Opinion
Guerre des deux
Corées :
quand l'impossible devient inévitable
Konstantin
Bogdanov
Photo: RIA
Novosti -
© AFP/ Jung
Yeon-Je
Jeudi 4 avril 2013
Source:
RIA Novosti
Le nouveau conflit militaro-politique
qui oppose les deux Corées semble sans
fin. Une guerre éventuelle sur la
péninsule coréenne est-elle plausible ?
Quelles pourraient être ses
conséquences? A quoi pourrait ressembler
un conflit entre les deux Corées et
quelle position pourraient adopter les
Etats-Unis, la Chine et la Russie s’il
éclatait ?
Préface
D'après l'opinion majoritaire, il n'y
aura pas de guerre. Personne n’en a
besoin et surtout pas la Corée du Nord
ou le Japon.
La Corée du Sud n'en a pas non plus
besoin car il est moins rentable
d'entrer en confrontation de contact en
ayant une infrastructure complexe et une
économie industrielle développée que
d'apporter une aide humanitaire à la
Corée du Nord.
Les Etats-Unis, enlisés en
Afghanistan et au Proche-Orient, n’ont
pas plus d’intérêt à voir éclater un tel
conflit. Ce serait une épreuve trop
lourde pour le système de sécurité
internationale en Asie-Pacifique,
surtout dans un contexte d'instabilité
financière croissante.
La Russie fait partie du même lot :
cette passe d’armes entre les deux
Corées est, pour elle, plutôt une sorte
de désagrément collant à éviter qu'une
catastrophe nationale. Moscou est
traditionnellement respecté à Pyongyang
même si les relations entre les deux
pays sont moins solides depuis les
années 1990. Quant à la Corée du Sud,
les Russes lui fournissent des armes et
développent avec elle du matériel
spatial et militaire. Cette guerre
serait donc particulièrement désagréable
pour la Russie, d’autant qu’elle ne
pourrait l’influencer qu'indirectement.
Par conséquent, l'issue la plus
plausible de cette crise printanière
dans la péninsule de Corée serait un
accord conclu en coulisses pour apporter
davantage d'aide au profit de Pyongyang
ou assouplir les sanctions.
Les alliés
Tout d’abord, une éventuelle guerre
sur la péninsule n’opposerait pas
seulement les deux Corées. En cas de
conflit, la Corée du Nord serait au
moins confrontée à l'intervention des
Etats-Unis et, en cas d'utilisation de
l'arme de destruction massive (ADM), à
l'ensemble de la communauté
internationale dont le Japon.
Sachant que la Russie resterait de
manière ostentatoire en dehors du
conflit, bien que Washington puisse
faire pression sur Moscou.
La Chine, acteur central de la guerre
de Corée de 1950-1953, se retrouverait
dans une situation difficile qui
exclurait de facto toute intervention
directe. Elle pourrait fournir à
outrance des munitions et de la
nourriture à Pyongyang mais le premier
mouvement d’un "volontaire" chinois sur
ce front serait un sérieux problème.
Aujourd'hui Pékin n'a absolument pas
besoin de ce conflit, contrairement à la
première guerre de Corée. En cas de
blocus et d’offensive aérienne contre la
Corée du Nord, les Chinois pourraient
devoir utiliser leur armée pour retenir
le flux de refugiés affamés. Par
conséquent, l'ingérence de Pékin serait
une sorte de poing frappé sur la table
et adressé à tous les acteurs du conflit
afin de l'empêcher de dégénérer en
guerre. Rien de plus, très certainement.
Les belligérants pourraient également
reprendre leurs esprits après quelques
jours de bombardements. Ainsi, la Chine
gagnerait des points comme leader
régional en les faisant s'assoir à la
table de négociations. Une attitude qui
serait d'autant plus marquante si les
USA étaient incapables d’empêcher le
conflit armé.
Mais Pékin ne lancera pas ses efforts
et ses moyens, même si l'idée de
transformer Pyongyang en "hamster de
combat" pour des crises contrôlées en
Asie-Pacifique parait prometteuse (c'est
déjà en partie le cas). Cette initiative
est pourtant compliquée par les
ambitions des autorités nord-coréennes
et par le fait que jouer à la
déstabilisation amène justement une
vraie déstabilisation. Et là, la guerre
est à deux doigts.
De ce fait, la Corée du Nord se
retrouve seule face à la Corée du Sud -
ce qui reste supportable - et aux
Etats-Unis. Epuisés après deux décennies
d'hégémonie mondiale, les USA restent
capables d'anéantir une armée classique
du XXème siècle.
