Il semble donc que l'heure approche où la science historique
et l'anthropologie ne pourront plus éviter de soulever la
question-clé des méthodes d'analyse nouvelles de la mémoire que
requerra l'examen critique de l'évolution cérébrale d'une espèce
mise à l'école des siècles que l'écriture a stockés. Car il
s'agit, d'ores et déjà, de peser les problèmes psychobiologiques
que le conflit du Moyen Orient posera à des sciences humaines
plus développées que celles d'aujourd'hui.
Naturellement, la
presse internationale a largement passé l'événement sous silence
et le Saint Siège a paru s'associer, du moins par une discrétion
complice, à un étouffement suspect de l'événement. Il est
étrange, en effet, que des attentats meurtriers aient ensuite
subitement pris des chrétiens pour cibles en Irak, alors que le
Vatican venait de franchir un pas gigantesque en direction du
monde musulman. De plus, on n'a jamais vu les disciples du Coran
s'en prendre au prophète de Nazareth, puisque Muhammad le tient
en grande vénération.
Une telle situation pose d'emblée au Saint Siège un problème
théologique, politique et moral de taille à défier les docteurs
de Sorbonne du Moyen Age à nos jours. En effet, depuis Max
Weber, l'homme l'Etat couvre habilement son ignorance, sa
sottise, sa peur ou sa mauvaise foi sous le drapeau soyeux de sa
"responsabilité politique". C'est ainsi que M. Nicolas
Sarkozy jette astucieusement le manteau troué de sa
responsabilité vertueuse sur son irresponsabilité la plus
pécheresse, celle qui entraîne la France dans la diabolisation
de l'Iran au profit de deux Etats étrangers: il s'agit d'aider
Washington à légitimer l'extension impériale de ses forces
militaires à la planète tout entière sous le sceptre d'un
bouclier international tartuffiquement démocratique et de
permettre à Israël de feindre de sanctifier sa conquête de la
Cisjordanie à l'ombre du géant censé le menacer.
Mais la "responsabilité politique" et morale confondues
du Vatican est-elle de protéger les chrétiens en Irak ou les
Palestiniens musulmans en Judée? D'un côté César définit seul et
d'autorité la responsabilité politico-morale des Etats, de
l'autre, c'est la foi en une divinité qui entend élever la voix
. Pendant plusieurs siècles, les martyrs ont payé de leur sang
ce choix-là ; et maintenant, l'Eglise dépose les victimes des
deux bords sur les plateaux de la balance de Thémis où seul le
temporel pèsera le poids de la vérité et le prix de la vie.
Peut-être la vraie chance d'un débarquement du "spirituel" dans
la politique mondiale est-elle donnée à une Eglise acculée à
démontrer une fois de plus à la face du monde que derrière Ponce
Pilate, c'est toujours le glaive qui tranche le nœud gordien.
Mais, du coup, qu'en est-il de la validation proprement
anthropologique des exploits théologiques ou politiques du genre
simiohumain qu'affiche une religion des fatigués du sacrifice et
dont les autels ne sont pas près de laisser débarquer dans la
postérité de Darwin et de Freud une réflexion sur la "morale
de la responsabilité"?
2 - Où "
Dieu " et César réapprennent à croiser le fer
Le moment serait-il venu d'apprendre à observer et à interpréter
les secrets politiques et religieux de notre espèce telle
qu'elle se donne à observer dans les deux réflecteurs doctrinaux
qu'on appelle la foi et la raison scientifique, donc critique?
Qu'on le veuille ou non, deux obstacles majeurs ont bel et bien
été surmontés publiquement et à titre préalable par le Saint
Siège. Premièrement, il a été officiellement déclaré que la
présence armée d'Israël en Cisjordanie ressortit à la définition
que le droit international a toujours donnée de l'occupation
militaire; secondement, il a été solennellement proclamé -
et sous l'autorité dite révélée, donc tenue pour infaillible, du
Saint Père en matière d'éthique - que les territoires
illégalement occupés par l'Etat juif sont ceux dont le
propriétaire s'appelle le peuple palestinien. Il est décisif que
l'Eglise romaine qualifie de patrie un pays dont ses
habitants naturels revendiquent la possession, il est décisif
qu'elle valide à ce titre l'action armée des ressortissants
d'une nation sur le terrain.
