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Quatre Murs pour les enfermer tous
Les quatre dimensions de
l'oppression des Palestiniens
Julien Salingue
26 juin 2008
L’article qui suit est le dernier que je mets en ligne avant
mon départ. Je ne tenterai pas ici l’impossible résumé de ces 11
semaines passées dans les territoires palestiniens. Il s’agira
plutôt d’essayer de présenter de manière synthétique ce qui
constitue selon moi les quatre déclinaisons essentielles de
l'oppression israélienne.
Chacun sait que depuis 2002, Israël a entrepris de construire un
gigantesque Mur en Cisjordanie. Ce que l’on remarque moins
souvent, c’est que ce Mur de Béton n’est pas le seul Mur
construit par l’Etat d’Israël, même s’il est le plus visible
d’entre tous. Les Palestiniens se heurtent en effet aujourd’hui
à quatre Murs, qui leur interdisent de mener une existence digne
et de voir leurs droits nationaux satisfaits : un Mur de Fer, un
Mur de Barbelés, un Mur de Verre et un Mur de Béton.
Le Mur de Fer : l’armée israélienne
« A part ceux qui ont été virtuellement "aveugles" depuis
l'enfance, tous les sionistes modérés ont compris depuis
longtemps qu'il n'y a pas le moindre espoir d'obtenir l'accord
des Arabes de la Terre d’Israël pour que la "Palestine" devienne
un pays avec une majorité juive.(…)
La colonisation sioniste, même la plus limitée, doit soit se
terminer, soit être menée à bien au mépris de la volonté de la
population autochtone.
Cette colonisation ne peut, par conséquent, continuer et se
développer que sous la protection d'une force indépendante de la
population locale : un mur de fer que la population autochtone
ne pourra pas franchir » 1.
Ces lignes ont été écrites au début des années 20 par Vladimir
Jabotinsky, dirigeant du courant « sioniste révisionniste »
duquel seront issus le Likoud et, entre autres, les Premiers
Ministres Begin, Shamir ou Sharon. Elles exposent la doctrine du
« Mur de Fer » : dans la mesure où les Arabes de Palestine
s’opposeront à l’établissement d’un Etat juif sur un territoire
dans lequel ils sont largement majoritaires, le mouvement
sioniste doit se doter d’une puissante force armée, soutenue par
les pays impérialistes, qui favorisera la colonisation et qui,
le moment venu, permettra d’imposer le fait accompli aux
autochtones.
Malgré la position minoritaire du courant révisionniste dans le
mouvement sioniste (dominé par les Travaillistes de Ben Gourion),
la doctrine du Mur de Fer fait de nombreux émules et est celle
qui, dans les faits, conduit à la création de diverses milices
juives armées, les plus célèbres étant la Haganah (créée en
1920), l’Irgoun (1931) et le Groupe Stern (1940). Ces milices
terrorisent les habitants arabes et sont responsables du départ
forcé de 800 000 d’entre eux au cours des années 1947-1949.
C’est le groupe Stern, dirigé par Menahem Begin, qui commet le
massacre de Deir Yassine en avril 1948. Après la Déclaration
d’indépendance d’Israël, la Haganah constituera l’ossature de
l’armée israélienne, « Tsahal », qui absorbera rapidement les
autres milices.
Dès les origines de l’Etat d’Israël, la composante militaire a
joué un rôle-clé, permettant le nettoyage ethnique indispensable
à la constitution d’un Etat juif sur un territoire
majoritairement peuplé de non-Juifs. Le Mur de Fer, l’armée,
demeure aujourd’hui l’un des piliers fondamentaux de la
politique israélienne. La liste des Généraux devenus ministres
ou Premiers Ministres est trop longue pour être citée ici. On
mentionnera à titre d’exemple le Général Allon, le Général
Dayan, le Général Rabin, le Général Sharon, le Général Barak, le
Général Ben Eliezer, le Général Zeevi ou le Général Mofaz… Dans
l’actuelle Knesset, les Généraux représentent 10% des élus. Et
lorsque les Généraux rejoignent la vie politique, ils n’en
demeurent pas moins des militaires et leurs décisions et grandes
orientations s’en ressentent, comme l’a largement démontré la
regrettée Tanya Reinhardt 2.
