Blog Julien Salingue
Un siècle de conflit entre le Sionisme et
les Palestiniens
Julien Salingue
Lundi 27 avril 2009
1. Le développement du sionisme : du Congrès de Bâle
à la naissance d’Israël
Le 1er Congrès Sioniste se réunit en août 1897, à Bâle. Il
consacre la transformation en mouvement politique d’un courant
idéologique né en Europe au cours de la 2nde moitié du 19ème
Siècle. Face au développement de l’antisémitisme, les sionistes
postulent l’impossibilité d’une coexistence entre Juifs et
nations européennes et préconisent en conséquence la création
d’un Etat juif. Ce courant est très minoritaire chez les Juifs,
beaucoup plus attirés par les organisations ouvrières, tel le
parti Bund qui regroupe en Europe orientale des centaines de
milliers de militants juifs se revendiquant du socialisme.
Les résolutions du Congrès de Bâle déterminent les objectifs
du mouvement sioniste. Le but est « d’assurer au peuple juif un
foyer en Palestine garanti par le droit public ». Pour y
parvenir, les délégués recommandent « l’encouragement
systématique à la colonisation de la Palestine » et « des
démarches (…) afin d’obtenir des gouvernements le consentement
nécessaire pour atteindre le but du sionisme ».
Ces 2 recommandations annoncent 2 contradictions qui
structureront, et structurent encore, le conflit entre
Israël et le peuple palestinien. La 1ère est la contradiction
entre la volonté de créer un Etat juif en Palestine et la
présence d’un peuple sur cette terre (il n’y a que 5% de Juifs
en Palestine en 1900). La 2nde est la contradiction entre la
rhétorique émancipatrice du sionisme et sa communauté d’intérêts
avec les pays impérialistes.
Le projet sioniste est un projet colonial qui suscite la
désapprobation des autochtones. Il a donc besoin de l’appui des
puissances qui dominent la région, notamment de la
Grande-Bretagne qui exerce un mandat sur la Palestine après la
Première Guerre Mondiale. Ce soutien est affirmé en novembre
1917 par le Ministre Britannique des Affaires étrangères, Lord
Balfour, qui déclare que « le Gouvernement de sa Majesté
envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un Foyer
National pour le peuple juif ».
Les Britanniques ont été convaincus par les garanties données
par Chaïm Weizmann, dirigeant sioniste résidant à Manchester. Il
a repris l’argument de Theodor Herzl, considéré comme le Père
fondateur du sionisme, qui écrivait que l’Etat juif serait «
l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie ». Le 1er
gouverneur britannique de Jérusalem déclare au début des années
20 que l’Etat juif sera « un petit Ulster juif loyaliste dans un
océan d’arabisme potentiellement hostile ».
Forte de ce soutien, la colonisation s’accélère dans les
années 20 et 30. L’allégeance sioniste aux intérêts
impérialistes se concrétise en 1936 : lors du 1er soulèvement
des Palestiniens contre la colonisation juive et la tutelle
britannique, les milices sionistes épaulent l’armée britannique
pour écraser une révolte qui menace de prendre une tournure
régionale.
La Seconde Guerre Mondiale et le génocide confèrent une
légitimité nouvelle au sionisme. De plus, les grandes puissances
voient plutôt d’un bon œil la création d’un Etat allié au cœur
d’une région fortement déstabilisée par le développement des
mouvements anti-coloniaux. En novembre 1947, l’ONU décide d’un
partage de la Palestine entre un Etat juif (54% du territoire)
et un Etat arabe (46%).
Les Juifs ne représentent alors qu’1/3 de la population. Les
dirigeants sionistes vont tout mettre en œuvre pour étendre la
superficie de l’Etat juif et pour en expulser les non-Juifs : la
colonisation n’ayant pas suffi, il faut en passer par le
nettoyage ethnique. Lorsqu’en mai 1948 Israël proclame son
indépendance, qui déclenche la 1ère guerre israélo-arabe, 400
000 Palestiniens ont déjà été chassés ; à l’armistice (1949),
Israël a conquis 78% de la Palestine et 800 000 Palestiniens
sont réfugiés.
