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Analyse
Elections étudiantes à l'Université de Béthléem : même
au Fatah, Abu Mazen ne fait pas recette.
Julien Salingue
Affiche du Fatah
Vendredi 18 avril 2008
Le mercredi 16 avril se sont déroulées les élections des
représentants étudiants au Conseil d’Administration de
l'Université de Béthléem. Il convient de préciser d'emblée que
ces élections ont une portée incomparable à celle des scrutins
équivalents en France : si l'on plafonne en général à 5 % de
participation dans les Universités françaises, ici on parle de
taux se situant entre 80 et 90%... Les élections étudiantes sont
un enjeu majeur dans la vie politique des Universités
palestiniennes. Elles se déroulent chaque année et sont souvent
l'occasion de débats très tendus, voire même d'affrontements
entre les organisations étudiantes. En 2005, des échanges de
coups de feu ont eu lieu à l'Université de Béthléem, laquelle a
alors été fermée pendant près d'une semaine…
Les forces en présence et les principaux débats
Chaque organisation politique palestinienne possède sa propre
organisation étudiante. Il n’y a pas à proprement parler de «
syndicats étudiants » dans lesquels se côtoieraient des
militants de diverses organisations politiques et des militants
« non-organisés ». Il y avait cette année, à Béthléem, 3 listes
: une liste d’union des forces de gauche, soutenue par le Front
Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), Front
Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP) et Parti du
Peuple Palestinien (PPP, ex-Parti Communiste), une liste
soutenue par le Fatah et une liste soutenue par le Jihad
Islamique. Le Fatah est fortement implanté et traditionnellement
majoritaire dans cette Université, qui présente en outre la
double spécificité de regrouper une forte proportion de
Chrétiens et une grande majorité d’étudiants issus de milieux
économiquement et socialement aisés. Les résultats de l’élection
(18 sièges pour le Fatah, 9 sièges pour la Gauche et 4 pour le
Jihad islamique) n’ont surpris personne et sont avant tout le
produit de ces spécificités locales.
Le Hamas avait décidé, cette année de ne pas présenter de liste.
H, un dirigeant local de l’organisation, m’a expliqué ce choix :
« Depuis plusieurs semaines les militants du Fatah exercent des
pressions sur nous. Ils ont notamment exigé que, à l’occasion de
ces élections, nous condamnions publiquement les événements de
Gaza en 2007 [la tentative avortée de putsch contre le Hamas,
conduite par Mohammad Dahlan, dirigeant local du Fatah, qui
avait donné lieu à de violents combats entre factions
palestiniennes]. Nous avons répondu qu’ils n’avaient pas à
exiger quoi que ce soit de nous mais ils ont continué. Nous
avons alors décidé, pour éviter tout incident, de ne pas
participer aux élections ». Du côté du Fatah, on soutient plutôt
que le Hamas n’a pas osé se présenter car il avait peur d’être
largement battu. Une version peu plausible dans la mesure où le
Hamas a toujours été minoritaire dans cette Université et n’a
jamais refusé pour autant de participer aux élections. L’an
dernier il n’avait obtenu que 5 sièges contre 16 au Fatah.
Deux types de questions sont au cœur des débats lors de ce type
d’élections : les questions strictement universitaires et les
questions concernant la politique nationale et donc la stratégie
et les objectifs de la lutte du peuple palestinien contre
l’occupation israélienne (sur lesquelles je reviendrai plus
tard). Concernant les questions universitaires, les programmes
des deux principales listes (Gauche et Fatah) étaient assez
proches : aides sociales pour les étudiants démunis, soutien
scolaire pour les étudiants en difficulté… La liste de la Gauche
insistait davantage sur les questions de démocratie dans
l’Université, que ce soit du point de vue du contenu des cours
ou du fonctionnement de l’Institution.
Il y avait une autre nuance, et pas des moindres : « Nous
expliquons aux étudiants que contrairement au Fatah, nous
tiendrons nos promesses et nous ne nous contenterons pas de
faire de cadeaux aux gens le jour de l’élection pour ensuite
n’offrir de l’aide et de l’argent qu’aux seuls membres de nos
organisations » (M, membre du FPLP). Les membres du Fatah ont
bien évidemment démenti cette accusation mais, lorsque l’on
connaît le degré de corruption dans l’Autorité palestinienne et
les pratiques clientélistes du Fatah, il est difficile de les
croire… Qui plus est, en questionnant de nombreux étudiants, y
compris des militants du Fatah, j’ai appris que le parti avait
distribué à l’entrée de l’Université, les jours précédant les
élections, des bons d’achat pour certains commerces de Béthléem
et qu’il avait pris en charge, le jour du scrutin, l’intégralité
du coût du transport pour les étudiants résidant à Jérusalem en
fournissant gracieusement un bus.
