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The
Economist.com
Dompter le Léviathan
Pour
le lobby juif américain, c’est en même temps la meilleure et
la pire des époques
Kevin Kallangher
on
The Economist.com, 15 mars 2007
http://www.economist.com/world/na/PrinterFriendly.cfm?story_id=8861497
[L’illustration
de cet article de The Economist montre le lobby juif sous la forme
d’une baleine géante, identifiée par l’étoile de David,
assiégée au milieu d’une mer agitée par de petits bateaux
baleiniers. J’ai une grande sympathie et de l’admiration pour
les véritables géantes des mers, mais cette baleine-ci (bien
humaine, pour le coup) doit être harponnée et dépecée avant
qu’elle ne nous dépèce, tous autant que nous sommes… Jeffrey
Blankfort]
Cette
semaine a connu un énième rappel du pouvoir terrifiant « du
lobby ». L’American Israel Public Affairs Committee (Aipac)
a amené plus de 6 000 activistes à Washington à l’occasion de
sa conférence annuelle. Et ils se sont attelés à se montrer à
la hauteur des pires craintes de leurs détracteurs.
Ils
ont écouté les allocutions des quatre personnes les plus
puissantes sur Capitol Hill – Nancy Pelosi et John Boehner de la
Chambre des Représentants, Harry Reid et Mitch McConnell du Sénat
– ainsi que le vice-président (Dick Cheney) (qui a intitulé
son speech « Les Etats-Unis et Israël : Unis, nous
tenons bon ») et autres prestigieux détenteurs de pouvoir.
Plusieurs candidats à la présidentielle jouant en première
division ont organisé des réceptions particulières.
Le
roulage de mécaniques fut presque égalé par un étalage
d’efficacité exaspérante. Il y avait des cabines pour les
« badges d’accès », des cabines pour les « problèmes
se posant éventuellement aux délégués désireux d’assister
au banquet » et des cabines pleines de jeunes gens
serviables. La seule note discordante fut jouée par un groupe
d’une douzaine de protestataires – des juifs barbus, portant
papillotes et vêtus de lourds manteaux noirs – portant des
pancartes où était inscrit : « Arrêtez l’Aipac »,
« La Torah interdit aux juifs de dicter toute politique étrangère »
et « Le judaïsme rejette l’Etat d’Israël ».
Les
lobbyistes avaient toutes les raisons d’être fiers de leur
travail. Le Congrès compte aujourd’hui plus de membres juifs
que jamais par le passé : trente, à la Chambre, et treize
– ce qui est remarquable – au Sénat (Il y a aujourd’hui, au
Congrès, davantage de juifs que d’épiscopaliens). Les deux
partis se font concurrence sur la question de savoir lequel des
deux est le plus « entiché » d’Israël. Près des
deux tiers des Américains ont de cet endroit une appréciation
favorable.
Néanmoins,
ils ont quelque raison de se sentir un peu nerveux, aussi. La débâcle
en Irak a produit un féroce tollé contre les faucons pro-guerre,
auquel l’Aipac appartient, à n’en pas douter. Cette
organisation a également encouragé des gens pourtant sérieux à
poser d’étranges questions au sujet de l’alliance entre l’Amérique
et Israël. Et un nombre croissant de personnes veulent sévir
contre l’Aipac. Un groupe de pression, le Council for the
National Interest [Conseil de l’intérêt national] – dirigé
par deux congressistes à la retraite, Paul Findley, un républicain,
et James Abourezq, un démocrate – en est même au stade de se
qualifier lui-même d’anti-Aipac ! Le Léviathan est peut-être
plus puissant qu’il ne l’avait jamais été par le passé,
mais des Capitaines Ahab, de plus en plus nombreux, tentent de lui
ficher leur harpon dans le lard.
Certains
des plus déterminés sont des Américains d’origine arabe, qui
ne cessent de croître en nombre et en influence, depuis des années
– ils sont probablement environ 3,5 millions – et qui se
trouvent dans l’œil du cyclone politique depuis les attentats
du 11 septembre 2001. Ils représentent une force politique
croissante dans le nord de l’Ohio et du Michigan, et leurs
institutions, comme l’Arab American Institute et le Council on
American-Islamic Relations (CAIR), ont de nombreuses possibilités
d’accéder l’argent du Moyen-Orient.
