|
Opinion
La barbarie
commence seulement
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 6 février 2011
Introduction
1 - La barbarie commence
seulement
Il
y a soixante trois ans, mon premier livre portait un titre
déprimant: La barbarie commence seulement. Mais
aujourd'hui, il faut se rendre à l'évidence: le monde entier a
soutenu trente ans durant la dictature d'un tortionnaire
sanglant sur une population égyptienne de quatre-vingts millions
d'habitants. Et pourquoi cela? A seule fin de permettre, depuis
six décennies, à un autre tyran de s'étendre par le fer et le
feu en Cisjordanie et d'affamer une ville de quinze cent mille
âmes. Les prisonniers des goulags soviétiques ont été libérés il
y a plus de vingt ans, et maintenant ce sont les démocraties
victorieuses de Hitler en 1945 qui fournissent au peuple hébreu
les armes dont il a besoin pour conquérir le "grand Israël" dans
le sang et les larmes. Et qui le demande à la civilisation
mondiale au nom même de la Liberté et de la Justice? Le peuple
des rescapés des camps de la mort.
Que
diront de nos bras croisés les descendants de l'Europe de notre
temps ? Nous "devons les avertir, écrit Montesquieu,
que si la postérité osait dire que, dans le siècle où nous
vivons, les peuples de l'Europe étaient policés, on vous citera
pour prouver qu'ils étaient barbares et l'idée qu'on aura de
vous flétrira votre siècle et portera la haine sur tous vos
contemporains." De quelle flétrissure et de quelle haine
Israël frappera-t-il le XXIe siècle tout entier?
2 - La civilisation des
goulags de la " Liberté "
Depuis que l'odeur d'un chancre de quinze cent mille âmes monte
de Gaza dans le ciel des séraphins de la démocratie mondiale,
depuis que la puanteur de cet ulcère mêle ses effluves aux
parfums des sacrifices que notre civilisation offre aux idoles
dont elle a truffé le vocabulaire de ses dévotions, depuis que
la gangrène de la piété démocratique répand sa pestilence à
l'école de nos rhétoriques de la liberté, on attend les
guerriers du langage qui fendront l'armure du langage de
l'irréflexion et de la lâcheté de nos élites politiques. Qui
débâillonnera la vérité, qui brisera la loi du silence, qui
mettra un terme au théâtre des simulacres et des dérobades de
l'humanité sur la scène de la politique internationale? Les
historiens de demain nous peindront-ils en Tartuffes de la
Liberté, serons-nous à jamais aux yeux de la postérité les faux-dévôts
de la civilisation de la justice?
Si,
pour ma modeste part, je parvenais à capturer quelques
malodorances des cadavres ambulants qui président à nos
immolations et si je réussissais l'exploit de mettre en flacon
les vapeurs du funèbre dont la mèche brûle sur les offertoires
des morts-vivants qui nous dirigent, si je donnais à respirer à
vos narines les arômes que dégage une si grande masse de
cadavres, ce serait le cercueil qu'on appelait, hier encore,
l'union des peuples riverains de la Méditerranée que j'ouvrirais
sous vos yeux et dont je vous ferais humer les senteurs jusqu'à
la suffocation. Car l'ambition de ce fantôme était d'élever M.
Nicolas Sarkozy au rang de clé de voûte du judéo-centrisme
mondial et de rassembler non seulement le monde arabe, mais la
planète tout entière contre le peuple des Lettres persanes.
C'est que le rêve picrocolin d'Israël gouverne notre astéroïde
sans partage. Mais le réveil prometteur de la laïcité musulmane
condamnera au naufrage la civilisation des goulags de la
"Liberté".
3 - La résurrection de la
France et le bourreau des Palestiniens
Puisse la France de M. Nicolas
Sarkozy plier l'échine et se repentir devant la dépouille du
monstre qui entendait occire la diplomatie de la nation des
droits de l'homme sur l'autel de sang que le peuple élu a dressé
dans le ciel de la "Liberté", puisse la vraie France renaître en
Cisjordanie et à Gaza. Le Général de Gaulle nous avait permis de
secouer le joug de la repentance et de la pénitence auxquels le
régime de Vichy nous avait soumis. Apprenons maintenant à placer
notre politique d'asservissement à Washington sous la lentille
de nos microscopes; apprenons à radiographier son bras droit, le
bourreau de Judée. Si nous parvenions à observer à la loupe le
tissu du linceul de la France de M. Nicolas Sarkozy, peut-être
la France de Montaigne et de Montesquieu nous initiera-t-elle
aux secrets de la conscience morale dont le genre humain fait
l'apprentissage depuis deux millénaires, peut-être le peuple
français contraindra-t-il le chef de l'Etat à remettre la nation
sur le chemin de son destin de civilisateur de l'humanité.
Trois ans après son discours du 6
juin 2008, le visionnaire du Caire agonise sur les parvis du
temple saccagé de la justice du monde. L'Amérique des prophètes
est à genoux, l'Amérique ensanglantée glorifie les conquêtes du
glaive d'Israël au nom des chromosomes que ce peuple a semés en
Judée il y a trois millénaires, l'Amérique, vaincue a jeté à
terre les évangiles d'Abraham Lincoln et les a piétinés.
Regardez bien: la planète des vaincus de la démocratie s'est
agenouillée, le front dans la poussière devant Israël et son
idole!
4 - L'agonie ou la
résurrection d'un visionnaire
Mais ce serait folie de
s'imaginer que les yeux des prophètes sont crevés. Déjà ils se
rouvrent dans l'ombre, déjà ils annoncent l'heure de la sortie
de la nuit du monde, déjà le ciel du feu mécanique d'Israël se
fatigue, déjà la pensée socratique renaît et désarme la foudre
nucléaire d'Israël, déjà l'âme et l'intelligence d'Isaïe que
notre espèce avait mises en veilleuse sort des ténèbres.
Savez-vous que le peuple égyptien est si débonnaire qu'une seule
infamie lui est insupportable, l'humiliation, et d'abord celle
de ses frères de Palestine? Savez-vous que les peuple syrien ne
se révoltera pas, parce que le pays n'est pas abaissé par
l'Amérique et par Israël? Savez-vous que tous les prophètes sont
des guerriers de la dignité?
