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Brève histoire des déconvenues
et de la course à l'abîme de la Ve République
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Samedi 9 novembre 2013

1 - Les républiques dans la tempête
2 - De Gaulle
3 - De Pompidou à Mitterrand
4 - Les premiers ravages politiques de l'inculture de l'Etat
5 - La sacerdotalisation de la magistrature
6 - M. Sarkozy
7 - François Hollande
8 - L'homme d'Etat face au réel
9 - La généalogie des civilisations
10 - La classe du savoir et de la parole
11 - Les Tziganes et la France
12 - Une vérification expérimentale
13 - Le retour de l'octroi
14 - La course à l'abîme

1 - Les républiques dans la tempête

Dans les époques livrées aux ouragans de l'histoire, les démocraties ont besoin de vrais chefs d'Etat. Mais que faire si, de toute nécessité, le gouvernement populaire se révèle viscéralement rebelle à ouvrir le chemin du pouvoir à l'homme politique né pour affronter les tempêtes, puisque le mode de sélection des représentants du peuple souverain ne peut conduire qu'à l'élection de petits notables locaux? Les Romains avaient résolu un instant cette aporie constitutionnelle, donc insurmontable par nature et par définition: ils faisaient nommer un dictateur par leur Sénat d'oligarques éclairés, mais pour six mois seulement - un paysan pouvait suffire à la manœuvre. On n'imagine pas une démocratie à la fois développée et qui serait pourtant demeurée vertueuse au point de traiter en simples hommes de main une super élite d'agriculteurs plébéiens prêts à servir de sauveteurs empressés à la patrie en danger et qui retourneraient modestement à leur charrue après un semestre de pouvoir à la fois absolu et hautement désintéressé.

La Ve République est née de la médiocrité municipale des IIIe et IVe Républiques. Si l'encéphale d'un chef d'Etat se cachait dans le troupeau des petits parlementaires, il y détonnerait autant que le candide Pompée, qui à son retour triomphal de la Judée vaincue avait tenté de se fondre dans le troupeau des sénateurs au petit pied. Si Cincinnatus avait été sénateur, comment l'aurait-on réduit à la minusculité parmi ses confrères ou, tout au contraire, comment lui aurait-on mis une couronne de lauriers sur la tête - imprudence suicidaire et qui valut à Jules César un prompt assassinat par ses pairs, les petits aristocrates ambitieux de l'époque?

2 - De Gaulle

En 1946, la classe des notables de Lilliput a renvoyé le Gulliver du 18 juin dans ses foyers, parce qu'on ne se rend pas impunément coupable de l'exploit de sauver une nation; puis, en 1962, sitôt la guerre d'Algérie coûteusement terminée, l'Assemblée Nationale a tenté de licencier ce microbe à l'exemple des nombreux Présidents du consei, que ses confrères piétineraient tous les six mois, parce que le tour de son successeur était venu. Comment "caser" ou jeter aux oubliettes après usage un personnage historique auquel l'histoire a accordé une stature incompatible avec l'allurede croisière paisible des républiques? Le Général n'était ni Pompée, ni Cincinnatus. En 1962, le peuple français aux abois a élu le seul chef d'Etat qu'elle avait sous la main, mais comment ne pas lui donner une majorité parlementaire de fidèles exécutants de ses volontés, comment ne pas replonger dans la médiocrité une République péniblement sauvée?

Aussi la gangrène de la corruption de la société civile s'est-elle aussitôt révélée non moins mortifère que sous les IIIe et IVe Républiques; et les scandales en chaîne n'ont pas tardé à renforcer l'autonomie, puis l'arrogance d'une phalange de caciques à mi-chemin entre la haute noblesse de cour et une garde de sicaires. Il est alors apparu qu'un peuple de roitelets du suffrage universel ne saurait porter un regard de haut et de loin sur la planisphère et sur le gouffre vers lequel elle se précipite: seule une connaissance anthropologique de la bancalité du genre humain peut donner à la classe dirigeante d'une démocratie le recul nécessaire à la pesée des destinées du globe terrestre.