Mais,
jusqu’ici, leur performance n’a rien d’impressionnant. Cela
fait vingt ans que James Zoghbi promet que son Arab American
Institute va opérer sa percée. CAIR reste marginal. Les Arabo-Américains
sont tristement divisés entre chrétiens (63 %), et musulmans (24
%). Ils ont, par ailleurs, tardé à s’intéresser à la
politique. Entre 1990 et 2004, les Arabo-Américains ont fait don
de 788 968 dollars à des candidats et des partis politiques, à
comparer aux 56,8 millions de dollars des associations pro-israéliennes !….
L’atout
maître de l’Aipac, c’est l’idée qu’il représente les
intérêts juifs dans un pays considéré généralement philosémite.
Mais des associations juives de gauche rétorquent qu’il ne représente
qu’une mince tranche de l’opinion juive. Un certain nombre
d’associations encore plus à gauche ont commencé à utiliser
leurs muscles politiques –
comme, par exemple, le Centre d’Action Religieuse pour la
Réforme du Judaïsme, Americans for Peace Now ou Israel Policy
Forum. Ces associations ont remporté une victoire significative
sur l’Aipac en persuadant le Congrès d’édulcorer un texte législatif
particulièrement impitoyable, le Palestinian Anti-terrorism Act,
qui aurait interdit tout contact d’un citoyen américain avec
les dirigeants palestiniens. Cette réussite a conduit à une
avalanche de spéculations selon lesquelles George Soros pourrait
éventuellement tenter d’institutionnaliser cette alliance réussie
en créant un pendant libéral de l’Aipac.
Mais
cela doit encore se matérialiser. Et on ne sait pas si M. Soros,
un Démocrate de gauche ayant très peu de sympathie pour Israël,
serait bien le meilleur patron d’une telle organisation. Mais
l’activisme croissant des associations juives de gauche souligne
un fait préoccupant, pour l’Aipac : la plupart des juifs
sont joliment de gauche. Ce sont pas moins de 77% d’entre eux
qui pensent que la guerre en Irak était une erreur, à comparer
à 52% de la population américaine. 87% des juifs ont voté pour
les Démocrates en 2007 mais quatre des juifs du Congrès,
seulement, sont démocrates.
Des voix dissidentes
Une
préoccupation encore plus grande, pour l’Aipac, résulte du
climat général dans l’opinion publique. Soudainement, il
devient possible, pour des gens sérieux – des hommes
politiques, mais aussi des universitaires – de poser des
questions très directes au sujet des relations qu’entretient
l’Amérique avec Israël. L’Amérique recherche-t-elle
vraiment ses propres intérêts, au Moyen-Orient, ou
recherche-t-elle les intérêts d’Israël ? L’Amérique
doit-elle vraiment s’associer aussi étroitement aux politiques
du gouvernement israélien, ou bien devrait-elle plutôt se forger
d’autres alliances ?
Zbigniew
Brzezinski, ancien conseiller ès sécurité nationale, s’inquiète
du fait que l’Amérique soit perçue, au Moyen-Orient, comme
« agissant, de plus en plus, au nom d’Israël ».
Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine, a comparé
la situation en Palestine à la ségrégation (raciale), arguant
qu’il ne saurait y avoir « de legs plus grandiose, pour
l’Amérique, que celui d’avoir contribué à créer un Etat
palestinien ». Philip Zelikow, un de ses ex-conseillers,
argue, en langage diplomatique, du fait que la seule manière de
créer une véritable coalition contre les terroristes, qui
incluse des Européens, des Arabes modérés et des Israéliens,
c’est qu’on puisse avoir « le sentiment que les
questions arabo-israéliennes sont effectivement prises en compte. »
Le
plus grand défi auquel l’Aipac soit confronté, c’est la
question de savoir comment faire face à ce climat. Ses adhérents
ont été admirablement sincères quant à leur mission dans la
vie. Ils se vantent de faire adopter plus d’une centaine de
textes législatifs pro-israéliens annuellement. Mais ils sont
trop enclins à interdire tout débat au moyen d’explosives
accusations d’a priori anti-israélien dès lors que les gens
demandent si ceci est une bonne chose. L’Amérique a besoin
d’un débat ouvert au sujet de son rôle au Moyen-Orient – et
l’Aipac a grand besoin d’assumer un rôle positif dans ce débat,
s’il tient à rester une telle puissante force dans le monde
politique américain.
Traduit
de l’anglais par Marcel Charbonnier
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