Non la civilisation ne pliera pas
le genou devant la menace de l'atome que Tel-Aviv brandira
demain sur nos têtes afin de conserver son glaive ensanglanté.
-
Le réveil du monde arabe enserre
Israël dans l'étau de la liberté, 30 janvier 2011
Ecoutez donc la voix d'airain d'Israël, elle nous avertit que la
loi du sang règnera à jamais sur ses conquêtes, écoutez la voix
qui vous avertit que si la Russie mérite l'absolution en
Tchétchénie et l'Amérique en Irak, alors le "peuple élu"
demandera l'absolution de ses bourreaux en Cisjordanie et à
Gaza.
Il
nous faut donc tenter de mettre les rois de la mort à la
torture. La simianthropologie critique, qu'on appelle aussi
l'anthropologie politique comparée, essaie de peser le cerveau
de notre espèce sur la nouvelle balance à peser les
civilisations, la balance du nucléaire
1 -
Où Montesquieu et Pascal se sont donné le mot
"C'est
ici qu'il faut se donner le spectacle des choses humaines"
(Montesquieu). La porte du théâtre où se joue cette pièce
serait-elle la célèbre distinction de Pascal entre les "grandeurs
d'établissement" et les "grandeurs naturelles"? Mais
la salle est demeurée vide trois siècles durant. Elle va se
remplir d'hommes politiques, de philosophes, d'anthropologues,
de psychanalystes, de stratèges, parce que Montesquieu, qui
n'est l'aîné de Voltaire que de cinq ans d'un côté et l'auteur
des Pensées de l'autre se sont mis de mèche pour
nous faire visiter les coulisses du tribunal dont les juges
prononcent la séparation de corps entre la capacité de penser
dont se réclament tantôt les Etats et les institutions, tantôt
les phalanges de l'intelligence, qui se demandent ce que sont la
morale, la raison et l'esprit.
Les "grandeurs
d'établissement" se font reconnaître à leurs hiérarchies
flamboyantes, à leurs ceintures dorées, à leurs sceptres
verbaux, à leurs colifichets rutilants et aux écus dont leurs
coffres débordent. A ce titre, elles se donnent quelquefois des
allures pensives et même méditatives, mais jamais elles ne
tentent de découvrir la vérité "en elle-même et pour elle-même",
comme disent les philosophes: leur seule ambition réelle est
toujours d'enrubanner leur fonctionnement naturel et de
couronner de dentelles la finalité pratique qui sous-tend toute
leur machinerie.
Prenez le cas de l'immortalité que le ciel des chrétiens accorde
à notre rate et à nos viscères: une théologie bien construite ne
saurait se poser la question préalable de la pertinence du
présupposé selon lequel la divinité cogitante dont elle ratisse
les jardins existerait réellement dans le cosmos. La vocation
propre à toute religion est de gérer les arpents de
l'imagination théologique régnante à telle époque et sur tel
champ de ses labours, donc d'étendre l'empire de la foi dont
elle salue les oracles, non de vérifier l'hypothèse inaugurale
dont dépend pourtant la solidité du temple. La doctrine ne
pourra donc que se donner, et toujours seulement en passant, le
luxe de s'interroger, par exemple, sur les relations que l'enfer
et le paradis entretiennent avec le purgatoire, et, pour cela,
de débattre, mais sans trop s'attarder, des raisons supposées
rationnelles et charitables, au sens théologique de ces termes,
qui auront convaincu la divinité de l'endroit de colloquer entre
la géhenne et le paradis un instrument de contrôle de la
purification posthume des fidèles. Pourquoi avoir placé ce lieu
de décantation à mi-chemin des tortures infernales, qui sont
trop tardives pour exercer une vertu pédagogique et les
félicités éternelles, mais seulement promises?
Selon la
"grandeur d'établissement" qu'on appelle une Eglise, la "justice
divine" aura jugé excessif et peu conforme, de surcroît, à la
bonté supposée infinie du géniteur du cosmos, de jeter sans
recours la plus grande partie du genre humain mijoter à jamais
dans les marmites du diable et d'accueillir dans un Eden
florissant des masses immenses de fidèles réputés blancs comme
neige. La "justice de Dieu" se voudra donc sagement aménagée au
lieu de précipitée et tranchante qu'elle était auparavant ; et
l'on verra une purification retardée, prudente et étroitement
surveillée de la créature succéder à la hâte judiciaire du
Jupiter des premiers siècles, qui piaffait d'impatience de faire
bouillir le contenu de ses rôtissoires. Quoi de plus adéquat
qu'un sas d'un excellent rendement financier, puisque les
fidèles se changeront en contributeurs zélés du salut? Car il
leur sera vivement conseillé d'accélérer du meilleur cœur du
monde le transit malodorant des morts vers les paysages parfumés
de leur immortalité. Les dons les plus généreux seront aussi les
plus efficaces aux guichets de la grâce.
2 - Le
nucléaire militaire et l'Eglise de l'atome
Si l'on applique à l'arme nucléaire le type
de logique que requiert la grandeur des portiers de la
rédemption, on verra une orthodoxie d'établissement se heurter à
des difficultés épistémologiques et méthodologiques fort
différentes de celles que révèle l'analyse du fonctionnement
raisonné des ressorts cérébraux et moraux dont une mythologie
religieuse fait usage tout au long de son chemin; car les
théoriciens de la pulvérisation atomique de l'espèce
simiohumaine rencontreront des obstacles beaucoup plus
invincibles que ceux qui attendent l'entendement des papes et
des cardinaux qu'on aura placés en guetteurs de l'éternité
hasardeuse des fils d'Adam, parce que l'expérience de nos
stratèges est plus dure d'oreille que celle des galonnés de
l'immortalité.
