Les élections présidentielles et
l'expression de la vérité politique
La France et la
liberté de pensée
Manuel de Diéguez
Manuel de
Diéguez
Dimanche 8 avril
2012
1 - L'espèce
humaine est-elle gouvernable ?
Longtemps l'espèce simiohumaine s'est
demandé comment il lui fallait se
gouverner. La pensée politique en était
venue à la conclusion que si nous
choisissions de nous laisser diriger par
des rois, le danger à éviter était celui
de la chute du monarque dans la
tyrannie; que si nous décidions de nous
fier au régime démocratique, le péril
qui nous menaçait était de tomber dans
la démagogie et que si, en désespoir de
cause, notre résignation allait jusqu'à
placer les meilleurs d'entre-nous à
notre tête, nous nous retrouvions pieds
et poings liés au despotisme d'une caste
de privilégiés bien décidés à se
reproduire de génération en génération
au seul profit de leur propre
descendance.
Cette
politologie pessimiste, mais non
désespérée, nous laissait encore une
maigre chance d'apprendre à nous piloter
sagement sur la terre: il existait de
bons rois, des oligarques honnêtes et
des peuples relativement réfléchis.
Mais, depuis que le régime démocratique
règne sur le monde entier, l'optimisme
des ancêtres a pris du plomb dans
l'aile, parce qu'il apparaît que le
règne d'une liberté universelle, mais
privée de contours, nous livre tour à
tour à deux catastrophes politiques
aussi fatales l'une que l'autre, le
populisme décervelé et la médiocrité
notabiliaire.
2 - A la
recherche d'un télescope
En
vérité, le spectacle de l'agonie de
l'empire romain aurait pu inspirer à
Tacite une réflexion préanthropologique
sur la politique; et Galba l'a
explicitée en filigrane dans son
discours à son fils adoptif, le vertueux
Pison, son amant. Mais aujourd'hui, la
politologie mondiale subit une mutation
radicale de sa problématique et des
paramètres qui la régissaient depuis
Solon et Lycurgue; car si le monde s'est
rétréci et si la sottise des fausses
élites se donne maintenant en spectacle
à l'échelle des cinq continents, il
faudra se décider à observer notre
espèce de l'extérieur. Mais comment
aller de ce pas installer sur Sirius le
télescope qui seul nous permettrait de
connaître et de comprendre les obstacles
psychogénétiques qui nous interdisent de
jamais acquérir une vraie science de
notre navigation dans le temps? Tout se
passe comme si le grossissement du
volume de notre tête nous avait privés
des ressources de l'instinct qui sert de
boussole aux animaux: les loups, les
fourmis ou les abeilles se stabilisent à
l'école de leurs neurones, tandis que le
simianthrope ne semble pas disposer des
antennes intellectives qui permettraient
à ses gènes de tracer sur "l'océan des
âges" des sillages à l'épreuve des
caprices du destin.
Aussi
une politologie et une science
historique mondialisées se
placeront-elles sous le sceptre d'une
seule et même raison, celle d'une
anthropologie en mesure d'observer le
pithécanthrope au microscope et au
télescope réconciliés. Mais on
s'interroge sur le sort de la classe des
nouveaux savants de la politique. On
soutient tantot qu'ils seront engloutis,
noyés ou asphyxiés par la masse aveugle
de leurs congénères, tantôt que leurs
lunettes auront des chances d'aller
chausser le nez des myopes.
3 - Le
pain du fabuleux et du fantastique
Le
premier pas d'une méthode qui se
mettrait en marche dans l'enceinte ou
l'arène d'une anthropologie heuristique,
donc critique, sera de découvrir les
raisons psychobiologiques pour
lesquelles l'aveuglement et la sottise
prennent nécessairement le pas sur les
conquêtes de la lucidité au sein d'une
espèce pourtant cérébralisée à marches
forcées par l'affinement de son
vocabulaire et par les progrès constants
de son outillage.