En outre, « Israël est le seul pays démocratique dans lequel
le commandant en chef de l’armée assiste à toutes les réunions
du gouvernement » 3. Qui plus est, « Les
généraux ont une arme qu’aucun homme politique ne peut se
permettre d'ignorer : le contrôle absolu des médias. Presque
tous les "correspondants militaires" et les "commentateurs
militaires" sont les serviteurs obéissants du commandement en
chef, publiant, comme si c’était leur propre opinion, les
instructions du chef d’état-major et de ses généraux »
4. Cette mainmise des Généraux sur les médias permet
d’entretenir un climat de peur permanente dans un société
traversée de contradictions mais au sein de laquelle la crainte
de l’agression étrangère et l’unité nationale derrière les
opérations militaires jouent un rôle de ciment. Elle légitime en
outre un budget militaire faramineux : les dépenses militaires
par habitant sont 15 fois plus élevées en Israël qu’aux
Etats-Unis. L'armée israélienne est une des plus puissantes
armées mondiales, elle est de très loin la première puissance
militaire de la région et la seule puissance nucléaire du
Moyen-Orient.
Le Mur de Fer voulu par Jabotinsky, entendu comme une puissante
force armée jouant un rôle central dans le développement du
projet sioniste, soutenue par les grandes puissances, existe
donc bel et bien. Il se matérialise aujourd’hui par l’occupation
militaire de la Cisjordanie et l’encerclement de Gaza. Les
Palestiniens des territoires occupés en sont les premiers
témoins et les premières victimes. Les décisions les concernant,
qui ont guidé la politique répressive des autorités d’occupation
au cours des 60 dernières années, et leur confrontation
quotidienne avec l’armée, sur les checkpoints, lors des
incursions ou à l’occasion des milliers de procès devant des
tribunaux militaires, sont la tragique illustration de cette
première dimension de l’oppression israélienne : imposer par la
force le fait accompli sioniste.
La tâche assignée au Mur de Fer, définie par Jabotinsky il y a
85 ans, est plus que jamais d’actualité : « Nous prétendons
que le Sionisme est moral et juste. Et puisqu'il est moral et
juste, la justice doit être rendue, peu importe que Joseph,
Simon, Ivan ou Ahmed soit d'accord ou non » 5.
Le Mur de Barbelés : les Camps de réfugiés
« La terre d’Israël est habitée par les Arabes. (…)
Nous devons nous préparer à les expulser du pays par la force
des armes, tout comme l’ont fait nos pères avec les tribus qui y
vivaient, sinon, nous nous trouverons face à un problème,
représenté par la présence d’une population d’étrangers,
nombreuse, à majorité musulmane, qui se sont habitués à nous
mépriser depuis des générations. Aujourd’hui, nous ne
représentons que 12% de l’ensemble de la population, et nous ne
possédons que 2%, seulement, de la terre » 6
déclarait dès la fin du 19ème Siècle Israel Zengwill, l’un des
premiers collaborateurs de Theodor Herzl, considéré comme le «
père fondateur » du sionisme. La Palestine n’était pas,
contrairement à la formule popularisée par le mouvement
sioniste, « une terre sans peuple ». Les sionistes en
avaient conscience et ont donc dès le départ envisagé
l’expulsion des autochtones afin de permettre la constitution
d’un Etat juif.
Le plan de partage de 1947 attribue un peu plus de 55% de la
Palestine à l’Etat juif. L’objectif non dissimulé des dirigeants
sionistes est la conquête de l’ensemble de la Palestine : «
L'acceptation de la partition ne nous engage pas à renoncer à la
Cisjordanie. On ne demande pas à quelqu'un de renoncer à sa
vision. Nous accepterons un Etat dans les frontières fixées
aujourd'hui ; mais les frontières des aspirations sionistes sont
les affaires des Juifs et aucun facteur externe ne pourra les
limiter » (David Ben Gourion) 7. Mais les Juifs
ne représentent qu’un tiers de la population. Le nettoyage
ethnique est donc inévitable.
Les travaux des historiens palestiniens, puis des nouveaux
historiens israéliens, notamment Ilan Pappe et Benny Morris
8, ont établi que ce sont ainsi environ 800 000
Palestiniens qui ont été chassés de leur terre lors de la grande
expulsion de 1947-1949, la « Nakba ». Ils ont en outre démontré
que cette expulsion n’était pas un dommage collatéral de la
guerre israélo-arabe de 1948 mais qu’elle était le résultat d’un
plan précis, le plan Daleth, visant à nettoyer la terre de
Palestine du plus grand nombre possible de ses habitants arabes.
C’est ainsi que plus de la moitié des 800 000 expulsions ont eu
lieu avant le début de la guerre, ce qui invalide la thèse
communément répandue des villageois fuyant les combats entre
armées arabes et armée israélienne.