3 - De Pompidou à Mitterrand

Une fois de plus, la rue a tenté d'écrire l'histoire de la France, une fois de plus, la République est tombée dans la turba qu'évoquait Cicéron.

- Le Vatican et l'avenir de la pensée politique mondiale , 2 novembre 2013

Alors Georges Pompidou, excellent helléniste, poète au goût sûr et banquier émérite des Rothschild lancera la police d'un certain Marcellin, sénateur, aux trousses d'un peuple de 1968 qu'il fallait faire rentrer dans le rang afin de remettre la classe dirigeante en complet veston. Puis son successeur, M. Giscard d'Estaing prononcera les paroles les plus élégamment allogènes à tout véritable chef d'Etat: les Français, disait-il, passeraient désormais avant la France. Mais tout pouvoir est solitaire, autoritaire et tenté par l'arbitraire. Il a fallu renvoyer un Poniatowski devenu trop familier.

Sous la Ve République, on joue les grands chambellans. Mais il y faut du tact. Si M. Chirac n'avait pas été inutilement humilié par l'incongruité de se voir invité à déjeuner au Fort de Brégançon aux côtés d'un maître nageur tout rouge de se trouver là, l'histoire de la France n'aurait pas été aussi bouleversée par une entorse aux usages du monde et aux règles de l'étiquette que l'empire romain le fut par le nez de Cléopâtre - la vengeance de l'offensé a porté au pouvoir un ancien ministre de la IVe République, M. François Mitterrand. Tout le petit personnel bien cravaté des notables d'autrefois est remonté à ses côtés sur la scène.

Naturellement, la gauche, alors imbibée d'un marxisme évangélisateur, a conduit l'économie française au naufrage annoncé; et le ras de marée d'une nouvelle majorité parlementaire a remis le pouvoir exécutif entre les mains de ce qu'il restait de la bourgeoisie. Mais, en bon cacique de la IVe République, M. Mitterrand a su prendre appui sur la lettre de la Constitution de la Ve République pour demeurer à l'Elysée. Alors, la France a connu la plus claudicante des démocraties bicéphales. Certes, le chef de l'Etat n'était plus ni un Coty, ni un Lebrun, ni un Vincent Auriol, puisqu'il demeurait l'élu du peuple souverain pour sept longues années ; mais, dans le même temps, un Président de la République privé de sa majorité parlementaire, se trouvait dans l'incapacité, faute d'exécutif à ses ordres, de faire approuver par le Parlement et de promulguer des lois, tandis que l'initiative législative se retrouvait tout entière entre les seules mains des élus de la nation - mais passés sous la tutelle de Matignon - de sorte que le Premier Ministre était devenu plus puissant tant en politique intérieure que sur la scène internationale que le Président assis sur les coussins d'un trône tout d'apparat.

4 - Les premiers ravages politiques de l'inculture de l'Etat

Mais M. François Mitterrand savait, en vieux routier du régime parlementaire, que les démocraties représentatives sont ingouvernables par nature et par définition: un exécutif et un législatif arrachés des mains du Président rendait ce dernier tout nominal, mais porteur, dans l'imagination populaire, de la tiare du peuple souverain, donc appelé à bénéficier d'une mythologisation rapide, à l'image de la monarchie inactive, mais auréolée de ses métaphores de la vieille Angleterre. Quand M. Chirac a dû affronter dans les urnes un Elysée en carrosse et tout rutilant, le vieux renard trônant dans son Versailles de pacotille a aisément terrassé son adversaire sur le champ de bataille du clinquant politique.

