Opinion
L'honneur perdu de
Misrata
Kader Hannachi
Jeudi 18 octobre
2012
En 50 pages, le
dernier rapport de l'ONG de défense des
droits humains, Human Rights Watch, sur
les circonstances de la mort de l'ancien
guide libyen Mouammar Kadhafi laisse
clairement entendre que ce dernier a été
capturé avant d'être délibérément et
méthodiquement massacré, lui et ses
compagnons, en dehors de toute forme de
légalité et de justice alors que cela
était possible. Ce document décrit,
d'après une enquête de plusieurs mois
sur le terrain libyen et sur la base de
documents vidéo obtenus par des témoins
et des acteurs des actes barbares
auxquels le monde entier a assisté, la
façon dont l'ex-dictateur a été
déchiqueté à coups de baïonnette par des
miliciens en furie et comment il a été
achevé et exhibé, sans le moindre égard
pour les principes humains moraux et
religieux qui interdisent à ce que l'on
attente à un prisonnier de guerre qui
n'est plus en situation de riposter ou
de constituer une menace pour ses
assaillants.
Une histoire déjà ancienne et somme
toute classique à toute situation
révolutionnaire où seuls le fusil et le
couteau ont droit de cité pour faire
couler le sang ? Human Rights Watch
répond à cette question en précisant
que, outre le crime de guerre et les
actes ignobles dont a été victime
l'ancien chef de l'Etat libyen, «des
miliciens de l'opposition ont exécuté
sommairement au moins 66 membres du
convoi» dans lequel il se trouvait. Les
groupes incriminés par l'ONG de défense
des droits humains, d'après son enquête,
se sont donc livrés à une chasse à
l'homme puis à une véritable exécution
de masse. Les actes décrits sont du
registre de l'horreur et de l'abjection.
Ils sont passibles de poursuites pour
crimes contre l'humanité et de lourdes
condamnations à l'exemple de celles
prononcées dans les cas du Rwanda ou de
l'ex-Yougoslavie… Mais les Nations unies
et la Cour pénale internationale ne
l'entendront certainement pas de cette
oreille.
L'affaire libyenne ayant vu intervenir
des puissances occidentales et mobilisé
des acteurs aux enjeux géopolitiques
redoutables, elle présente en effet des
exceptions qui ne devraient pas faire
intervenir les juridictions
internationales compétentes pour juger
des crimes de guerre. Il n'empêche que
quelque chose de barbare s'est produit
en Libye et il n'est pas sûr que ce pays
sorte indemne du massacre de Kadhafi et
de ses hommes. En particulier si ses
nouvelles autorités n'adoptent pas
l'attitude d'un Etat juste et
responsable capable de faire la lumière
sur ce qui s'est passé. Jusqu'à ce que
ces autorités réagissent au rapport de
Human Rights Watch et qu'elles cessent
de nier les accusations de massacre
organisé et de «vengeance sanglante», on
restera au rapport d'enquête de l'ONG
américaine : un récit qui dit par des
éléments d'accusation accablants que les
miliciens qui ont «libéré»le pays du
joug du dictateur assassiné ont commis
les mêmes monstruosités qu'elles avaient
l'habitude de dénoncer.
Pour des révolutionnaires qui s'étaient
déclarés s'élever contre la tyrannie, le
fait de s'être livrés à des pratiques
inexcusables contre des personnes en
situation d'être maîtrisées et traduites
devant les tribunaux, c'est un terrible
et inquiétant renversement de rôles.
Cela équivaut à une défaite morale dont
les conséquences sont terribles dans un
pays où la question des groupes armés et
des milices, rappelle l'ONG Human Rights
Watch, n'est pas encore réglée. Loin de
là. Le nouveau pouvoir libyen demeure
aujourd'hui campé sur la version des
autorités de transition qui avaient
déclaré que l'ancien guide avait été tué
ainsi que ses supporters dans des
accrochages et des échanges de tirs
entre groupes hostiles durant une
opération de guerre classique. On peut
ne pas comprendre son attitude mais lui
donner du sens… Jusqu'à ce qu'il
parvienne à sortir totalement le pays du
spectre de la guerre civile dans
laquelle il était noyé.
MAIS S'IL N'Y A PAS A TRIPOLI D'ENQUETE
SERIEUSE SUR CE QUI S'EST PASSE A SYRTE
UN CERTAIN 20 OCTOBRE 2011 ET PENDANT
LES HUIT MOIS DU CONFLIT, IL Y A DE
FORTES CHANCES QUE LA SEULE REGLE QUI
PREVAUDRA DANS CE PAYS SERA CELLE DE LA
JUNGLE ET DE L'ABUS DU PLUS FORT CONTRE
LE PLUS FAIBLE. CE SERA ALORS POUR LE
GOUVERNEMENT ACTUEL UNE DEFAITE MORALE
GRAVE ACCOMPAGNEE DE MAUVAIS SIGNES POUR
L'AVENIR D'UN PAYS DONT L'AMBITION EST
DE CONSTRUIRE UN ETAT MODERNE ET NOURRI
DES PRINCIPES DE DROIT ET DE JUSTICE. CE
SERA POUR L'HONNEUR DES LIBYENS QUI
AVAIENT RESISTE A SYRTE ET A MISRATA,
VILLE REBELLE DESTINEE A ETRE RASEE PAR
LES TROUPES LOYALISTES A TRIPOLI AU
MOMENT DU CONFLIT, UNE PERTE
INCOMMENSURABLE.
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