Il
apparaît alors clairement que
l'encéphale du simianthrope a grand
besoin de sécréter des carapaces
mentales dont l'autorité s'exercera en
retour sur sa propre masse afin de lui
servir à la fois de cuirasses
changeantes et d'instruments d'une
cohésion toujours précaire. Le ciment de
la discipline sociale et de la
collectivisation de la multitude est
toujours friable. Rien de plus soluble
dans l'anarchie que la coagulation et le
durcissement sporadiques des divers
spécimens de ce bimane. De plus,
l'impérieuse nécessité de se rassembler
dont dépend la survie même du
pithécanthrope se retourne bientôt
contre ses intérêts à long terme, parce
que le nivellement des neurones de ce
mammifère paralyse l'intelligence
prospective de ses spécimens les plus
surplombants, lesquels se montrent de
plus en plus étonnés, les pauvres, de se
trouver en si mauvaise compagnie. Car
ceux-là se révèlent non seulement
audacieux, mais prompts à emprunter des
chemins de traverse, alors que les
raccourcis que prennent les minorités
réflexives sont souvent nocifs aux
intérêts à court terme des majorités.
Les guerres de religion fournissent de
nombreux exemples de ce phénomène:
l'autorité dogmatique d'une classe
ecclésiale relativement nombreuse et
profondément ancrée dans toutes les
couches des sociétés simiohumaines était
parvenue, des siècles durant, à imposer
la croyance unanime selon laquelle un
homme serait ressuscité, que sa mère
aurait été fécondée du haut des nues et
que sa virginité aurait résisté jusqu'à
sa mort à ses accouchements successifs.
Puis,
une maigre phalange d'encéphales
étrangers au groupe a mis des
générations à fissurer la carapace du
mythe solidificateur de la boîte osseuse
dont la communauté se partageait la
corne. On voit que les individus
allogènes à leur espèce se perpétuent à
leur tour et finissent par fendre la
cuirasse cérébrale de leurs faux sosies.
Quand l'armure mentale du vaincu s'est
brisée en mille morceaux, ses débris
traînent longtemps encore sur le sol et
personne ne songe à les ramasser et à
les jeter au rebut.
4 -
L'anthropologie expérimentale
Mais
l'autorité que le simianthrope-modèle de
chaque époque exerce sur son propre
encéphale massifié ne suffit pas à
expliquer ses croyances religieuses les
plus durables; car il se produit une
rencontre spontanée de la masse
psychique du groupe avec les royaumes
jumeaux qu'il sécrète dans son ciel, de
sorte que les deux lobes cérébraux font
bientôt un seul corps cérébral sur la
terre. Mais, dans le même temps, ces
édifices mentaux, d'abord réunis par un
effet de leur cécité même, répondent
également et de conserve à une utilité
politique aussi permanence
qu'impérieuse. Alors on voit cette bête
schizoïde se transporter réellement, si
je puis dire, et à titre héréditaire
dans des mondes bipolaires à leur tour,
tellement elle a besoin de prendre appui
sur sa propre effigie gigantifiée et
hissée dans un fabuleux et un
fantastique soustraits à l'éphémère.
Les
précipités cérébraux collectifs dont le
simianthrope biphasé se réclame dans
l'imaginaire se rendent d'autant plus
observables à l'œil nu qu'ils se
parcellisent, se localisent et
paraissent ne plus exercer qu'une
autorité diminuée sur une population.
Exemple: le 19 janvier de chaque année,
le sang noir et durci de saint Janvier,
qu'on conserve d'un millésime à l'autre
dans une ampoule à miracles est censé se
métamorphoser en hémoglobine écarlate
dans l'église San Gennaro de Naples. De
surcroît, le prodige du rougissement des
hématies régénérées du saint est réputé
se théâtraliser sous les yeux d'un
notaire apostolique. L'huissier de ce
prodige se trouve explicitement
cautionné par l'autorité suprême du chef
de l'Eglise romaine. La foule pieusement
conviée à assister à l' exploit d'un
magicien du christianisme n'imagine pas
un instant que cette cérémonie serait
solennellement mise en scène dans les
ateliers de la sanctification
sacerdotale, alors que la sorcellerie
crève les yeux.
De plus,
le notaire du fantasme feint d'attendre
patiemment que le miracle veuille bien
se produire dans la fiole. L'angoisse
grandit parmi les assistants; on craint
que le préposé chargé de vérifier le
contenu de l'ampoule ne constate
l'indocilité des globules rouges de San
Gennaro à honorer leur rendez-vous
annuel avec l'encéphale collectif décrit
ci-dessus. Le tabellion informe minute
par minute le public du retard du
canonisé. Si Dieu interdisait le
débarquement du sang frais de
l'immortel, ce ne serait pas sans
raison. Que d'expiations à préparer !
Enfin, le notaire de Dieu annonce que le
phénomène attendu s'est produit et la
foule jubile. Que de pénitences évitées
de justesse!