La surprenante (?) campagne du Fatah
Le jour du vote, c’est l’effervescence à l’Université. Les
militants de la Gauche (keffieh rouge) et ceux du Fatah (keffieh
noir) tentent de convaincre les étudiants de voter pour leurs
listes. Les règles sont strictes : pas de distribution de tracts
dans l’enceinte de l’Université, le même espace pour les
affiches de chaque liste, affiches sur lesquelles ne doivent pas
figurer de photos ou de dessins d’armes à feu. Des hommes des
différents services de sécurité de l’Autorité palestinienne
d’Abu Mazen (Mahmoud Abbas) patrouillent, la plupart portent des
treillis kakis, des tee-shirts moulants et des lunettes de
soleil et ressemblent à s’y méprendre à des Marines en
permission.
J’observe les affiches et mon regard s’arrête brusquement sur
l’une d’entre elles, dans la zone réservée au Fatah. On y voit
Yasser Arafat en train de donner un verre d’eau à Cheikh Ahmad
Yassin, le leader spirituel du Hamas, assassiné par Israël en
2004. Tout un symbole : le Fatah qui porte assistance au Hamas…
L’inscription, sous la photo, va dans le même sens : « Nous
aidons ceux qui empruntent le mauvais chemin à revenir dans le
droit chemin »… Je me dis alors que les 21 militants du Hamas
qui ont été arrêtés en Cisjordanie par la police d’Abu Mazen,
deux jours avant les élections, sont probablement en train
d’être remis dans le droit chemin par ceux qui les interrogent
dans leurs cellules. Je me dis aussi que la tentative de
renversement du Hamas à Gaza, orchestrée il y a un peu moins
d’un an par Mohammad Dahlan, élu du Fatah au Conseil Législatif
Palestinien, était sans doute due au fait que le Hamas avait
emprunté le mauvais chemin…
Je remarque aussi qu’Abu Mazen ne figure sur aucune des affiches
du Fatah, pas plus que sur le tract que l’on m’a distribué dans
la rue, juste à l’entrée de l’Université. Les trois figures qui
reviennent sont celles de Yasser Arafat, de Marwan Bargouthi,
arrêté en avril 2002 par Israël en raison de son rôle-clé dans
l’organisation de la lutte armée, notamment dans la fondation
des Brigades des Martyrs al-Aqsa, et d’Abu Jihad ancien n°2 de
l’OLP, en charge de nombreuses opérations militaires et
responsable du commandement de la première Intifada, assassiné
par Israël en 1988. Je me dis que c’est très certainement en
hommage à Marwan Bargouthi que depuis plusieurs jours la police
d’Abu Mazen traque les militants de Brigades des Martyrs al-Aqsa
à Naplouse, n’hésitant pas à ouvrir le feu sur eux car ils
continuent de mener des actions armées contre des cibles
israéliennes. Je me dis aussi que c’est sûrement pour honorer la
mémoire d’Abu Jihad que Salam Fayyad, le Premier Ministre d’Abu
Mazen, déclarait il y a quelques mois au Caire que depuis 1948
le pire aspect de la lutte palestinienne avait été la lutte
armée…
Je me demande alors quel est le contenu des propos que les
militants du Fatah tiennent aux étudiants. Et quelle n’est pas
ma surprise lorsque j’apprends que le volet « politique » du
discours de la liste Fatah est « la lutte et la résistance
jusqu’à la libération de tous les territoires occupés par Israël
» et « le retour de tous les réfugiés sur la terre de laquelle
ils ont été expulsés ». Je me dis alors que c’est
indubitablement pour poursuivre la lutte et la résistance que
l’Autorité palestinienne met en prison les résistants et appelle
sans discontinuer depuis des années au compromis et à la «
reprise des négociations, seul moyen pour mettre un terme au
conflit ». Je me dis aussi que c’est évidemment pour permettre
le retour des réfugiés que de nombreux dirigeants du Fatah, de
l’OLP et de l’Autorité palestinienne multiplient depuis
plusieurs années les déclarations qui sous-entendent que les
réfugiés devront, dans leur immense majorité, renoncer au droit
au retour, et qu’Abu Mazen contourne soigneusement la question
des réfugiés dans ses discussions avec Ehud Olmert…
Abu Mazen ne fait pas vendre
Alors y’a-t-il un réel décalage entre la direction de
l’Autorité palestinienne et les militants du Fatah, notamment
les plus jeunes, ou a-t-on affaire à de la pure démagogie
électorale ? Je pense que la réponse se situe au croisement de
ces deux hypothèses. Lorsque je demande à N., militante du FPLP,
pourquoi d’après elle Abu Mazen ne figure pas sur les affiches
du Fatah, elle me répond : « c’est parce que tout le monde le
déteste, même les militants du Fatah ! ». Je signale ici que
lorsque je lui ai demandé, sur le ton de la plaisanterie,
pourquoi il n’y avait pas de photo de Salam Fayyad, elle a
éclaté de rire, comme bien d’autres militants du FP à qui j’ai
posé la même question. J’ai eu l’occasion, par le passé, de
rencontrer de nombreux militants et dirigeants du Fatah qui
n’hésitaient pas à dénoncer les agissements de la direction de
l’Autorité palestinienne, que ce soit ses compromissions
successives, son attitude vis-à-vis de la résistance ou le
développement exponentiel de la corruption et du clientélisme.