La légitimation tardive par l'autorité qui s'attache au droit
international du statut diplomatique de la Palestine par un
Saint Siège soudainement devenu moins timide que précédemment
s'est voulue, en outre, spectaculairement officialisée, puisque
Benoît XVI, a expressément condamné l'existence même des "conflits,
des guerres, de la violence et du terrorisme dans la région"
et proclamé que la paix est "possible" et "urgente".
Mais qui sera désormais qualifié de terroriste, l'occupant ou
l'occupé? Ponce Pilate se serait-il tout de même invité au
Synode? Dans l'affirmative, par quelle porte dérobée serait-il
entré et que révèlerait l'ambiguïté diplomatique du Saint Père
aux yeux de l'anthropologie dont la vocation, entre autres, est
d'observer le territoire de l'inconscient politique tapi dans
les coulisses du mythe de l'incarnation des valeurs, donc de la
substantification de la Liberté, de la Justice et du Droit?
Voir -
Lisbonne,
l'Europe humiliée et l'avenir de l'intelligence
française, 28
novembre 2010
Le fondement proprement théologique, donc l'autorité
confessionnelle que revendique la déclaration hautement
politique du synode a été aussitôt et expressément souligné par
le rapporteur autorisé du semi concile, l'archevêque grec
melchite de Newton (Etats-Unis ), Cyrille Salim Bustos, qui a
pris soin d'ajouter que les Israéliens "ne peuvent pas
s'appuyer sur la bible pour défendre une politique de
colonisation", ce qui revient, si les mots ont un sens, à
qualifier une colonisation pseudo-angélique à la fois d'acte de
guerre et de comportement impie. Quand une théologie dont la
prudence s'est changée en une casuistique depuis plus de quatre
siècles souligne les fondements politiques, moraux et
dogmatiques confondus du droit international , quelque chose a
changé au plus profond d'une civilisation où l'absolu et
l'histoire avaient depuis longtemps divorcé ou décidé de faire
chambre à part.
3 - Le
synode et la définition de l'Etat juif
La cohérence politique, théologique, confessionnelle et éthique
des déclarations publiques du synode est donc sans faille ;
mais, dans le même temps, un nouvel impératif kantien s'impose à
la pensée rationnelle occidentale et mondiale, celui de mettre
sur pied une philosophie et une anthropologie attachées à cerner
la notion de "personnage historique" appliquée à
des Etats et à des civilisations, tellement il est évident que
si l'Europe de la pensée critique se révélait plus impuissante
que jamais à guérir la politologie de son infirmité cérébrale
sur un point aussi décisif, les descendants de Platon, de
Descartes, de Kant ou de Hegel devront être déclarés inaptes à
relever les défis intellectuels que le XXIe siècle adresse à la
planète en giration autour de ses miroirs célestes.
Or la paralysie philosophique la plus frappante de l'Europe des
sociologues résulte de son incapacité à préciser le sens de la
notion de personnage collectif, donc d'acteur historique
et mental confondus; et cette évidence a été aussitôt démontrée
par la précipitation avec laquelle Israël s'est engouffré dans
la brèche ouverte entre la déclaration ambiguë du pape et celle,
sans équivoque, du rapporteur du synode cité ci-dessus, qui a
été qualifiée sur l'heure de "malencontreuse" par Israël.
Comment Tel-Aviv va-t-il tenter d'introduire une béance
diabolique au cœur de la profession de foi du synode, qui, par
définition, se donne à peser sur la balance d'une théologie, et
comment, de son côté, l'anthropologie critique va-t-elle tenter
de cerner l'enjeu d'une joute diplomatique entre des textes
politiques et des textes révélés, puisque la parole du saint
Père est réputée infaillible depuis 1870? L'indignation
religieuse de l'Etat juif s'est encore accrue, à l'entendre, du
fait que le rapporteur est demeuré inébranlable, au point qu'il
a ajouté, en toute logique des relations officielles du ciel
avec les Etats, qu'Israël ne saurait s'appuyer sur "l'expression
biblique de terre promise" pour "justifier le retour des
juifs en Israël et l'expatriation des Palestiniens".