Mais si
la naïveté du peuple napolitain n'était
pas peu ou prou partagée par la candeur
innée du simianthrope, toutes les
nations rationnelles de la terre
seraient prises de fou-rire au spectacle
de la crédulité et de la simplicité
d'esprit des Napolitains; et s'il
subsistait le moindre doute dans
l'esprit des savants du monde entier de
ce qu'il s'agit évidemment d'un
subterfuge, on verrait des dizaines de
laboratoires vérifier sérieusement et
sur les cinq continents des échantillons
ahurissants du contenu de la fiole des
tricheurs. Or, il n'en est rien; et si
aucun anthropologue ne songe à observer
le contenu stupéfiant de l'encéphale
dédoublé du genre simiohumain, c'est bel
et bien parce que le prodige, si dément
qu'il soit, répond à un besoin vague et
confus, mais universel de toutes les
boîtes osseuses de cette espèce de
délirer dans l'éternité. La réflexion
politique sur les relations que
l'autorité du groupe entretient avec ses
dévotions couronnées dans les nues se
révèle donc la clé de la
simianthropologie historique et de la
politologie démythifiée qu'appelle
l'avènement mondial du régime
semi-rationnel des pseudo-démocraties.
5 - Le miracle du
11 septembre 2001
Mais la
question nouvelle qui se pose aussitôt
aux premiers méthodologistes d'une
anthropologie critique réellement
distanciée et universelle est celle de
savoir si le principe d'autorité pèse
également et de tout son poids sur la
pensée scientifique du simianthrope. Les
connaissances vérifiables dont la raison
expérimentale se prévaut et qui se
réduisent à des constats se
trouvent-elles soustraites ipso facto au
joug du sacré? A ce titre, l'examen
raisonné des conditions matérielles qui
ont présidé à l'effondrement des tours
du World Trade Center de New-York le 11
septembre 2001 fournissent un matériau
d'observation précieux et irréfutable
aux analystes du fonctionnement
religieux du cerveau simiohumain, parce
qu'aucun architecte et aucun physicien
ne soutiennent que la collision entre un
avion rempli de kérosène et la masse
d'acier et de béton d'un building de
cent huit étages en chaufferait
instantanément l'armature métallique
enrobée d'amiante et en provoquerait
l'effondrement en quelques secondes
seulement. Et puis, des caméras ont
enregistré la succession d'explosions
visiblement préparées qui se sont
déclenchées du haut en bas de l'immense
édifice. Enfin, un troisième building
situé à proximité des deux premiers
s'est effondré non moins subitement sans
qu'il eût subi le choc d'aucun corps
volant. Du reste, les locataires en
avaient été avertis, puisqu'ils avaient
été évacués. Mais M. Cheminade, candidat
à la présidence de la République, s'est
vu traiter d'affabulateur éhonté par la
journaliste qui l'avait invité à
France-Inter, parce qu'il réfutait
l'interprétation confessionnelle de
l'évènement que professe le gouvernement
américain depuis onze ans et six mois.
Or, cette lecture bat de l'aile dans le
monde entier, sauf au pays de Descartes
et de Voltaire.
On voit
que l'expérience scientifique, même
observée en grandeur nature, n'échappe
au mutisme du cosmos qu'à la lumière des
signifiants les plus divers que le
simianthrope ne cesse de projeter sur la
réalité filmique. Ce sont donc les
divers codes de déchiffrement de
l'évènement qu'une anthropologie
universelle doit tenter de
radiographier.
6 - Un
monde enchanté
Par
quels rouages et engrenages d'origine et
de nature psychobiologiques des millions
de simianthropes ont-ils vu, de leurs
yeux vu, ce qui s'appelle voir une
titanesque affabulation de type civique
et patriotique se plaquer a priori sur
l'expérience enregistrée sur la
pellicule par les caméras du monde
entier et pourquoi ces mêmes
simianthropes, ont-ils pourtant exprimé
la plus vive indignation qu'on osât
outrager la grille de lecture plaquée
sur l'évènement par les organes
officiels de communication de masse à la
disposition de tous les Etats pseudo
rationnels de la planète? Quels sont les
ressorts mécaniques du respect inné
qu'éprouvent les neurones del'humanité
tout entière pour une autorité publique
toujours catéchisée en sous-main et
comment se fait-il que ce type de
prosternation à la fois para ecclésiale
et laïque s'articule avec les
allégations, plus spectaculairement
mythologiques encore, qu'affichent les
dogmatiques religieuses?