Cela a fonctionné en 2003 en Irak
mais ici, l'invasion terrestre ne sera
pas nécessaire : le Sud fera tout le
travail. On assisterait alors à une
nouvelle version de la Yougoslavie de
1999.
L'art
militaire du Juche
En comparaison avec l'armée
sud-coréenne, celle de Corée du Nord
paraît nombreuse et belliqueuse mais
elle est largement moins bien équipée.
Les troupes du Nord sont supérieures en
nombre, ont plus de canons d'artillerie
et de chars.
Rapport de forces sur la péninsule de
Corée
Cependant, en regardant de plus près les
véritables performances techniques ou
encore l'état et les capacités
logistiques en cours d’opération - avant
tout le carburant pour l'aviation et les
blindés - le tableau se renverse. La
Corée du Nord peut, en réalité, faire
avancer sur le champ de bataille un
grand nombre de matériel obsolète mal
entretenu. C’est encore pire pour
l’aviation.
Une attaque frontale contre le Sud,
vu sa supériorité en termes de
transmissions, de renseignement et sa
domination aérienne, entraînerait des
pertes immenses pour le Nord.
Etant donné la supériorité de
l'ennemi en mer, les flancs de la Corée
du Nord seraient également ouverts à une
opération tactique, voire un
débarquement d'infanterie de marine -
sans parler de l'aviation navale.
Les "forces spéciales
nord-coréennes", qui représenteraient
des dizaines de milliers de soldats, ne
sont que des fantassins bien formés sans
renforts particuliers, qui ont pour
mission d'"inflitrer" le sud,
désorganiser les lignes arrières des
Sud-coréens ou encore mener une
guérilla. A quoi cela ressemblerait ?
Quelles seraient les pertes ? C’est un
autre sujet.
La Corée du Nord menace de
transformer Séoul en "mer de feu". Ces
déclarations ne paraissent pas aussi
impressionnantes si l'on calcule la
portée réelle de l'artillerie du Nord.
Certes, Séoul n’en sortirait pas
indemne, loin de là, mais on ne peut pas
dire que la Corée du Sud serait réduite
en cendres en une journée.
Quant à l'utilisation d’une arme de
destruction massive (nucléaire –
improbable, chimique – possible) qui
pourrait avoir des conséquences
terribles, surtout pour la population
civile du Sud, elle provoquerait
également une riposte contre le Nord.
Après cela, les Etats-Unis feraient
méthodiquement revenir la Corée du Nord
à l'âge de pierre, voire au
Protérozoïque. Même sans l'ingérence
totale d'autres puissances.
La défense antiaérienne de la Corée
du Nord semble importante mais elle a
pour base une artillerie sol-air
obsolète, uniquement capable de contrer
des missiles de croisière à basse
altitude. Cette défense serait
exterminée dès les premiers jours ou
devrait se débrancher pour survivre. Du
point de vue de l'attaquant, c'est du
pareil au même - surtout si l’on prend
en compte l'absence d'intégration réelle
des systèmes de renseignement et de
transmissions de Pyongyang.
Les conséquences d’une telle guerre
seraient déplorables aussi bien pour les
Nord-coréens que pour l'humanité en
général. On pourrait bien sûr trouver
une forme aiguë de fierté nationale
voire de patriotisme dans
l'extermination d'une armée enthousiaste
mal équipée. En fin de compte, en
1980-1988 dans la guerre contre l'Irak,
l'Iran utilisait la tactique de "vagues
humaines" pour tenter de résoudre le
conflit de position.
Mais une telle extermination humaine,
sans grand effet, pourrait déclencher
des troubles sociaux très désagréables
pouvant, pourquoi pas, dégénérer en
révolution.
Or ce serait précisément l'objectif
du commandement des opérations
psychologiques des Etats-Unis. La
version parfaite ? L'ennemi se mettrait
lui-même en condition grâce à ses
contradictions internes et il suffirait
de le laisser se fatiguer et désespérer.
L'économie
En principe, le fait que la Corée du
Nord ait maîtrisé aussi rapidement les
technologies balistiques et ait pu créer
un dispositif nucléaire n’est pas
étonnant, bien qu'il soit imparfait. Il
est encore trop tôt pour parler de la
présence au Nord d'une munition
nucléaire, qui plus est d'une ogive pour
un missile.
