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Mondialisation.ca
À Washington on
décide qui gouvernera au Caire
Manlio Dinucci
Mardi 8 février 2011
Après plus de trente ans de service honorable pour les
États-Unis (durant lesquels il a accumulé une richesse
personnelle estimée à plus de 30 milliards de dollars), le
moment est venu pour Moubarak de céder le bâton de commandement
: c’est ce qu’on a décidé à Washington. Le temps presse. La
marée montante du soulèvement populaire risque d’emporter non
seulement le dictateur mais l’appareil de pouvoir que les USA
ont construit en Égypte. Le président Obama fait donc pression
pour une « transition ordonnée et pacifique » qui, sur la base
de « réformes constitutionnelles » guère mieux précisées, efface
la figure désormais insoutenable du dictateur, mais laisse
intacts les piliers de la domination états-unienne sur le pays,
d’importance stratégique pour Washington sur l’échiquier
moyen-oriental.
Pour Washington, il est fondamental de maintenir le contrôle de
la structure portante des forces armées égyptiennes, que les
États-Unis ont financées, équipées et entraînées (voir il
manifesto du 3 février ). Les instructions sur la sortie de
secours ? ont été données par le secrétaire d’État états-unien à
la défense, Robert Gates, au chef d’état-major égyptien, général
Sami Enan ; celui-ci a été convoqué à la fin du mois de janvier
au Pentagone, avec qui il s’est ensuite tenu en contact étroit.
Le président Obama a ainsi fait les louanges des forces armées
égyptiennes pour « leur professionnalisme et leur patriotisme »,
en les indiquant comme garants de la « transition pacifique et
ordonnée ».
Selon le plan de Washington, cette transition devrait débuter
avec un gouvernement « transitoire » soutenu par les forces
armées et si possible chapeautée par Omar Souleiman,
vice-président tout récemment nommé, à qui la charge a été
confiée le 29 janvier. Un homme fort qui jouit de la plus grande
estime à Washington : auparavant directeur des services secrets
militaires, chef des services secrets égyptiens depuis 1993, il
a organisé avec la Cia l’enlèvement d’Abou Omar en 2003 à Milan,
et son transport en Égypte. Plusieurs autres personnes «
suspectées terroristes » ont été transportés secrètement en
Égypte, dans le cadre du programme « Rendition » de la Cia, et y
ont été torturées par Souleiman et ses agents. Un des
prisonniers, al-Libi, fut contraint sous la torture de « révéler
» une connexion (inexistante) entre Saddam Hussein et al Qaeda,
argument utilisé par Washington pour justifier l’invasion de
l’Irak en 2003. Avec Souleiman comme garant de la transition «
démocratique », le « nouveau visage » pour la présidence
pourrait être l’actuel secrétaire de la Ligue arabe, Amre
Moussa, ex-ministre des affaires étrangères de Moubarak en
1991-2001.
La structure militaire constitue le principal instrument de
l’influence états-unienne en Égypte. Mais ce n’est pas le seul.
Depuis plusieurs années, tout en continuant à appuyer Moubarak,
Washington appuie aussi une partie de ses opposants dans la
société civile (cf.
Le mouvement de protestation en Égypte : Les « dictateurs » ne
dictent pas, ils obéissent aux ordres, par Michel
Chossudovsky, 4 février 2011 ). Les principaux instruments de
cette opération sont la National Endowment for Democracy (Ned)
et la Freedom House, deux organisations « non-gouvernementales »
engagées dans l’« expansion de la démocratie et de la liberté
dans le monde entier ». Celles-ci sont en réalité des émanations
du Département d’État, du Pentagone et de la Cia, qui les
financent et en pilotent l’activité dans les zones critiques
pour les intérêts états-uniens. La Ned, qui finance chaque année
plus de 1.000 projets d’organisations non-gouvernementales dans
plus de 90 pays, soutient économiquement en Égypte 33
organisations non-gouvernementales : elle fournit à chacune
d’elles chaque année des financements de l’ordre de dizaines ou
centaines de milliers de dollars.
Des groupes d’opposants à Moubarak (généralement composés de
jeunes intellectuels et professions libérales) ont été invités,
par l’intermédiaire de la Freedom House, aux États-Unis où ils
ont fréquenté des cours bimestriels de « défense de la
démocratie ». Ils ont aussi été reçus officiellement au
Département d’État : en mai 2008 par Condoleeza Rice, en mai
2009 par Hillary Clinton. Lors de la rencontre, la secrétaire
d’État a déclaré que « c’est l’intérêt de l’Égypte d’aller vers
la démocratie et de montrer plus de respect pour le droits
humains ». Comme si les États-Unis, qui ont construit et financé
l’appareil répressif de Moubarak, n’avaient rien à voir avec la
violation des droits humains en Égypte.
Washington est donc en train d’élever une nouvelle classe
dirigeante égyptienne, destinée à donner un visage «
démocratique » à un pays où le pouvoir continue à prendre appui
sur les forces armées et dans lequel, surtout, l’influence
états-unienne demeure dominante. Il reste cependant à vaincre la
résistance de la vieille classe dirigeante qui s’était formée
autour de Moubarak -officiers de l'armée, agents des services
secrets, managers de l‘industrie de guerre, entrepreneurs- qui
craint de perdre les privilèges qu’elle a acquis ou de devoir
les partager. Il y a surtout le soulèvement populaire pas facile
à mettre sur les rails, tracés par Obama, de la « transition
ordonnée et pacifique ».
Il manifesto,
6 février 2011
Traduit de l’italien par
Marie-Ange Patrizio
Manlio Dinucci est géographe.
© Droits d'auteurs Manlio Dinucci,
Il manifesto, 2011
Publié le 9 février 2011
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