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Opinion
II - De la
décadence à l'asservissement
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 7 novembre 2010
Que les deux seuls
Etats assujettis à l'OTAN, quoique disposant l'un et l'autre de
l'arme nucléaire, scellent entre eux une alliance afin de se
partager quelques-uns des secrets de cette arme, pourrait
sembler le signe évident de ce que le Royaume-Uni cherche un
moyen de démontrer sa souveraineté face aux exigences des
Etats-Unis; que, de son côté, que la France imite sa voisine d'outre-Manche
dans le style des Etats indépendants d'avant 1945, pourrait
démontrer qu'une nation non occupée par des bases militaires
américaines n'entre dans l'OTAN qu'en apparence et pour la forme
et que les grands Etats ignorent les rêveries politiques d'un
supra nationalisme allergique à toute présence véritable du
Vieux Monde sur la scène de l'histoire; que Mme Merkel
contraigne les Etats du Vieux Continent à une cure
d'amaigrissement indispensable à la crédibilité de l'euro sur le
théâtre de la planète économique pourrait illustrer que l'atout
monétaire demeure un fondement de l'avenir des grands Etats; que
la France veuille entretenir avec la Chine des relations plus
proches des épousailles que des retrouvailles pourraient donner
l'illusion du basculement décisif vers l'Asie du pôle de la
puissance dont j'expose la nécessité depuis des années sur ce
site et que ce basculement concrétiserait l'assaut contre
l'hégémonie du dollar si maladroitement inauguré en 2008,
puisque la Chine servira d'hôte aux préparatifs diplomatiques
d'un assaut appelé à mettre la France pour un an à la tête de
cette offensive. Mais le poids d'Israël dans la diplomatie
sommitale vient éclairer de la manière la plus crue le véritable
équilibre des forces que cachent ces chemins.
Depuis cet été,
sachant que l'autorité politique d'Israël à Londres et à Paris
est trop exclusive pour laisser la moindre chance de succès à un
rapprochement avec Téhéran sur le nucléaire, M. Barack Obama
s'est adressé tout seul à la Chine, à la Russie et à l'Inde.
Aussitôt M. David Albright, qui dirige l'institution juive pour
la sécurité internationale à Washington a averti publiquement la
France et l'Angleterre que le projet américain, écrit-il, "fournirait
à l'Iran la légitimité internationale qu'il recherche depuis
longtemps pour l'enrichissement de l'uranium".
Londres et Paris
ont aussitôt fait docilement valoir à Washington qu'il
s'agissait d'une tentative fâcheuse de "solo diplomatique de
la Maison Blanche alors que l'effet des sanctions commence à
peine de se faire sentir à Téhéran".
Car il s'agit
seulement pour Israël de persévérer dans une focalisation
intense de la diplomatie mondiale sur la prétendue menace
nucléaire que Téhéran exercerait sur tout le globe terrestre; on
sait également que Tel- Aviv a besoin d'un épouvantail
post-irakien pour pouvoir poursuivre son extension territoriale
inexorable en Cisjordanie et à Jérusalem. C'est pourquoi la
réflexion anthropologique sur la vassalisation de l'Europe ne
pourra aboutir si elle ne s'approfondissait pas à l'école d'un
scannage de l'inconscient religieux et parareligieux de la
politique internationale. Mais cette spéléologie psychogénétique
se trouve désormais grandement facilitée par l'imminence de la
mise en évidence du poids d'Israël et de ses relais dans la
direction du globe terrestre. Ce dévoilement sera sans cesse
davantage facilité par les progrès accélérés de la connaissance
rationnelle du cerveau du simianthrope, parce que les véritables
causes du blocage de l'action diplomatique des Etats-Unis ne
peuvent demeurer cachées longtemps encore.
Comment le débat
de fond ne débarquerait-il pas dans l'opinion publique des cinq
continents si Londres et Paris se trouvent réduits à découvrir,
par le seul canal d'une agence juive de Washington intéressée à
la démonisation de l'Iran, les grandes manœuvres qu'entreprend
la Maison Blanche pour tenter de contourner par la Russie,
l'Inde et la Chine le blocage israélien de l'histoire de la
mappemonde?
1 -
La psychanalyse du chimpanzé
Existe-t-il une
continuité entre le fonctionnement du cerveau vassalisé de
l'Europe actuelle et celui des premiers évadés de la zoologie?
Dans l'affirmative, l'anthropologie critique est-elle en mesure
de mettre en évidence, une connexion psychobiologique entre
l'esprit magique et la décadence, entre la soumission religieuse
et la démission politique, entre la piété et la servitude?