Car les
grilles de lecture du simianthrope
attendent quelquefois des siècles avant
de parvenir à durcir la carapace mentale
de l'espèce. Si la crucifixion du Christ
avait été filmée, la pellicule aurait
attendu un demi-millénaire pour se
trouver provisoirement déchiffrée au
concile de Chalcédoine en 450; et dix
huit siècles pour qu'avec Hume et Kant
la succession des causes et des effets
censée se produire au sein de la matière
renvoient l'encéphale humain à la
découverte que la causalité est un totem
enraciné seulement dans les têtes et
qu'elles n'existent pas sous la lentille
des microscopes. Le simianthrope
s'agenouille donc devant des synthèses
mentales qu'il déclenche dans sa
cervelle.
Aujourd'hui, les évènements historiques
se trouvent pré-interprétés à l'écoute
des mégaphones de la démocratie qu'on
appelle des idéalités. Mais dans les
religions, les prodiges de
l'interprétation schizophénique du monde
sont désormais prudemment proclamés
invisibles, du moins depuis que les
trois monothéismes ont appris à cacher
au regard de leurs fidèles les miracles
physiques sur lesquels ils prennent
appui, tandis que le 11 septembre 2001
filme en direct le miracle idéologique
et le miracle physique censés se
confondre.
Si vous
attestez que le pain et le vin de la
messe demeurent inchangés sous la
lentille des microscopes, si vous
constatez de visu que cet aliment et
cette boisson résistent aux paroles
réputées métamorphosantes de la
consécration que dévide le magicien de
ce culte, l'Eglise vous rétorquera
beaucoup plus astucieusement que les
devins antiques: ce miracle dira-t-elle
n'est pas perceptible avec des yeux de
chair. Seuls ceux de la foi sont
opérationnels. Il en est de même du
principe de causalité.
7 - Nos cuirasses
de substitution
C'est
qu'à l'instar des plus grands écrivains,
la croyance religieuse n'a pas froid aux
yeux: Cervantès prête un corps, une
voix, une ossature et une silhouette
immortels à un tableau symbolique du
rêve chrétien aux prises avec la folie
et la noblesse mêlées de l'humanité. La
vocation de la politique de consolider à
son tour l'identité onirique d'une
population par la substantification de
signes et de signaux collectifs chargés
de protéger l'encéphale commun des
agressions de l'extérieur se révèle de
même facture que dans le cas, relaté
plus haut de l'apparition fabuleuse, le
19 janvier de chaque année, du sang
frais de saint Janvier dans l'église San
Gennaro de Naples: il s'agit de coller
sur un évènement imaginaire l'autorité
interprétative qu'exerce le mythe
religieux à titre de Sésame.
La
physique classique projetait à son tour
un mythe "explicatif" sur le cosmos,
mais de type idéel, celui d'un
causalisme téléguidé par le concept de
causativité des causes. Du coup, les
évènements matériels constants, donc
exploitables, passent pour habités par
une idéalité loquace, le causalisme.
L'intelligibilité qu'élaborent les
neurones du simianthrope est une
construction mentale profitable dans
l'ordre politique et religieux
inextricablement confondus.
Mais
voyez maintenant comment l'esprit
onirique du simianthrope confère son
identité rêvée à une humanité animalisée
de naissance à l'école de sa propre
effigie collective, ce qui permet aussi
bien au corps patriotique des
démocraties qu' au corps sacerdotal de
l'Eglise de s'identifier dévotement à sa
propre image fantasmée et de la hisser
dans un ciel de mots sotériologisés
d'avance. Ce transfert de la scène de la
rédemption théologique dans celle de la
rédemption idéologique se place
désormais au cœur des nouvelles
narrations évangéliques et salvifiques.
Celle du 11 septembre 2001 relate un
évènement exclusivement matériel, donc
dûment observable en tant que tel, mais
aussitôt dévoré par la machine à
métamorphoser les faits en signaux de
leur signification. Le prodige
interprété au sein des démocraties est
censé avoir été réceptionné physiquement
par des millions de rétines endoctrinées
à la lecture d'un bréviaire universel,
celui que des évangélistes de la Liberté
ont rédigé en 1789. L'œil simiohumain se
laisse ensorceler depuis deux siècles
par des apôtres de son effigie
démocratique comme il l'était hier par
les catéchètes d'une potence apostolique
à la fois figurée et de bois sec.