Mais, du coup, on a vu un Edouard Balladur enveloppé des soies d'un mamamouchi républicain tenter de terrasser son "ami de trente ans" dans l'arène du "peuple souverain"; et Jacques Chirac a pu monter sur le trône, soutenu en coulisses par M. Mitterrand. Fragile majorité que celle-là: une brise légère ayant paru favorable aux augures, une Assemblée nationale plus indocile et amère que jamais fut dissoute sur les instances de M. de Villepin - et les nouvelles élections ont porté derechef une gauche fatiguée au pouvoir.

5 - La sacerdotalisation de la magistrature

Le même scénario d'une cohabitation brinqueballante allait-il se reproduire une fois de plus? Verrait-on le candidat de la gauche à la présidence de la République vaincre le candidat de la droite? Nenni. Car un autre vice non moins inhérent à la Ve République, est soudainement apparu au grand jour: l'incroyable inculture historique et politique de la classe dirigeante post-gaullienne. Apprenez que M. Jospin ignorait tout des origines de la cité, qui naquit du combat contre la délinquance à Athènes au VIIIe siècle avant notre ère. Alors fut inventée la justice d'Etat, donc l'autorité coercitive dont la sévérité exemplaire a permis de substituer de force et par la terreur de la loi un droit pénal enfin efficace au règne désordonné et plus ou moins chanceux des vengeances privées. Puis une magistrature fière de sa férocité s'est peu à peu constituée en une caste privilégiée et auto-sacerdotalisée par la dignité auguste attachée au droit de vie et de mort sur tout le monde. Devenue à la fois arrogante et jalouse de conserver son statut paraclérical, la justice s'est peu à peu sacralisée et rendue intouchable pour retomber entre les mains des voleurs dont elle s'était libérée près de trois mille ans auparavant.

Alors des assassinats impunis et incompris de la gauche inculte des technocrates de l'ENA ont assuré le triomphe du bon sens populaire; et un Jean-Marie Le Pen a expulsé, le glaive des légionnaires d'Algérie à la main et avant le second tour de l'élection présidentielle, un Lionel Jospin égaré sur un champ de bataille étranger à l'éducation politique de la gauche. Comment un candidat ambitieux de se hisser au sommet de l'Etat peut-il ignorer que, depuis le Code d'Hammourabi des Assyriens, l'ordre public s'est révélé le fondement sine qua non de tous les Etats civilisés et que ledit "ordre public" est toujours du ressort d'une police couronnée de la tiare d'une classe de boulangers du pain bénit de l'endroit - celui de la Genèse ou du four des hosties qu'on appelle maintenant des idéalités?

6 - M. Sarkozy

Du coup, M. Chirac a été porté à la Présidence de la République par la vague de fond des citoyens affolés par le spectre de la tyrannie militaire. Mais le mal était fait: le prestige de la République gaullienne, selon laquelle un peuple d'experts-nés et inspirés par le dieu Liberté ferait descendre de l'Olympe de la démocratie un chef d'Etat dont tout le monde reconnaîtrait le génie au premier coup d'œil, se trouvait définitivement ruiné, du seul fait, évoqué plus haut, que les Républiques ne sont pas nées pour affronter les tempêtes de l'histoire et que le mythe d'une rencontre providentielle entre un homme éminentissime et un peuple de spécialistes de la géopolitique n'avait plus le sens commun. On n'enfante pas artificiellement et par calme plat les circonstances dramatiques qui seules permettent aux chefs d'Etat bien trempés de monter sur les planches de Clio. De même que M. Mitterrand avait profité de la chute du vent sur le théâtre du monde, M. Sarkozy a profité de la marée basse pour s'emparer en sous-main et sans coup férir du parti du Président en exercice. Il suffisait de prendre appui sur la majorité parlementaire du moment pour se trouver hissé au sommet de l'Etat.