Prenons un exemple du fonctionnement domestiqué par le sacré de
notre boîte osseuse d'hier: "Vitellius offrit à l'Euphrate le
sacrifice coutumier des Romains, un verrat, un bélier et un
taureau, afin de se rendre le fleuve favorable à ses desseins,
tandis que, selon la coutume des Parthes, Tiridate immolait un
cheval." Le latin disait "adorné", c'est-à-dire
richement paré pour la fête du sacrifice. "Aussitôt les
riverains annoncèrent que tout subitement et sans qu'il fût
tombé une goutte de pluie, l'Euphrate avait grossi de lui-même
énormément et que l'écume blanchissante de ses eaux décrivait
des cercles en forme de diadèmes, augures d'un passage heureux
du fleuve." Autrement dit, le fleuve tressaute et cabriole
de satisfaction à la réception du cheval festivement décoré. "Certains
autres, avec plus de sagacité, interprétaient ce phénomène comme
le signe que " l'entreprise aurait des débuts heureux, mais que
les succès ne dureraient pas, car, disaient-ils, on doit
attacher aux présages qu'on tire de la terre ou du ciel une
confiance beaucoup plus grande qu'à ceux des fleuves, en raison
de la mobilité naturelle de leurs eaux, qui ne donnent que des
pronostics aussi fugitifs que leur manifestation. (Tacite,
Annales, Livre VI, chap. …)
On voit que la
réflexion théologique simiohumaine commence par développer et
affiner les interprétations magiques d'une société, au point que
la "sagacité" des devins chargés de décrypter les relations que
la nature est censée entretenir avec l'histoire et la politique
en vient à mettre en évidence la spécificité des comportements
propres aux montagnes sacrées et à distinguer la crédibilité de
leur dialectique de celle des annonciations qu'il faut attribuer
aux fleuves. L'observation de la mentalité projective et
animiste du simianthrope que j'ai signalée la semaine dernière
prend donc place dans l'interprétation de l'évolution de notre
boîte osseuse, tellement la connaissance des mécanismes
psychiques qui commandent les verdicts de notre inconscient semi
animal accompagne et compénètre la lecture du darwinisme et de
la psychanalyse. Car sitôt que l'encéphale simiohumain rencontre
des difficultés à distinguer avec clarté et méthode l'Euphrate
en tant que masse liquide d'un côté et en tant que personnage
fûté de l'autre, la mentalité projective originelle du singe
évolutif s'efforcera de concevoir des dieux séparables de la
matière et supposés siéger à part des objets gigantesques en
lesquels ils s'étaient incarnés pendant des millénaires.
Néanmoins les relations qu'Aphrodite entretient avec l'amour en
tant que tel demeureront floues, ainsi que celles de Marie avec
l' "immaculée conception". Quant à la chair et au sang réputés
réellement consommés sur l'autel des chrétiens catholiques, leur
statut nous rapproche de l'examen des neurones de notre temps,
puisque les fidèles de ce Dieu scindé entre son corps terrestre
et son corps céleste - ils sont réputés à la fois distincts et
confondus, dit l'Eglise - croient que le vrai Jésus se trouve
physiquement à la fois offert sur l'offertoire et assis sur un
trône d'or aux côtés de son père dans le ciel.
2 - Le déclic de l'extase
On voit que le
chimpanzé relativement cérébralisé d'aujourd'hui n'est pas près,
pour autant, de laisser l'univers courir la bride sur le cou
dans une immensité réduite au silence. Et pourtant, il ne se
résigne pas non plus à faire rétrograder la matière au rang d'un
outil passivement placé entre les mains d'un chef, d'un guide et
d'un propriétaire de la matière. Le singe semi-pensant a perdu
son créateur en cours de route, mais il le retient encore par
les basques. Cet entre-deux le terrifie.
Certes, dans un
premier temps, on aura vu des sorciers du ciel servir
d'intendants, de médiateurs, de porte-voix et de porte-flingue à
leur ogre du cosmos. Mais Moïse, Jésus et Muhammad témoignent de
degrés inégaux de confusion entre leur identité et celle de
Jahvé, d'Allah ou du Dieu trinitaire. Quel sera le statut
cérébral du monstre à la fois patelin et tortionnaire,
prometteur de félicités inouïes et roi, par délégation, de son
camp de concentration souterrain? C'est dire que non seulement
l'articulation d'une spectrographie des neurones du chimpanzé
européen vassalisé avec l'examen du fonctionnement de l'alliance
transatlantique dans les cerveaux conduira à une interprétation
approfondie de l'évolution cérébrale du singe démocratisé, mais
que cette pesée de la servitude messianisée des modernes
facilitera la compréhension de la nature viscéralement paniquée
du sacré simiohumain en général; car la foi européenne
d'aujourd'hui n'est plus fondée sur l'achat de la faveur des
montagnes et des fleuves, ni même sur l'achat fabuleux de
l'immortalité de nos squelettes, mais sur les relations des gens
de maison qui nous gouvernent avec leur maître
d'outre-Atlantique.
Or, tant que ce
dernier campera en armes sur le Vieux Continent, ses valets
n'auront d'yeux que pour sa face démocratique, celle que le
mythe de la Liberté dote d'un statut transcendantal. Hier, le
déclic de l'extase religieuse face à une Marie censée
consubstantielle à son immaculée conception renvoyait le
mystique à la contemplation de la véritable substance de cette
déesse; aujourd'hui le déclenchement de la piété politique se
produit quand les dévots rencontrent leur Amérique du salut et
son hostie, le pain du ciel de la Liberté et de la démocratie.
3 - L'anthropologie entre Freud et Darwin
La
simianthropologie du sacré n'a commencé de bouleverser les
coordonnées de la politique du symbolique qu'à l'heure où il a
bien fallu se résoudre à fonder une psychanalyse des signes
religieux ambitieuse de répondre à une question de survie
devenue la plus pressante de toutes, celle de savoir si les
gènes du chimpanzé cultuel et auto-immolatoire l'auraient
conduit au suicide collectif sur l'autel de sa foi, donc à son
éradication de ses propres mains de la surface de la terre s'il
avait disposé de l'arme nucléaire ou si, tout au contraire, une
science terrifiante de sa pulvérisation sacrificielle dans
l'atmosphère l'aurait doté subitement des moyens à la fois
rationnels et impérieux de comprimer ses pulsions
auto-destructrices, de sorte qu'il serait comblé par la grâce
d'un commencement de regard intelligent sur son minuscule
encéphale pris en étau entre le ciel et les royaumes infernaux.