8 - Le cénotaphe
de la démocratie
La
raison, comme il est dit plus haut, en
est que la politique et la religion
chosifient le symbolique côte à côte.
Alors seulement une autorité publique
falsifiée par les missels de la laïcité
parvient à écouter ses propres
récitatifs béatifiques sur le modèle
d'un transport du monde dans une
sotériologie verbale. Que raconte don
Quichotte à l'interlocuteur onirique
qu'il est à lui-même, c'est-à-dire à
l'effigie cérébrale qui l'habite? Il se
narre les merveilles mythologiques et
les enchantements dont Dulcinée du
Toboso se pare dans son imagination.
Mais cette imagination se révèle
concrétisée et célestifiée dans le même
creuset.
C'est ainsi que les discours séraphiques
que les dévots attribuent ici à leurs
divinités et là à leurs idéalités
magnifiées jouent le rôle de globes
oculaires magiques. L'un et l'autre - le
terrestre et le céleste - semblent
indispensables à la survie d'un animal
nourri de ses songes biphasés sur la
terre et dans les nues, parce que la
nature l'a cruellement dédoublé de
naissance entre le monde physique et
celui de ses rêves tout ensemble récités
et vaporisés.
Tout se
passe comme si les armes offensives et
défensives de cet animal schizoïde
s'étaient égarées en cours de route,
tout se passe comme si le naufrage des
dentures, des cornes et des griffes des
grands carnassiers avaient laissé ce
fauve orphelin, tout se passe comme s'il
se construisait des temples bibliques ou
civiques à l'usage des paroles censées
transsubstantifiantes que la démocratie
césarisée est maintenant réputée
prononcer en lieu et place de l'Eglise.
Le sceptre du ciel est passé aux mains
des idéalités de la démocratie. Mais
c'était déjà à l'image de san Gennaro
que don Quichotte s'était construit
l'édifice conceptuel que le monde entier
met maintenant au service des
abstractions pseudo salvifiques dont se
nourrissent les chevaliers errants de la
liberté. La Dulcinée du Toboso des
modernes repose dans le cénotaphe de
1789. Du coup, l'ironie de Cervantès et
celle de Socrate se rejoignent dans un
décryptage anthropologique partagé non
seulement du sacré républicain et
napolitain confondus, mais du sacré
épistémologique qui pilotait la physique
classique.
9 - Le coût du
principe d'autorité
Mais,
dira-t-on, la bête au cerveau bipolaire
décrite ci-dessus ne saurait immoler à
ses songes jusqu'à ses intérêts
industriels et commerciaux les plus
pressants; puisque ses songes
démocratiques et ses sotériologies
religieuses sont apprêtés en commun dans
un seul creuset, celui de la déclaration
universelle des droits de l'homme et du
citoyen. Quand une catastrophe atomique
condamne le simianthrope à se procurer
de l'électricité à un prix d'achat de
ses combustibles plus élevé que celui
dont ses réacteurs nucléaires civils lui
assuraient le bénéfice, vous ne le
verrez pas, vous direz-vous, appeler à
son secours des matières fort chères,
telles, primo, que le vent, qui
ferait tourner des éoliennes
dispendieuses, secundo, le gaz,
qui ne changerait pas à bon marché l'eau
bouillante en vapeur mise sous une
pression hautement rentable dans
d'immense cocottes-minutes, tertio,
le charbon, quarto, le pétrole,
quinto l'énergie solaire et tutti
quanti. Car ces matériaux consumables
sont moins calorigènes que la fission
automatisée de l'uranium enrichi et
porté à sa "masse critique".
C'est dire que si les locomotives à
vapeur du XIXe siècle permettaient déjà
de transporter des centaines de milliers
de tonnes à cent vingt kilomètres à
l'heure de Paris à Bordeaux, de
Strasbourg à Rome ou de Berlin à
Vladivostok, il s'agit maintenant de
faire fonctionner à bas prix des
locomotives sédentarisées, qu'on appelle
des centrales à vapeur et qui
s'apprêtaient, à Flamanville, à produire
de l'électricité par le relais du
nucléaire civil, lequel aurait changé en
une vapeur placée sous une pression
énorme l'eau en ébullition dans de
gigantesques réservoirs.