Quel paradoxe qu'un Président de la Ve République sélectionné, en fait, par les notables grouillants dans les coulisses de l'Etat administratif, donc par une pléiade de fonctionnaires myopes et incrustés à vie dans les rouages de la bureaucratie, quel paradoxe, dis-je, que celui d'une candidature à l'usage d'un suffrage universel rendu d'avance docile à un Parlement truffé de ronds de cuir! Mais alors, comment une nation ne tomberait-elle pas entre les mains d'un aventurier audacieux et entré par effraction dans la classe des petits salariés de l'Etat? Le peuple semble conserver le premier rang, mais seulement sur la place publique, tandis que, derrière les décors, les organes de la IIIe et de la IVe Républiques se sont remis en place.

Mais à quoi bon s'exclamer: "Revoilà les machinistes de tout ce théâtre" si seules les catastrophes font monter sur la scène les chefs indispensables, mais dangereux, parce qu'ils ne se laisseront pas, hélas, renvoyer au soc de leur charrue pour avoir sauvé la République comme en passant et sans avoir reçu une récompense proportionnée au service rendu à la patrie.

7 - François Hollande

Mais la France a franchi une étape nouvelle avec l'élection de M. François Hollande; car maintenant, ce n'est plus un conquérant agité et lové au sein des engrenages de la classe dirigeante et d'un corps législatif gangrené qui s'est trouvé porté à l'Elysée par le bagout qui avait conduit M. Sarkozy à surprendre la bonne foi de sa proie - le suffrage populaire - mais un homme d'appareil et d'intrigues, un expert rompu à l'art d'arbitrer les petits conflits de personnes au sein d'un parti politique où la géopolitique n'a jamais sollicité sérieusement l'attention de personne. Ce néophyte allait débarquer de son petit nuage sur la scène internationale et conduire la France au Waterloo diplomatique le plus mémorable depuis des décennies, puisque la Russie et l'Amérique lui ont tourné le dos d'un même élan pour négocier en tête à tête un accord mondial sur l'avenir de la Syrie et de l'Iran. Qui aurait seulement imaginé qu'il reviendrait à la Ve République de rendre tout nominal le titre et le rang d'une France censée demeurer au Conseil permanent de sécurité aux côtés de la Russie, de la Chine, de l'Angleterre et des Etats-Unis?

Du coup, la question de l'incapacité constitutionnelle des Républiques de porter un homme d'Etat à leur tête en temps de paix rencontre le tragique de l'histoire des démocraties depuis Périclès. Car un Président qui ignorera l'art de la parole et qui ânonnera le français se révèlera inapte à exercer sa fonction, même s'il se trouve seulement hissé à la tête d'une petite démocratie parlementaire. M. François Hollande extrait du fond de son gosier des tronçons de phrases qu'il intercale entre de eeeeee embarrassés.

- Le retour du fléau des e e e e e e e, Un dialogue imaginaire avec M. Alain Rey, 30 octobre 2011

Le mimétisme des courtisans d'un trébuchement contagieux du langage a rendu foudroyante la progression de cette maladie. M. François Hollande sait qu'il n'y a pas d'autorité politique respectée et durable dans une démocratie si l'art de l'éloquence n'en est pas le vrai sceptre. Aussi a-t-il fait rédiger à la hâte et en vue de son intronisation un discours du Bourget hyper-gaullien, qu'il a fort bien déclamé et qui l'a fait débarquer instantanément sur la scène internationale, mais pour quelques heures seulement. Un homme d'Etat n'est pas un acteur insurpassable : seuls les gens de théâtre disaient du Général de Gaulle qu'ils n'étaient que des apprentis devant ce Talma.

Puis, à l'instar de M. Jospin, M. Hollande a pris un rendez-vous dramatique avec l'inculture des petits notables de la IIIe et de la IVe République.

