EODE - International Elections
Monitoring
Iran : une
présidentielle 2013 sous contrôle
Luc Michel
Jeudi 23 mai 2013
Luc MICHEL pour EODE Press Office
avec PCN-SPO – ISNA – FARS - Le Temps –
AFP / 2013 05 23 /
http://www.facebook.com/EODE.monitoring
http://www.eode.org/category/eode-international-elections-monitoring/international-elections-survey/
Coup de tonnerre politique à Téhéran.
Deux des principaux candidats à
l'élection présidentielle iranienne,
« les candidats les plus menaçants pour
le guide suprême Ali Khamenei » selon
l’analyse du Temps (Genève), Akbar
Hachémi Rafsandjani – chef de file des
réformateurs libéraux - et Esfandiar
Rahim Mashaïe – représentant la faction
nationaliste radicale des conservateurs
-, n'ont pas été autorisés mardi à
participer au scrutin du 14 juin qui
devrait voir triompher un fidèle du
régime.
M. Rafsandjani, un ex-président (1989 à
1997) âgé de 78 ans, ne fait pas partie
de la liste de huit noms retenus par le
Conseil des gardiens de la constitution,
chargé de valider les candidatures parmi
686 personnalités enregistrées, et
annoncée à la télévision lors du journal
du soir.
Esfandiar Rahim Mashaïe, un proche du
président sortant Mahmoud Ahmadinejad, a
également été disqualifié, a ajouté la
télévision, sans préciser les raisons de
ces évictions. On
notera que l’élimination des poids
lourds a fait passer l’élimination de
tous les autres candidats – 686 dont une
trentaine de femmes ! – sous silence
total des médias occidentaux.
Lors du dernier scrutin présidentiel en
2009, seulement quatre candidats avaient
déjà été habilités à faire campagne sur
les 475 inscrits. LE
CONSEIL DES GARDIENS DE LA CONSTITUTION,
ORGANE DE SUPERVISION DES ELECTIONS
CONTROLE PAR LES CONSERVATEURS RELIGIEUX
Rappelons que le régime de Téhéran n’est
pas une démocratie parlementaire, de
type occidental, mais une République
islamique théocratique, où la réalité du
pouvoir, en dernière instance,
appartient à une minorité religieuse.
Des analystes parlent de « mollahcratie ».
La correspondante du Temps (Genève) à
Téhéran éclaire cet aspect des
institutions iraniennes : « Le Conseil
des gardiens de la Constitution (ou
Conseil de surveillance) est chargé de
présélectionner les candidats habilités
à faire campagne. Cet organe est composé
de 12 personnes, dont six théologiens
élus par le guide suprême Ali Khamenei.
Les six autres sont des juristes élus
par le parlement. La particularité
réside dans le fait que c’est le premier
groupe qui a le dernier mot ».
La loi ne prévoit pas d'instance d'appel
pour contester les décisions du Conseil
des gardiens, équivalent du Conseil
constitutionnel, mais l'ayatollah
Khamenei peut lui demander de réexaminer
un dossier.
Le Guide suprême de la République
islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, est
donc le seul habilité à désavouer le
Conseil des gardiens de la constitution,
organe de supervision des élections
contrôlé par les conservateurs
religieux.
En 2005, l'ayatollah Khamenei était
intervenu pour repêcher deux candidats
réformateurs.
Sur son site internet, Ali Khamenei a
déjà indiqué que la disqualification de
certains candidats n’était pas due à
leur «incompétence» et qu’une «raison
valable» justifiait leur exclusion. Mais
il n’a pas précisé laquelle.
LE GUIDE SUPREME ET LES
ULTRACONSERVATEURS VERROUILLENT
Rafsandjani et Mashaïe écartés, « la
présidentielle est offerte aux
conservateurs » selon l’AFP.
« Depuis une semaine, les sorties
médiatiques et les discours évasifs du
Conseil des gardiens de la Constitution
semblaient déjà vouloir préparer
l’opinion, précise Le Temps (…) Le
potentiel populaire de ces deux
personnalités et leur position de
challenger face à l’establishment ont eu
raison de leur candidature ».
Rafsandjani et Mashaïe sont, pour des
raisons bien différentes, les bêtes
noires des responsables
ultraconservateurs, qui réclamaient leur
éviction depuis l'enregistrement de leur
candidature le 11 mai.
Ils reprochent notamment à M.
Rafsandjani son soutien aux
manifestations après la réélection
controversée de Mahmoud Ahmadinejad en
juin 2009. Ses deux mandats, marqués par
la reconstruction du pays après la
guerre Iran-Irak et une relative
ouverture vers l'Occident et les USA,
ses positions libérales en économie,
« en faisaient le candidat "par
procuration" des réformateurs », selon
un diplomate occidental cité par l’AFP.
Esfandiar Rahim Mashaïe, nationaliste
radical - une des factions
conservatrices opposées aujourd’hui aux
autres - est pour sa part « jugé trop
éloigné de la ligne défendue par le
Guide. Il paie aussi sa proximité avec
le président Ahmadinejad, durement
critiqué par les conservateurs lors de
son second mandat ».