Exemple : pendant près de trente ans, la Revue de défense
nationale a illustré une sorte de "pensée stratégique"
dont les képis de l'époque s'étaient remplis et qui mettait en
scène la "grandeur d'établissement" qu'on appelle l'armée
française. Comment entretenir la prospérité cérébrale et
politique de la bombe d'Hiroshima? En 1960 encore, M. Michel
Debré, alors Premier ministre du Général de Gaulle, avait fait
éditer un bref "Manuel de survie" à l'usage d'une population
française alors réduite à quelque cinquante millions d'hommes,
de femmes et d'enfants. Or, les pâtres de ce vaste troupeau le
conviaient à s'égailler en bon ordre dans les prés, les champs
et les forêts dans le cas où une attaque nucléaire du monstre
soviétique aurait illustré le "terrorisme mondial" de l'époque.
Du haut de son
génie, le Général de Gaulle examinait l'encéphale microscopique
des terriens et de leurs "grandeurs d'établissement". Les
Lilliputiens écarquillaient des yeux d'artilleurs sur un canon
qu'ils croyaient seulement plus gros que les autres. Mais l'œil
de l'homme du 18 juin avait enregistré qu'il s'agissait d'une
arme théologique, donc mythologique par nature et qu'il fallait
la photographier en psychologue et en anthropologue des
apocalypses diversement coloriées qui fondent les trois
religions du livre.
3 - La
leçon de Tchernobyl
Trente ans plus tard, la catastrophe de
Tchernobyl a alerté les neurones de M. Gorbatchev; figurez-vous
que cet homme d'Etat et de bonne volonté découvrit avec un
soudain effarement que toute la cogitation tactique des
spécialistes russes de l'atome était aussi onirique que celle de
toutes les autres armées du monde du simple fait que les routes,
pistes et sentiers d'accès sur les lieux du crime avaient été
rendues impraticables par un effet fort inattendu et
imprévisible d'une explosion en miniature - celle d'un simple
réacteur mal contrôlé. De plus, les secouristes du bétail
étaient condamnés à mort en raison de leur contamination
foudroyante et massive par les radiations liées à la
volatilisation incontrôlée de la matière: les malheureux qu'on a
envoyés respirer l'uranium vaporisé ont péri jusqu'au dernier
sur le chemin de croix de la grâce atomique.
Pourquoi
l'épouvante politique de M. Gorbatchev est-elle demeurée isolée?
Pourquoi n'a-t-elle déclenché aucune réflexion de fond des chefs
d'Etat du monde entier, sinon, parce que leur tâche leur donnait
d'autres chats à fouetter que de peser sur une balance trans-institutionnelle
la stratégie de la dissuasion réciproque entre plusieurs
gorilles fort embarrassés qu'on leur ait mis les pattes sur la
foudre de Zeus. Quant à l'intelligentsia militaire de la planète
de l'époque, la masse grise qu'abrite son os frontal est
demeurée aussi endormie dans les bras de Morphée que la raison
religieuse dans son catéchisme, parce que le béton n'est pas
pensant pour un sou. Comment allons-nous spectrographier les
fondements anthropologiques qui pilotent le savoir des stratèges
de l'apocalypse si cette cogitation n'est pas à la portée des
encéphales soucieux seulement de s'initier au mode d'emploi de
l'outillage dont une institution aura mis la perle artificielle
à leur disposition?
Et pourtant, dès
1950, l'anthropologie philosophique et critique a commencé dans
l'ombre, en secret et dans le silence de peser les méninges du
simianthrope catraclysmique et de conquérir un premier regard de
l'extérieur sur le cerveau des "grandeurs d'établissement". Que
disait cette science ? Que si vous entendez peser l'épais
mutisme des sciences humaines depuis leur origine, il faut vous
demander pourquoi elles se sont ensommeillées dans l'enceinte de
l'axiomatique préétablie qui régentait les institutions
publiques de leur temps.
Car il est des
conquêtes de la raison qui font tomber l'intelligence dans le
superficiel. Cette calamité est particulière aux victoires sur
les clergés. Montesquieu lui-même se moque des subtilités des
théologiens, mais sa foi en l'existence de Dieu ne sera pas
terrassée par le ridicule des législateurs du ciel, parce que le
besoin de placer un chef à la tête du cosmos demeure viscéral et
indéracinable. De même, si vous constatez l'absurdité militaire
de l'arme nucléaire et l'impossibilité absolue d'en théoriser
l'usage, vous aurez beau entasser des démonstrations
irréfutables de la folie dont souffrent les scolastiques et les
sophistes de cette Eglise, vos arguments n'attenteront pas à
l'existence du dieu Atome dans l'imagination parareligieuses
dont le nucléaire se nourrit.
4 -
Penser l'homme de l'âge nucléaire
Voyez ce qui s'est passé avec le géocentrisme. Pourquoi, trois
siècles durant l'Eglise des sommeilleux ne voulait-elle pas
placer un petit soleil au cœur d'une ronde sans fanfare des
planètes, sinon parce que l'espèce simiohumaine est musicalisée
depuis la nuit des temps par ses compositeurs et ses chefs
d'orchestre et qu'à ce titre, c'est à titre psychobiologique
qu'elle entend conserver ses aises et protéger ses intérêts.
Aussi les représentations institutionnalisées du monde
font-elles partie du capital cérébral enregistré sur disque dur
des évadés partiels du règne animal, qui entendent mordicus
ranger leurs partitions parcimonieuses parmi les orchestrations
les plus précieuses de la horde.
Bien que tous
les vrais savoirs illustrent une symphonie des hautes
dérélictions, vous ne trouverez aucun physicien des cassures
originelles qui vous avouerait que, depuis la "création" de
l'univers, l'espace et le temps sont à l'écoute d'une autre
musique, celle des hautes fidélités de l'incompréhensible et que
la durée et l'étendue sont des personnages sourds et muets de
naissance; et tous la mathématiciens du cosmos prétendent encore
que leurs calculs font comprendre une matière qu'ils se
contentent pourtant de décomposer à l'école des nombres et de
déposer ensuite sur la balance de leurs chiffres. Pourquoi
prétendent-ils que la musicologie des équations rendrait
intelligible l'espace-temps einsteinien, pourquoi veulent-ils
sonoriser l'univers à quatre dimensions? La physique
mathématique d'aujourd'hui entonne un cantique qui a pris
sottement le relais des psaumes d'hier; et cette liturgie à
quatre voix remplit désormais dans les encéphales la même
fonction "explicative" que les mélodies de la théologie
d'autrefois. C'est que le verbe comprendre dont usent les
descendants d'un quadrumane à fourrure refuse encore de se
soumettre à des analyses simianthropologiques des arpèges qui
entrent dans sa texture psychique.