4 - La
théologie et la politique
Quel est le statut religieux d'Israël aux yeux de l'Eglise ? On
écrit Juifs avec une majuscule quand il s'agit des habitants de
la Judée d'autrefois, nation occupée par les légions romaines
depuis Pompée, et l'on désigne tous les Juifs d'aujourd'hui avec
une minuscule, parce qu'à partir de Vespasien et de Titus, il
s'agit exclusivement des juifs de la diaspora - de la "dispersion"
en grec - qu'ils soient censés pratiquer la religion dite de
Moïse sur les lieux de leur dissémination ou se réclamer des
gènes d'Abraham - donc sans se référer à une théologie qui avait
aboli les sacrifices humains à l'école de l'Egypte ancienne.
C'est ainsi qu'on désigne les juifs de Pologne ou des Etats-Unis
avec une minuscule, disent le Littré, le Robert et le Larousse,
qui ne précisent pas s'il s'agit alors des fidèles d'une
religion ou des membres d'une ethnie.
En revanche, à évoquer "l'expatriation des Palestiniens",
le secrétaire général du synode reconnaît expressément aux
habitants du pays leur appartenance ethnique, religieuse et
politique à une patrie multimillénaire. Comment se fait-il que
les habitants de l'Etat d'Israël, se qualifient à leur tour de
juifs avec une minuscule internationaliste et déracinée, alors
que si la nation de Juda était ressuscitée en droit public, elle
devrait se baptiser l'Etat des Judéens ou des Juifs, afin de
conformer sa dénomination au verdict des dictionnaires?
Mais l'Eglise et les Etats laïcs actuels se trouvent empêtrés
dans une contradiction interne du même type si, d'un côté, ils
délégitiment la colonisation sauvage en tant que mode
d'expansion "naturel" d'une nation, comme Israël le soutient sur
la scène internationale, alors que, dans le même temps, les
chancelleries et le Saint Siège valident de conserve le
prédateur qu'ils ont autorisé à prendre possession d'une partie
déterminée de la patrie des Palestiniens? C'est pourquoi Mgr
Bustros dit expressément que le retour des juifs en Israël, y
compris dans les frontières de 1947, n'est validable ni aux yeux
du jus gentium actuel, c'est-à-dire du droit des gentes -
des ethnies - ni aux yeux des textes bibliques, alors que
l'Eglise reconnaît depuis soixante trois ans le rang
diplomatique de l'Israël minuscule censé avoir été enfanté en
droit et intronisé parmi les Etats par une "recommandation"
pourtant illégale par nature de l'Assemblée des nations unies.
Le statut théologique et le statut juridique d'Israël ne
s'accordent donc nullement de nos jours aux yeux de la Curie
romaine, qui semble réticente à soutenir la déclaration
religieuse cohérente du porte-parole du synode, parce qu'il lui
est difficile de condamner avec six décennies de retard une
expansion coloniale qui, en 1947 n'était pas encore censée
contredire par définition la théologie biblique de Mgr Bustros
et du Synode.
5 -
Qu'est-ce qu'une nation ?
Aussi se demande-t-on maintenant comment le Vatican pourrait
désavouer théologiquement et politiquement son synode à la face
du monde et sacraliser derechef son propre péché de 1947 au
point de répondre favorablement à la sommation indignée d'Israël
d'invalider illico les propos qu'il proclame "calomnieux à
l'encontre du peuple juif et de l'Etat d'Israël" prononcés
par le pieux rapporteur du synode. Mais Rome se soumettra-t-il
néanmoins à l'injonction théologique et diplomatique qui lui est
adressée en termes catégoriques par un Etat censé laïc -
l'injonction de proclamer officiellement et sans ambiguïté que
la déclaration finale et solennelle du synode est hérétique et "ne
devrait pas être interprétée comme la position officielle du
Vatican"? Existe-t-il
une position "officielle" du point de vue
théologique, et une autre du point de vue "politique".
Mais alors comment défendre à la fois l'une et l'autre? S'il
faut "rendre à César" ce qui lui appartient, comment
l'Eglise trace-t-elle la frontière entre le glaive et la "parole
de Dieu", comme elle dit?
La
simianthropologie critique se veut explicative des comportements
politiques et religieux des hommes et des Etats. A ce titre,
elle prend acte d'un fait politique majeur : pour la première
fois, l' Eglise catholique, qui bénéficie du statut d'un Etat,
reconnaît en tant que telle l'évidence qu'une orthodoxie exprime
toujours et nécessairement la forme la plus fondamentale de la
logique politique d'une espèce née schizoïde - et cela du seul
fait qu'il est politique, donc rationnel au premier chef de
placer le cosmos sous le commandement sans appel ou sous la
gouvernance relativement contrôlable d'un souverain mythique de
l'éthique publique et d'un maître absolu des récompenses et des
châtiments posthumes.
