apparat.
4 - Les premiers
ravages politiques de l'inculture de
l'Etat
Mais M. François
Mitterrand savait, en vieux routier du
régime parlementaire, que les
démocraties représentatives sont
ingouvernables par nature et par
définition: un exécutif et un législatif
arrachés des mains du Président rendait
ce dernier tout nominal, mais porteur,
dans l'imagination populaire, de la
tiare du peuple souverain, donc appelé à
bénéficier d'une mythologisation rapide,
à l'image de la monarchie inactive, mais
auréolée de ses métaphores de la vieille
Angleterre. Quand M. Chirac a dû
affronter dans les urnes un Elysée en
carrosse et tout rutilant, le vieux
renard trônant dans son Versailles de
pacotille a aisément terrassé son
adversaire sur le champ de bataille du
clinquant politique.
Mais, du coup, on a
vu un Edouard Balladur enveloppé des
soies d'un mamamouchi républicain tenter
de terrasser son "ami de trente ans"
dans l'arène du "peuple
souverain"; et Jacques Chirac a pu
monter sur le trône, soutenu en
coulisses par M. Mitterrand. Fragile
majorité que celle-là: une brise légère
ayant paru favorable aux augures, une
Assemblée nationale plus indocile et
amère que jamais fut dissoute sur les
instances de M. de Villepin - et les
nouvelles élections ont porté derechef
une gauche fatiguée au pouvoir.
5 - La
sacerdotalisation de la magistrature
Le même scénario
d'une cohabitation brinqueballante
allait-il se reproduire une fois de
plus? Verrait-on le candidat de la
gauche à la présidence de la République
vaincre le candidat de la droite? Nenni.
Car un autre vice non moins inhérent à
la Ve République, est soudainement
apparu au grand jour: l'incroyable
inculture historique et politique de la
classe dirigeante post-gaullienne.
Apprenez que M. Jospin ignorait tout des
origines de la cité, qui naquit du
combat contre la délinquance à Athènes
au VIIIe siècle avant notre ère. Alors
fut inventée la justice d'Etat, donc
l'autorité coercitive dont la sévérité
exemplaire a permis de substituer de
force et par la terreur de la loi un
droit pénal enfin efficace au règne
désordonné et plus ou moins chanceux des
vengeances privées. Puis une
magistrature fière de sa férocité s'est
peu à peu constituée en une caste
privilégiée et auto-sacerdotalisée par
la dignité auguste attachée au droit de
vie et de mort sur tout le monde.
Devenue à la fois arrogante et jalouse
de conserver son statut paraclérical, la
justice s'est peu à peu sacralisée et
rendue intouchable pour retomber entre
les mains des voleurs dont elle s'était
libérée près de trois mille ans
auparavant.
Alors des
assassinats impunis et incompris de la
gauche inculte des technocrates de l'ENA
ont assuré le triomphe du bon sens
populaire; et un Jean-Marie Le Pen a
expulsé, le glaive des légionnaires
d'Algérie à la main et avant le second
tour de l'élection présidentielle, un
Lionel Jospin égaré sur un champ de
bataille étranger à l'éducation
politique de la gauche. Comment un
candidat ambitieux de se hisser au
sommet de l'Etat peut-il ignorer que,
depuis le Code d'Hammourabi des
Assyriens, l'ordre public s'est révélé
le fondement sine qua non de tous les
Etats civilisés et que ledit "ordre
public" est toujours du ressort d'une
police couronnée de la tiare d'une
classe de boulangers du pain bénit de
l'endroit - celui de la Genèse
ou du four des hosties qu'on appelle
maintenant des idéalités?
6 - M. Sarkozy
Du coup, M. Chirac
a été porté à la Présidence de la
République par la vague de fond des
citoyens affolés par le spectre de la
tyrannie militaire. Mais le mal était
fait: le prestige de la République
gaullienne, selon laquelle un peuple
d'experts-nés et inspirés par le dieu
Liberté ferait descendre de l'Olympe de
la démocratie un chef d'Etat dont tout
le monde reconnaîtrait le génie au
premier coup d'œil, se trouvait
définitivement ruiné, du seul fait,
évoqué plus haut, que les Républiques ne
sont pas nées pour affronter les
tempêtes de l'histoire et que le mythe
d'une rencontre providentielle entre un
homme éminentissime et un peuple de
spécialistes de la géopolitique n'avait
plus le sens commun. On n'enfante pas
artificiellement et par calme plat les
circonstances dramatiques qui seules
permettent aux chefs d'Etat bien trempés
de monter sur les planches de Clio. De
même que M. Mitterrand avait profité de
la chute du vent sur le théâtre du
monde, M. Sarkozy a profité de la marée
basse pour s'emparer en sous-main et
sans coup férir du parti du Président en
exercice. Il suffisait de prendre appui
sur la majorité parlementaire du moment
pour se trouver hissé au sommet de
l'Etat.