8 - L'homme d'Etat face au réel

Avec François Hollande, une classe dirigeante qui a raté sa scolarité est devenue un acteur dont l'ignorance de la scène s'est rendue tellement visible aux yeux de la presse internationale qu'elle s'est révélée le protagoniste principal des échecs du gouvernement. Car il est apparu plus clairement encore, et aux yeux du monde entier, que l'histoire est le séminaire de la science politique de haut vol et qu'un dirigeant qui ne se trouvera pas informé du passé culturel et évènementiel de sa nation ne disposera en rien des instruments indispensables au grand jeu de l'action publique. Par définition, un homme d'Etat est porté par son inspiration naturelle à écouter les leçons de l'Histoire et à tirer les conséquences des tragédies du passé. Si Clio n'est pas lue et comprise comme l'institutrice de l'autorité des Etats, la science historique perd son pédagogue et tombe entre les mains des petits chroniqueurs.

Mais l'histoire enseignée aux enfants est nécessairement rédigée par de simples mémorialistes, et seulement aux fins de catéchiser une génération après l'autre, parce qu'on n'imagine pas l'instruction publique initier officiellement la jeunesse à la connaissance du timon des Etats et au pilotage des neurones du genre humain. On évangélise désormais le corps électoral à l'école des idéalités de 1789 comme on évangélisait hier l'écoute de l'histoire sainte. A la croisade rédemptrice de l'Eglise a succédé celle du mythe de la Liberté. Mais l'histoire de la psychogénétique de la politique se lit dans les écrits de Martial, de Pétrone, de La Fontaine, de Vauvenargues, de La Bruyère, de La Rochefoucauld - pour ne rien dire de Shakespeare, de Swift, de Cervantès et de Molière. C'est pourquoi la connaissance politique de l'humanité conduit tout droit à une anthropologie dont seuls les grands dramaturges des nations ont posé les fondements. M. Hollande ne sait pas davantage que M. Sarkozy que les peuples ont une identité et qu'un Etat ne saurait allait camper en Robinson Crusoé sur une île perdue au milieu de l'Océan.

On ne bouscule pas l'identité multimillénaire d'un peuple à demander subitement à trente six mille maires de courir marier entre eux des mâles et des Sapho et de donner en toute innocence des enfants à élever à des Paul et Virginie du même sexe. Vingt mille officiers ministériels se sont dressés contre un Etat qui met les institutions et toute l'autorité publique au service d'une alliance du grotesque avec le burlesque et de l'ubuesque avec le guignolesque. Qu'adviendra-t-il d'un chef d'Etat qui ne se demandera même pas ce qu'il arrivera demain à la nature des choses et aux lois du monde qu'il aura violées, mais nullement terrassées avec le seul secours d'un vote parlementaire d'occasion et d'une loi artificiellement portée sur les fonts baptismaux d'un semblant de démocratie. Comment ignorer que l'adversaire est seulement rendu plus fort par des défaites tout apparentes et seulement momentanées?

9 - La généalogie des civilisations

Mais la fatalité politique, qu'on appelle également le destin, présente le triste privilège de faire choir les institutions dans une illustration spectaculaire et caricaturale de l'abîme qui, dans les décadences, sépare progressivement et inexorablement une classe dirigeante inculte de la classe instruite et initiée aux savoirs rationnels.

Car, depuis 1945, la nouvelle ignorance de l'Etat est le fruit de la victoire des démocraties idéalisées par leur vocabulaire. Les abstractions montent dans les nuages et y deviennent mythologiques. La défaite de deux tyrannies, le nazisme et le stalinisme, a entraîné une régression mondiale et durable du réalisme politique le plus élémentaire. Un fossé infranchissable s'est creusé entre des sciences humaines en cours d'élaboration de leur problématique depuis des décennies et une idéologie des droits d'une humanité supposée universelle, donc insaisissable dans sa spécificité séraphique, parce que fondée d'avance sur des bénédictions de plus en plus évangélico-verbifiques. Le parfum auto-bénédictionnel des démocraties angélisées et le déversement de l'encens d'un humanisme hyper-conceptualisé a trouvé son expression la plus creuse dans une législation parfumée par ses abstractions. Des Etats censés rationnels se trouvent contraints de béatifier sur leur sol des hordes de pillards qualifiées de pan-européennes et connues, depuis des siècles, pour viscéralement erratiques.

