L'art de la guerre
Libye un an après
: mémoire courte
Manlio Dinucci
Mardi 20 mars 2012
Un des effets des
armes de distraction de masse est
d’effacer la mémoire de faits même
récents, en en faisant perdre la trace.
Ainsi est passé sous silence le fait
qu’il y a un an, le 19 mars, commençait
le bombardement aéronaval de la Libye,
formellement « pour protéger les
civils ». En sept mois l’aviation
Usa/OTAN effectuait 30mille missions
dont 10mille d’attaque, en utilisant
plus de 40mille bombes et missiles. En
outre étaient infiltrées en Libye des
forces spéciales, dont des milliers de
commandos qataris facilement
camouflables. Et on finançait et armait
les secteurs tribaux hostiles au
gouvernement de Tripoli ainsi que des
groupes islamistes, qualifiés de
terroristes quelques mois auparavant
seulement. L’opération dans sa totalité,
a précisé l’ambassadeur étasunien auprès
de l’OTAN, a été dirigée par les
Etats-Unis : par l’intermédiaire d’abord
du Commandement Africa,
puis
par l’intermédiaire de l’OTAN sous
commandement Usa. On a ainsi démoli
l’état libyen et assassiné Kadhafi
lui-même, en attribuant l’entreprise à
une « révolution inspiratrice » - comme
l’a définie le secrétaire à la défense
Panetta- que les Usa sont fiers d’avoir
soutenue, en créant « une alliance sans
égale contre la tyrannie et pour la
liberté ». On en voit maintenant les
résultats. L’état unitaire se désagrège.
La Cyrénaïque -où se trouvent les deux
tiers du pétrole libyen- s’est
autoproclamée de fait indépendante et, à
sa tête, a été mis Ahmed al-Zubair al
Senoussi. Choix emblématique : c’est
l’arrière-petit-fils
du roi Idris qui, mis sur le
trône par la Grande-Bretagne et les
Etats-Unis, leur concéda dans les années
’50 et ’60, bases militaires et
gisements pétrolifères. Privilèges
effacés quand le roi Idris fût déposé en
1969. L’arrière-petit-fils ne manquera
pas de les leur rendre. Le Fezzan aussi,
où se trouvent d’autres importants
gisements, veut être indépendant. Il ne
resterait à la Tripolitaine que les
gisements qui sont devant les côtes de
la capitale. C’est ainsi que les grandes
compagnies pétrolières, à qui la Libye
de Kadhafi ne concédait que d’étroites
marges de gain, pourront obtenir des
conditions optimales de la part des
chefs locaux, en faisant jouer
l’opposition de l’un contre l’autre. Le
leader du CNT Abdel Jalil parle de
« conspiration » et menace de faire
« usage de la force », mais ce n’est pas
un champion de l’indépendance libyenne :
il est convaincu que la période du
colonialisme italien fût pour la Libye
« une ère de développement ». En
attendant le Conseil de sécurité de
l’ONU prolonge d’une autre année sa
« mission d’appui en Libye », en se
félicitant des « développements
positifs » qui « améliorent les
perspectives d’un avenir démocratique,
pacifique et prospère ». Il ne peut
toutefois pas éviter d’exprimer sa
« préoccupation » pour « les
continuelles détentions illégales,
tortures et exécutions
extrajudiciaires ». Œuvre des milices
armées, alimentées par la politique du
« diviser pour régner » du nouvel
empire. Milices armées utilisées pour
allumer d’autres foyers de guerre dans
d’autres pays, comme le montre le fait
qu’à Tripoli se trouve un camp
d’entraînement des « rebelles syriens ».
En Libye les premières victimes
sont les immigrés de l’Afrique
subsaharienne qui, persécutés, sont
obligés de s’enfuir. Rien qu’au Niger,
200-250mille sont rentrés, en perdant
ainsi la source de revenus qui
entretenait des millions de personnes.
Nombre d’entre eux, poussés par le
désespoir, tentent la traversée de la
Méditerranée vers l’Europe. Ceux qui y
perdent la vie, comme les cinq derniers
naufragés ensevelis à Lampedusa, sont
eux aussi des victimes de la guerre qui
a commencé il y a un an. Dont,
désormais, on a perdu la mémoire.
Edition de mardi 20
mars 2012 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20120320/manip2pg/14/manip2pz/319871/
Traduit de
l’italien par Marie-Ange Patrizio
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