Une science de l'inconscient demeurée elle-même inconsciente des
liens viscéraux que l'humanité actuelle entretient avec le sacré
ne saurait rendre compte de l'accroissement ou de la stagnation
de la masse cérébrale du simianthrope au cours des âges. Aussi
s'est-elle aussitôt réfugiée dans une médicalisation bénigne des
névroses. Il était prudent de se replier sur le traitement
rémunéré des dérangements cérébraux mineurs et sans portée
politique et historique. Et pourtant, les analyses
anthropologiques et évolutionnistes avant la lettre du fameux Dr
Freud portent sur les origines et la nature des relations
craintives ou matamoresques que les immolations sacrées - donc
tenues pour payantes - entretiennent avec l'instinct de
conservation affolé ou criard de la horde. Totem et Tabou
se situait avec un siècle d'avance au cœur de la
réflexion politique sur l'avenir vivant et agissant du siècle
des Lumières, donc sur l'avenir de la méthode historique,
puisque la véritable postérité des encyclopédistes nous conduira
à descendre dans l'abîme de l'inconscient sacrificiel des
démocraties théologisées par leur messianisme de la Liberté, de
descendre dans l'abîme meurtrier de l'Histoire universelle, de
descendre dans l'abîme religieux de la vassalisation de l'Europe
actuelle.
Qu'en est-il de
la connaissance anthropologique du dieu simiohumain qui préside
au destin des trois monothéismes? Il s'agit d'un père imaginaire
du cosmos et d'un boucher suprême. L'examen de ses autels du
sacrifice est inséparable de toute interprétation politique de
l'évolution de la boîte osseuse du chimpanzé. Mais pour cela, il
faut observer en parallèle l'évolution démocratique du mythe du
père dans l'Europe vassalisée. Car, avant la seconde guerre
mondiale, l'Amérique demeurait l'appendice d'un Continent
condescendant à l'égard de son lointain cousin
d'outre-Atlantique ; puis la domestication de la civilisation
gréco-latine actuelle a provoqué un basculement interne du sacré
paternel de l'Occident, puisque les Etats-Unis sont devenus le
nouveau protecteur sacré, donc le nouveau père magique, le
nouveau géniteur onirique, le nouveau pilier central de
l'univers mental du simianthrope et la dernière en date des
métamorphoses du pater familias. Dans cet esprit, l'œuvre de
Lacan prend une place de nature à illustrer la signification
religieuse, dans l'inconscient rédempteur de l'histoire, d'une
planète des démocraties désormais eschatologisée par le mythe
d'une Liberté tenue pour salvatrice. La démocratie est devenue
le pain eucharistique de la raison politique des modernes.
4 - Comment l'anthropologie critique
localise la trajectoire de Lacan
Le premier, ce
psychanalyste a tenté de se placer sur le chemin d'une
interprétation symbolique de la notion de paternité, qui était
demeurée largement physique chez Freud. Avec Lacan, le transfert
dans le métaphorique d'un monde encore entièrement fondé sur une
théologie du père sacré donnait forme et figure à une autorité
génitrice du cosmos de plus en plus abstraite et réduite à un
principe central er sustentatoire. Du coup, la psychanalyse du
pouvoir focal du ciel renvoyait à son imitation au sein de
l'autorité publique. Il aurait donc été possible au lacanisme de
franchir le pont qui aurait conduit la science européenne de
l'inconscient à la spectrographie politique de l'idéalisme, puis
à la radiologie des idoles de ce type, donc à des prises de vue
anthropologiques de l'angélisme à la fois religieux et
démocratique du Nouveau Monde. Car en grec l'idole renvoie à
l'image; et l'image adorée ronge et exalte une espèce devenue
progressivement adulatrice du spéculaire dans lequel elle
s'immerge. Le mythe dans lequel elle se regarde, s'agenouille et
s'admire en secret est un miroir apostolique - il reflète l'
évasion manquée du simianthrope de la zoologie. C'est pourquoi
tout était prêt pour que la domestication de l'Europe des
idolâtres par le mythe d'une Amérique idolâtrée armât la
politologie occidentale d'une science de la vassalisation d'une
vieille civilisation par son assujettissement à un rédempteur et
à un messie démocratiques.
Mais les analyses
lacaniennes n'ont pas porté sur le passage du "moi au miroir" au
spéculaire théologique et "divin". Pourquoi sont-elles demeurées
infra politiques? Parce que ce médecin de l'hôpital Sainte Anne,
c'est-à-dire des vrais déments, a rencontré le thème du miroir
seulement esquissé, donc condamné à la timidité dans saint
Augustin. Il aurait fallu conduire l'enquête sur la sacralité de
la folie simiohumaine jusqu'à des scannages du narcissisme de
"Dieu", donc du religieux originel et constitutif du singe
socialisé par ses magiciens - scannages du sacré et des devins
dont on rencontre pourtant le matériau à foison chez tous les
historiens des dieux de l'antiquité et d'abord chez Tacite,
Suétone et Aulu Gelle. Naturellement, saint Augustin ne pouvait
que demeurer envasé dans le limon du gué, puisqu'il était
lui-même demeuré l'otage du gigantesque personnage spéculaire
qui l'obsédait et qu'il façonnait en retour.