Mais le nucléaire est aussi un élixir
socratique. Alors, il enseigne que jamais les sciences dites
humaines n'entreront dans les monastères où les ascètes nouveaux
de la pensée critique soutiennent que les évadés actuels de la
zoologie ne sont nullement devenus pensants au sens pascalien du
terme, de sorte que l'auteur des Pensées lui-même entonne encore
aussi prématurément qu'imprudemment la chorale des "grandeurs
naturelles", comme si les fuyards du règne animal du XVIIe
siècle et du nôtre n'étaient pas demeurés rarissimes et si
irrémédiablement isolés que leur solfège n'exerce aucun pouvoir
réel sur le plain chant des savants.
5 - "
Was heisst denken ? " (Que signifie penser
?) Heidegger
On appelle "penser" un petit exercice collectif, un jeu de
combinaisons relativement astucieuses et de gesticulations "intra
muros", un maniement de mots et de concepts enchaînés les
uns aux autres avec des ficelles et soumis à la logique
parcellisée et embryonnaire de la tribu. On l'a bien vu à lire
les analyses semi logiques auxquelles MM. Chevènement et Juppé
se sont livrés publiquement il y a un mois seulement et qui
soumettaient à une rationalité spectaculairement partielle la
problématique de la défense nucléaire française.
Dans le Monde du 19 janvier 2011, M. Juppé
écrivait: "Le sommet de Lisbonne en novembre a été un succès
pour la France. Les alliés ont clairement dit que l'Alliance
serait nucléaire tant qu'il y aurait des armes nucléaires sur la
surface de la planète et que la défense anti-missiles ne serait
pas un substitut de la dissuasion."A la question: "Un
débat sur la dissuasion ne serait-il pas nécessaire en France?",
le ministre de la défense répondait: "Je n'en vois pas
l'actualité. Nous avons considérablement adapté notre dissuasion
aux conditions actuelles. Nous n'avons pas de leçons à recevoir
en matière de désarmement: nous avons démantelé notre filière de
production de matières fissiles, nous avons supprimé l'une des
composantes de notre force de dissuasion, le plateau d'Albion,
signé le traité d'interdiction complète des essais nucléaires,
développé une capacité de simulation, et nous maintenons notre
dissuasion à un niveau de stricte suffisance."
On voit que l'analyse anthropologique des notions étriquées de "suffisance"
et de "simulation stratégique", donc la question de
l'utilisation proprement militaire de cette artillerie mythique
"dans les conditions actuelles" n'est pas davantage
envisagée et pesée de sang-froid que celle de la réalité
corporelle et de l'efficacité charnelle de la légende du
paradis, de l'enfer et du purgatoire sur le champ de bataille de
notre survie post-osseuse. Mais la difficulté politique de
déraisonner sur la terre se révèle bien plus grande - et aussi
plus dangereuse - qu'au ciel. Si l'on réduit le nombre des armes
martiales qualifiées de "nucléaires", donc de physiques, quelle
proportion de la " dissuasion " matérielle d'autrefois
s'avouera-t-elle donc onirique? A partir de quel endroit du
"passage à l'acte", notre auto-pulvérisation réelle est-elle
subitement censée redevenir pleinement utilisable, donc fiable?
Et s'il s'agit seulement d'une gesticulation para-théologique
des violonistes de l'atome, sommes-nous encore au siècle de la
crédibilité des songes sacrés, quand l'excommunication majeure
de tous nos organes à laquelle Grégoire VII avait recouru pour
affoler l'encéphale d'Henry IV d'Allemagne avait si efficacement
terrorisé non seulement les neurones des généraux de l'époque,
mais jusqu'à la contrebasse désaccordée des colonels de l'armée
ennemie et conduit à Canossa le cerveau un peu moins
embryonnaire de l'empereur des Germains?
On sait que le
rescapé de l'enfer avait ensuite résolu de pendre haut et court
une proportion suffisante de faibles d'esprit pour rétablir la
discipline dans son armée, qu'il a battu Grégoire VII à plate
couture et que le ciel a aussitôt fait prévaloir les droits de
la corde sur ceux de la croix. Que se serait-il passé si un
Grégoire VII obstiné avait lancé derechef les foudres du Dieu de
la mort à la tête de Henri IV? Rien, parce que les victoires sur
les champs de bataille du temporel demeurent indifférentes au
tremblement tardif et devenu inutile des carcasses. Quand le
glaive a tranché, il est inutile de faire tomber les troupes
victorieuses au pied d'une potence.
Certes, le Saint Siège conservait le
monopole de la foudre exterminatrice. Mais quid si huit singes
vociférants se "dissuadent" frénétiquement les uns les autres et
feignent de se menacer en chœur, quid si un neuvième apôtre de
l'éternité de ses ossements ajoute son quotient
d'auto-pulvérisation tonitruante et d'auto-vaporisation
salvifique aux pétards sommitaux précédents? Si, la "France et
son armée", comme disait le Général, sont nécessairement des
"grandeurs d'établissement", donc des institutions simiohumaines
par définition et si, à ce titre, elles se révèlent acéphales
par nature, qu'attendons-nous pour placer notre fameuse
"grandeur naturelle" sur les chemins du regard qu'une boîte
osseuse devenue plus cogitante que celle d'aujourd'hui portera
sur ses congénères demeurés infra réflexifs?