Quel paradoxe qu'un
Président de la Ve République
sélectionné, en fait, par les notables
grouillants dans les coulisses de l'Etat
administratif, donc par une pléiade de
fonctionnaires myopes et incrustés à vie
dans les rouages de la bureaucratie,
quel paradoxe, dis-je, que celui d'une
candidature à l'usage d'un suffrage
universel rendu d'avance docile à un
Parlement truffé de ronds de cuir! Mais
alors, comment une nation ne
tomberait-elle pas entre les mains d'un
aventurier audacieux et entré par
effraction dans la classe des petits
salariés de l'Etat? Le peuple semble
conserver le premier rang, mais
seulement sur la place publique, tandis
que, derrière les décors, les organes de
la IIIe et de la IVe Républiques se sont
remis en place.
Mais à quoi bon
s'exclamer: "Revoilà les machinistes de
tout ce théâtre" si seules les
catastrophes font monter sur la scène
les chefs indispensables, mais
dangereux, parce qu'ils ne se laisseront
pas, hélas, renvoyer au soc de leur
charrue pour avoir sauvé la République
comme en passant et sans avoir reçu une
récompense proportionnée au service
rendu à la patrie.
7 - François
Hollande
Mais la France a
franchi une étape nouvelle avec
l'élection de M. François Hollande; car
maintenant, ce n'est plus un conquérant
agité et lové au sein des engrenages de
la classe dirigeante et d'un corps
législatif gangrené qui s'est trouvé
porté à l'Elysée par le bagout qui avait
conduit M. Sarkozy à surprendre la bonne
foi de sa proie - le suffrage populaire
- mais un homme d'appareil et
d'intrigues, un expert rompu à l'art
d'arbitrer les petits conflits de
personnes au sein d'un parti politique
où la géopolitique n'a jamais sollicité
sérieusement l'attention de personne. Ce
néophyte allait débarquer de son petit
nuage sur la scène internationale et
conduire la France au Waterloo
diplomatique le plus mémorable depuis
des décennies, puisque la Russie et
l'Amérique lui ont tourné le dos d'un
même élan pour négocier en tête à tête
un accord mondial sur l'avenir de la
Syrie et de l'Iran. Qui aurait seulement
imaginé qu'il reviendrait à la Ve
République de rendre tout nominal le
titre et le rang d'une France censée
demeurer au Conseil permanent de
sécurité aux côtés de la Russie, de la
Chine, de l'Angleterre et des
Etats-Unis?
Du coup, la
question de l'incapacité
constitutionnelle des Républiques de
porter un homme d'Etat à leur tête en
temps de paix rencontre le tragique de
l'histoire des démocraties depuis
Périclès. Car un Président qui ignorera
l'art de la parole et qui ânonnera le
français se révèlera inapte à exercer sa
fonction, même s'il se trouve seulement
hissé à la tête d'une petite démocratie
parlementaire. M. François Hollande
extrait du fond de son gosier des
tronçons de phrases qu'il intercale
entre de eeeeee embarrassés.
-
Le retour du fléau des e e e e e e e,
Un dialogue imaginaire avec M. Alain Rey,
30 octobre 2011
Le mimétisme des
courtisans d'un trébuchement contagieux
du langage a rendu foudroyante la
progression de cette maladie. M.
François Hollande sait qu'il n'y a pas
d'autorité politique respectée et
durable dans une démocratie si l'art de
l'éloquence n'en est pas le vrai
sceptre. Aussi a-t-il fait rédiger à la
hâte et en vue de son intronisation un
discours du Bourget hyper-gaullien,
qu'il a fort bien déclamé et qui l'a
fait débarquer instantanément sur la
scène internationale, mais pour quelques
heures seulement. Un homme d'Etat n'est
pas un acteur insurpassable : seuls les
gens de théâtre disaient du Général de
Gaulle qu'ils n'étaient que des
apprentis devant ce Talma.