L'Eglise s'est donc réveillée en sursaut, et
cela au point qu'elle est redevenue un acteur non éjectable de
la scène du droit international. La consubstantialité à nouveau
affichée de la foi et de la diplomatie censée l'incarner renoue
avec une logique du pouvoir oubliée depuis le Moyen Age, mais
que le monde moderne redécouvre du seul fait qu'une spiritualité
qui renonce à condamner l'immoralité des Etats en est réduite à
se retirer au couvent. Mais une autorité dont les verdicts
religieux sont censés transcendants au monde, donc sacrés, ne
saurait capituler en rase campagne ou rentrer discrètement dans
le temporel sur l'ordre du sceptre que brandit Israël: qu'il
soit bref ou durable, le débarquement politique du Saint Siège
dans l'histoire du Moyen Orient est irréversible et intéresse
désormais la planète entière de la politique.
Aussi le vieil adage des Romains praeterita mutare non
possumus - on ne peut changer le passé - va nécessairement
féconder à nouveau la réflexion scientifique sur la nature du
sacré, donc la contraindre à faire progresser la modeste
simianthropologie que j'ai explicitée en librairie livre après
livre depuis quarante ans, mais qui ne pouvait que battre de
l'aile d'une décennie à l'autre dans un monde amputé de la
moitié de son encéphale politique par le refus des
anthropologues d'étendre les pouvoirs de la raison occidentale
jusqu'à comprendre le sens politique du mythe de l'incarnation
de la vérité, donc des relations psychobiologiques que les
cosmologies mythiques entretiennent nécessairement avec la
politique et qui remontent au paléolithique.
Si l'homme est un animal politique , donc de mauvaise foi en
tant que son encéphale biphasé est construit sur un modèle
théologique bancal, celui de l'incarnation de la vérité, la
question est devenue impérieuse, j'y reviens, de se demander à
quelle philosophie du concept de personnage historique le
Vatican, Israël et le droit international public vont se
rallier. Car, d'un côté, le mythe tartuffique de la
substantification de "Dieu" en Jésus-Christ contraint un Saint
Siège de la sanctification des corps pieux à condamner une
occupation "de différents territoires arabes" par Israël
tandis que, de l'autre, cet Etat demande avec insistance à Rome
de se dépiéger de sa théologie de la divinisation de la chair
d'un prophète et de prononcer en toute hâte une excommunication
majeure qui distinguerait clairement les véritables "conclusions
officielles du synode" des déclarations "scandaleuses"
d'un rapporteur général relaps et renégat. Il va donc falloir
apprendre à peser l'ambiguïté psychogénétique des cerveaux
religieux et le caractère monophasé des autres sur la balance de
l'évolution intellectuelle d'une espèce dichotomisée par son
évasion désespérément spirituelle et musculaire du règne animal.
6 - Rome
et Tel-Aviv dans l'arène de l'anthropologie critique
J'ai déjà dit que les embarras théologiques de Rome se
révèleront providentiels aux yeux des sciences humaines
d'avant-garde de notre temps, puisqu'Israël déclare carrément
que "les gouvernements israéliens ne se sont jamais servis de
la Bible pour justifier l'occupation ou le contrôle d'un
territoire" et que "les confrontations théologiques
relatives aux saintes Ecritures ont disparu avec le Moyen Age".
Mais s'il en était effectivement ainsi, comment l'Etat juif
légitimera-t-il en droit des conquêtes territoriales qu'il
reconnaît viscéralement pour laïques? Comment renoncer
expressément à tenter de les valider à l'école d'une théologie
de la sanctification du coin de terre qu'une divinité amie
aurait remise en mains propres aux ancêtres de M. Benjamin
Netanyahou et de M. Avigdor Lieberman si l'ONU et l'Etat du
Vatican tiennent maintenant en commun le langage du droit
positif, donc profane? La question de la nature tartuffique - et
à titre psychophysiologique - des personnages proprement
historiques, et d'abord des Etats tant religieux que laïcs se
trouve donc posée d'emblée sur un double terrain, celui du
locuteur théologique et celui du locuteur corporel que les
nations rationalistes sont devenues à elles-mêmes, puisque
l'accord d'un acteur physique avec un acteur mental censés
désormais se confondre ou faire la paire a marqué de son sceau
l'histoire temporelle et l'histoire ex cathedra des armes
et des lois depuis l' origine des civilisations.