Il est
évident que tout simianthrope devenu
relativement réflexif se dira,
premièrement, que la puissance motrice
dégagée par la vapeur sédentarisée
exercera nécessairement une puissance de
dilatation limitée par la résistance de
la cuve; secondement, que la pression
disruptive de la vapeur sur les parois
des réservoirs obéira à une progression
géométrique, donc exponentielle, ce qui
la fera croître à l'infini, tandis que,
dans le même temps, le combustible
utilisé à cet effet ne sera dépensé que
selon une progression arithmétique;
troisièmement, que la disproportion de
plus en plus titanesque entre l'énergie
produite sur le mode hyperbolique par la
vaporisation de l'eau, d'une part et la
quantité d'énergie utilisée pour porter
cette eau à ébullition, d'autre part,
que ce décalage, dis-je,courra vers
l'infini. On n'achètera plus de
combustibles coûteux, on économisera une
portion minime de l'énergie que dégage
la vapeur d'eau sous pression, afin de
rentabiliser l'immense surplus qui
produira de l'électricité à bas prix;
car la résistance des cuves ancrées en
terre serait cent fois supérieure à
celle des cuves roulantes qu'étaient les
locomotives à charbon d'autrefois.
Comment
le cerveau du simianthrope asservi à la
pression de la double autorité - la
politique et la religieuse confondues -
que sécrètent ses neurones orphelins du
griffu assure-t-elle le service après
vente chaque fois que cette espèce se
met à chercher en tous lieux des moyens
stupides et compliqués de se procurer de
l'énergie gratuite, alors qu'il l'a sous
les yeux? Cette fois-ci, la classe
savante dont disposent les Etats
modernes va se rebiffer, pensez-vous,
tellement elle se sentira outragée qu'on
prétende lui faire oublier que deux plus
deux font quatre depuis belle lurette.
Comment la ferez-vous renoncer
soudainement aux principes élémentaires
de la physique mathématique, comment
vous obstinerez-vous à satisfaire les
groupes de pression qui s'ingénient à
enrichir les industriels au détriment de
l'intérêt général et dont les services
sont si bien rémunérés? Que se
passe-t-il quand le principe d'autorité
n'enrichit plus les clergés somptueux
d'autrefois, mais des groupes de
pression indifférents au bien public et
qui fonctionnent en circuit fermé?
10 -
La parole de vérité sous la caméra
Pour le
comprendre, il faut observer le tracé de
la frontière que le principe de cécité (principium
caecitatis) ne saurait faire
franchir impunément à la scolastique du
principe d'autorité. Vous ne me ferez
pas croire qu'on cessera de protéger
l'éthique de survie du groupe, celle qui
met en place les fondements mêmes des
sociétés simiohumaines et qui
conditionne le surgissement et la
consolidation des identités collectives.
Mais l'expérience du contraire a été
faite dès 1963 par un savant américain,
M. Stanley Milgram. Mettez des
simianthropes lambda en apprentissage de
quelques mots savants et difficiles à
retenir et recourez à des décharges
électriques de plus en plus douloureuses
afin de hâter l'initiation de ces
citoyens à une plus haute lexicographie.
Des pseudo-médecins en blouse blanche
incarneront l'autorité des éducateurs
diplômés, donc respectés, qui
demanderont au peloton des déclencheurs
de décharges électriques punitives, mais
utiles, d'appuyer sur les boutons d'un
voltage patriotique croissant, donc de
plus en plus pédagogique. La répétition
et la gravité des erreurs de mémoire des
apprentis du vocabulaire de l'élite
seront civiquement châtiés.
Naturellement les prétendues victimes
des décharges électriques étaient des
acteurs qui hurlaient de douleur sous
des électrochocs fictifs ; mais les
simianthropes choisis au hasard et
stipendiés au titre de tortionnaires de
bonne volonté croyaient sincèrement
soumettre les candidats-philologues à
des souffrances éducatives et hautement
bénéfiques, puisque censées accélérer
l'acquisition d'un langage plus cultivé
au peuple américain. Non seulement
l'apprentissage accéléré du dictionnaire
par la médiation efficace de la
souffrance était moralisante à souhait,
mais nécessaire à la consolidation du
civisme démocratique.
Quarante
ans plus tard, la torture réconfortante
se trouve à nouveau légalisée aux
Etats-Unis et l'emprisonnement sans
jugement validé sous le sceptre des
idéaux de la démocratie universelle.