6 - La
nouvelle odeur des rôtissoires
Nous assistons d'ores et déjà à un spectacle théologique: voici
que le vieil art de penser dont usaient les mythes sacrés du
primate prosterné depuis des millénaires fait débarquer sous nos
yeux le même délire apocalyptique que nos ancêtres agenouillés
réservaient à leurs potagers dans le ciel. Du coup, serions-nous
condamnés par la nature à devenir tout subitement un peu plus
pensants qu'à l'âge de la pierre taillée? Mais est-ce un
privilège estimable de nous trouver pris à la gorge par la
nécessité de notre prétendue "grandeur naturelle" de réfléchir
un peu plus sérieusement que les chimpanzés, est-ce une grâce
dont bénéficieraient nos chromosomes s'il leur était permis
d'introduire quelques gouttes d'une raison hautement
dérélictionnelle dans la souveraineté psychobiologique que
l'auteur des Pensées nous a fort prématurément
attribuée?
Car le plus ahurissant chez le singe que ses
gènes tour à tour furieux et plaintifs ont mis sur le chemin de
son évolution caillouteuse, c'est qu'à peine a-t-il refusé de
penser clopin-clopant, que son histoire s'en repent et remédie
dare-dare à la panne. Et comment Clio se met-elle en catimini à
penser à la place de son maître? Pourquoi nous plaçons-nous
depuis soixante-cinq ans et avec tant de forfanterie sous le
parapluie d'une apocalypse de substitution, alors que, dans le
même temps, comme il est dit plus haut, la muse de la mémoire
ratatine nos armes théologales au point de les réduire au rang
de quantités aussi murmurantes que feu le ridicule arsenal de
nos psaumes et de nos prières? De surcroît, nos cantiques de
matamores se rabougrissent à notre taille jusqu'à nous équiper à
nouveaux frais de heaumes étincelants, de cuirasses
tambourinantes et de panoplies tonnantes.
Décidément, nous ne sommes plus aussi
décérébrés que nous tenons encore à le paraître. Mais alors,
pourquoi sommes-nous devenus des mimes de nos théologies
gesticulatoires, pourquoi avons-nous pris le relais de leurs
psalmodies, pourquoi nous couvrons-nous à nouveaux frais de fer
et d'acier de la tête aux pieds, alors que, dans le même temps,
nous nous lamentons jour et nuit, à l'exemple des croisés
trompettants du Moyen Age, de ce que nos montures seraient
poussives de la clochette, de sorte que nous nous roulons dans
la poussière face au Zeus qui nous tend une odeur nouvelle à
humer, celle de nos rôtissoires nucléaires ? Serait-ce à titre
psychogénétique que le singe pseudo pensant aurait besoin de
s'auto-terroriser sous le regard des géants de l'éternité dont
il peuple sa tête ? Aurait-il besoin de ses dieux afin de mettre
plus sûrement le pied aux étriers d'ici-bas et de combattre de
pied ferme des ennemis proportionnés à sa charpente?
Mais alors,
comment enseignerons-nous aux "grandeurs d'établissement" à
observer à la loupe les sautillements réels et les gambades
mentales des descendants du quadrumane à fourrure que vous
savez? Décidément, nos rêves sacrés sont devenus ruineux en
diable de s'être mécanisés à outrance. Observons donc la loupe à
l'œil ce qu'il est advenu de nos foudres cérébralisées
d'autrefois. Vous achetiez au marché une idole point trop sotte,
vous l'emmaillotiez de ruses et d'astuces rudimentaires, vous
lui appreniez à gérer vos épouvantes sans trop pousser les
enchères et vous en étiez quittes pour quelques sucreries que
vous déposiez sur ses autels. En revanche, si vous calculez le
coût, pour vos escarcelles, des machineries que vous entretenez
à grands frais depuis un demi-siècle et si vous vous vantez
maintenant de seulement en réduire le nombre de deux mille deux
cent cents à mille cinq cent cinquante, et pas une de plus ou de
moins, n'allez-vous pas apprendre à respirer l'odeur du
chimpanzé qu'affolaient ses idoles, n'allez-vous pas goûter le
parfum de l'encéphale des "grandeurs d'établissement"? Les
Pascal modernes nous disent: "Qu'allez-vous faire de votre
capacité de feindre de vous précipiter dans les ténèbres, alors
que vous tenez à votre cliquetis comme à la prunelle de vos
yeux?"
7 - De
l'irrationalité de la réflexion politique des chimpanzés
Au début du siècle dernier, nous pensions
que nos savants exerçaient leurs responsabilités devant le
tribunal de la vérité, tandis que nos hommes d'action se
soumettaient aussi aveuglément qu'exclusivement au vœu que leurs
intérêts politiques fussent exaucés. Mais non seulement l'homme
des "grandeurs d'établissement" substitue sciemment l'erreur
profitable à la vérité, mais c'est délibérément qu'il proclame
conformes à la vérité toute nue les verdicts que le tribunal de
l'utile aura prononcées dans ses prétoires. Ce serait donc, à
l'entendre, la rentabilité d'une proposition qui cernerait la
vérité dans la conque osseuse de tous les primates connus.
Cette profanation des droits attachés à la
logique s'était étendue aux batteries cérébrales des philosophes
eux-mêmes, puisque Kant ne se contentait pas de soutenir que
l'existence réelle de Dieu devait se trouver affirmée, puisqu'il
était indispensable que les peuples se sentissent surveillés,
guidés et corrigés par une autorité morale dotée de moyens de
dissuasion efficaces, mais que cette nécessité politique absolue
aux yeux de tout gouvernement raisonnable prouverait non moins
absolument l'existence effective de la divinité invoquée,
tellement l'armure dont il sera inévitable de doter l'idole sur
ette terre exercera également le pouvoir causatif de l'enfanter
dans le ciel.
Mais la pesée
anthropologique de la nature psychobiologique de l'arme
thermonucléaire ne ressortit nullement à la seule axiomatique
qui préside au fantastique théologique et qui est censée en
légitimer les dogmes dans l'inconscient religieux de l'humanité,
parce que l'homme d'action se leurre deux fois de suite , la
première au chapitre de son analyse de la notion même de
réalité, la seconde au chapitre de son examen de la
responsabilité politique dont il se réclame avec tant de candeur
ou de vanité; car si l'arme nucléaire est inutilisable pour
cause de volatilisation du champ de bataille, on ne saurait
persévérer à soutenir qu'elle occuperait le territoire d'une
réflexion militaire effective. Là où il n'y a plus de place pour
des armées réelles, il n'y a plus de réflexion stratégique
proprement dite et il faut bien lui substituer une réflexion
anthropologique.
