Opinion
La leçon de
Benghazi
Louis
Denghien
Christofer
Stevens, mort à Benghazi un 11 septembre
pour avoir cru pouvoir
manipuler indéfiniment les radicaux
islamistes (comme en Syrie)
Mercredi 12 septembre
2012
Ce n’est sûrement pas très
original de l’écrire, mais les
événements de Benghazi ont une puissante
charge symbolique, voire morale.
Essayons de faire simple sans faire
superficiel. Depuis l’invasion
soviétique de l’Afghanistan, les
États-Unis ont joué la carte tactique de
l’Islam révolutionnaire ou politique.
Après tout, ils s’appuyaient déjà depuis
fort longtemps sur les monarchies
wahhabites du Golfe, qui constituaient
au fond avec Israël leur mâchoire au
Proche-Orient, dans un premier temps
pour surveiller contenir le régimes
arabes « progressistes » et
pro-soviétiques, et puis plus tard
l’Iran révolutionnaire chiite.
Si ça
marche avec Addallah et Erdogan…
La vague des printemps
arabes a obligé les Américains à
abandonner leurs vieux obligés comme
Moubarak et Ben Ali et à changer de
monture en vitesse, au moins en Égypte,
en tentant d’apprivoiser les Frères
musulmans. Après tout, les stratèges du
Pentagone et du Département d’État
avaient sous le yeux depuis quelques
années l’exemple turc où les islamistes
« modérés » d’Erdogan continuaient à se
montrer les meilleurs amis de Washington
et de l’OTAN. Les Israéliens
n’avaient-ils pas montré la voie eux
aussi en encourageant discrètement le
Hamas contre le Fatah ?
Alors pourquoi, en effet,
ne pas essayer de s’appuyer sur la force
montante du monde arabo-musulman, cet
Islam politique conservateur présent et
conquérant non seulement en Turquie, en
Égypte, au Maroc, en Tunisie, mais aussi
en Jordanie, dans toute la péninsule
arabique ?
La subversion de la Libye
de Kadhafi a vu la concrétisation
violente de cette stratégie de l’Empire
: mettre les islamistes au pouvoir pour
mieux les domestiquer, se constituer de
nouveaux alliés, de nouvelles
clientèles. Et par la même occasion
mettre les chiites sous influence
iranienne au ban du monde musulman,
empêcher tout rayonnement de cet
islamisme-là ouvertement anti-américain
et anti-sioniste, contrairement à sa
version sunnite. On
sait que ce sont les mêmes
préoccupations géostratégiques
américaines qui sont à l’origine du plus
gros des malheurs actuels de la Syrie.
C’était finement – et
cyniquement – joué de la part d’un
puissance qui s’était érigée depuis le
11 septembre en chef de croisade
anti-terroriste. Mais c’était aussi
jouer serré, très serré. Car la
frontière entre l’Islam politique plus
ou moins modéré à la Frères musulmans et
le salafisme-djihadiste à la al-Qaïda
est floue, poreuse, dans les sociétés
arabes sinon dans leurs état-majors
politiques.
On a écrit ici que l’Islam
politique avait sa légitimité, en tant
que populisme dirigé contre les élites
corrompues et l’arrogance et l’injustice
des puissances occidentales. Le malheur
est que cette protestation a été «
achetée » bien souvent par l’or du Golfe
et de Washington. Et gangrénée par le
wahhabisme, le salafisme, le djihadisme
Et il n’a pas fallu
attendre longtemps pour voir, selon une
loi historique souvent observée, les
premiers révolutionnaires confrontés à
la surenchère de plus révolutionnaires
qu’eux : en Égypte, en Tunisie mais
aussi en Syrie, les islamistes
classiques faire face à des dissidences
salafistes, violentes et influentes. Un
homme comme Mohamed Morsi est
directement confronté aujourd’hui à ce
défi.
Les
limites du cynisme géostratégique
Revenons à la Libye,
puisqu’elle fait l’actualité, et quelle
actualité : avec l’inconséquence qu’ils
maquillent en grande politique
impériale, les Américains ont ouvert la
boîte de Pandore djihadiste en
renversant par obsession symbolique un
Kadhafi qui ne les menaçait plus guère.
Ils ont oublié que le
cynisme a ses limites en géopolitique :
les forces qu’ils ont déchaînées ou
encouragées dans l’arc arabo-musulman
sont fondamentalement hostiles à tout ce
qu’ils représentent.
L’affaire de ce film
satirique sur et contre Mahomet est
tellement caricaturale qu’on se
demanderait presque – mais nous ne
sommes pas conspirationnistes – s’il ne
s’agit pas d’une provocation concoctée
dans on ne sait quel laboratoire de la
CIA – on ne sait à quelles fins : un
film dépeignant le Prophète comme un
homosexuel libertin concocté par un
réalisateur juif israélo-américain,
c’est quand même plus « costaud » que
les caricatures danoises ou même les «
versets sataniques » de Salman Rushdie.
C’est que, malgré leurs
alliances de revers et de circonstance,
les États-Unis demeurent, par leur
licence culturelle et leur sionisme
politique, leur impérialisme sanglant
aussi dont l’Irak et l’Afghanistan ont
fait les frais, le Grand Satan de tous
les radicaux islamistes et aussi de pas
mal de musulmans « lambda ».
L’ambassadeur américain en Libye et
trois ou quatre autres de ses
compatriotes sont morts pour avoir
oublié ou feint d’oublier ces
incontournables contradictions. La
morale se venge parfois du cynisme.
Des contradictions qui se
retrouvent, avec quelle force, en Syrie
: dénoncer al-Qaïda tout en appuyant
l’ASL, ça aussi c’est jouer serré,
tellement serré que ça peut devenir
intenable. On peut toutefois envisager
que Washington – et ses suiveurs
européens – soient de plus en plus
tentés de lever le pied dans leur aide
aux barbus de toutes obédiences qui
sévissent au pays de Bachar. Parce
qu’entre l’Égypte instable et tentée par
le radicalisme, la Libye chaotique, la
Jordanie coincée entre l’islamisme et
l’alliance israélienne, l’ami israélien
commence à avoir chaud. Et ne parlons
pas du Yémen rongé par al-Qaïda, et de
la Tunisie où les salafistes sont des
plus offensifs. Et du baril de poudre
bahreini, et, et, et…
Dans une allocution
diffusée aujourd’hui Obama a rendu
hommage à son diplomate mort qui s’était
tellement investi pour la la cause de la
« liberté » libyenne.
En attendant, son pays est plus détesté
que jamais dans ce monde musulman qu’il
croyait apprivoiser et instrumentaliser
au gré de ses
combinazione stratégiques. Le
printemps arabe a définitivement échappé
à l’Occident, un 11 septembre…
Publié le 13 septembre 2012 avec l'aimable
autorisation d'Info Syrie
Le
dossier Libye
Les dernières mises à jour
|