Mais, en 1963 déjà, plus de quatre-vingt
dix-sept pour cent des pieux Torquemada
obéissaient aveuglément aux ordres
qu'ils croyaient utiles à la politique
de leur pays; et l'expérience de la
banalisation médicale de l'éducation
nationale sous des piqûres de rappel
patriotiques a été renouvelée au profit
d'un vaste public français et à une
heure de grande écoute à la télévision
française le 16 mars 2010. Qu'ont pensé
après coup les honnêtes citoyens dont
l'aventure thérapeutique avait permis de
filmer la mise sous pression du principe
d'autorité auquel le genre simiohumain
se révèle soumis? Beaucoup en ont bien
ri, quelques-uns ont été dépités de
s'être laissés flouer et une poignée
seulement en a exprimé de la honte. Mais
aucun ne s'est demandé: "Quel est le
poids qu'une autorité publique
contrefaite exerce sur la parole de
vérité de la France."
11 -
La France d'aujourd'hui et la pensée
politique
A
l'heure des élections présidentielles,
combien de simianthropes se disent-ils:
"Nous ne savons pas sous quelle autorité
nous nous sommes vaporisés. Comment se
fait-il que le peuple allemand n'ait pas
d'yeux pour l'autorité honteuse
qu'exercent sur le gouvernement deux
cents garnisons de l'étranger chargées
de quadriller le territoire de la nation
depuis 1945? Comment se fait-il que le
peuple italien n'ait pas de globe
oculaire pour l'autorité qu'exercent sur
les restes de l'Etat romain cent trente
sept châteaux forts américains incrustés
sur le territoire de cette démocratie et
qui ne cessent d'étendre leur rayon
d'action sous la bannière humiliée de la
République de Cavour et de Garibaldi?
Comment se fait-il que le peuple
japonais n'ait pas honte de recevoir des
décharges électriques afin d'apprendre
le vocabulaire de l'occupant dont le
sceptre met le pays sous tutelle
militaire depuis 1945? Comment se
fait-il que le gouvernement français,
qui représente la souveraineté du peuple
depuis 1789, n'ait pas honte de
l'autorité qu'exerce Israël sur la ville
de Gaza et sur la Cisjordanie? Comment
se fait-il que le simianthrope arbore
des masques moraux sous lesquels il
cache de plus en plus difficilement sa
soumission à la torture que ses maîtres
exercent sur son vocabulaire? Qu'en
est-il de l'autorité qu'exercent les
nations souveraines sur la scène du
monde et qu'en est-il du suffrage
universel sans pupille qui interdit aux
Français de poser des questions
locomotrices à aucun candidat de la
honte à l'exercice de la magistrature
suprême?
On voit
comment la pesée anthropologique du
cerveau d'une France placée sous la
pression de corps électoraux eux-mêmes
soumis à des décharges électriques
bouleverse la réflexion sur
l'apprentissage du vocabulaire de la
honte à la démocratie mondiale. Pascal
s'était contenté de démontrer que la
vérité est serve de la géographie et que
la domestication de la parole
simiohumaine se résume en sept mots-clés
de la politologie classique: "Vérité
en deçà des Pyrénées, erreur au-delà."
Mais si le scannage de la vertu
d'obéissance gravée dans le langage de
la honte et soumise à des décharges
électriques d'un voltage croissant dans
le ciel et sur la terre, si ce scannage
de l'humiliation démocratique, dis-je,
se focalise au point de croisement entre
le vrai et le faux et si ce carrefour de
nos vassalisations langagières nous
renvoie à la psychobiologie d'un
esclavage qui, depuis l'apparition des
sociétés réflexives, commande l'histoire
du juste et de l'injuste, si le concept
d'autorité protège et asphyxie, rassure
et étouffe, tue et donne la vie à toute
la problématique du discours qui régit
le dictionnaire des sciences humaines,
que signifie le tangage phonétique de la
planète en ce début du XXIe siècle ? Car
l'heure est revenue où la pesée des
vapeurs religieuses et celle des odeurs
de la politique internationale en
appelle à la pesée du voltage de la
philologie. Autrement dit, quel chemin
du vocabulaire la civilisation mondiale
doit-elle emprunter afin de bénéficier
autant que faire se pourra des victoires
de l'intelligence lexicographique?
12 - Les masques
dévots de la servitude
Les
vassaux revêtent les mots du beau
langage de leur souveraineté perdue.