8 - La
pensée encerclante de la Chine
Cette
dialectique ficelée à la grammaire elle-même est démontrée par
le fait, comme il est dit plus haut que, depuis plus d'un demi-
siècle, la guerre retourne à toute allure vers l'usage ancestral
des armes localisables et qui, de ce fait, n'ont nullement
changé de nature d'être devenues de plus en plus efficaces. On
vient de le vérifier avec le dernier exploit militaire de la
Chine. Savez-vous que l'encéphale de cette nation a mis au point
un lanceur de missiles terre-mer dont la vitesse de dix machs et
la précision du tir permettent de détecter et de couler par le
fond les majestueux porte-avions américains, qui, hier encore,
jouaient en toute sécurité aux forteresses flottantes sur les
immensités liquides. Certes, il faudra encore quelques semaines
à la Chine méta-nucléaire pour mettre au point un système de
repérage et de téléguidage infaillible des cibles d'acier
hérissées de vieux canons; mais, dans l'attente de cette ultime
mise au point du système de pilotage de la foudre trans-atomique,
il suffit de recourir au lancement simultané de plusieurs
missiles de ce type, tellement les interconnections entre leurs
logiciels transportés dans les airs à la vitesse de trois
kilomètres à la seconde les fait d'ores et déjà infailliblement
converger vers leurs objectifs transformés en escargots
inutilement cuirassés.
Dans tous les ordres de la connaissance, la
race des techniciens aptères n'est jamais composée que d'éponges
cérébrales nées pour ingérer et digérer avec une spontanéité et
une rapidité enviables dans leur ordre une problématique
d'artilleurs inchangée depuis la bataille de Marignan. Mais
Einstein était un si faible physicien-mathématicien qu'il
recourait sans cesse aux coquilles osseuses des calculateurs
d'école, dont il disait qu'ils étaient d'excellents
intermédiaires préprogrammés, mais qu'ils ne comprenaient goutte
au génie.
C'est que la
boîte crânienne des spécialistes d'une technique ne saurait
quitter le réseau des postulats et des référents performants
dont la texture impeccable les guide sans encombres d'une
génération à la suivante. Aussi ses neurones greffés sur
l'immédiat se trompent-ils toujours et nécessairement du seul
fait que la logique interne qui les commande fait courir leur
mécanique sur des chemins préappris.
9 -
Quelques considérations sur le génie de la Chine
C'est sur ce modèle que les semi-
intellectuels qui peuplent les "grandeurs d'établissement" sont
fiers des performances de leur outillage, mais qu'ils se
trouvent réfutés d'avance par les stratèges de l'empire du
Milieu, qui ont résolument changé d'échiquier, donc d'enclos et
quitté l'axiomatique partielle et fermée de leurs congénères.
Ceux-là ont compris depuis belle lurette que si leurs missiles
terre-mer peuvent couler en quelques secondes n'importe quel
navire de guerre ennemi qui promènerait paresseusement son
artillerie sur les eaux, alors le principe même qui régnait sans
partage sur les relations guerrières que la terre entretenait
avec la mer depuis Périclès et qui enseignait que la domination
des océans demeurerait à jamais la clé de la puissance des
empires, ce principe aura fait son temps; et nous assisterons à
une longue revanche des continents sur les mers où se
prélasseraient des monstres devenus tout subitement inutiles.
Comment la lenteur de milliers de tonnes d'acier feraient-elles
le poids face à des batteries de missiles secrètement
disséminées sur un vaste territoire et qui demeureront non
seulement indétectables, mais "insubmersibles" en raison de leur
enfouissement à une grande profondeur sous la terre?
Mais pour élever cette question au type d'intelligibilité
réservée à l'anthropologie critique, il faut avoir précompris
que le cerveau simiohumain doit être observé du dehors, à la
manière dont les zoologues observent de l'extérieur le
fonctionnement cérébral des animaux, lequel varie fort selon
leur taille, leur espèce et le climat du territoire qu'ils
occupent. Qu'a fait d'autre Montesquieu dans les trente et un
livres de L'esprit des lois? Mais en ce temps-là,
l'intelligence explicatrice se cachait encore dans les postulats
de la géométrie d'Euclide et dans les axiomes de la logique
d'Aristote.
En raison de son
élan à la fois puissant et juvénile, la Chine ne se trouve que
fort peu retardée par le poids collectif des cerveaux du second
ou du troisième rang, ce qui a permis à une élite de stratèges
trans-institutionnels de bondir hors de la problématique
militaire actuelle de l'humanité. Une vision encerclante de la
guerre sera-t-elle imposée aux têtes dirigeantes de ce pays? Ce
qui est sûr, c'est qu'en Occident, les encéphales de ce type
sont condamnés à demeurer tellement minoritaires et inaudibles
pendant une génération entière au sein des "grandeurs
d'établissement" du moment qu'ils n'ont aucune chance
raisonnable de jamais se faire entendre ni du sommet de l'Etat,
ni des hauts gradés de l'armée - ce qui a interdit à la IIIe
République de se doter des chars d'assaut que le Général de
Gaulle avait tenté en vain de faire connaître à un trio de
généraux et de maréchaux - Pétain, Weygand, Gamelin.
Le quotient
intellectuel moyen des Chinois n'est supérieur que de quelque
dix à douze points à celui de l'Occident. Mais pour qu'une
poignée de cerveaux ait pu bouleverser les relations entre la
responsabilité dite politique et la responsabilité savante dans
l'empire du Milieu , il faut que cette phalange de guerriers
dispose de quelques atouts environnementaux.