Les réfugiés ont-ils tous fui sous la menace directe des milices
juives ou certains d’entre eux ont-ils abandonné leurs terres
par peur des massacres ? Ceux qui contestent la thèse de
l’expulsion font de cette question un enjeu crucial et se
réfèrent constamment à d’introuvables enregistrements radios
démontrant que les régimes arabes ont appelé les Palestiniens à
fuir leurs terres. Au-delà du fait que les travaux historiques
les plus récents ont largement démontré le caractère programmé
et systématique des expulsions, ce « débat » n’est qu’un
contre-feu allumé afin de détourner l’attention d’une vérité
historique que personne ne peut contester : quelles que soient
les motivations qui ont poussé chacun des réfugiés à s’enfuir,
aucun d’entre eux n’a jamais pu retourner sur sa terre.
Il en va de même des centaines de milliers d’autres Palestiniens
qui ont rejoint le contingent des réfugiés lors des autres
vagues d’expulsion, notamment en juin 1967. Il y a aujourd’hui
d’après les chiffres officiels de l’ONU plus de 4.5 millions de
réfugiés palestiniens. Il existe 59 camps, pour certains encore
entourés de barbelés, à Gaza (8 camps), en Cisjordanie (19), en
Jordanie (10), en Syrie (10) et au Liban (12). A ce chiffre
s’ajoutent les réfugiés non enregistrés à l’UNRWA. D’après le
Palestinian Central Bureau of Statistics (PCBS), il y a
aujourd’hui à travers le monde environ 7 millions de réfugiés
palestiniens, sur une population totale d’un peu plus de 10
millions.
Plus des 2/3 des Palestiniens sont donc des réfugiés à qui
Israël dénie le droit de revenir sur leurs terres. Ce qui
faisait dire à Hussam Khadr, membre du Fatah au Camp de Balata,
ancien député aujourd’hui emprisonné, que « la cause
palestinienne est la cause des réfugiés ». C’est ce qui
autorise aussi tout observateur un peu sérieux de la question
palestinienne à dire que tout « règlement » faisant l’impasse
sur les revendications de la reconnaissance de l’expulsion et du
droit au retour est chimérique et/ou malhonnête. Le Mur de
Barbelés qui enferme près de 70% du peuple palestinien dans des
Camps et dans un statut de réfugiés permanents est le second
volet incontournable de l’oppression générée par Israël.
Manifestation de Palestiniens de 48
Le Mur de Verre : le statut des Palestiniens de 48
« Il y a des citoyens arabes dans l’Etat d’Israël. C’est
notre principal souci. Qu’on en finisse à Gaza. Qu’on en finisse
en Judée et en Samarie [en Cisjordanie]. Nous nous
retrouverons alors face à notre principal souci » (Gideon
Ezra, actuel Ministre israélien de l’Environnement, membre du
parti Kadima) 9.
Un troisième Mur enferme la population palestinienne et
constitue un aspect souvent sous-estimé ou volontairement
négligé de l’oppression israélienne. C’est le « Mur de Verre »,
pour emprunter une image du journaliste Jonathan Cook, qui
enferme les Palestiniens de 1948, les mal-nommés « Arabes
israéliens ».
La minorité palestinienne en Israël, estimée à 1.3 millions de
membres (soit un peu moins d’1/5ème de la population
israélienne), se compose des Palestiniens qui sont demeurés dans
les terres conquises par Israël en 1947-1949 et de leurs
descendants. La façon dont Israël traite cette minorité et les
mesures radicales qu’une grande partie de l’establishment
sioniste souhaiterait prendre à son encontre sont révélatrices
de l’indépassable contradiction entre la réalisation du projet
sioniste d’établissement d’un Etat juif en Palestine et la
satisfaction des droits nationaux du peuple palestinien.
Soumis à la loi martiale de 1949 à 1966, les Palestiniens
d’Israël jouissent depuis 1967, en théorie, des mêmes droits que
tous les Israéliens. En théorie seulement car les
discriminations, si elles ne sont plus inscrites dans la loi,
persistent et se développent. Du Ministère des Affaires
Religieuses qui n’attribue que 2% de son budget aux communautés
palestiniennes d’Israël et qui refuse d’accorder des crédits
pour les cimetières « non-juifs » aux nombreuses municipalités
qui s’abstiennent d’utiliser l’arabe pour la signalisation
routière, les cas de discrimination institutionnelle sont
légion.