Puis, à l'instar de
M. Jospin, M. Hollande a pris un
rendez-vous dramatique avec l'inculture
des petits notables de la IIIe et de la
IVe République.
8 - L'homme
d'Etat face au réel
Avec François
Hollande, une classe dirigeante qui a
raté sa scolarité est devenue un acteur
dont l'ignorance de la scène s'est
rendue tellement visible aux yeux de la
presse internationale qu'elle s'est
révélée le protagoniste principal des
échecs du gouvernement. Car il est
apparu plus clairement encore, et aux
yeux du monde entier, que l'histoire est
le séminaire de la science politique de
haut vol et qu'un dirigeant qui ne se
trouvera pas informé du passé culturel
et évènementiel de sa nation ne
disposera en rien des instruments
indispensables au grand jeu de l'action
publique. Par définition, un homme
d'Etat est porté par son inspiration
naturelle à écouter les leçons de
l'Histoire et à tirer les conséquences
des tragédies du passé. Si Clio n'est
pas lue et comprise comme l'institutrice
de l'autorité des Etats, la science
historique perd son pédagogue et tombe
entre les mains des petits chroniqueurs.
Mais l'histoire
enseignée aux enfants est nécessairement
rédigée par de simples mémorialistes, et
seulement aux fins de catéchiser une
génération après l'autre, parce qu'on
n'imagine pas l'instruction publique
initier officiellement la jeunesse à la
connaissance du timon des Etats et au
pilotage des neurones du genre humain.
On évangélise désormais le corps
électoral à l'école des idéalités de
1789 comme on évangélisait hier l'écoute
de l'histoire sainte. A la croisade
rédemptrice de l'Eglise a succédé celle
du mythe de la Liberté. Mais l'histoire
de la psychogénétique de la politique se
lit dans les écrits de Martial, de
Pétrone, de La Fontaine, de
Vauvenargues, de La Bruyère, de La
Rochefoucauld - pour ne rien dire de
Shakespeare, de Swift, de Cervantès et
de Molière. C'est pourquoi la
connaissance politique de l'humanité
conduit tout droit à une anthropologie
dont seuls les grands dramaturges des
nations ont posé les fondements. M.
Hollande ne sait pas davantage que M.
Sarkozy que les peuples ont une identité
et qu'un Etat ne saurait allait camper
en Robinson Crusoé sur une île perdue au
milieu de l'Océan.
On ne bouscule pas
l'identité multimillénaire d'un peuple à
demander subitement à trente six mille
maires de courir marier entre eux des
mâles et des Sapho et de donner en toute
innocence des enfants à élever à des
Paul et Virginie du même sexe. Vingt
mille officiers ministériels se sont
dressés contre un Etat qui met les
institutions et toute l'autorité
publique au service d'une alliance du
grotesque avec le burlesque et de
l'ubuesque avec le guignolesque.
Qu'adviendra-t-il d'un chef d'Etat qui
ne se demandera même pas ce qu'il
arrivera demain à la nature des choses
et aux lois du monde qu'il aura violées,
mais nullement terrassées avec le seul
secours d'un vote parlementaire
d'occasion et d'une loi artificiellement
portée sur les fonts baptismaux d'un
semblant de démocratie. Comment ignorer
que l'adversaire est seulement rendu
plus fort par des défaites tout
apparentes et seulement momentanées?
9 - La généalogie
des civilisations
Mais la fatalité
politique, qu'on appelle également le
destin, présente le triste privilège de
faire choir les institutions dans une
illustration spectaculaire et
caricaturale de l'abîme qui, dans les
décadences, sépare progressivement et
inexorablement une classe dirigeante
inculte de la classe instruite et
initiée aux savoirs rationnels.