10 - La
bombe nucléaire de Michel Debré
Ma très modeste relevance d'une discipline située à mille lieues
des combats et qui ne m'a laissé que le premier anthropologue de
la guerre sur les bras - le Platon du Lachès - m'a
pourtant donné l'occasion d'observer à plusieurs reprises les
relations que la responsabilité politique entretient avec la
responsabilité scientifique, parce que M. Michel Debré, ancien
Premier Ministre du Général de Gaulle, m'avait adressé une
lettre admonestative à la suite de la démonstration que j'avais
risquée dans la revue Esprit, de ce que la bombe
atomique d'Hiroshima , dont la France s'était procuré une copie,
n'était plus qu'une ligne Maginot cérébrale et qu'un aveuglement
général l'avait rendue tellement théologique que sa pesée
attendait la balance d'une anthropologie critique.
-
Le dissuadeur
dissuadé,
Esprit,
novembre-décembre 1980
-
Critique de la dissuasion,
Esprit,
juin 1979
-
La crédibilité de la dissuasion
nucléaire,
Esprit,
novembre 1977
En tant qu'intellectuel, m'écrivait Michel
Debré, mon devoir m'appelait à me souvenir de la responsabilité
politique des patriotes à l'égard de leur pays.
Mais à quel
moment l'irresponsabilité intellectuelle tue-t-elle la
responsabilité politique? Je lui ai répondu qu'il lui fallait
observer ce genre de collisions cérébrales, parce que sa pesée à
lui du contenu intellectuel de la responsabilité politique
n'était précisément pas suffisamment politique. Jugeait-il
politiquement responsable de tenter de faire croire au gentil
peuple français qu'en cas d'attaque nucléaire de l'Union
soviétique, il serait sauvé de s'égailler docilement et en bon
ordre dans la nature avec, sous le bras, le petit manuel
pratique de survie que j'ai cité plus haut et qu'il avait fait
imprimer sur les presses de l'imprimerie nationale à des
centaines de milliers d'exemplaires?
11 - M.
Raymond Aron
Ayant poursuivi mes raisonnements sacrilèges dans Esprit,
M. Raymond Aron m'a demandé de le rencontrer dans un restaurant
de la rue du Dragon. Il a bien voulu m'expliquer qu'il croyait,
à sa manière, en l'existence stratégique de l'arme atomique,
mais qu'il réfutait la doctrine de la dissuasion du faible au
fort alors régnante, parce que, disait-il, un Etat nucléaire au
territoire immense et sous-peuplé court moins sûrement vers
l'anéantissement qu'une nation dont l'étendue de quelques
kilomètres carrés en fait une cible aisément pulvérisable, de
sorte que si les troupes soviétiques faisaient seulement mine de
se présenter aux frontières de la France, nous capitulions
immédiatement.
L'essentiel m'a
paru que mon illustre interlocuteur excluait, lui aussi, toute
possibilité de recourir à l'arme apocalyptique sur le terrain,
bien qu'il en attribuât la cause à la disparité du poids des
adversaires. Mais si Goliath usait d'armes conventionnelles et
si, de son côté, David se sentait tellement un nain que sa peur
de disparaître instantanément de la surface du globe lui ferait
jeter d'avance sa fronde inutile à la rivière, était-il sûr que
la lâcheté attachée à la seule minusculité l'emporterait sur la
frousse du géant et qu'il ne craindrait pas de voir le Pygmée
volatiliser quelques-unes de ses mégapoles? Et puis, de petits
animaux en font reculer de plus grands à seulement montrer leurs
crocs et à sortir leurs griffes. C'est ainsi qu'un Saint Siège
de l'apocalypse, fût-il microscopique, exercera provisoirement
un pouvoir de dissuasion strictement proportionnel au degré de
crédulité et de stupidité du pachyderme d'en face. C'est ainsi
qu'un David idiot, mais déterminé aura moins à perdre à feindre
la folie qu'un Goliath que sa candeur aura amolli. La naïveté
aussi rend craintif.
Mais l'hypothèse que ce petit Etat
poursuivra impunément sa conquête de la Cisjordanie et le siège
d'une ville d'un million et demi d'habitants sous le regard
ahuri de la planète de la vertu est aussi absurde que la
croyance de Hitler qu'il vaincrait la Russie, l'Angleterre et
l'Amérique réunies ou que la foi de Staline, qui voyait la
civilisation du goulag ne faire qu'une bouchée du globe
terrestre. La rencontre entre le nain et le géant a donc
débarqué dans la géopolitique sur un modèle seulement différent
de celui dont Raymond Aron avait esquissé les contours.
-
Le réveil du monde arabe enserre
Israël dans l'étau de la liberté,
30
janvier 2011
12 - Dieu et l'atome
Tout le monde peut constater qu'Israël l'a fort bien et tout de
suite compris, puisque cet Etat demande maintenant à la
communauté internationale de persévérer dans ses pieuses
génuflexions devant les principes universels de la démocratie
et, dans le même temps, de légitimer la conquête de la
Cisjordanie, le blocus de Gaza et le génocide de la guerre
baptisée Plomb durci.
Mais puisque la seconde guerre mondiale n'a
vu reparaître ni les gaz dévastateurs de la précédente, ni les
armes chimiques, n'est-il pas temps de découvrir les relations
que la "morale de survie" de l'humanité entretient avec une arme
nucléaire dont la pesée se situe désormais au cœur de la
politique mondiale? Car si l'homme n'est pas un animal
"héroïquement" suicidaire et si le mythe de l'apocalypse
volontaire permettra précisément de démythifier la gloriole
militaire des ancêtres, n'est-il pas grand temps d'approfondir
le "Connais-toi" rudimentaire qui rend encore notre
anthropologie dite scientifique si enveloppée des bandelettes de
la peur?
J'ai donc demandé au célèbre éditorialiste du Figaro, dont la
solidité d'esprit avait redonné leur assiette à une foule
d'esprits ennuagés par les Sartre et les Althusser, pour quelles
raisons il n'abordait jamais la question nucléaire dans le
quotidien alors le plus lu de la bourgeoisie française. "Vous
appartenez, lui dis-je, à la génération des grands intellectuels
français que la défaite de 1970 a conduits à apprendre
l'allemand et à s'initier à la philosophie, à la philologie et à
la science historique dans la langue de Kant et de Goethe. Votre
introduction panoramique à la pesée philosophique de l'histoire
est un livre-clé à mes yeux. Pourquoi laissez-vous l'illusion
nucléaire égarer l'intelligentsia politique et militaire de la
France? "Réfuter l'arme atomique, me dit-il, ne sert à
rien".