Essai nucléaire nord-coréen De plus, la
mobilisation limitée des faibles
ressources nord-coréennes est combinée à
la minimalisation des dépenses
"secondaires" – c’est-à-dire celles qui
ne servent pas à la défense et à
l'entretien. Le contexte socioéconomique
permet à Pyongyang de contrôler et
diriger fermement l'économie.
Il est exagéré de penser que
l'obscurité, la famine et les dix plaies
d'Egypte règnent en Corée du Nord. Les
cataclysmes naturels de la seconde
moitié des années 1990, couplés à la
dégradation des sols en raison d'une
agriculture extensive, ont effectivement
entraîné une pénurie alimentaire et la
famine à une certaine époque. Mais cette
situation a déjà été surmontée et selon
certaines informations, à la fin des
années 2010, la Corée du Nord avait
réussi à améliorer considérablement sa
production agricole.
Néanmoins Pyongyang est incapable de
maintenir une économie industrielle
développée et équilibrée mettant
l’accent sur l’innovation. Certains
secteurs "secondaires" de l'industrie
connaissent un développement très lent.
La modernisation autoritaire
contrôlée, accompagnée d'un
assouplissement considérable des
sanctions internationales, pourrait
mener à un "miracle nord-coréen". A
condition qu'on en ait besoin sur fond
de réduction de la consommation à
travers le monde et d'excès des
capacités industrielles.
Mais la situation actuelle
s’apparente de plus en plus à un trou
noir : la Corée du Nord dépense ses
meilleures ressources personnelles et
technologiques pour la défense et le
développement d’une arme de destruction
massive, tandis que le reste de
l'industrie tourne au ralenti, voire se
dégrade. La situation était similaire en
URSS dans les années 1980 et rien ne
prête à croire que dans le cas présent,
l'affaire se terminera autrement.
Toutefois, la capacité de résistance
du système social nord-coréen est bien
plus élevée qu'en URSS, ce qui donne
davantage de liberté d'action au
gouvernement. Deuxièmement, après avoir
observé le déclin du "système socialiste
mondial" et le triste sort de l'Irak, de
la Libye et de la Syrie, les autorités
nord-coréennes agiront bien plus
prudemment.
En fin de compte, il y a toujours
l'exemple de la Chine et du Vietnam qui
ont réussi à tenir et à intégrer le
marché mondial sans perdre leur
continuité politique.
La Corée du Nord a donc un potentiel
économique, bien qu'elle soit incapable
de supporter le fardeau militaire. Mais
on ignore comment elle réagirait en cas
d'offensive aérienne.
Epilogue
Il n'y aura pas de guerre car elle ne
serait bénéfique pour personne. Tout
conflit peut être réglé par la
négociation, aussi ferme qu'il soit. Le
monde est trop interdépendant pour
entreprendre des mesures destructrices
qui frapperaient la production et le
commerce.
Ces arguments sont semblables à ceux
de la presse du tournant des XIXème et
XXème siècles, qui s’interrogeait sur
l’éventualité d’une nouvelle grande
guerre en Europe. "Certes, elle est
possible, écrivaient les journalistes
connus de l'époque, mais personne n'en a
besoin et pour cette raison elle ne se
produira pas. Après tout, nous sommes
des gens civilisés, pourquoi tout cela
?"
Seul Friedrich Engels s'était permis,
en 1887, d'aller à contre-courant de ces
idées majoritaires :
"Huit à dix millions de soldats
s’entretueront et dévasteront l’Europe
comme une nuée de sauterelles. Une
dévastation en l’espace de trois à
quatre ans comparable aux ravages causés
par la Guerre de Trente ans et étendue
sur tout le continent. La famine, les
épidémies, le retour universel à la
barbarie tant des troupes que des masses
populaires du fait de la misère profonde
; une désagrégation irréparable de nos
mécanismes artificiels du commerce, de
l’industrie et du crédit aboutissant en
une banqueroute généralisée :
l’effondrement des vieux Etats et de
leur sagesse politique conventionnelle
au point où les couronnes rouleront par
dizaines sur la chaussée et qu’il ne se
trouvera personne pour les ramasser…
l’impossibilité absolue de prévoir
comment tout cela finira et qui sortira
victorieux de la bataille."
L'année 1914 a tout remis en place.
© 2013
RIA Novosti
Publié le 4 avril 2013 avec l'aimable
autorisation de RIA Novosti.
Le sommaire de Konstantin Bogdanov
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