Ah! que les efforts théologiques communs du
Saint Siège et d'Israël d'accoucher au forceps de la question
centrale que soulève l'analyse anthropologique du mythe de
l'incarnation du vrai et du juste sont hautement bienvenus dès
lors qu'un droit international public décérébré ne dispose
encore d'aucune philosophie sérieuse de la parturition de
l'identité psycho-physique des peuples et des nations du "Bien"
et du "Mal", tandis que, de son côté, l'Eglise ne sait pas
encore comment elle doit distinguer le Christ mortel des
biographes du personnage hyper théologique et éternel dont les
conciles successifs ont mis plus de quinze siècles à préciser le
statut transcendantal sans jamais être parvenus à stabiliser les
gènes divins d'un "homme-dieu", donc d'un immortel censé inscrit
à l'état civil. Comment le songe théologique impérissable
qu'Israël est à lui-même s'inscrit-il dans un registre
anthropologique dont l'autorité serait surréelle, alors que
l'Eglise elle-même échoue à son tour dans le trans-tombal?
Par bonheur, la question des relations méta-sépulcrales que le
simianthrope entretient avec ses doubles célestes, politiques ou
scientifiques se situe également au cœur de l'intelligence
littéraire, puisque Don Quichotte, Hamlet, Antigone ou le Dr
Faust - mot qui signifie le poing en allemand - sont des
personnages symboliques et trans-funéraires par nature, donc
installés par définition dans les imaginations, en ce sens
qu'ils ont jailli en tant que signifiants cérébraux immuables du
cerveau des Cervantès, des Shakespeare, des Sophocle et des
Goethe; et ils sont devenus des personnages proprement
historiques, donc en chair et en os, si je puis dire, dans la
mesure où ils se sont installés dans l'univers mental mondialisé
et polyglotte qu'on appelle la littérature, où ils ont conquis
de siècle en siècle leur véritable existence historique,
celle qui a des bras et des jambes et qui demeure pourtant
onirique de la tête aux pieds. Dans quelle mesure une nation et
son Etat sont-ils des personnages dévots et physiques confondus
et quelles relations leur existence bi-polaire entretient-elle
avec les manifestations physiques de leur identité pieusement
dédoublée? Voilà la question à la fois anthropologique et
vestimentaire posée au Saint Siège et à Israël, mais également à
la culture mondiale, puisque nos critiques littéraires ne sont
pas encore entrés dans la biographie transcendantale des livres
et des auteurs.
7 - La
biographie et le mythe
Encore une fois, qu'en est-il des
personnages historiques proprement dits s'ils sont
transtemporels par nature et si, par conséquent, ils ne
deviennent réels qu'au fur et à mesure qu'ils conquièrent une
effigie mentale immortelle, donc un statut figuré? Comment
l'Eglise et Israël ont-ils illustré au cours des âges la
conquête de leur rang d'acteurs psycho-physiques de l'histoire
cérébrale du simianthrope à deux faces?
Observons brièvement l'itinéraire tourmenté de l'acteur
auto-sanctifié qu'on appelle l'Eglise, suivons un instant ce
protagoniste de l'absolu. Il va monter en scène sous nos yeux et
nous raconter la tragédie d'un homme qui s'est métamorphosé de
siècle en siècle en coadjuteur bifide de son père mythique dans
le cosmos. Son statut théologique schizoïde est peu à peu
devenu, contre vents et marées, sa seule réalité qualifiable de
proprement historique. Cette évolution cérébrale toute en
tempêtes et rechutes se rend visible dès l'origine : les récits
les moins oniriques, donc les plus accrochés aux basques de la
biographie de Jésus - ceux de Marc et de Matthieu - sont les
plus ridiculement rapiécés et les plus incompréhensibles aux
yeux des grands couturiers de la littérature et de la religion
confondus, tellement le plaquage artificiel de quelques miracles
cousus de fil blanc sur la médiocrité du roman fantastique qu'on
appelle une théologie avertit l'écrivain et le poète de ce qu'il
s'agit d'un faux grossier. Puis, Luc, hisse son héros dans le
symbolique et l'immémorial où se meut le génie des grands
mystiques. L'élan et le souffle du Jésus enfin devenu réel, donc
surréel, donc "consubstantiel" à son géniteur mythique, sont nés
du récit fabuleux des disciples d'Emmaüs, qui transportent les
acteurs de la pièce et tous les vrais lecteurs dans un royaume
de la beauté où le "pain de l'esprit" substitue sa grâce
au "pain du temporel".
