En reconnaissant une
demi-vérité, on entérine un mensonge et demi.
Il arrive qu'il y ait plus de vérité satirique dans une parodie
que dans une expression sérieuse et conformiste. La preuve.
Pourquoi le spectateur occidental est-il toujours confronté à de
la désinformation d'autant plus efficace qu'elle est partielle?
Spectateur - à entendre
dans une optique de
téléspectateur. Je m'explique : on convoque dans des
émissions télévisées des analystes, critiques et experts en
stratégie géopolitique
pour vous délivrer un message considéré comme rebelle,
contestataire, critique alors que ce message n'est contestataire
que dans la mesure où il se garde bien de contester le
fonctionnement du système. Dans la mesure où il conforte le
système en n'en critiquant que les aspects superficiels. L'une
des caractéristiques de cette technique rhétorique irritante
consiste à omettre d'identifier le vrai adversaire critiqué pour
lui donner une identité superficielle ou hypertrophiée, faisant
ainsi le jeu des propagandistes critiques de la théorie du
complot, emmenés en France par l'ineffable Taguieff.
J'ai sélectionné trois interventions qui évoquent ce
fonctionnement déformant. Elles sont centrées autour de la crise
du Yémen, où l'hydre providentielle al Quaeda aurait encore
frappé d'une de ses tentacules aussi invisibles que
miraculeuses. Al Quaeda au Yemen est un bon moyen de comprendre
l'entreprise de réduction critique. Qui croit encore en al
Quaeda? Al Quaeda - la pieuvre qui suit les déplacements des
forces militaires atlantistes? C'est une coïncidence plus que
redondante. Après l'Irak, le Yémen... Les métastases d'al Quaeda
se propagent. Obama est le bon docteur. Docteur Folamour?
Docteur Mabuse? Docteur Jekyll?
En parlant de Jekyll, passons à Mister Hyde. Hyde Park. Hideux
parc. Le terroriste yéménite venait de la pépinière en
terrorisme la plus fructueuse et la plus féconde au monde.
Afghanistan? Pakistan? Iran? Liberia? Non - Londonistan. On ne
parle jamais dans les médias officiels du Londonistan - et c'est
bien dommage, car on y découvrirait la clé des champs de bien
des tentatives explosives et expérimentales. Le terrorisme
est-il un phénomène sociologique hasardeux et spontané - ou
obéit-il à des manipulations institutionnelles et retorses?
Je crains fort que le Londonistan nous apporte le genre de
réponse que nos analystes critiques des grands médias officiels
feignent de ne pas voir : non seulement le terrorisme n'est pas
un phénomène sociologique spontané, mais en plus il ne vient pas
en définitive des lieux que l'on désigne d'ordinaire par
paresse, superficialité ou souci de diversion. Des montagnes
désertiques. Des grottes improbables. Des îles fantomatiques.
Des no man's lands
terroristes... Pourquoi ne parle-t-on jamais de l'Empire
britannique? De l'Empire britannique historique - mais aussi de
sa mutation décolonisatrice
en factions financières apatrides et fiscalement
paradisiaques?
On comprendrait bien mieux la marche du monde, si tant est que
l'on se souvienne que pour faire sens, il faut partir des bonnes
causes et suivre les bons processus interprétatifs. On pourrait
même à partir de questions politiques embrayer sur des questions
d'ordre philosophique et religieux : l'impérialisme,
l'oligarchie, le nihilisme... Demandez à Aristote et à Platon.
Au lieu de mettre sur la table les cartes, qu'on dicte et qu'on
vérifie, qu'on croise et qu'on recoupe, non, on se contente de
pokers menteurs - complets comme la nébuleuse
gaguesque al Quaeda - ou
de demi-jeux comme l'impérialisme américain ou l'impérialisme
sioniste. Quand on est en forme, on croise les deux hybrides et
on propose l'axe impérialiste américano-sioniste. Tout le monde
il est content?
Tout le monde en parle? Évidemment, ce n'est pas faux, mais
c'est encore plus fou : car en reconnaissant une demi-vérité, on
entérine un mensonge et demi. Quand on ne montre qu'une partie
du réel, c'est pour mieux cacher l'autre - parti. Que veut-on
cacher? Pourquoi produit-on des analyses tronquées et
forclusives? C'est qu'on
veut bien critiquer une partie du système occidentaliste -
surtout pas les fondements ni le fonctionnement véritable (et
vérifiable) du système.