2. La montée du nationalisme palestinien : de la
création de l’OLP à l’Intifada
Il faudra attendre près de deux décennies après la création
de l’Etat d’Israël pour que les Palestiniens puissent se doter
d’une représentation nationale propre et que leur sort ne
demeure plus entre les mains des seuls Etats arabes. Après
l’armistice de 1949, la Cisjordanie est annexée par la Jordanie
tandis que Gaza est sous contrôle de l’Egypte. Ces 2 Etats
empêchent l’émergence d’une direction palestinienne autonome et
instrumentalisent la cause palestinienne dans le cadre des
rivalités inter-arabes.
C’est dans ce contexte qu’est fondée en 1964 l’Organisation
de Libération de la Palestine (OLP), une création des Etats
arabes, et non un organe dont se seraient dotés les
Palestiniens. La charte de l’OLP précise par exemple que
l’organisation n’exerce aucune souveraineté sur la Cisjordanie
et Gaza. Le nationalisme arabe et le panarabisme sont à leur
apogée, et la question palestinienne est pensée dans le seul
cadre de la question arabe.
Dès 1959, des Palestiniens exilés au Koweït créent le
Mouvement National Palestinien de Libération (Fatah). Yasser
Arafat, Farouk Kaddumi, Khalil al-Wazir (Abu Jihad) et Salah
Khalaf (Abu Iyad) dénoncent la passivité des régimes arabes et
revendiquent la « Palestinisation » de la lutte. Le Fatah se
développe notamment dans les camps de réfugiés de l’extérieur et
à Gaza et décide, en 1965, de se lancer dans des actions armées
contre Israël.
L’écrasante victoire d’Israël lors de la Guerre des 6 jours
en juin 1967 porte un coup fatal au nationalisme arabe et
renforce la crédibilité et l’audience du Fatah. Le Front
Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, d’inspiration
marxiste, partisan de la lutte armée) est créé en 1967 suite à
une scission du Mouvement Nationaliste Arabe (MNA). En mars
1968, le Fatah tient tête à l’armée israélienne à Karameh, en
Jordanie, et voit son prestige s’accroître. Au tournant des
années 1968-69 les organisations de guérilla, Fatah en tête,
prennent le contrôle de l’OLP et Arafat en est élu Secrétaire
Général.
La cause palestinienne suscite l’adhésion des populations
arabes et stimule la contestation des régimes en place, y
compris sur les questions sociales et démocratiques. En 1970-71,
l’OLP est chassée d’une Jordanie menacée de déstabilisation et
s’installe au Liban. Parallèlement le mouvement nationaliste se
développe dans les territoires occupés. Une génération militante
y émerge durant les années 70 et 80, qui revendique une relative
autonomie vis-à-vis de la direction extérieure de l’OLP, tout en
reconnaissant sa légitimité. Les factions de gauche (Parti
Communiste, FPLP et FDLP, scission du FP) sont
proportionnellement plus fortes dans les territoires occupés que
dans l’OLP.
Dès les années 70, la direction Arafat s’est résolue à une
solution négociée et tente d’acquérir une légitimité sur la
scène internationale. Le mouvement se bureaucratise et développe
au Liban un appareil de plusieurs milliers de membres que
certains considèrent comme un « Etat dans l’Etat ». La direction
de l’OLP revendique le monopole de la représentation, refusant
de laisser trop d’autonomie à des cadres de l’intérieur plus
radicalisés par le combat quotidien contre l’occupation.