8 - Les
accoucheurs du Jésus transcendantal
Mais le personnage ne s'étoffe et ne prend toute son épaisseur
qu'avec Paul et Jean. Voyez comment l'auteur de l'Epitre
aux Romains s'y prend pour doter d'un corps psychique
collectif le héros ressuscité sous les traits d'une Eglise qui
se qualifiera de "corps du Christ" dans l'éternité, donc
de personnage à la fois physique et céleste; voyez comment Jean
le gnostique entrera dans le personnage en chair et en os et
pourtant tout symbolique - donc seul réel - au point
qu'il se donnera le luxe de faire passer à la trappe le mythe de
confection de la naissance physique du prophète à Bethléem,
épisode dont les autres évangélistes avaient un impérieux
besoin: car si le récit de la nativité corporelle du délivreur
universel ne se coulait pas, disaient-ils, dans le moule des
prophéties convenues selon lesquelles sa chair devait
obligatoirement se couler, comment se serait-il rendu crédible
aux encéphales forgés par des récits vieillis, mais dûment
solidifiés par la tradition? Le Jésus le plus onirique, celui de
Jean, n'a précisément pas besoin des jambes de bois du sacré
d'école: il se permet de naître à Nazareth! Certes, il lui
faudra encore un demi-millénaire et de nombreuses péripéties
pour devenir "physiquement" le personnage mental et impossible
de jeter à la fosse qu'il est appelé à "incarner". Don Quichotte
courra plus vite vers son empyrée: mais il mourra, comme
l'Eglise d'aujourd'hui, pour avoir perdu son Toboso. Son double
lumineux a pourri en chemin.
Si
l'apprentissage de leur ascension au symbolique et au figuré des
personnages religieux ou romanesques dignes de devenir vraiment
historiques, donc de transporter leur carcasse à la hauteur de
leur statut "céleste", si cette escalade diogénique, dis-je, des
corps aux signaux et aux signes des allumeurs de leur propre
lanterne se révèle la même que celle dont la littérature ou la
philosophie présentent le spectacle, la vocation de toute
grandeur à devenir transtemporelle illustrera la signalétique
"spirituelle" d'une histoire appelée à se dérouler sur les
hauteurs.
Voulez-vous lire l'histoire de Socrate au jour le jour? Les
Mémorables de Xénophon sont disponibles sur le
marché. La bonne volonté louangeuse du narrateur est celle d'un
ami et d'un fidèle compagnon. Mais si vous voulez, même au prix
d'une longue attente, connaître le Socrate réel, donc l'évadé,
lisez Platon. Le grand logicien vous initiera au personnage
vraiment historique, donc transbiographique, celui qui, depuis
vingt-cinq siècles, raconte les aventures dialectiques du
"Connais-toi" ascensionnel des contemplatifs et des sacrifiés.
Celui-là mène le même combat du devenir de la conscience
simiohumaine que Hamlet, Antigone ou Don Quichotte. Qui est
appelé à symboliser les acteurs transcendants à leur musculature
et à leur squelette? On demande les récitants de la trajectoire
tragique des grands pensants de la zoologie.
9 - L'étau
se resserre
Et maintenant, que dit le personnage qui
s'appelle l'Eglise romaine ? Nous savons qu'elle ignore autant
le statut anthropologique du Christ et du christianisme - donc
comment un charpentier de village est devenu une Eglise
universelle - que nos philosophes ignorent comment le Socrate en
chair et en os de Xénophon est devenu l'immolé central de la
philosophie mondiale. Mais nos critiques littéraires ignorent
également comment un chevalier évadé de la cervelle de Cervantès
est devenu le symbole universel de la générosité et de la folie
de l'humanité; et nos humanistes ignorent également comment une
Antigone suicidaire court jour et nuit dans les rues de Gaza; et
nos théologiens et nos historiens ignorent également que le
Saint Siège est une idole déchirée entre son paradis de la
fainéantise des trépassés et son camp de concentration
souterrain; et Israël ignore ce qu'il en est du personnage
historique, donc psycho-mental, qu'il est à lui-même. Comment
cet Etat est-il né de la volonté du roi Josias, puis de celle du
scribe Esdras et du gouverneur de la province de Judée, Néhémie,
d'identifier le peuple juif à un créateur de l'univers ? Comment
cet Etat quichottesque s'est-il fait élire par un Jahvé qui lui
accorderait pour demeure et pour destin la possession exclusive
d'un territoire déterminé?