Écoutons la critique d'Emmanuel Todd, le rebelle
démographe-statisticien qui annonce la chute des Empires, en ce
moment de l'Empire américain, dénonce le mythe de la guerre
contre le terrorisme ou défend des valeurs désuètes, voire
sulfureuses, comme le protectionnisme (injustement taxé de
nationalisme par les libres-échangistes souvent ignares). Qui
est Todd? Un expert qui incarne la contestation modérée, le cœur
du système qui conteste le système. Que Todd ne nous conte-t-il
point les conceptions anti-impérialistes du grand économiste
allemand List, qui avait identifié la méthode prédatrice de
l'Empire britannique au début du dix-neuvième siècle?
Qu'il est rassurant de contester au cœur du système! Todd n'est
pas le premier médium du
nom à dire oui. Todd serait-il un
béni-non-non? Comme dans
n'importe quel bon système oligarchique qui
dysfonctionne, Todd Jr.
est le fils de - le
journaliste Olivier Todd. Olivier-Oliver - car notre journaliste
so smart est anglais par
sa mère. Olivier est un proche du propagandiste atlantiste Revel
et collabora lui-même pour l'OTAN. Todd Jr. a-t-il de qui tenir?
Notre rebelle consensuel se présente comme protectionniste
diacritique de l'impérialisme américain.
Nous y sommes : le protectionnisme que prône Todd amènera-t-il
notre brillant analyste à énoncer l'alternative viable au
libre-échangisme, qui n'est jamais qu'un impérialisme outrageux
dans lequel les pays les plus forts imposent leurs droits aux
pays les plus faibles? Je veux parler des idées économiques et
politiques du philosophe Leibniz. Des politiques comme Lincoln
ou F.D. Roosevelt constituent le vrai rempart à l'impérialisme
déguisé en libre échangisme.
Dès lors, la contestation de Todd est superficielle en ce
qu'elle ne peut jamais identifier le vrai ennemi impérialiste.
Pas l'Empire américain mâtiné de sionisme, pas le sionisme
tout-puissant et diabolique, mais l'Empire britannique, qui
s'est commué en factions financières et qui a engagé avec les
États-Unis un combat à mort. A partir du moment où les
États-Unis se sont libérés du joug impérialiste véritable, ils
sont traversés par de puissants réseaux impérialistes
britanniques, qui recoupent en gros les milieux confédérés.
Vraie question subversive et
constatataire :
pourquoi ne parle-ton jamais de l'Empire britannique?
Pourquoi ne dénonce-t-on jamais l'existence du
vrai empire ?
Pourquoi nous divertit-on avec l'Empire américain, l'Empire
américano-israélien ou ce genre d'élucubrations
approximatives? Quel jeu jouent les contestataires
revendiqués qui prétendent décoder l'actualité et dénoncer
les erreurs des versions officielles propagées par les
médias officiels? Quand comprendra-t-on qu'à l'heure où le
système impérialiste s'effondre, le seul moyen de sortir du
système putride et gangrené, de susciter le salutaire
changement est de dénoncer la vraie face du système ?
Question pour un champion : les rebelles systémiques qui
dénoncent l'Empire américain en lieu et place de l'Empire
britannique cherchent-ils à couvrir l'Empire britannique par
la définition divertissante (dans tous les sens du terme) et
approximative de leur faux impérialisme? Penchons-nous sur
le cas d'un analyste sans doute plus contestataire et moins
mainstream, le
géopoliticien gourmé et précis Pierre Hillard. Récemment, on
a pu l'entendre sur la radio
Ici et maintenant
commencer à infléchir les analyses géopolitiques
antiaméricaines en
rappelant l'histoire de l'Empire britannique et le fait que
toutes les institutions américaines impérialistes découlent
de fondements britanniques avec lesquels elles sont en lien
(je pense à l'action du
think tank CFR, qui dicte la stratégie américaine
depuis la fin de la Seconde guerre mondiale et qui dépend du
RIIA mère).
Hillard aurait-il enfin décidé de comprendre - de briser le
tabou politique de notre temps? Comment lutter contre
l'impérialisme si l'on se garde de le définir
adéquatement?
Comment lutter contre des idées inadéquates, interrogerait
le poli Spinoza? Non
seulement Hillard reste sur le pas de sa porte et évite
soigneusement de sauter le pas, comme tous les demi habiles
chez Pascal; mais en plus sa conception de la société
humaine le rend incapable de lutter contre l'impérialisme et
l'oligarchie de quelque nature qu'ils soient. Hillard
explique selon sa vision anthropologique que c'est toujours
un petit nombre d'élus qui façonnent le pouvoir.