Si l’on y ajoute la discrimination à l’embauche, au logement ou
la faiblesse des crédits alloués par l’Etat pour le
développement économique et social des villes et villages arabes
(54.8 % des Palestiniens de 48 vivent en dessous du seuil de
pauvreté contre 20.3 % des Juifs), voire même la
non-reconnaissance de l’existence de certains de ces villages,
se dessine un système de discriminations paralégales que
Jonathan Cook appelle un « Mur de Verre ». Un « Mur de Verre »
car, s’il enferme bel et bien les Palestiniens d’Israël dans un
statut de sous-citoyens, il demeure invisible et autorise Israël
à affirmer être un Etat démocratique et non-discriminatoire.
Les politiques discriminatoires vis-à-vis des Palestiniens sont
souvent assumées par les dirigeants israéliens au nom de
l’intérêt supérieur de la construction de l’Etat juif. Ainsi
Ariel Sharon affirmait-il en 2002 que tandis que les Juifs
jouissent des droits sur la terre d’Israël, les
Palestiniens jouissent de droits dans l’Etat d’Israël.
On comprend mieux pourquoi la revendication démocratique
élémentaire portée par Azmi Bishara, ancien député palestinien à
la Knesset, de la transformation d’Israël en un « Etat de
tous ses citoyens », inquiète tous ceux qui tentent de
dissimuler qu’Israël, loin d’être « juif et démocratique » est
plutôt, selon le mot d’un autre député, Ahmed Tibi, «
démocratique à l’égard des Juifs et juif à l’égard des Arabes
».
Les Palestiniens d’Israël et leurs droits nationaux sont un
obstacle à l’édification d’un Etat juif en Palestine. D’où leur
enfermement dans un statut de sous-citoyens, constamment accusés
de conspiration contre Israël, phénomènes qui se sont accélérés
depuis septembre 2000. Si le rêve sioniste d’un « Grand Israël
», débarrassé de la population palestinienne, a fait long feu,
certains dirigeants israéliens, agitant la menace démographique,
n’hésitent pas à comparer les Palestiniens d’Israël à un «
cancer » qu’il faut traiter de manière radicale.
Des partisans de l’expulsion massive, représentés notamment par
l’ancien vice-Premier Ministre Lieberman, à ceux qui, comme Ehud
Olmert, envisagent de se « séparer » des zones arabes les plus
densément peuplées (à l’image de ce qui s’est passé avec Gaza et
qui risque de se passer avec les cantons de Cisjordanie), il
existe un large consensus pour affirmer que l’avenir des
Palestiniens d’Israël n’est pas en Israël. De récents chiffres
indiquent que 75% des Juifs israéliens sont favorables à un
transfert des zones arabes densément peuplées à l’hypothétique «
Etat palestinien ».
Le Mur de Verre, qui enferme les Palestiniens de 48 dans une
position de citoyens de seconde zone, est la troisième dimension
de l’oppression israélienne. Il peut être imperceptible pour qui
ne veut pas le voir. Chacun devrait pourtant se demander comment
un député israélien (Effie Eitam) a pu récemment déclarer à la
Knesset, sans être inquiété par la suite, en s’adressant aux
représentants des Palestiniens de 48 : « Un jour, nous vous
expulserons de ce bâtiment et de la terre du peuple juif ».
Le Mur de Béton : les Cantons
« Israël est dans l’obligation de mettre un terme aux
violations du droit international dont il est l’auteur ; il est
tenu de cesser immédiatement les travaux d’édification du mur
qu’il est en train de construire dans le territoire palestinien
occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de
Jérusalem-Est, de démanteler immédiatement l’ouvrage situé dans
ce territoire et d’abroger immédiatement ou de priver
immédiatement d’effet l’ensemble des actes législatifs et
réglementaires qui s’y rapportent ». (Avis de la Cour
Internationale de Justice, 9 juillet 2004) 10.
Le Mur érigé en Cisjordanie a donc été jugé illégal par la Cour
Internationale de Justice. Cela n’empêche pas Israël de
poursuivre sa construction et d’espérer l’achever en 2010. A son
terme le Mur mesurera près de 800 km. Mur de Béton atteignant
parfois 8 m de haut, la prétendue « barrière de sécurité »
intégrera de facto environ 45% de la Cisjordanie et 98%
des colons à l’Etat d’Israël. Elle découpera « l’Etat
palestinien » en trois enclaves isolées qui se sont
subdiviseront en 22 plus petites enclaves reliées par des
tunnels construits sous les routes réservées aux colons,
lesquelles mesureront environ 1250 kilomètres 11. Une
partie des 600 checkpoints et barrages qui couvrent aujourd’hui
la Cisjordanie disparaîtront, les autres seront maintenus pour
contrôler les entrées et les sorties des cantons. Une entité
palestinienne auto-administrée verra le jour dans ces cantons,
que d’aucuns oseront peut-être encore appeler Etat.