Si vous ne voyez pas les effigies de Hamlet
et de don Quichotte hanter ce personnage, votre ignorance
égalera celle d'Israël, qui n'a pas de regard sur la généalogie
et le devenir des personnages proprement historiques. Mais le
Vatican non plus, qui s'est fait une divinité ridicule d'un
marmot braillant dans son berceau et qui, dans son Catéchisme de
1992, dote encore d'une rate, d'un foie et de viscères le
créateur incréé du cosmos que Marie est censée avoir porté dans
ses entrailles. Visiblement, Israël et le Saint Siège se
demandent comment tracer la frontière entre leur charpente de
mortels et le four à pain du "spirituel" dont ils voudraient
faire monter la pâte. Ce douloureux embarras anthropologique
apparaît clairement dans la prétention soudaine d'Israël de
jeter à la poubelle le mythe qui le fonde et dont il se nourrit.
Citons à nouveau ce passage saisissant : "Les gouvernements
israéliens ne se sont jamais servis de la Bible pour justifier
l'occupation ou le contrôle d'un territoire. (…) Les
confrontations théologiques relatives aux Saintes Ecritures ont
disparu avec le Moyen Age." Mais alors, qu'en est-il de
l'Israël biologique, celui dont de belles femelles ne cessent
d'accoucher au terme naturel de leur grossesse et qu'en est-il
de l'autre parturition, celle d'un Etat qui se voudrait
surnaturel? La Rome en chair et en os est descendue au tombeau
avec la perte des Etats pontificaux. Retrouvera-t-elle son âme?
Et maintenant, Israël se veut orphelin de son mythe, et
maintenant, Israël renonce, dit-il, à naître du cerveau de Zeus,
pauvre Athéna, ou de l'écume de la mer, pauvre Aphrodite. Quel
évènement politique de première grandeur que le renoncement
officiel d'Israël à l'essence surnaturelle des personnages
historiques, quel débarquement de l'anthropologie du singe
éternisé dans la politologie moderne que le synode de Rome! Il
va falloir légitimer la politique de la colonisation dont Rome
reproche la pratique au peuple de Jahvé, mais ce peuple lui
répond en jetant son propre froc aux orties.
10 -
Comment le simianthrope accouche de son corps mental
Pas de doute,
toute la maïeutique philosophique moderne et toute la
politologie socratique du XXIe siècle vont se trouver
contraintes de fabriquer la balance à peser les relations que le
corps terrestre de l'humanité entretient avec ses corps
mythologiques; pas de doute, les relations iréniques ou
sanglantes que le corps physique de l'Eglise romaine entretient
avec son corps "spirituel" vont tracasser la politique au jour
le jour d'un Israël joyeusement et résolument chu dans le
temporel.
Saint Ambroise appelait le corps ecclésial
du christianisme romain à s'immoler sur l'autel du Golgotha à
titre d'offrande palpitante et publique à un boucher du ciel.
Mais si Israël est devenu le peuple dégoulinant de sang que sa
croissance conduit, dit-il, le plus "naturellement" du monde à
occuper la Judée les armes à la main et à arracher leur patrie
terrestre aux Arabes de la région, comme dit le synode, faut-il
en conclure que l'Etat hébreu se serait confectionné une
divinité calquée sur la vocation impérieuse de ses gènes
terrestres? Dans ce cas, il deviendrait décisif, pour
l'anthropologie critique et pour l'ensemble des sciences
humaines de notre temps, de découvrir, la lanterne de Diogène à
la main, pourquoi les évadés de la nuit animale se forgent des
dieux à la fois bénisseurs et égorgeurs à leur "image et
ressemblance", comme ils le reconnaissent eux-mêmes. Comment un
peuple se procure-t-il le royaume des songes dans lequel son
identité dédoublée de personnage historique et d'acteur
symbolique du monde l'appelle à habiter en guerrier?