La victoire devrait donc se jouer entre
les candidats conservateurs. L'ex-chef
de la diplomatie (1981-97) Ali Akbar
Velayati, le maire de Téhéran Mohammad
Bagher Ghalibaf et l'ancien président du
Parlement Gholam Ali Haddad-Adel, sont
en lice mais ils ont formé une coalition
qui comporte un accord de désistement.
Parmi les autres heureux « élus »,
l'actuel secrétaire du Conseil suprême
de la sécurité nationale et négociateur
en chef du dossier nucléaire, Saïd
Jalili, a le soutien des
ultraconservateurs. Mohsen Rezaï, ancien
responsable des Gardiens de la
révolution, les Pasdarans, armée d'élite
du régime et état dans l’état, avait
déjà été candidat en 2009.
La liste est complétée par les
conservateurs modérés Hassan Rohani,
négociateur du dossier nucléaire de
Téhéran sous la présidence du
réformateur Mohammad Khatami (1997-2005)
et Mohammad Gharazi, ancien ministre de
M. Rafsandjani. Les
réformateurs n'auront qu'un prétendant
de second rang, et donc non dangereux,
Mohammad Reza Aref, ancien ministre des
Télécommunications de M. Khatami. Sans
grande envergure politique, il avait
annoncé qu'il se désisterait en faveur
de M. Rafsandjani si celui-ci était
autorisé à concourir. L'ex-président
modéré Akbar Hachémi Rafsandjani
(1989-97) a fait savoir qu'il ne
contesterait pas la décision des
"Sages".
Le camp réformateur apparaît très
affaibli, quatre ans après les
manifestations de grande ampleur contre
la réélection de M. Ahmadinejad. Les
deux candidats réformateurs, Mir Hossein
Moussavi et Mehdi Karoubi, avaient
dénoncé des fraudes massives lors du
scrutin. Ils se trouvent aujourd'hui en
résidence surveillée.
La campagne électorale débutera
officiellement vendredi, pour se
terminer le 13 juin. Elle devrait être
dominée par la crise économique
provoquée par le régime de sanctions
mises en place par les grandes
puissances. Celles-ci soupçonnent le
programme nucléaire iranien de cacher un
volet militaire, ce que nie Téhéran.
AHMADINEJAD ET LES RADICAUX SUR LA
TOUCHE Selon la
Constitution, M. Ahmadinejad ne peut
briguer un troisième mandat successif.
Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad
a vivement contesté ce mercredi
l'exclusion de l'un de ses proches de la
course à la présidentielle.
M. Ahmadinejad a affirmé qu'il en
appellerait au guide suprême de la
République islamique – seul recours dans
le système théocratique iranien - pour
repêcher Esfandiar Rahim Mashaïe, un de
ses plus proches collaborateurs. Seul
l'ayatollah Ali Khamenei peut en effet
demander au Conseil des gardiens de la
Constitution, instance chargée de
valider les candidatures au scrutin, de
réexaminer un dossier.
"Je considère M. Rahim Mashaïe comme un
bon croyant, qualifié et utile pour le
pays et je l'ai présenté comme candidat
pour cela, mais il a été victime d'une
injustice", a affirmé M. Ahmadinejad
selon le site internet de la présidence.
"Je vais suivre jusqu'au bout ce
dossier, en faisant appel au Guide
suprême", a-t-il ajouté. Le président,
qui ne peut pas briguer un troisième
mandat successif, n'ira toutefois pas
jusqu'à la confrontation. Il a demandé à
ses partisans d'être "patients",
affirmant qu'"avec la présence du Guide
suprême, il n'y aura pas de problème
dans le pays". "Je
considère ma disqualification comme une
injustice et je vais essayer de la
réparer en faisant un recours auprès du
Guide suprême", a réagi de son côté
Mashaïe, cité par l'agence Fars.
RAFSANDJANI : UN
OPPOSANT AU SEIN DU REGIME, PAS CONTRE
LUI "M. Hachémi
Rafsandjani ne protestera pas contre sa
disqualification", a déjà déclaré son
directeur de campagne, Es-Hagh
Jahanguiri. Agé de 78 ans, l'actuel
président du Conseil de discernement, la
plus haute autorité d'arbitrage
politique, "fait partie des piliers du
régime et il le restera, si Dieu le
veut", a expliqué M. Jahanguiri, cité
par l'agence Isna.
L'aile dure du régime reproche notamment
à M. Rafsandjani son soutien aux
manifestations après la réélection
controversée de Mahmoud Ahmadinejad en
juin 2009.
Le Conseil des gardiens de la
Constitution n'a pas expliqué sa
décision mais selon son porte-parole,
Abbas Ali Kadkhodaïe, "la condition
physique" des candidats a été prise en
compte, une allusion claire à M.
Rafsandjani.
La disqualification de M. Rafsandjani
"va créer des divisons dans les cercles
religieux et politiques", a commenté
pour l'AFP l'analyste Mohammad Sedghian.