Si le Mur a été construit à partir de 2002, son origine remonte
en fait à beaucoup plus loin. Très exactement au 10 juin 1967,
lorsque la guerre des 6 jours prend officiellement fin. A son
terme Israël a en effet conquis, entre autres, le reste de la
Palestine théoriquement partagée en 1947 et exerce son autorité
sur la Cisjordanie et la Bande de Gaza. Une victoire militaire
plus rapide et plus facile qu’en 1948-1949, mais avec une
différence majeure : contrairement à ce qui s’était passé alors,
la majorité des Palestiniens ne sont pas partis. Le succès
militaire crée donc une difficulté politique pour les dirigeants
sionistes : Israël abrite désormais en son sein les Palestiniens
de Cisjordanie et de Gaza, qui s’ajoutent aux Palestiniens de
1948. La prétention de l’Etat d’Israël à être simultanément un
Etat juif et démocratique est donc sérieusement menacée.
C’est pour répondre à cette contradiction qu’un Général
travailliste, Ygal Allon, présente au Premier Ministre Levi
Eshkol, dès juillet 1967, une solution alternative à
l’expulsion, qui compromettrait le soutien international dont
jouit l’Etat d’Israël. La philosophie du « Plan Allon » était la
suivante : renoncer à la souveraineté sur les zones
palestiniennes les plus densément peuplées tout en conservant le
contrôle exclusif sur la vallée du Jourdain, sur la rive
occidentale de la Mer Morte et sur Jérusalem, dont les limites
municipales seraient considérablement étendues. Une entité
palestinienne constituée de cantons isolés serait ainsi établie,
avec des attributs de souveraineté limités, Allon ne répondant
pas à la question de savoir si cette souveraineté serait confiée
à des autochtones où à la Jordanie et l’Egypte.
Même si le Plan Allon n’est pas officiellement adopté par le
pouvoir israélien, c’est lui qui guidera, avec certaines
variantes, la politique de l’Etat sioniste à partir de l’année
1967. La disposition des colonies, le tracé des routes de
contournement, réservées aux colons, et la progressive
fragmentation de la Cisjordanie sont la mise en application
concrète des vues du Général Allon. Les Accords d’Oslo et la
division de la Cisjordanie en Zones A, B et C, en sont
directement inspirés. Même le Général Sharon, farouche partisan
de l’expulsion des Palestiniens, finira par adopter, en le
modifiant, le Plan Allon. C’est le sens du « retrait unilatéral
» de Gaza en 2005 qui, loin d’être un « geste de paix », est une
décision pragmatique d’abandon et d'encerclement d’une zone
palestinienne trop densément peuplée. La décision de construire
le Mur, si elle fut interprétée à juste titre comme la
renonciation à l’annexion de l’ensemble de la Cisjordanie, n’est
que l’ultime étape de la mise en pratique du Plan Allon.
Le Mur trace les limites des cantons palestiniens, ces zones
trop peuplées pour être administrées par Israël. Tel est «
l’Etat palestinien » dont parlent les dirigeants israéliens,
pour lesquels il n’a jamais été question d’une quelconque
restitution des territoires conquis en 1967. Comment expliquer,
sinon, la poursuite de la colonisation à un rythme de plus en
plus effréné, malgré le soi-disant « processus de paix » ? Ce
sont en effet près de 500 000 colons qui vivent aujourd’hui en
Cisjordanie (contre moins de 200 000 au début des années 90),
leur nombre croît à un rythme 3 fois supérieur à celui du reste
de la population israélienne et ils représenteront bientôt 10%
de la population juive d’Israël.
Le Mur de Béton, dont plus de 500 km ont déjà été construits,
est l’expression la plus manifeste, 60 ans après la Grande
Expulsion et 41 ans après l’occupation de toute la Palestine, de
la quatrième dimension de l’oppression israélienne : la négation
du droit des Palestiniens à exercer une souveraineté réelle.
Conclusion : Un cinquième Mur, le Mur du Silence ?