Car, depuis 1945,
la nouvelle ignorance de l'Etat est le
fruit de la victoire des démocraties
idéalisées par leur vocabulaire. Les
abstractions montent dans les nuages et
y deviennent mythologiques. La défaite
de deux tyrannies, le nazisme et le
stalinisme, a entraîné une régression
mondiale et durable du réalisme
politique le plus élémentaire. Un fossé
infranchissable s'est creusé entre des
sciences humaines en cours d'élaboration
de leur problématique depuis des
décennies et une idéologie des droits
d'une humanité supposée universelle,
donc insaisissable dans sa spécificité
séraphique, parce que fondée d'avance
sur des bénédictions de plus en plus
évangélico-verbifiques. Le parfum auto-bénédictionnel
des démocraties angélisées et le
déversement de l'encens d'un humanisme
hyper-conceptualisé a trouvé son
expression la plus creuse dans une
législation parfumée par ses
abstractions. Des Etats censés
rationnels se trouvent contraints de
béatifier sur leur sol des hordes de
pillards qualifiées de pan-européennes
et connues, depuis des siècles, pour
viscéralement erratiques.
C'est ainsi qu'une
"liberté" canonisée ea été accordée à
des "citoyens" artificiellement réputés
intégrés au Vieux Monde. Cette grâce
paroissiale a été soudainement déclarée
inaliénable, alors qu'il s'agit de
tribus inaptes à la sédentarisation
depuis le paléolithique. On sait que la
domiciliation tardive des évadés
partiels de la zoologie n'a été possible
qu'en raison de la découverte de deux
fixatifs psychobiologiques, l'élevage et
l'agriculture. Mais, à l'époque, le
déferlement de tribus demeurées
vagabondes et guerrières sur des
campagnes maintenant habitées en
permanence a contraint les premiers
agriculteurs à peine enracinés sur leurs
arpents à construire des cités
fortifiées. En cas de danger, les
implantations de semeurs et de
moissonneurs trouvaient refuge dans ces
premières casemates. Puis les
défricheurs de leurs lopins se sont
assurés de la protection militaire des
petites agglomérations urbaines, qui se
forgeaient déjà des armes standardisées;
et des troupes robustes ont été
recrutées dans la jeunesse campagnarde.
10 - La classe du
savoir et de la parole
Quelle aventure
nouvelle ! Parallèlement à une
civilisation désormais nécessairement
scindée entre ses champs et ses
remparts, la diversification des métiers
n'allait pas tarder à enfanter une
classe du savoir et de la parole
publique. La culture est née de la
proximité entre les us et coutumes du
monde rural et les loisirs naissants que
procurait à quelques-uns une aisance
financière indispensable aux études. De
Sénèque à Montesquieu, de Caton à
Montaigne, de Xénophon à Tocqueville,
des propriétaires fonciers modestes ou
richissimes sont devenus des lettrés et
des savants. Mais les écoles d'éloquence
des Grecs étaient déjà les foyers d'une
"culture générale", parce que
l'administration des cités exige un
regard panoptique et pluridisciplinaire
auquel seule la maîtrise de l'écriture
pouvait servir d'instrument. Puis, huit
cents environ avant notre ère, la cité
grecque est parvenue, comme il est dit
plus haut à fonder la justice pénale sur
des écrits panoramiques et centralisés
sous la poigne d'un Etat en voie de
bureaucratisation.
Sous l'empire
romain, ce n'étaient pas
seulementAlexandrie ou Pergame, mais les
villes les plus moyennes de la Grèce qui
s'étaient dotées de bibliothèques
municipales et les grands sophistes
étaient devenus des encyclopédistes
itinérants qui couraient d'une ville à
l'autre faire valoir leurs performances
de chefs d'orchestre de la langue
grecque. Quelques siècles plus tard, les
premières universités ont permis de
fonder des phalanges de professionnels
et d'éducateurs. Au Moyen Age, on y
enseignera la théologie, mais également
la médecine, le droit et les rudiments
des mathématiques. Puis, à la fin du
XVIIIe siècle seulement, les "grandes
écoles" imaginées par la Révolution
française dans un esprit anticlérical
ont armé pour la première fois la
civilisation de légions de savants
exclusivement consacrées à faire
progresser les sciences exactes les plus
spécialisées et les plus réservées par
leur nature même à des talents rares et
sévèrement triés, de sorte qu'à la
pratique assidue de l'éloquence et au
culte des Lettres s'est ajouté le moteur
universel d'un monde de cerveaux séparés
de la population et inconnus de l'espace
public.