5 - Lacan et sa science manquée des idoles
Pourquoi
l'Occident n'a-t-il pu progresser dans la spectrographie de la
double identité du dieu Démocratie, alors qu'à l'image de son
modèle, l'idole nouvelle se révèle sacrificatrice et séraphique,
assassine et angélique et que l'égorgeur céleste de la victime
classique sur l'autel n'est que le frère jumeau de ses émules
sur la terre, tellement les effigies politiques des deux
exécuteurs sont parallèles et se donnent la réplique. Puisque
l'hypertrophie cérébrale commune aux deux acteurs auto idéalisés
et bâtis en miroir les réduit à un seul et même personnage de
l'Histoire, le fidèle se réfléchira dans les idéalités
politiques et religieuses en lesquelles il se projettera
complaisamment; et celles-ci l'en récompenseront à sanctifier en
retour une spécularité psychique demeurée latente chez le
chimpanzé non encore cosmologisé des origines. Tout croyant et
son dieu font la paire dans le miroir de l'univers sanglant qui
reflète leur image dédoublée.
Si Lacan avait
conduit sa psychanalyse augustinienne de "l'homme au miroir"
jusqu'à observer les gigantesques miroirs que l'humanité dresse
dans les nues et qu'il appelle des théologies, sa réflexion
aurait débarqué dans la politologie qu'attend notre époque et il
nous aurait dressé le premier portrait en pied de l'Amérique
comme l'idole idéale des démocraties paganisées par leurs
idéalités meurtrières. S'il revenait parmi nous, sans doute
serait-il sidéré par le spectacle de la double face de cette
divinité et de sa puissance vassalisatrice. Quel théâtre
religieux que celui d'une population d'un demi milliard
d'Européens agenouillés au banc d'œuvre des vassaux de l'empire
américain plus de soixante cinq ans après la fin de la seconde
guerre mondiale!
Mais cet empire
peine encore à se forger un Satan qui légitimerait la
"protection" militaire dont il est censé faire bénéficier ses
sujets. L'Iran se révèle un épouvantail de papier, un Lucifer de
pacotille, un Erèbe de confection. Par bonheur pour Washington
une civilisation vassalisée adore le sceptre qui l'asservit, par
bonheur, la foi ignore les moteurs réels de l'histoire. La
dévotion oublie que l'Europe aura beau de doter d'une monnaie à
vocation mondiale, construire des trains à grande vitesse,
lancer des satellites, maîtriser la construction de centrales
nucléaires productrices d'électricité, prendre de l'avance dans
la recherche de l'origine du cosmos de la matière dans une
substance indéchiffrable, le temps : une Europe qui confie son
casque et son glaive à un Etat étranger se soustrait à
l'électrochoc qu'il faut s'administrer pour s'unifier en vue
d'une vocation, d'une volonté, d'un destin. Il n'y a pas de
responsabilité politique sans liberté et pas de liberté sans la
solitude dont les vassaux se déchargent sur les épaules de leur
idole. C'est dire que le Vieux Monde ne retrouvera pas
d'existence politique, donc pas de trajectoire s'il renonce au
geste inaugural de faire déguerpir les cinq cents garnisons d'un
empire étranger incrustées sur son territoire. Mais l'audace
même que demande une décision aussi élémentaire donne la mesure
de la domestication des esprits.
6 - Psychophysiologie de la foi
La vassalité
exerce ses méfaits les plus redoutables quand le maître qui a
habillé ses valets de pied de la parure de ses évangiles
contrefaits s'est affaibli au point que ses esclaves se trouvent
placés sous les ordres d'un souverain en perdition. La honte la
plus indélébile vous met à la merci d'une puissance en déroute.
Mais alors,
demandera-t-on, comment cette forme ultime de la vassalité se
rattache-t-elle précisément à celle, plus viscérale,
semble-t-il, et même inaugurale, que j'ai mise en évidence dans
mes analyses anthropologiques , donc psychanalytiques de la
divinité des montagnes et des fleuves, puis de l'autel
embarrassé des chrétiens, qui ne savent comment séparer le Jésus
en chair et en os du personnage transcendantal qu'ils adorent et
qui fait toute la substance de leur foi? Car pour que l'idole
fonctionne effectivement dans le cerveau du simianthrope,
c'est-à-dire pour que le croyant s'imagine toucher la divinité
de ses pattes sur cette terre, il faut que les signes réputés
physiques de sa nature transcendantale de l'idole se
transfigurent entre les mains de ses fidèles en pain du ciel,
donc en corps surréel du dieu.
Exemple: voyant passer Napoléon sur son cheval, Hegel s'écrie: "Voici
l'esprit du monde". Son regard ne porte pas sur le cavalier
et sa monture, mais sur la substantification du devenir du ciel
sur la terre. De même, le croyant placé sur le passage du Saint
pontife en chair et en os, ce n'est pas une tiare et des
pierreries portées par une figure vêtue de blanc qu'il aperçoit,
mais le guide de notre espèce que le créateur a choisi pour
conduire l'humanité vers le royaume de sa rédemption posthume.
Ce mécanisme
psychique se reproduit exactement face au temporel désormais
messianisé et sacralisé par la démocratie américaine.
L'Américanolâtre ne voit pas les cinq cents bases militaires
d'un empire hérisser de canons et de fusées nucléaires le sol
d'une Europe que personne ne menace, il voit le dieu de la
démocratie mondiale en chair et en os, il le voit substantifié
par ses légions transcendantalisées, il voit le dieu Liberté en
sa symbolique incarnée, il s'agenouille en esprit devant un
concept glorifié, il trace dans les airs les signes de croix
gesticulants des modernes - des drapeaux - il récite les
invocations à la vertu et les rappels du salut que sa foi
adresse au "libérateur de l'Europe". C'est cela, la
vassalisation mentale, et son fonctionnement est religieux
depuis l'antiquité: Vitellius, puis Vespasien sont reçus comme
des dieux à Rome, tellement la foi produit la
transsubstantiation instantanée des faits aux signes et aux
symboles de la dévotion.
