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CADTM
Le coup d'Etat au Honduras marque un
renforcement de la diplomatie guerrière en Amérique latine
Jérome Duval
Photo: CADTM
Mercredi 19 août 2009
A travers la crise politique au Honduras, la politique
étrangère envers l’Amérique latine |1|
de l’administration Obama se révèle au grand jour. Alors que son
prédécesseur, embourbé en Irak ne parvenait plus à maintenir un
sous-continent en ébullition, la nouvelle administration Obama
parvient à détourner momentanément l’opinion publique de la
guerre en Irak et en Afghanistan tout en réaffirmant sa présence
en Amérique latine. Les Etats-Unis n’en peuvent plus de
contempler la vague progressiste de gouvernements de gauche
déferler sur le continent sans rien faire, d’autant que celle-ci
se rapproche dangereusement, jusqu’en Amérique centrale : Le
Nicaragua a élu le sandiniste Daniel Ortega au premier tour de
l’élection de 2006 et le Salvador vient d’élire Mauricio Funes
du FLMN (Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional) en
mars 2009 qui a aussitôt renoué ses relations diplomatiques avec
Cuba. |2|
Comment, dans ce contexte, laisser Manuel Zelaya, président du
Honduras, adhérer à l’ALBA et rejoindre ainsi les pays qui
tentent de satisfaire les besoins humains fondamentaux pour tou-te-s
avant les intérêts d’une minorité ?
Déploiement de forces américaines :
Comme convenu dans le programme politique pré-électoral de
Rafael Correa, la base américaine de Manta sur le territoire
équatorien n’est pas renouvelée et prend fin en 2009. Pour
contrebalancer cette perte, Washington, réplique en se déployant
sur sept bases militaires en territoire colombien (Palanquero,
Malambo, Apiai, Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio
et Hacienda Larendia) |3|
La Colombie, allié stratégique des Etats-Unis fait office “de
porte avion” militaire.
Un mois seulement après le coup d’Etat militaire du Honduras,
ce déploiement de force ouvre une crise diplomatique à l’échelle
du continent. Le président colombien parle d’un « accord de
coopération contre le narcotrafic, le terrorisme et d’autres
délits » qui laisse augurer du pire. On craint une accélération
de la course aux armements en Amérique latine, alors que
« l’argent que des pays comme le Chili, le Brésil et le
Venezuela dépensent pour l’importation d’armes, sert à remplacer
un équipement obsolète ». (...) « Ils modernisent leurs
armements qui datent pour la plupart d’il y a plus de 20 ans,
certains même du temps de la guerre froide. » explique Carina
Solmirano, l’une des chercheuses de l’Institut international de
recherche pour la paix à Stockholm. |4|
En réponse à ce déploiement de force américano-colombien, les
gouvernements progressistes opposés à Washington sont incités à
entrer dans la course à l’armement. Les autres suivront sans
aucun doute la surenchère...
Afin de désamorcer cette véritable bombe à retardement,
Alvaro Uribe, président colombien d’extrême droite, ultra
conservateur et puissant allié des Etats-Unis, réalise une
tournée express dans 7 pays (Bolivie, Pérou, Brésil, Chili,
Uruguay, Paraguay, Argentine) sans pour autant calmer cette
nouvelle crise diplomatique. Hormis le Pérou, autre soutien
indéfectible de la Colombie et de Washington, les autres voisins
d’Alvaro Uribe envoient des mises en garde plus ou moins
virulentes et l’Argentine propose, depuis le sommet de l’Unasur,
un sommet extraordinaire sur la question. Déjà, fin juillet,
Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des affaires
étrangères, après une rencontre avec son homologue brésilien
Celso Amorim, lui-même préoccupé par cet accord militaire, avait
prié les Etats-Unis « d’éviter une militarisation » de
l’Amérique latine. La pression diplomatique aidant, la
vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez
de la Vega a soutenu officiellement la Colombie dans son « acte
souverain », rectifiant les dires de son ministre tout en
confirmant l’alignement de l’Espagne avec les États Unis. Mais
de quelle souveraineté parlent-ils lorsqu’en plus d’être un
prétexte pour livrer une guerre politique impérialiste, la
guerre que mènent les Etats-Unis contre la drogue se fait à
l’extérieur de ses frontières pour d’autres motifs, allant
jusqu´à violer l’espace aérien de l’Equateur pour le bombarder
(un campement des FARC en territoire équatorien fut bombardé en
mars 2008 par l’armée colombienne appuyée par les Etats-Unis,
tuant 17 guérilleros dont Raoul Reyes). Le peuple colombien
fatigué par tant de violence se prononcerait-il pour cette
militarisation si seulement il avait l’occasion de s’exprimer ?