C'est ainsi qu'une "liberté" canonisée ea été accordée à des "citoyens" artificiellement réputés intégrés au Vieux Monde. Cette grâce paroissiale a été soudainement déclarée inaliénable, alors qu'il s'agit de tribus inaptes à la sédentarisation depuis le paléolithique. On sait que la domiciliation tardive des évadés partiels de la zoologie n'a été possible qu'en raison de la découverte de deux fixatifs psychobiologiques, l'élevage et l'agriculture. Mais, à l'époque, le déferlement de tribus demeurées vagabondes et guerrières sur des campagnes maintenant habitées en permanence a contraint les premiers agriculteurs à peine enracinés sur leurs arpents à construire des cités fortifiées. En cas de danger, les implantations de semeurs et de moissonneurs trouvaient refuge dans ces premières casemates. Puis les défricheurs de leurs lopins se sont assurés de la protection militaire des petites agglomérations urbaines, qui se forgeaient déjà des armes standardisées; et des troupes robustes ont été recrutées dans la jeunesse campagnarde.

10 - La classe du savoir et de la parole

Quelle aventure nouvelle ! Parallèlement à une civilisation désormais nécessairement scindée entre ses champs et ses remparts, la diversification des métiers n'allait pas tarder à enfanter une classe du savoir et de la parole publique. La culture est née de la proximité entre les us et coutumes du monde rural et les loisirs naissants que procurait à quelques-uns une aisance financière indispensable aux études. De Sénèque à Montesquieu, de Caton à Montaigne, de Xénophon à Tocqueville, des propriétaires fonciers modestes ou richissimes sont devenus des lettrés et des savants. Mais les écoles d'éloquence des Grecs étaient déjà les foyers d'une "culture générale", parce que l'administration des cités exige un regard panoptique et pluridisciplinaire auquel seule la maîtrise de l'écriture pouvait servir d'instrument. Puis, huit cents environ avant notre ère, la cité grecque est parvenue, comme il est dit plus haut à fonder la justice pénale sur des écrits panoramiques et centralisés sous la poigne d'un Etat en voie de bureaucratisation.

Sous l'empire romain, ce n'étaient pas seulementAlexandrie ou Pergame, mais les villes les plus moyennes de la Grèce qui s'étaient dotées de bibliothèques municipales et les grands sophistes étaient devenus des encyclopédistes itinérants qui couraient d'une ville à l'autre faire valoir leurs performances de chefs d'orchestre de la langue grecque. Quelques siècles plus tard, les premières universités ont permis de fonder des phalanges de professionnels et d'éducateurs. Au Moyen Age, on y enseignera la théologie, mais également la médecine, le droit et les rudiments des mathématiques. Puis, à la fin du XVIIIe siècle seulement, les "grandes écoles" imaginées par la Révolution française dans un esprit anticlérical ont armé pour la première fois la civilisation de légions de savants exclusivement consacrées à faire progresser les sciences exactes les plus spécialisées et les plus réservées par leur nature même à des talents rares et sévèrement triés, de sorte qu'à la pratique assidue de l'éloquence et au culte des Lettres s'est ajouté le moteur universel d'un monde de cerveaux séparés de la population et inconnus de l'espace public.