Mais le double
avortement actuel de l'interprétation philosophique et
anthropologique de l'évolutionnisme et de son compagnon d'armes
naturel - une psychanalyse rendue superficielle par une
médicalisation au petit pied des névroses - ce double
avortement, dis-je, résulte de causes plus profondes encore et
qui tiennent, elles aussi, à l'épuisement des ambitions
profanatrices d'une humanité autrefois demeurée relativement
sacrilège, donc soucieuse de porter un regard de haut et de loin
sur elle-même. Les décadences précipitent les civilisations du
blasphème dans le marais des fausses objectivations du monde, en
ce qu'elles métamorphosent les signes mêmes de la vassalité en
pain du ciel - car c'est viscéralement que le simianthrope
refuse d'emprunter la route impie de l'introspection socratique,
c'est viscéralement qu'il est appelé à une capitulation dévote
au spectacle de sa propre cécité, c'est viscéralement qu'il se
camoufle sous l'armure du spéculaire religieux qui le protège
saintement.
7 - L'existentialisme post copernicien
Pourquoi l'observation savante de l'évolution du cerveau
simiohumain s'est-elle réduite à un enregistrement aveugle et
muet de la progression du volume et du poids de l'encéphale de
cet animal, puis à une psychanalyse étriquée des névroses dont
souffre notre espèce, alors qu'il fallait soumettre nos neurones
à une thérapeutique des magies dérisoires dont les fuyards de la
nuit animale demeurent les proies. C'est que l'avortement d'une
pensée philosophique désormais confinée dans une sacralisation
subreptice de l'encéphale démocratique a occulté la capitulation
d'une réflexion prometteuse sur les concepts centraux de
civilisation et de décadence.
Considérons
l'empire romain encore ferme à la mort d'Auguste, puis la marée
montante de l'immoralité politique et enfin le vain combat de
l'Occident, à partir de la Renaissance, pour des retrouvailles
trop festives avec un monde antique outrageusement idéalisé: ce
long déclin a seulement fait bifurquer le besoin du simianthrope
d'avancer sur le chemin de la pensée critique; et, du coup, la
science expérimentale a paru proférer les oracles de la
"raison". Alors la matière s'est présentée en interlocuteur
physique du singe pseudocérébralisé.
Mais de quoi, au
juste, la raison dite expérimentale, donc la vérification des
comportements des atomes, fournit-elle les preuve dites
"tangibles"? Qu'est-il arrivé d'ultra traumatisant à la boîte
osseuse du simianthrope et à la boîte à outils qui l'accompagne
depuis les origines pour qu'à partir de la fin du XIXe siècle,
notre espèce fût livrée tout entière à un naufrage de ses
signifiantes cosmiques qu'un certain Pascal avait décrit trois
siècles auparavant?
Car, dit l'auteur des Pensées, il est hautement
profitable de parier sur l'existence d'un souverain tellement
bienveillant de l'univers qu'il ne se montrera sûrement pas
ingrat à l'égard de ses laudateurs, même aveugles, et sa
gentillesse naturelle lui imposera sûrement le saint devoir de
faire bénéficier ses partisans des avantages promis à leurs
calculs théologiques et commerciaux confondus.
Songez que si nos malins joueurs à la loterie du salut se
trompent et si aucun roi ne siège dans le cosmos, il n'y aura
pas de conséquences punitives à craindre, d'un si grand désastre
puisque la fausse sagesse de l'humanité ne sera pas la cause de
la catastrophe. Voyez, bonnes gens, qu'il n'y aurait plus ni
coupables à châtier, ni innocents à récompenser sur terre et
dans les nues. Mais l'autre Pascal n'est pas dupe des
apologistes du christianisme des parieurs: "Les hommes,
écrit-il, ne font jamais le mal si complètement et
joyeusement que lorsqu'ils le font par conviction religieuse".
L'anthropologue moderne voudrait prolonger l'héroïsme de la
lucidité et la spectrographie des idoles du vrai Pascal, celui
qui dépeint l'humanité comme une horde qu'un "boucher obscur"
assassine sur une "île déserte". Mais qui est cet
assassin? Peut-on radiographier son encéphale ? Et si c'était le
nôtre ? Et si le Dieu sauvage de Pascal était celui de la
vassalisation de la créature ? Il est réconfortant de
psychanalyser les idoles des esclaves.
8 - L'éthique semi animale
Quelle est donc
l'éthique de la philosophie qui dévalorisera le sacré semi
animal et qui s'attachera à scanner la décadence des
civilisations à l'école des leçons de l'évolutionnisme? On voit
que le sens du pari de Pascal dépend de la prédéfinition
sommitale de la "vérité" au sein de laquelle on aura fait
prendre place au savoir expérimental. C'est dire que les
jugements qu'on croira avoir honnêtement prononcés sur des faits
vérifiés sont, en réalité, rédigés par un tribunal des valeurs.
Quels sont les magistrats que nous chargeons en secret de rendre
nos verdicts et de les faire connaître au public ? En tant que
tel, le code qui régit nos magistratures n'est jamais un objet
plaçable sous le regard de l'expérimentateur. On ne vérifie
aucunement des événements en tant que tels, mais seulement les
signes qui les "signalent" et qui les rendent signiphores dans
une axiomatique et une problématique à radiographier.