Comment fallait-il interpréter cette réponse ? La connaissance
de la vérité devait-elle attendre que le climat intellectuel du
pays la rendît audible? Dans ce cas, l'intellectuel serait un
fournisseur en attente des commandes de sa clientèle. Fallait-il
écouter Montesquieu, qui disait que c'est "une grand folie de
vouloir être sage tout seul", ou Voltaire qui savait que " les
imbéciles n'apprennent que par l'expérience", ou Socrate,
qui voulait qu'on pensât tout seul et au prix de sa vie , ou
Swift, qui observait que la "lueur de raison" des Yahous
demeurait insuffisante pour les éclairer, ou Anatole France, qui
soutenait, à sa manière, que la vérité est une Dulcinée qui ne
triomphe jamais que sous les traits d'une Maritorne? Et puis, si
la réfutation de l'arme nucléaire se rattachait à la réfutation
de l'existence de Dieu au plus secret de l'inconscient politique
de l'humanité et si l'enfer était construit sur le modèle de la
dissuasion atomique, quid de l'avenir philosophique de
l'humanité?
13 - M.
Alain Juppé et l'apocalypse bipolaire
Cette question a pris de nos jours un tour moins désinvolte.
Dans le Monde du 19 janvier 2011 M. Juppé
expliquait - voir plus haut - qu'au sommet de Lisbonne, les
Etats-Unis avaient tenté avec une effronterie affichée de
reléguer la bombe française aux oubliettes et de lui substituer
avec leur sans-gêne habituel un bouclier américain plus
panoptique que le nôtre, ce qui appesantissait encore davantage
leur protectorat face aux menaces de Personne. On se souvient
que Mme Merkel s'était empressée d'approuver un projet
vassalisateur qu'elle qualifiait d'"enthousiasmant",
parce qu'une Allemagne privée de l'atome pseudo guerrier peut se
permettre de saluer une disqualification si radicale de l'arme
onirique des Gaulois qu'on la jetterait définitivement aux
oubliettes. Or, dit M. Juppé, nous sommes parvenus à convaincre
l'Allemagne, non seulement de ce que notre arme nucléaire n'est
pas devenue quantité négligeable, mais qu'elle doit demeurer
primordiale, l'arme du maître américain méritant en revanche de
se trouver reléguée dans le magasin des accessoires.
Cette énergique redistribution des cartes et ce recadrage des
songes déplace quelques pièces sur l'échiquier d'une humanité
appesantie par sa volonté de s'asservir à un souverain étranger.
Car le bouclier américain n'a évidemment pas davantage de sens
militaire que l'atome pseudo stratégique - il s'agit seulement,
pour la Maison Blanche, primo, d'occuper le terrain du
mythe de la Liberté verbifique des modernes, secundo, de
planétariser l'hégémonie politique qu'exprime le fantastique
nucléaire, donc l'excommunication majeure dont l'Eglise de la
Liberté est censée disposer, tertio, de bien souligner,
comme disait Necker, que le vrai propriétaire du monde est
toujours celui qui règne sur les imaginations et qu'à ce titre,
le délire pseudo démocratique qui a succédé aux délires
théologiques d'autrefois ne fait plus le poids. De quelle
balance du fabuleux allons-nous armer le faux ciel de la justice
d'aujourd'hui? Car, pour la première fois dans l'histoire,
l'humanité laboure les hectares de deux mythes rivaux, pour la
première fois, nous avons deux théologies mécanisées à faire
reluire, deux canons de l'apocalypse à couvrir de fleurs, deux
sottises à enrubanner. Comment une telle position stratégique ne
nous ferait-elle pas changer de problématique de l'imbécillité,
comment ne sortirions-nous pas de ce pacage de l'idiotie,
comment n'apprendrions-nous pas à observer de l'extérieur les
configurations mentales actuelles du chimpanzé hurleur?
C'est ici que la dialectique latente de M. Raymond Aron retrouve
toute son actualité. Car c'est désormais le fantasme du plus
musclé qui emporte l'adhésion de ses comparses et de ses vassaux
à Lilliput, c'est désormais le délire le plus stupide et le plus
fantasmagorique qui impose sa loi à l'imagination politique des
Yahous. Il nous faut donc trouver une foudre plus terrifiante
que l'atome et le bouclier mythologique réunis. Laquelle?
Comme Napoléon avait raison de dire que le génie n'est jamais
qu'un "formidable bon sens"! Quel bon sens hypercartésien nous
fera-t-il retomber sur nos pattes, quel grain de sénevé du bon
sens, quel antagruélion de Rabelais nous ouvrira-t-il les yeux?
Deux cents places fortes de Gulliver occupent l'Allemagne, cent
trente sept forteresses du même géant hérissent l'Italie. Si nos
cerveaux mythologisés retrouvaient le sens rassis des ancêtres,
nous déclencherions une explosion politique plus puissante que
celle de mille bombes d'Hiroshima à seulement demander gentiment
à l'occupant de plier bagage.
Pourquoi un
demi-siècle plus tard, aucune réflexion anthropologique sur les
relations que le mythe atomique entretient avec notre politique
n'a-t-elle vu le jour? Pourquoi le séisme cérébral de la Chine
a-t-il pris une génération d'avance sur la confusion mentale
dont la masse grise de l'Occident demeure la proie? Comme
j'avais été invité à sourire un instant à la table des grands,
j'ai tenté d'engager une "grandeur d'établissement" si généreuse
à débattre de la levée du siège de l'Europe, mais un carrosse de
grand luxe s'est arrêté devant la porte du restaurant. Un
chauffeur bien stylé en jaillit. Le grand penseur de la
bourgeoisie de l'époque avait informé son domestique de l'heure
exacte qui mettrait un terme à notre entretien philosophique.
Publié le 6 février 2011 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez
Les textes de Manuel de Diéguez
Les dernières mises à jour
|