11 - Les Tziganes et la France de la parole

Mais, à la suite de la défaite des tyrannies rappelées plus haut, un tabou nouveau et protégé par l'orthodoxie de type démocratique a interdit, en fait, aux sciences humaines l'étude rationnelle, désormais qualifiée de sacrilège, des peuplades demeurées en retard de dix millénaires sur les fruits de la sédentarisation de l'espèce et sur l'invention de la première des sciences, l'agriculture. Du coup, le mode de vie des Tziganes a été baptisé de "culture" et protégé de l'observation scientifique. Mais il est bien évident que le niveau cérébral moyen des survivants du paléolithique demeurés rebelles à l'apprentissage de l'agriculture et à l'alphabétisation est nécessairement d'un étiage inférieur à celui de l'humanité sédentarisée depuis cinq cents génération, parce que l'initiation à une langue écrite, rythmée et ouverte au maniement artistique et musical du discours a nécessairement développé et diversifié le capital génétique d'une espèce encore rudimentairement sonorisée et l'a rendue globalement plus apte à récolter les moissons des Lettres, des arts et de la parole publique.

Bien plus, seule une psychobiologie demeurée impropre à l'usage de la parole stylisée et au génie des prosateurs et des poètes a pu résister à l'individualisation de la pensée. La Ve République tombera-t-elle dans un nouveau Moyen Age? Dans une démocratie où le fossé culturel entre la classe des savoirs et les masses incultes ne cesse de s'approfondir, la parole se gangrène jusqu'au sommet de l'Etat; et l'on assiste au spectacle d'une haute classe dirigeante qui ânonne le français comme les moines ânonnaient le latin dans les monastères.

12 - Une vérification expérimentale

Une famille de Tziganes se réclamait abusivement du statut des réfugiés politiques. Reconnue inassimilable, elle a été expulsée vers son Kosovo natal par le Ministre de l'Intérieur après quatre ans de vains efforts d'intégration - et un coût d'un demi million d'euros à l'Etat. Des lycéens sont alors descendus dans la rue afin de protester de la présence, dans le lot, d'une certaine Léonarda, une Tzigane qui n'acceptait de se trouver scolarisée qu'un mois sur trois et qui, à l'âge de quinze ans, alignait quatre ou cinq fautes d'orthographe à chaque ligne. La presse s'était apitoyée sur son sort; et l'on avait vu le Premier Ministre lui-même, un ancien professeur d'allemand auquel son apprentissage de la langue de Goethe n'avait sans doute pas laissé le loisir d'approfondir sa connaissances de l'histoire des civilisations, avait jugé de bonne gestion de faire revenir toute la famille afin de calmer un tollé juvénile. Puis le secrétaire général du parti socialiste avait émis le même avis.

Enfin, le Président Hollande en personne avait tenté de dialoguer à la télévision avec la "victime". Naturellement, celle-ci avait profité de l'aubaine et lui avait répondu sur le ton le plus grossier et le plus inculte. Du coup, l'approbation populaire de la politique du Président est tombée en quelques heures à un quart du corps électoral, tandis que le Ministre de l'intérieur, un homme de simple bon sens, récoltait trois cinquièmes d'opinions favorables, tellement le peuple assistait, abasourdi, à la chute de la République dans une débilité mentale incompréhensible à la moyenne des Français.

13 - Le retour de l'octroi

Mais, dans le même temps, un autre délire administratif déclenchait l'insurrection du peuple breton tout entier, le retour à l'octroi, impôt qui rendait à nouveau payants les routes et chemins que la Révolution avait ouverts à la liberté et à la gratuité de la circulation des chars, charrettes, chariots, berlines, basternes et diligences. Or, la révolte présentait la nouveauté de faire basculer deux siècles du vocabulaire courant de la démocratie et de la République dans la langue de la royauté abolie en 1789: il s'agissait de rien moins que d'une jacquerie, comme le Ministre de l'intérieur l'avait tout de suis compris: les citoyens arboraient subitement le bonnet rouge des paysans qui, en 1675, s'étaient insurgés contre les fermiers généraux de Louis XIV avides de multiplier les taxes et les impôts sur les binards, diables éfourceaux, fardiers, guimbardes, ribaudequins et triqueballes.