La combinaison du développement du nationalisme dans les
territoires palestiniens et de la violence de l’occupation
israélienne débouche, en décembre 1987, sur une explosion en
Cisjordanie et à Gaza : l’Intifada. Toutes les catégories de la
population sont impliquées dans un soulèvement qui n’a pas été
initié par la direction de l’OLP. Les cadres de l’intérieur
participent à la mise en place de structures d’auto-organisation
de la lutte, comme le Commandement National Unifié (CNU),
direction légitime et reconnue de l’Intifada. L’ensemble des
courants politiques, y compris les factions islamiques (Hamas et
Jihad islamique), en pleine expansion dans les années 80,
participent à l’organisation de l’Intifada.
Manifestations de masse, grève des impôts, mouvements de
prisonniers… La résistance est multiforme, populaire et remet la
question palestinienne au cœur des débats internationaux. A
l’été 1988, le Roi de Jordanie renonce à toute souveraineté sur
la rive ouest du Jourdain. En novembre 1988, lors du Conseil
National Palestinien d’Alger, l’OLP proclame l’Etat indépendant
de Palestine, reconnaît officiellement Israël et exige la tenue
d’une conférence internationale. S’appuyant sur un soulèvement
qui s’essouffle peu à peu et qu’elle contrôle de plus en plus
étroitement, la direction de l’OLP se place comme
l’interlocuteur incontournable de toute négociation. Tandis que
l’Intifada s’éteint au début des années 90, confrontée à la
répression et à l’isolement international, la direction Arafat
se consacre exclusivement à la diplomatie.
3. Le piège d’Oslo et du « processus de paix »
Après la chute de l’URSS, les Etats-Unis, seule
superpuissance, entendent imposer un « Nouvel Ordre Mondial »,
qui implique un « Nouveau Moyen-Orient ». Il s’agit de démontrer
l’hégémonie militaire états-unienne (guerre d’Iraq) et son
hégémonie diplomatique, via un règlement, au moins en apparence,
de la question palestinienne. Les Etats-Unis forcent Israël,
chantage financier à l’appui, à négocier.
La direction de l’OLP, très affaiblie par le soutien d’Arafat
à Saddam Hussein, n’est pas invitée aux négociations qui
s’ouvrent en octobre 1991 à Madrid. Les membres de l’OLP qui y
participent viennent des territoires occupés. Des contacts
secrets sont néanmoins établis entre des proches d’Arafat et des
dirigeants israéliens : un 2nd canal de négociations se met en
place à Oslo. Le faible niveau d’exigence des négociateurs
d’Arafat tranche avec la fermeté des Palestiniens de
l’intérieur, ce qui convainc Israël de choisir le canal d’Oslo.
Israël estime que la direction Arafat est suffisamment
affaiblie mais encore assez légitime pour faire accepter Oslo à
la population. Depuis 1967 et l’occupation de toute la
Palestine, Israël est confronté à une difficulté car les
Palestiniens sont restés et donc sous sa responsabilité :
comment préserver simultanément le caractère juif et les
prétentions démocratiques d’Israël ? Les Accords d’Oslo,
officialisés en septembre 1993, tentent de répondre à ce
problème : maintien de l’emprise israélienne sur l’essentiel de
la Palestine tout en accordant « l’autonomie » aux zones les
plus peuplées. L’Autorité Palestinienne (AP) est créée pour
administrer ces zones.
L’armée évacue les villes et les camps (« Zones A », moins de
20% de la Cisjordanie et de Gaza) et garde le contrôle du reste
des territoires occupés depuis 1967 (« Zones B et C », plus de
80%). Le nombre de colons double entre 1993 et 2000, tandis que
l’AP joue essentiellement un rôle de coopération économique et
sécuritaire avec Israël. A l’été 2000, le Premier Ministre Barak
propose un règlement définitif : fragmentation de la
Cisjordanie, domination israélienne sur Jérusalem et négation du
droit au retour des réfugiés.