11 - Les Tziganes
et la France de la parole
Mais, à la suite de
la défaite des tyrannies rappelées plus
haut, un tabou nouveau et protégé par
l'orthodoxie de type démocratique a
interdit, en fait, aux sciences humaines
l'étude rationnelle, désormais qualifiée
de sacrilège, des peuplades demeurées en
retard de dix millénaires sur les fruits
de la sédentarisation de l'espèce et sur
l'invention de la première des sciences,
l'agriculture. Du coup, le mode de vie
des Tziganes a été baptisé de "culture"
et protégé de l'observation
scientifique. Mais il est bien évident
que le niveau cérébral moyen des
survivants du paléolithique demeurés
rebelles à l'apprentissage de
l'agriculture et à l'alphabétisation est
nécessairement d'un étiage inférieur à
celui de l'humanité sédentarisée depuis
cinq cents génération, parce que
l'initiation à une langue écrite,
rythmée et ouverte au maniement
artistique et musical du discours a
nécessairement développé et diversifié
le capital génétique d'une espèce encore
rudimentairement sonorisée et l'a rendue
globalement plus apte à récolter les
moissons des Lettres, des arts et de la
parole publique.
Bien plus, seule
une psychobiologie demeurée impropre à
l'usage de la parole stylisée et au
génie des prosateurs et des poètes a pu
résister à l'individualisation de la
pensée. La Ve République tombera-t-elle
dans un nouveau Moyen Age? Dans une
démocratie où le fossé culturel entre la
classe des savoirs et les masses
incultes ne cesse de s'approfondir, la
parole se gangrène jusqu'au sommet de
l'Etat; et l'on assiste au spectacle
d'une haute classe dirigeante qui ânonne
le français comme les moines ânonnaient
le latin dans les monastères.
12 - Une
vérification expérimentale
Une famille de
Tziganes se réclamait abusivement du
statut des réfugiés politiques. Reconnue
inassimilable, elle a été expulsée vers
son Kosovo natal par le Ministre de
l'Intérieur après quatre ans de vains
efforts d'intégration - et un coût d'un
demi million d'euros à l'Etat. Des
lycéens sont alors descendus dans la rue
afin de protester de la présence, dans
le lot, d'une certaine Léonarda, une
Tzigane qui n'acceptait de se trouver
scolarisée qu'un mois sur trois et qui,
à l'âge de quinze ans, alignait quatre
ou cinq fautes d'orthographe à chaque
ligne. La presse s'était apitoyée sur
son sort; et l'on avait vu le Premier
Ministre lui-même, un ancien professeur
d'allemand auquel son apprentissage de
la langue de Goethe n'avait sans doute
pas laissé le loisir d'approfondir sa
connaissances de l'histoire des
civilisations, avait jugé de bonne
gestion de faire revenir toute la
famille afin de calmer un tollé
juvénile. Puis le secrétaire général du
parti socialiste avait émis le même
avis.
Enfin, le Président
Hollande en personne avait tenté de
dialoguer à la télévision avec la
"victime". Naturellement, celle-ci avait
profité de l'aubaine et lui avait
répondu sur le ton le plus grossier et
le plus inculte. Du coup, l'approbation
populaire de la politique du Président
est tombée en quelques heures à un quart
du corps électoral, tandis que le
Ministre de l'intérieur, un homme de
simple bon sens, récoltait trois
cinquièmes d'opinions favorables,
tellement le peuple assistait,
abasourdi, à la chute de la République
dans une débilité mentale
incompréhensible à la moyenne des
Français.
13 - Le retour de
l'octroi
Mais, dans le même
temps, un autre délire administratif
déclenchait l'insurrection du peuple
breton tout entier, le retour à l'octroi,
impôt qui rendait à nouveau payants les
routes et chemins que la Révolution
avait ouverts à la liberté et à la
gratuité de la circulation des chars,
charrettes, chariots, berlines,
basternes et diligences. Or, la révolte
présentait la nouveauté de faire
basculer deux siècles du vocabulaire
courant de la démocratie et de la
République dans la langue de la royauté
abolie en 1789: il s'agissait de rien
moins que d'une jacquerie, comme le
Ministre de l'intérieur l'avait tout de
suis compris: les citoyens arboraient
subitement le bonnet rouge des paysans
qui, en 1675, s'étaient insurgés contre
les fermiers généraux de Louis XIV
avides de multiplier les taxes et les
impôts sur les binards, diables
éfourceaux, fardiers, guimbardes,
ribaudequins et triqueballes.