Exemple: Le Monde du 2
avril 2012 titrait: "Voulue par la
France et l'Allemagne, la défense de
l'Europe souffre des limites imposées
par d'autres Etats soucieux de préserver
le rôle de l'OTAN. Mais la crise
budgétaire pourrait relancer une défense
plus intégrée." Sous le microscope
de l'anthropologie du sacré, ce
vocabulaire signifie que les deux
puissances du Vieux Monde dont l'ombre
demeure présente dans l'arène
internationale voient la coalition des
petits Etats, encouragés par
l'Angleterre, remettre entre les mains
de Washington, le sceptre de
l'occupation militaire perpétuelle du
Vieux Continent; de plus, la crise de la
monnaie unique et la ruine des finances
publiques du Vieux Continent rendront
définitive une vassalité à présenter
sous les traits d'une victoire de la
démocratie.
On voit
que les expressions "préserver le
rôle de l'OTAN" et "relancer une
défense plus intégrée" servent de
masques vocaux à une capitulation
politique et que le discours de
l'apprentissage roboratif, vertueux et
permanent de la démocratie mondiale
obéit au même modèle que le
raffermissement annuel de la croyance en
l'immortalité écarlate de san Gennaro.
Quant à la chute miraculeuse du World
Trade Center sous les coups de boutoir
d'un empire du "Mal" incarné par Al
Qaida, elle nous rappelle la chute de
l'empire romain: si Dieu avait expédié
les barbares ravager Rome en 410,
c'était, selon saint Augustin, afin de
démontrer à tout l'univers que sa gloire
et sa puissance ne sauraient se mesurer
à l'aune de la prospérité d'un empire
terrestre. De même, le règne de la
Liberté n'a que faire de la puissance
des uns et de la déchéance des autres:
l'empire universel de la vérité
démocratique est le paradis qui sert de
surplomb à la politique mondiale et ce
dieu-là reconnaîtra les siens au poids
de leur croix ou à la légèreté de leurs
ailes. L'anthropologie critique décrypte
l'histoire à l'école des documents
psychobiologiques que lui présentent les
mythes sacrés.
13 - Le scalpel
de la pensée
Depuis les origines, tout groupe humain
se résigne à tracer une frontière
fatalement arbitraire entre les vérités
qu'il sera permis d'énoncer au vu des
circonstances et les évidence que le
sujet pensant se verra interdire de
faire connaître à ses congénères
enténébrés. Aussi la sévérité des
sentinelles de la capitulation
intellectuelle des sociétés
démocratiques varie-t-elle ses
affichages selon que les Pyrénées
séparent diversement et inégalement les
droits du savoir de ceux que revendique
l'asservissement aux croyances. Au Moyen
Age, on ne donnait pas cher de la peau
des mécréants de sens rassis; mais de
nos jours, vous sentirez diablement le
fagot si vous vous avisez de douter
publiquement de la légitimité de l'Etat
d'Israël en droit international ou de
l'orthodoxie qui sanctifie tel ou tel
récit des évènements proclamés
canoniques par les évangélistes de la
politique des démocraties.
Certes,
la liberté de pensée est toujours
locale, partielle et confessionnalisée.
A chaque siècle, il est périlleux de
réfléchir, périlleux de tracer son
chemin entre les vérités doctrinales et
les hérésies utiles, périlleux de se
réclamer des droits de la pensée
rationnelle face à de simples croyances.
Mais, de nos jours, il s'agit de
l'avenir de la planète de la pensée; et
si vous ne pouvez vous permettre de
démontrer que le printemps arabe se
prononcera nécessairement en faveur des
principes universels dont la démocratie
mondiale se réclame, s'il vous est
interdit, sous peine de vous trouver
cité à comparaître devant le tribunal de
l'orthodoxie des modernes, de démontrer
qu'Israël échouera à combattre toujours
les idéaux de 1789 au Moyen Orient,
qu'Israël échouera à entraîner toujours
l'Occident dans une guerre mondiale
contre l'Iran, qu'Israël échouera à
revendiquer toujours son identité
spécifique sur toute la terre habitée,
qu'Israël échouera à contraindre
toujours l'humanité à assister les bras
croisés au siège sanglant de Gaza et à
la conquête armée de la Cisjordanie, vos
muselières ne bloqueront jamais qu'en
vain et pour fort peu de temps
l'histoire politique et cérébrale du
genre simiohumain, tellement le regard
de l'anthropologue sur une espèce placée
sous des décharges électriques
croissantes ne cessera d'aiguiser le
scalpel de la pensée.
Le 8 avril 2011
Reçu de l'auteur pour
publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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