On pourrait entériner - mais il y a un hic : ces élites
agissent au nom de leurs intérêts mal compris. Cette
constatation est d'importance. Quand des élites agissent au
nom de leurs intérêts spécifiques, elles se coupent de la
volonté générale et elles obéissent à un principe
oligarchique. En général, leur influence s'effondre avant la
fin de leur génération. Les individus qui ont le plus marqué
l'histoire ont agi de manière universelle. En politique, on
appelle cette action du républicanisme. Il ne sera besoin
que de citer Jésus - et la caravane passe.
Je veux dire : Hillard se présente comme catholique
(d'obédience traditionaliste? Monarchiste? Ancien Régime?).
Quand on est catholique et qu'on suit les dogmes des Pères
de l'Église, de Saint-Augustin entre autres, on est
républicain. On est universaliste. On est monothéiste. On
partage le même idéal que Platon. Comme dirait l'aristocrate
oligarque Nietzsche, on est du côté du
troupeau. La vision
de l'histoire, du fonctionnement social et de la
géopolitique de notre expert Hillard est fort peu calquée
sur le modèle de Jésus et tout à fait sur les conceptions
oligarchiques de l'Empire romain.
Hillard serait-il un impérialiste qui admire l'impérialisme
traditionnel incarné à ses yeux par les valeurs catholiques?
S'opposerait-il à l'impérialisme britannique comme à des
valeurs qu'ils désapprouvent parce qu'elles sont
révolutionnaires à l'intérieur de l'impérialisme? Je pense à
la mutation financière de l'impérialisme depuis la
décolonisation. Hillard désapprouverait-il l'impérialisme
financier tout en appuyant l'impérialisme au nom du
fonctionnement nécessaire et inévitable de l'homme? Toujours
est-il que Hillard n'est pas plus capable de nous sortir de
l'ornière impérialiste britannique qu'Emmanuel Todd.
Reste pour poursuivre sur une note comique la sortie pleine
de panache (ou de ganache) de l'ami Cantona. Canto était un
bon footballeur qui fit les beaux jours de Manchester United
et quelques dégâts divers. Comme il était d'un naturel
bagarreur et caractériel, on l'estampilla rebelle et
intellectuel, ce qui ne correspond pas du tout à son
développement mental effectif. Depuis qu'il a pris sa
retraite, il s'est lancé, entre autres activités marginales
et contestataires, dans la carrière d'acteur taiseux et
incompris. Venu récemment promouvoir sur un plateau télévisé
son dernier film, qui apparemment parle de mafia, il a voulu
se lancer dans une critique radicale et passablement confuse
du pouvoir occidental, qui ressemblerait selon lui de plus
en plus à un repaire de mafieux.
Résultat des courses : la mafia qui par définition se tenait
en périphérie du pouvoir aurait investi le cœur du pouvoir
et rendrait invivable la société humaine. C'est une
constatation de bon sens, qui devrait suffire à produire
quelques bons films du genre à Hollywood - en représentant
les représentants mafieux sous les traits de représentants
institutionnels ou financiers, célébrés par les ors des
palaces. Creuse : Cantona s'égare et égaye en dressant
l'apologie de la résistance individuelle, violente,
mafieuse, marginale contre le pouvoir - mafieux. C'est dire
qu'il convient selon cette conception irrationnelle,
épidermique et incohérente de lutter contre la violence par
la violence. Contre impérialisme, de l'impérialisme. Contre
l'oligarchie, de l'oligarchie. Contre du terrorisme, du
terrorisme. Contre de l'illégalité, de l'illégalité.
Serait-ce la raison pour laquelle les peuples d'Occident ont
tant de mal à critiquer efficacement les dérives des élites
oligarchiques d'Occident? Parce qu'elles tendent vers le
même modèle? L'impérialisme
acritique et servile?
Pour finir sur une note d'espoir, la preuve que l'on peut
sortir une chanson dérangeante en étant dérangé à la
marijuana - dans un
état psychiatrique très inflammable. Peter Tosh exprime la
voix des esclaves africains qui ont subi en Jamaïque le
régime impérialiste britannique et qui ont expérimenté dans
leur chair ce que signe un décret impérialiste. Les
rastas désignent
l'impérialisme sous l'expression biblique de Babylone. On
pourra critiquer tant qu'on voudra l'apologie
mystico-allumée de l'herbe; l'incohérence
théologico-politique; la violence paranoïaque et hantée, à
la manière du bluesman
Robert Johnson (d'ailleurs meilleur chanteur que Tosh).
On ne pourra que sourire de sympathie devant cette
prestation scénique décalée et terriblement second degré.
Quand verra-t-on fumer l'impérialisme britannique?
Publié le 20 janvier
2010 avec l'aimable
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