Quelle est donc
l'éthique, donc la signalétique, qui rend parlante la décadence
d'une Europe et dont le temple rendra immoral le pari si
fâcheusement ou si bien rémunéré de Pascal le calculateur? Cette
éthique enseigne que la civilisation occidentale a chu dans les
piétés cauteleuses dont elle s'est chapeautée. Mais, avec
Copernic, la décadence est née d'une blessure de l'amour propre
collectif des joueurs, et ce traumatisme a changé une morale du
profit jusqu'alors outrageusement payante en une victime
pitoyable. Car l'immortalité de confection qu'on avait accordée
à nos ossatures transportées dans un au-delà pour les singes
s'est soudainement envenimée dans les profondeurs de notre
fausse éthique, et cela jusqu'à déclencher un cancer généralisé.
Depuis lors, cette gangrène ronge une conscience européenne
faussement couronnée d'une musculature et qui souffre maintenant
de la cicatrice d'une éternité pipée. En quoi le mythe de la vie
posthume de nos squelettes est-il devenu immoral dans
l'inconscient? La blessure dont souffre l'honneur et la dignité
de la condition semi humaine et de ses viscères remonte à
l'astronome polonais dont l'héliocentriste a rendu honteux et
grotesque le prométhéisme simiohumain antérieur, tellement il
devenait organiquement animal de convoiter une immortalité
corporelle dans un cosmos ridiculement rapetissé.
9 - Les anthropologues chrétiens
Il est des
rencontres inattendues entre des pôles opposés de l'orgueil et
de la pensée. C'est ainsi qu'il n'est plus d'anthropologue
tellement léger qu'il nierait l'évidence que le simianthrope
appartient à une espèce animale singulière et qui se caractérise
tant par une vie onirique intense que par une inégalité
cérébrale prodigieuse entre les spécimens qui la composent. Or,
sans le savoir et sans seulement s'en douter, les premiers
anthropologues modernes furent les chrétiens. Cette école a pris
appui sur son idole nouvelle pour juger que le simianthrope
devait tenter d'anéantir ou de réduire la pesanteur de son
animalité originelle et, pour cela, renoncer autant que faire se
pouvait aux lois de la zoologie qui le conduisent fatalement à
se reproduire, à se nourrir convenablement et à partager sans
rechigner la vie éphémère de ses congénères. C'est pourquoi une
proportion considérable de déserteurs de l'humaine condition
s'était retranchée derrière les murailles des monastères.
Naturellement, l'esprit critique des premiers simianthropologues
du XXIe siècle n'allait pas encore jusqu'à scruter à la loupe
l'animalité spécifique du Dieu des dissidents du règne animal et
la sauvagerie du revêtement pseudo angélique de cette idole;
mais le besoin d'observer de près le fossé qui sépare l'homme de
la bête et qui augmentait de millénaire en millénaire avait pris
un tel élan qu'une guerre des tranchées a éclaté entre les
promoteurs de l'humanité à venir et les défenseurs de l'animal
monté sur le piédestal du séraphique.
10 - Le naufrage du sens commun
Jusqu'à Copernic, la foi reposait sur une cosmologie sacrée
paradoxalement habile à entériner la distinction classique et de
bon sens entre le "vrai" et le "faux" établie par la science
expérimentale. Jamais la croyance n'avait substitué à ces
jugements vérifiables les verdicts d'une sacralité théologique
aveugle: la foi souscrivait aux propositions dictées au ciel en
sous-main par la raison pratique. Mais à partir du De
Revolutionibus, dont l'impertinence niait la course du
soleil dans le ciel, l'Eglise romaine a eu le tort de persévérer
à soutenir l'infaillibilité des verdicts dits du "sens commun"
et de la vue que la foi et la "raison naturelle" avaient si
longtemps prononcés de conserve. Alors seulement l'entendement
inné du simianthrope s'est senti traqué dans ses derniers
retranchements. Pourquoi cet animal est-il alors allé jusqu'à
l'autre extrême, celui de substituer l'autorité d'une "logique
de la responsabilité politique" à l'impiété qu'affichaient
soudainement des faits autrefois avérés et des évènements
exposés sur les propitiatoires irréfutables de l'expérience
depuis des millénaires? L'héliocentrisme enregistrait le
naufrage des verdicts du sens commun. Maintenant, il fallait se
résoudre à prétendre que les offertoires du payant seraient
habilités à tenir le langage de la vérité et que, non seulement
toute réfutation des verdicts de la rétine jugée dommageables
aux allégations de la théologie seraient proclamés hérétiques,
mais qu'elle serait en outre scientifiquement erronée du seul
fait qu'elle contredisait les Saintes Ecritures. En réfutant le
soleil, Copernic a conduit l'Eglise à aller plus loin que la
théologie du Moyen Age dans la substitution d'un pragmatisme
politique aux verdicts des savoirs objectifs. La vérité devenait
décidément scandaleusement dérangeante dès lors que la raison
évidentielle ne la cautionnait plus. En réalité, la subrogation
d'un tribunal de l'utile et du payant à celui d'une raison
euclidienne défaillante témoignait de l'affolement subit de la
magistrature immémoriale des Etats jusqu'alors tenus pour moraux
et cautionnés par les administrateurs officiels du ciel et du
sens commun jusqu'alors si ataviquement confondus.