11 - Qu'est-ce qu'un peuple qui fait corps avec sa terre?
Le siècle de
Voltaire se demandait encore comment convertir l'idole
ecclésiale à une tolérance lénifiante à l'égard de ses
contempteurs, alors qu'ils méritaient, disait la Curie, de se
faire arracher la langue et de se trouver réduits en cendres sur
le bûcher pour avoir siffloté une chanson égrillarde sur le
passage d'une procession; mais le siècle de Freud, lui, se
demande quel personnage mythique nous sommes demeurés à
nous-mêmes de nous donner les dieux virtuels que nous appelons
des idéalités. Dans ce cas, offrons-nous encore des sacrifices
humains sur les autels de nos démocraties sauvagement
idéalisées? Le peuple d'Israël serait-il un immolateur et se
définirait-il, à notre exemple, comme un sacrificateur
viscéralement différent de ceux du reste de l'espèce supposée
humaine à laquelle nous appartenons? Car le peuple chrétien, lui
aussi, se présente en sacrificateur et en inquisiteur dans
l'arène de l'histoire, le peuple chrétien, lui aussi, se sait et
se sent écarté des propitiatoires sur lesquels le surplus des
humains offre ses victimes de chair et de sang à des dieux de
chair et de sang.
Le chrétien se distingue de ses congénères
en ce qu'il se détourne des idoles sculptées dans le bois ou
taillées dans la pierre, mais seulement afin d'offrir un Isaac
plus précieux à dévorer et à remettre entre les mains de l'ogre
céleste devant lequel il entre en prière. Du coup, l'histoire
terrestre et l'histoire céleste du peuple juif rétrogradent au
point de retourner aux meurtres sacrés antérieurs au
christianisme. Rome et Israël se donnent maintenant à déchiffrer
ensemble à l'école d'une science de la consubstantialité
viscérale des peuples et de leurs dieux.
Allons-nous radiographier le mythe de l'incarnation tartuffique
de la vérité? Et d'abord, pourquoi Israël s'est-il donné
exclusivement la terre de Judée pour temple d'ici bas, et cela
par le détour de sa propre voix transportée dans le ciel,
pourquoi Israël a-t-il donné ses poumons à un certain Jahvé, son
propriétaire, pourquoi Israël s'est-il procuré un sol à titre
exclusif et par un saint subterfuge, pourquoi les juifs de la
diaspora n'ont-ils, eux, ni besoin du sang des propitiatoires de
Jahvé, ni de se lover dans le giron de leur religion pour savoir
qu'ils sont juifs? C'est dire que l'identité ethnique, politique
et immolatoire de l'humanité religieuse se confondent depuis la
nuit des temps, c'est dire que les évadés de la zoologie se font
donner leurs biens terrestres par l'intermédiaire du corps
mental qui fait d'eux des personnages transcendantaux à leurs
propres yeux, donc historiques précisément à titre de surréels.
Mais alors, qu'en est-il de la démocratie et de ses autels, d'un
côté, et des autels de Jahvé ou du Dieu romain, de l'autre?
12 - La
psychophysiologie des idoles
Le plus abyssal dans le génie de Molière,
c'est que son Tartuffe n'est qu'un acteur et un mime du Tartuffe
du ciel. A l'instar de Tartuffe, "Dieu" se promène parmi les
anges et les séraphins, à l'instar Tartuffe, "Dieu" détourne sa
sainte face du four des tortures infernales dont son Lucifer
fait bouillir les marmites, à l'instar de Tartuffe, "Dieu" fait
monter les psaumes et les patenôtres de sa sainte justice des
rues hurlantes de Gaza, à l'instar de Tartuffe, "Dieu" est le
faux génie des ascensions dont les chevilles portent les chaînes
des idoles, à l'instar de Tartuffe, Rome et Tel-Aviv attisent le
feu de la mort à Gaza.
Qu'en est-il de
l'idole que le chimpanzé en prières est à lui-même si toute
divinité a la tête dans les nues et les pieds dans le sang,
parce que les récompenses et les châtiments sont les mamelles de
la politique ? Mais si "Dieu" est le Tartuffe suprême que
Molière a fait monter sur les planches, buveurs d'eau
s'abstenir. Rendez-vous la semaine prochaine aux gosiers de fer.
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