Et je n’ai aucun doute sur le fait que chez les jeunes ce
sentiment est bien présent, voire même plus présent que chez les
militants plus âgés.
Mais dans le même temps, à l’Université de Béthléem, aucun des
militants du Fatah ne m’a répondu de manière vraiment honnête
lorsque je leur ai posé la question de l’absence d’Abu Mazen sur
les photos. On m’a dit que c’était parce qu’Abu Mazen était
moins populaire auprès de la jeunesse qu’Arafat, Bargouthi et
Abu Jihad (ce qui n’est pas faux…), que les affiches étaient
anciennes et dataient du temps où Arafat était encore président
(ce qui est peut-être vrai pour certaines d’entre elles, mais
pas pour d’autres, ni pour le tract) ou encore pour éviter qu’il
y ait des tensions avec le Hamas (mais dans ce cas, pourquoi les
avoir mis sous pression pour qu’ils se positionnent publiquement
sur Gaza ?). J’ai pu cependant déceler deux types d’attitude
chez les militants du Fatah que j’ai interrogés : pour les uns,
un réflexe du type « défense du parti, surtout le jour des
élections », sans pour autant faire preuve de beaucoup de
conviction ; pour d’autres en revanche, souvent membre de la
direction de Chabiba, l’organisation de jeunesse du Fatah, une
défense inconditionnelle des figures de l’Autorité palestinienne
et du parti. Ce sont en général ces derniers qui m’ont rappelé
avec virulence que le mot d’ordre de la lutte pour la libération
de tous les territoires occupés par Israël et la revendication
du droit au retour de tous les réfugiés figuraient depuis
toujours dans le programme du Fatah et n’avaient jamais été mis
de côté par aucun de ses dirigeants.
Militantes du FPLP
Les positions des jeunes militants et jeunes cadres locaux du
Fatah sont donc très contradictoires, et ne se résument en outre
pas à une opposition entre « la base » et « la direction ».
Cette situation contradictoire est à l’image de ce qui existe
dans le parti dans son ensemble, un rassemblement hétéroclite
d’authentiques militants et cadres, honnêtes et sincères,
d’opportunistes qui ont rejoint le parti pour obtenir des
avantages en intégrant, par exemple, un poste dans les services
de sécurité, ou encore de bureaucrates sans scrupule qui ont
depuis bien longtemps renoncé à toute perspective de combat pour
la satisfaction des droits du peuple palestinien.
Néanmoins une chose est sûre : les membres du Fatah de
l’Université de Béthléem ont bien compris qu’Abu Mazen et les
perspectives politiques qu’il défend ne faisaient pas recette.
Son attitude hostile vis-à-vis de la résistance, ses rencontres
répétées avec Ehud Olmert alors que les bombes pleuvent sur Gaza
ou le maintien de la corruption à grande échelle ne contribuent
pas à le rendre populaire, bien au contraire. De même, le
gouvernement Fayyad est considéré comme illégitime par une très
grande majorité de Palestiniens et ne possède aucune autorité
morale et politique, y compris au sein du Fatah.
Il n’est dès lors pas étonnant que les forces de police et les
divers services de sécurité jouent un rôle de plus en plus
important dans le maintien en place d’Abu Mazen et ses hommes et
dans leur lutte contre les forces qui ne partagent pas leurs «
options politiques ». Peu avant l’annonce des résultats, des
militants du FPLP se sont mis à chanter des slogans hostiles à
Mohammad Dahlan, figure de la corruption et de la collaboration.
Quelques secondes plus tard, plusieurs des Marines de l’Autorité
palestinienne sont allés voir les militants du FP et leur ont
intimé l’ordre de cesser de chanter ces slogans, intimidation
physique à l’appui. Les jeunes militants du Fatah, eux, se sont
contentés d’essayer de chanter plus fort…
A VOIR : Une vidéo des étudiants du FPLP dansant la Dabke en
attendant les résultats.
Ici
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