11 - Le débarquement de la finitude
cérébrale dans la civilisation de la raison
Tous les dieux
anciens avaient glorifié la puissance et la gloire. La lente
décadence de Rome a donc nécessairement précédé le triomphe du
Dieu des chrétiens et de ses géomètres, parce qu'un Dieu qui
proclamait subitement l'affligeante vanité des affaires du monde
qu'il avait créé était aussi le seul que pût se donner pour
preuve l'effondrement d'un empire. Quel est le type de théologie
qui réclame la vassalisation volontaire d'une Europe maintenant
prosternée devant les forces éphémères d'un roi de la démocratie
? Il faut que le culte de la Liberté et de la Justice qui
servent d'emblèmes à une religion cataclysmique inédite de la
délivrance réponde à un modèle universel de la vassalisation.
On sait que La Boétie a théorisé la notion de "servitude
volontaire". Mais la vassalisation religieuse d'une
civilisation politique obéit à un ressort du sacré plus profond
et plus secret que celui d'une volonté de soumission censée
volontaire : le croyant se soumet à Dieu parce qu'il est
puissant. C'est le spectacle de sa force qui déclenche
l'adoration et l'adulation; et c'est le seul étalage de la
domination américaine qui provoque les agenouillements en chaîne
et les prosternations diplomatiques rituelles. Le parallèle
entre l'omnipotence du royaume du ciel et celle qu'exercent les
empires de la terre est la clé des décadences, parce que
l'humanité est née serve et veut se placer sous l'autorité d'un
maître. Quand celui des nues s'affaiblit, celui d'ici-bas se
renforce des carences de l'autre. Mais, le plus souvent, ils
s'épaulent réciproquement: l'Eglise proclame que tout pouvoir
temporel bénéficie de la caution du Créateur. Mais, dira-t-on,
Dieu est en chute libre depuis qu'au XVIe siècle, un théologien
jésuite, un certain Molina a eu l'audace de retirer au créateur
le pouvoir de priver sa créature de sa liberté de se damner -
car la toute-puissance de Dieu commençait d'ôter dangereusement
aux humains leur responsabilité politique et même pénale. Il
fallait armer la Compagnie de Jésus d'une volonté propre et d'un
esprit d'initiative audacieux - et pour cela, interdire à la
divinité de sauver les pécheurs contre leur gré.
Les guerriers de la foi disciplinés par Ignace de Loyola sont
devenus des fers de lance de Dieu beaucoup plus ardents et plus
autonomes que les fidèles décérébralisés du Moyen Age. C'est
l'occasion de prendre la mesure de la profondeur du génie
militaire de l'auteur des Exercices spirituels et
de Molina, son émule, parce qu'une élite intellectuelle est plus
engagée et plus efficace qu'un peuple de fidèles réduits à la
passivité. Le vaincu au siège de Pampelune a armé l'Eglise de
ses légions de l'intelligence politique de Machiavel.
Voyez l'habileté
du jésuite de l'OTAN, M. Rasmussen. Ce théologien des vapeurs de
la démocratie est habile à répandre sur la planète tout entière
le nuage de fumée de la foi, le bouclier nucléaire dont il vante
les foudres et censé protéger les cinq continents contre un
ennemi imaginaire. L'objectif réel est politique: il s'agit
d'enfler le prestige et le pouvoir du commandant en chef de
l'OTAN qui tire les ficelles d'un songe militaire fondé sur le
même modèle que celui de Dieu. Le Jésuite est un croyant libéré
de la tutelle pointilleuse du maître; mais il est de mèche avec
son souverain.
Certes, M. Rasmussen est protestant luthérien, et Luther n'est
pas Calvin, mais le prophète allemand est proche de Molina et
des Jésuites dans la défense de l'indépendance du croyant. C'est
un esprit politique au premier chef. S'il a réfuté le De
libero arbitrio d'Erasme, c'est qu'il s'agissait de
combattre la dictature du clergé romain et la tyrannie de sa
hiérarchie. C'est à un Etat qu'il oppose une liberté censée
"serve" - mais c'est une servitude feinte que celle qui lutte
les armes à la main contre la molle immersion érasmienne dans le
temporel. Ce n'est pas un Solana, espagnol et catholique, qui
aurait couru par monts et par vaux pour son maître: Rasmussen
est le jésuite protestant qui hante les coulisses de la
rencontre de Deauville pour la gloire de l'Amérique, le jésuite
luthérien qui tire les ficelles de Medvedev afin que la planète
entière se trouve chapeautée par un OTAN plus vaporeux, mais
plus universel que le précédent.
12 - Le jésuitisme de l'OTAN
Le jésuitisme de
l'OTAN et de ses serviteurs sait que la théologie démocratique
doit survivre à la cruelle évidence qu'une terre réduite à une
goutte de boue et condamnée à tourner aussi éternellement que
vainement sur son axe se trouve condamnée à sécréter les seuls
verdicts d'un dieu de la raison pratique. Quel dommage
inguérissable et quelle rétrogradation de l'autorité naturelle
et de la dignité de notre espèce que de girer sans relâche
autour d'une étoile errante dans l'immensité et d'un calibre
plus que médiocre! Comment le rapetissement copernicien de la
condition simiohumaine ne disqualifierait-il pas le sceptre et
les tribunaux d'un Dieu désormais condamné, lui aussi, à se
colleter avec l'infini et le vide, alors que si la mappemonde,
même devenue fâcheusement microscopique, persévérait du moins à
s'offrir le luxe de s'installer majestueusement au centre du
système solaire, celui-ci demeurerait ardent à nous faire la
cour et nous trouverions encore notre compte de nous prélasser
dans un néant flatté par nos colifichets.