Mur de Fer, de Barbelés, de Verre et de Béton : immatériels ou
tragiquement réels, ces quatre Murs sont le symbole des diverses
dimensions de l’oppression dont est victime le peuple
palestinien. Les trois derniers sont ceux qui enferment les
trois composantes de la nation palestinienne (Réfugiés,
Palestiniens de 1948, Palestiniens des territoires occupés) dans
divers statuts de sous-citoyens. Le premier Mur, le Mur de Fer,
l’armée israélienne, est le moyen par lequel l’Etat d’Israël a
créé et perpétue cette oppression.
J’aurais pu parler d’autres Murs. Notamment de ceux des cellules
dans lesquelles croupissent 11 700 prisonniers politiques
palestiniens, parmi lesquels des dizaines de députés ou
d’anciens députés, des ex-Ministres, un ex-vice-Premier
Ministre, l’ex-Président du Conseil Législatif et de nombreux
maires et conseillers municipaux. Parmi ces 11 700 prisonniers,
plusieurs milliers n’ont pas été jugés. Plusieurs milliers
d’autres ont été condamnés par des tribunaux militaires, sans
preuve, sur de simples présomptions, ou pour des délits
d’intention comme le jeune Franco-Palestinien Salah Hamouri
12.
Mais c’est un autre Mur que j’évoquerai dans cette conclusion.
Un Mur qui diffère substantiellement des autres, dans la mesure
où ceux qui ont décidé de son édification ne sont pas les
dirigeants sionistes ou l’establishment israélien. Ce cinquième
Mur, auquel se heurtent quotidiennement, depuis plus de 60 ans,
les Palestiniens, est le silence assourdissant de la «
Communauté internationale » quant à la négation de leurs droits
nationaux.
Un Mur de Silence d’autant plus incompréhensible pour les
Palestiniens que c’est cette même « Communauté internationale »
qui a régulièrement, notamment à l’ONU, rappelé la nécessaire
satisfaction de ces droits. L’ONU a créé par la résolution 181
l’Etat d’Israël et ne l’a accepté en son sein qu’à la condition
qu’il se conforme aux autres résolutions, notamment la
résolution 194 affirmant le droit au retour des réfugiés. Pour
le résultat que l’on constate aujourd’hui.
Ce silence de la « Communauté internationale » est encore plus
frappant quand on le met en parallèle avec les bruyantes
déclarations de soutien à Israël, à sa sécurité, et les non
moins bruyantes condamnations de la résistance palestinienne,
qui contribuent encore un peu plus isoler les Palestiniens et à
étouffer leurs revendications.
Malgré cet isolement et malgré les renoncements de nombre de
leurs dirigeants, les Palestiniens n’ont pas renoncé à faire
valoir leurs droits. Constatant qu’Israël bénéficiait du soutien
inconditionnel des dirigeants des plus grandes puissances, ils
en appellent chaque jour un peu plus les populations du monde
entier à rompre le silence afin d’inverser la logique actuelle,
qui, au nom de la « paix », va plutôt dans le sens de la
protection d'Israël et de la consolidation, plutôt que de la
destruction, des Murs qui les enferment.
Notes
1. Vladimir Jabotinsky, Le Mur de Fer,
Nous et les Arabes, 1923. En ligne sur
http://www.alterinfo.net/
2. Voir notamment Détruire la Palestine, ou comment terminer
la guerre de 48, éditions La Fabrique, Paris, 2002.
3. Uri Avnery, The Army has a State, consultable sur
http://www.gush-shalom.org
4. Idem
5. Vladimir Jabotinsky, op. cit.
6. Israel Zengwill, cité par Mahmoud Muharib dans son article
Sionisme : transfert et apartheid, consultable en
Français sur
http://www.palestine-solidarite.org/
7. Cité par Simha Flapan, The Birth of Israel : Myth and
Realities, Pantheon Books, New York, 1987.
8. Voir entre autres Benny Morris, The Birth Of The
Palestinian Refugee Problem Revisited, Cambridge University
Press, 2003, et Ilan Pappe, La guerre de 1948 en Palestine,
éditions La Fabrique, Paris, 2000, et Le nettoyage ethnique
de la Palestine, Fayard, Paris, 2008.
9. Cité par Jonathan Cook dans Blood and Religion, The
Unmasking of the Jewish and Democratic State, Pluto Press,
Londres, 2006.
10. Avis de la Cour Internationale de Justice, 9 juillet 2004,
consultable sur
http://www.france-palestine.org
11.
www.stopthewall.org
12. Voir mon article sur Salah Hamouri
ici
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