Qui aurait seulement imaginé que la concentration du pouvoir politique et de toute l'autorité de l'Etat démocratique entre les mains des financiers et des caissiers de la République conduirait tout droit la France au renversement, jusque dans les campagnes, de références langagières assimilées et que, dans toutes les bouches, le langage de la monarchie se trouverait en mesure d'exprimer le rejet du despotisme moderne dans toutes les têtes? La Ve République agonisait parmi les symboles, les images et les signes vocaux du passé, tellement la politique fait habiter les peuples et les nations dans l'univers mental de leur parole.

L'inculture de Lionel Jospin l'avait fait buter sur sa méconnaissance des fondements politiques de la civilisation des cités du droit; l'ignorance de M. Hollande aura fait trébucher la République sur son ignorance des relations que le langage naturel et coulant d'un chef d'Etat cultivé entretient avec sa nation. Toute politique prend appui sur un vocabulaire officialisé, mais celui des démocraties n'est pas davantage celui du carcan administratif de l'Etat que celui du monarque ne solennisait le français et ne le guindait d'un maniérisme de cour. Si Périclès n'avait été un orateur audible à toutes les oreilles, sur quel instrument se serait-il appuyé? M. Hollande est le premier Président de la République qui ne maîtrise pas la langue française dans sa coulée naturelle et qui ne la prononce que hoquetante, hésitante et titubante, comme il est rappelé ci-dessus.

- Le retour du fléau des e e e e e e e, Un dialogue imaginaire avec M. Alain Rey, 30 octobre 2011

Les écrits de Salluste, de Tacite, de Cicéron, de Tite-Live commencent par résumer les étapes de la lente évasion du genre humain du règne semi animal des "gentes feroces" et des peuples "religiosi et agrestes". Mais comment la lutte parallèle contre le racisme hitlérien et l'évangélisme armé jusqu'aux dents des marxistes a-t-elle pu faire tomber la politologie scientifique dans une déliquescence mondiale telle que les pénalistes eux-mêmes ignorent l'histoire des premiers siècles de l'histoire de l'humanité et qu'aucune intelligentsia ne rappelle au peuple français par quelles étapes les fuyards du règne animal ont passé pour se trouver actuellement à mi-chemin de la cérébralisation que leur évolution leur assigne?

14 - La course à l'abîme

Le 5 novembre, les bonnets rouges bretons ont adressé à l'Etat un ultimatum qui expirait le lendemain à midi. Même une république exsangue ne pouvait répondre que par l'affichage d'une fermeté illusoire. Du coup, la révolte illustrait encore davantage le gouffre qui sépare le séparatisme régionaliste du tragique de la géopolitique contemporaine: si les bonnets rouges persévèrent à focaliser leur combat sur leur refus de payer l'octroi, ils conserveront leur symbolique et concentreront leurs tirs sur un Etat isolé et pleinement responsable d'un rétablissement incongru des péages d'autrefois; et s'ils étendent leurs critiques à la plaie du chômage, ils élargissent et approfondissent leur champ d'action, mais ils diluent les responsabilités particulière de la Ve République dans une critique du mondialisme, alors que l'opinion publique française et européenne demeure à des années-lumière d'une conscience politique à l'échelle de la planète.

Comment initier les bonnets rouges aux arcanes d'une civilisation occupée par cinq cents bases militaires américaines soixante-dix ans après la fin de la dernière guerre mondiale, comment évoquer l'incapacité du Vieux Monde d'insuffler une volonté politique commune à un continent privé de vision et trop diversifié par son histoire, ses langues, ses mœurs, ses disciplines budgétaires, la dimension de ses nations, la diversité de ses lucidités, de ses civismes régionaux et de ses mentalités pour seulement évoquer le naufrage des décadences? Si Anne de Bretagne revenait sur cette terre, elle ne saurait porter un regard sur l'horizon et donner une inspiration, un avenir et un élan partagés à une civilisation amputée de sa mémoire et qui court vers l'abîme un bandeau sur les yeux.

Reçu de l'auteur pour publication

 

 

   

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/

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