Mais quel piètre enrubannement des mortels que celui d'une
légitimité morale de Dieu que flattaient autrefois des
cosmologies empressées à le servir, quelle grandeur perdue et
devenue semi animale que celle d'un créateur dont le
rabougrissement copernicien de notre habitacle suffit à
souligner la petitesse. Nietzsche disait que l'homme a perdu "infiniment
de dignité dans l' univers". Si le nihilisme n'était pas
inscrit dans la postérité logique d'un christianisme qui ne voit
plus le soleil tourner autour de ses autels, l'Europe ne se
réveillera pas pour autant à l'écoute des dieux antiques
retrouvés, car la puissance religieuse de l'Amérique résulte de
ce que le réflexe inné d'aplatissement du genre humain devant un
sceptre s'est déplacé avec d'autant plus de force en direction
d'un roi du temporel qu'il n'y a plus de créateur du cosmos de
taille à faire le poids devant lui. Le nouvel empire romain
ressemble à l'ancien: le peuple des Quirites était bien moins
soumis à ses empereurs du temps où le christianisme était à son
apogée qu'à l'heure où Néron n'avait rien à craindre de Jupiter.
13 - Un cataclysme ressuscitatif
Mais le ver était
dans la pomme blette du pari de Pascal. Une simiohumanité qui
nous fait maintenant mordre la poussière dans un ciel pieusement
américain est d'autant plus viscéralement théologique qu'il a
bien pu, tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, paraître
prolonger un instant et même revivifier sporadiquement l'élan
transzoologique qui nous rendait prométhéens depuis les
origines: dans les profondeurs, une espèce démocratisée et dont
la fierté se trouve frappée d'une relégation brutale dans les
communs ne peut redevenir ascensionnelle.
Allons-nous nous
résigner à interpréter l'évolutionnisme, la psychanalyse et la
relativité au titre de confirmations expérimentales et
définitives de notre asphyxie dans le cosmos? D'aucuns
soutiennent que la décadence de la civilisation européenne
répond déjà et en secret à un type de cataclysme psychique
ressuscitatif. Car, disent-ils, l'idole des chrétiens et celle
de son bras droit, la démocratie mondiale américaine, semblent
lassées de se mirer dans les petits travaux de leurs jésuites.
D'autres font valoir que, cette fois-ci, c'est l'épreuve de
découvrir notre cécité native qui décourage l'élan intellectuel
de nos apprentis-profanateurs. Apprenons donc à porter un regard
hautement sacrilège sur le narcissisme du ciel des Ecritures et
de son rejeton, le Dieu du nivellement américain. L'intelligence
blasphématoire renaîtra-t-elle?
On entend dire
que la décadence morale et politique qui frappe la démocratie
mondiale d'aujourd'hui ne résultera plus jamais du retard
cérébral qui frappait soudainement les civilisations de la
science et des techniques et qu'il n'y plus à craindre un recul
subit des conquêtes devenues continues et payantes des
tractations de notre outillage avec les us et coutumes impavides
de la matière. Mais alors notre chute cérébrale illustrerait le
naufrage de notre éthique; ce serait à ce titre que le déclin de
la civilisation s'inscrirait dans la postérité du pari perdu
d'avance de Pascal; car, par nature, les croyances religieuses
reposent non point sur la connaissance critique de soi, mais sur
la glorification commerciale des fausses élévations dont la
démocratie s'est assuré le monopole. Le singe parlant
d'aujourd'hui réclame de ses idoles nouvelles, qu'il appelle la
Liberté et la Justice, les mêmes rémunérations terrestres qu'il
sollicitait autrefois de l'idole biblique. Mais si l'animal
spéculaire apprenait à regarder droit dans les yeux ses
marchands d'éternité d'hier et d'aujourd'hui, la
simianthropologie lui tendrait le miroir du prévaricateur
suprême, celui de l'immoralité de Dieu.
14 - La chirurgie spirituelle des
fécondateurs de leur mort
Peut-on imaginer
un courage intellectuel qui serait propre à l'Europe
post-américaine et qui observerait de l'extérieur la corruption
morale et cérébrale de l'espèce trans zoologique actuelle? Si ce
courage-là de la philosophie introspective et socratique de
demain dressait en retour le portrait en pied des trafiquants du
sacré démocratique, le spectacle du marché des songes de la
décadence nous renverrait à une philosophie de l'esprit. Le
spectacle de la sainteté de l'intelligence servirait-il alors de
diadème à la morale politique à venir. Mais pour plonger le
bistouri d'une raison spectrographique dans les entrailles de la
piété du singe sonorisé, il faut un athéisme dont la sainteté
échapperait aux laboratoires des dévotions acéphales auxquelles
l'Eglise fournit leur picotin. L'animal au cerveau schizoïde
cache maintenant le scalpel de ses dernières profanations dans
le fourreau d'un humanisme tellement amolli et superficiel que
l'Europe se voir contrainte de délaisser la haute et cruelle
chirurgie spirituelle de ses élévations. On croit faire preuve
d'un louable esprit d'économie à oublier que le remède le plus
coûteux est toujours le bandeau hors de prix qu'on se met sur
les yeux.
S'il existait une
possibilité stratégique d'enfanter un public fécond de
navigateurs battant pavillon haut, la civilisation des mâtures
du profit à laquelle la théologie de l'immortalité de nos
squelettes a longtemps servi de relais et de masque serait
condamnée à se changer en un ridicule navire de plaisance à
l'usage des descendants du pari de Pascal. Pour tenter
d'esquisser une pesée de la pacotille des euphorisants de la
politique, j'observerai la semaine prochaine l'histoire des
relations scabreuses que l'ex-civilisation de Gutenberg en est
venue à entretenir avec les marchands de livres.
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Publié le 7 novembre 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
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