LA PRESIDENTIELLE « OFFERTE AUX
CONSERVATEURS » Au
total, huit personnalités, dont cinq
conservateurs, deux modérés et un
réformateur (de peu de poids), ont été
autorisées à participer à la
présidentielle.
Parmi les conservateurs, les chances de
l'actuel négociateur en chef du dossier
nucléaire iranien, Saïd Jalili, semblent
désormais plus grandes. "Le vent tourne
en sa faveur", estime l'analyste
politique proche des conservateurs Amir
Mohebian, cité mercredi par la presse.
"Il est plus conservateur que les
autres, croit davantage aux valeurs
révolutionnaires et est plus lié aux
preneurs de décisions au sein du
pouvoir", renchérit Mohammad Sedghian.
M. Jalili a rencontré mardi plusieurs
dignitaires religieux dans la ville
sainte de Qom, haut lieu du chiisme
iranien. "En politique étrangère, si on
a eu des succès, cela a été grâce à la
résistance (face aux puissances
occidentales) et non à la politique de
compromission", a-t-il dit, en référence
aux réformateurs et modérés proches des
anciens présidents Rafsandjani et
Mohammad Khatami (1997-2005).
Il doit aussi tenir compte de la
candidature de Mohammad Bagher Ghalibaf
qui peut se prévaloir de son bilan comme
maire de Téhéran depuis 2005 et comme
ancien chef de la police et commandant
militaire. Face aux
conservateurs, les candidats modérés et
réformateurs ne font pas le poids. Le
plus connu, Hassan Rohani, est un
religieux proche de M. Rafsandjani et
ancien responsable des négociations
nucléaires au début des années 2000. Le
réformateur Mohammad Reza Aref, ancien
premier vice-président sous Mohammad
Khatami, n'a jamais brillé sur la scène
politique. LA
DESAFECTION DES IRANIENS POUR LE REGIME
ET LE DIVORCE AVEC LA SOCIETE CIVILE
« Le régime ne veut prendre aucun
risque. En affichant des candidats qui
lui sont loyaux, Ali Khamenei tient à
verrouiller le scrutin. L’opposition est
muselée et les réformateurs écartés. La
sécurité et le calme dans les espaces
publics seront au rendez-vous », analyse
Le Temps.
« La situation est unique puisque c’est
la première fois qu’aucune personnalité
opposée idéologiquement au guide suprême
n’a été retenue. Hachemi Rafsandjani, en
fin stratège, est seulement venu pour
démontrer cela », explique ce
politologue, enseignant à l’Université
de Téhéran. Tout ces
jeux politiciens au sein d’une petite
minorité politico-religieuse –
conservateurs, réformateurs, modérés ou
radicaux sont tous des mollahs ou des
civils appartenant à l’appareil du
régime – ont lassé les iraniens.
La correspondante du Temps, Lina Ziadi,
donnait ce jour dans un long reportage
la mesure de cette lassitude : « Ce
système est problématique. Si un
candidat comme Rafsandjani suscite un
tel engouement populaire, pourquoi
faudrait-il l’écarter parce qu’il
déplaît à un petit groupe? Pour ceux qui
douteraient encore, ça veut dire que
notre avis ne compte pas. Dans ce cas,
pourquoi irais-je perdre mon temps à
aller voter?, assume Farzaneh, jeune
femme au chômage ».
Derrière cette désaffection qui est le
symptôme du divorce de la société civile
avec le régime, il y a le souvenir des
émeutes insurrectionnelles de 2009. « A
coups de propagande médiatique intense,
les autorités iraniennes redoublent
d’efforts pour tenter de convaincre
l’électorat réticent. Et pour cause. Il
y a quatre ans, la répression sanglante
a provoqué un divorce avec une grande
partie de la société civile. La crise de
légitimité que traverse le régime et les
désillusions actuelles en découragent
plus d’un à se rendre aux urnes »
conclut le Temps. Le
souvenir douloureux des émeutes de 2009,
qui avaient vu la contestation de
fraudes dont était accusé le clan
Ahmadinejad déboucher sur des émeutes et
leur répression, est le véritable
arrière-plan de cette présidentielle.
Les Ong occidentales et l’appareil US de
déstabilisation – dont OTPOR/CANVAS –
s’étaient engouffrées dans la brêche et
avaient tenté une révolution de couleur
… Luc MICHEL
http://www.eode.org/eode-international-elections-monitoring-iran-une-presidentielle-2013-sous-controle/
https://www.facebook.com/notes/eode-international-elections-monitoring/-eode-international-elections-monitoring-iran-une-presidentielle-2013-sous-contr/656814911000397
Sur le même sujet,
lire :
Luc MICHEL, IRAN : LES CANDIDATURES A LA
PRESIDENTIELLE 2013 REVELENT LA
FRAGMENTATION DU REGIME
Sur
http://www.eode.org/eode-international-elections-monitoring-iran-les-candidatures-a-la-presidentielle-2013-revelent-la-fragmentation-du-regime/
Avec notamment une analyse du régime de
la République islamique et de ses
institutions.
Photo : Akbar
Hachémi Rafsandjani avec Ali Khamenei.
Le
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