Arafat refuse ce plan, conscient qu’il sera rejeté par la
population. En septembre 2000, les Palestiniens se soulèvent,
exprimant leur colère contre la poursuite de l’occupation et
leur défiance vis-à-vis des négociations. La répression est
féroce. Arafat, qui a encouragé le soulèvement en espérant se
renforcer dans les négociations, est déclaré persona non grata
par Bush et Sharon, qui exigent des réformes de l’AP pour donner
du poids à des individus plus fiables, tels que Mahmoud Abbas.
Après la mort d’Arafat et l’avènement d’Abbas (2005), Israël
et les Etats-Unis imposent des élections législatives à l’AP,
pour faire émerger un gouvernement prêt à signer une reddition
définitive. Mais la population choisit le Hamas, qui s’est
développé dans les années 90 et 2000 en alliant critique d’Oslo,
soutien matériel aux populations et poursuite de la lutte. Un
vote politique et non religieux, pour l’organisation qui
incarnait le mieux, aux yeux de la population, la résistance et
le refus des compromissions.
Depuis, Israël et ses alliés font payer à la population son
vote et essaient de neutraliser le Hamas : boycott diplomatique
et économique, tentative de renversement du gouvernement en juin
2007, offensives militaires contre Gaza, arrestations de
dirigeants et militants du Hamas avec la complicité de l’AP. La
récente offensive contre Gaza n’est que le dernier avatar de
cette politique.
Telle est la logique du « processus de paix » : la « paix »
se fera aux conditions d’Israël, l’interlocuteur palestinien
devra capituler ou sera liquidé. L’ « autonomie palestinienne »
n’était que la poursuite de l’occupation par d’autres moyens. En
Palestine, nombre de voix s’élèvent aujourd’hui pour affirmer
que l’heure est à la réflexion sur les formes de la lutte et à
la reconstruction de la résistance.
4. Chronologie succincte
Août 1897 : Premier Congrès sioniste.
Novembre 1917 : Déclaration Balfour.
Juillet 1922 : Début du Mandat Britannique
sur la Palestine.
1936-1939 : Premier soulèvement palestinien
contre la colonisation et la tutelle Britannique.
29 novembre 1947 : Résolution 181 de l’ONU
qui consacre le partage de la Palestine.
14 mai 1948 : Déclaration d’indépendance
d’Israël, début de la première guerre israélo-arabe
11 décembre 1948 : Résolution 194 de l’ONU,
qui affirme « qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés
[palestiniens] qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le
plus tôt possible (…) ».
Juillet 1949 : Fin de la guerre. Israël
occupe 78% de la Palestine. Aucun réfugié n’est rentré.
Mai 1964 : Création de l’Organisation de
Libération de la Palestine (OLP).
Juin 1967 : Guerre des 6 jours. Israël
quadruple sa superficie et contrôle toute la Palestine.
Septembre 1970 : « Septembre noir » :
l’armée jordanienne massacre des milliers de combattants
palestiniens dans les camps de Jordanie.
Juin 1982 : Début de l’invasion israélienne
du Liban, qui contraindra l’OLP à fuir en Tunisie.
16-17 septembre 1982 : Massacres dans les
camps de réfugiés de Sabra et Chatila, au Liban. Les milices
chrétiennes alliées d’Israël assassinent 3000 Palestiniens.
9 décembre 1987 : Début de la première
Intifada.
13 septembre 1993 : Signature, à Washington,
de la « Déclaration de principes », qui débouchera sur les
Accords d’Oslo.
29 septembre 2000 : Début de la « Deuxième
Intifada ».
11 novembre 2004 : Mort de Yasser Arafat.
Janvier 2005 : Election de Mahmoud Abbas
(Abu Mazen).
Janvier 2006 : Victoire du Hamas aux
élections législatives.
Juin 2007 : Tentative de renversement du
Hamas à Gaza.
Décembre 2008-janvier 2009 : Opération «
Plomb durci » contre Gaza. 1300 morts et 5000 blessés.
Article publié dans le numéro 1 de la revue mensuelle du NPA
(avril 2009)
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