Qui aurait
seulement imaginé que la concentration
du pouvoir politique et de toute
l'autorité de l'Etat démocratique entre
les mains des financiers et des
caissiers de la République conduirait
tout droit la France au renversement,
jusque dans les campagnes, de références
langagières assimilées et que, dans
toutes les bouches, le langage de la
monarchie se trouverait en mesure
d'exprimer le rejet du despotisme
moderne dans toutes les têtes? La Ve
République agonisait parmi les symboles,
les images et les signes vocaux du
passé, tellement la politique fait
habiter les peuples et les nations dans
l'univers mental de leur parole.
L'inculture de
Lionel Jospin l'avait fait buter sur sa
méconnaissance des fondements politiques
de la civilisation des cités du droit;
l'ignorance de M. Hollande aura fait
trébucher la République sur son
ignorance des relations que le langage
naturel et coulant d'un chef d'Etat
cultivé entretient avec sa nation. Toute
politique prend appui sur un vocabulaire
officialisé, mais celui des démocraties
n'est pas davantage celui du carcan
administratif de l'Etat que celui du
monarque ne solennisait le français et
ne le guindait d'un maniérisme de cour.
Si Périclès n'avait été un orateur
audible à toutes les oreilles, sur quel
instrument se serait-il appuyé? M.
Hollande est le premier Président de la
République qui ne maîtrise pas la langue
française dans sa coulée naturelle et
qui ne la prononce que hoquetante,
hésitante et titubante, comme il est
rappelé ci-dessus.
-
Le retour du fléau des e e e e e e e,
Un dialogue imaginaire avec M. Alain Rey,
30 octobre 2011
Les écrits de
Salluste, de Tacite, de Cicéron, de
Tite-Live commencent par résumer les
étapes de la lente évasion du genre
humain du règne semi animal des "gentes
feroces" et des peuples "religiosi
et agrestes". Mais comment la lutte
parallèle contre le racisme hitlérien et
l'évangélisme armé jusqu'aux dents des
marxistes a-t-elle pu faire tomber la
politologie scientifique dans une
déliquescence mondiale telle que les
pénalistes eux-mêmes ignorent l'histoire
des premiers siècles de l'histoire de
l'humanité et qu'aucune intelligentsia
ne rappelle au peuple français par
quelles étapes les fuyards du règne
animal ont passé pour se trouver
actuellement à mi-chemin de la
cérébralisation que leur évolution leur
assigne?
14 - La course à
l'abîme
Le 5 novembre, les
bonnets rouges bretons ont adressé à
l'Etat un ultimatum qui expirait le
lendemain à midi. Même une république
exsangue ne pouvait répondre que par
l'affichage d'une fermeté illusoire. Du
coup, la révolte illustrait encore
davantage le gouffre qui sépare le
séparatisme régionaliste du tragique de
la géopolitique contemporaine: si les
bonnets rouges persévèrent à focaliser
leur combat sur leur refus de payer
l'octroi, ils conserveront leur
symbolique et concentreront leurs tirs
sur un Etat isolé et pleinement
responsable d'un rétablissement incongru
des péages d'autrefois; et s'ils
étendent leurs critiques à la plaie du
chômage, ils élargissent et
approfondissent leur champ d'action,
mais ils diluent les responsabilités
particulière de la Ve République dans
une critique du mondialisme, alors que
l'opinion publique française et
européenne demeure à des années-lumière
d'une conscience politique à l'échelle
de la planète.
Comment initier les
bonnets rouges aux arcanes d'une
civilisation occupée par cinq cents
bases militaires américaines
soixante-dix ans après la fin de la
dernière guerre mondiale, comment
évoquer l'incapacité du Vieux Monde
d'insuffler une volonté politique
commune à un continent privé de vision
et trop diversifié par son histoire, ses
langues, ses mœurs, ses disciplines
budgétaires, la dimension de ses
nations, la diversité de ses lucidités,
de ses civismes régionaux et de ses
mentalités pour seulement évoquer le
naufrage des décadences? Si Anne de
Bretagne revenait sur cette terre, elle
ne saurait porter un regard sur
l'horizon et donner une inspiration, un
avenir et un élan partagés à une
civilisation amputée de sa mémoire et
qui court vers l'abîme un bandeau sur
les yeux.
Reçu de l'auteur
pour publication
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