L’Espagne, a assuré Maria Teresa Fernandez de la Vega lors d’une
conférence de presse, « sera toujours aux côtés des Colombiens
dans la lutte pour l’éradication de la violence ». Sans peur de
l’absurde, elle insiste : « Nous travaillerons toujours à la
recherche d’accords, pour que les conflits se résolvent, pour
que les tensions disparaissent... », un comble quand il s’agit
d’établir de nouvelles bases militaires américaines. |5|
Hugo Chavez, quant à lui, parle de « vents de guerre [qui]
commencent à souffler » sur la région et assure qu’il est
« évident que l’ordre [du coup d’Etat au Honduras] fut donné
depuis la base américaine de Palmerola », située au Honduras et
d’où partaient les offensives contre le Nicaragua sandiniste. |6|
Avant le coup d’Etat, Manuel Zelaya, reprenant un rapport de la
Aeronáutica Civil, avait déclaré qu’il transformerait cette base
militaire en aéroport international civil afin de soulager
l’aéroport de Tegucigalpa, considéré comme un aéroport
dangereux. |7|On
comprend tout de suite mieux l’empressement américain devant la
possible perte de deux bases militaires.
Les relations diplomatiques avec le Honduras se
poursuivent
Après les grandes déclarations condamnant le coup d’Etat, on
se rend bien compte que les relations diplomatiques se
poursuivent, la dictature du Honduras est malgré tout reconnue.
L’Union européenne appuie des élections anticipées organisées
par le régime putschiste, tandis que l’ALBA et l’Unasur
s’engagent à ne pas reconnaître un gouvernement qui sortirait
vainqueur de ces élections. Certains partis et candidats parlent
déjà de se retirer. Le Pérou conserve son ambassadeur en poste
au Honduras : « C’est inexplicable qu’il n’ait pas adopté cette
décision [de retirer immédiatement son ambassadeur à
Tegucigalpa] jusqu’à maintenant » soutient l’ex ministre des
relations extérieures du Pérou, Manuel Rodríguez. |8|
Carmen Ortez Williams, ambassadeur du Honduras à Buenos Aires a
été relevé de ses fonctions jeudi 13 août et à partir de
maintenant, « la relation diplomatique entre l’Argentine et le
Honduras se réalisera à travers l’ambassade du Honduras aux
Etats-Unis. », explique Patricia Rodas, ministre des affaires
étrangères en exil du gouvernement Zelaya. Les relations ne
seront donc pas rompues pour autant. |9|
L’OEA, qui a suspendu le Honduras début juillet juste après que
le Honduras se soit lui-même retiré, viendra vraisemblablement
en mission à Tegucigalpa pour tenter de trouver une sortie de
crise via les accords de San José. Les trois représentants de
Micheletti qui faisaient partie de la négociation au Costa Rica,
Vilma Morales, Mauricio Villeda et Arturo Corrales, se rendent à
Washington (leurs visas diplomatiques n’ont pas été annulés)
pour négocier la composition de la mission de l’OEA, avoir des
entrevues avec des membres du Congrès, des fonctionnaires du
Département d’Etat américain et des médias. |10|
On est non seulement en droit de se demander dans quelle
mesure on peut négocier avec des putschistes qui violent la
constitution, mais on ne peut par ailleurs accepter une amnistie
politique incluse dans les accords de San José |11|
Les responsables de violations continues des droits de l’homme
telles que les assassinats, détentions arbitraires, disparitions
et tortures, ne peuvent jouir d’une amnistie et doivent être
jugés par des tribunaux adéquats. Le CADTM réaffirme son soutien
inconditionnel à la lutte du peuple hondurien pour le retour de
la démocratie, le rétablissement du processus d’Assemblée
constituante et le jugement des responsables de violation des
droits humains
Alors qu’une nouvelle répression a eu lieu le 14 août
à Cholona, blessant de nombreux manifestants dont deux
journalistes, le CADTM salue le remarquable travail réalisé par
le Front de Résistance des avocats contre le coup d’Etat pour
traduire en justice les auteurs des actes barbares constatés sur
la population.
Notes
|1|
Amérique latine est une expression contestable : elle se réfère
à Amerigo Vespucci, navigateur italien alors qu’il faudrait
ressusciter le terme « Abya Yala », « terre dans sa pleine
maturité », choisi par les peuples originaires pour désigner le
continent.
|2|
Pays (re)passés à gauche depuis 2000, chacun à des niveaux très
différents : Venezuela, Chili, Argentine, Brésil, Bolivie,
Uruguay, Équateur, Nicaragua, Paraguay, Salvador. Le cas du
Honduras est particulier puisque son président, Manuel Zelaya
est un « social démocrate » qui, avant son expulsion du pays par
le coup d’Etat a tenté d’effectuer un virage à gauche (forte
hausse du salaire minimum par décret, adhésion à l’ALBA, volonté
de mettre en place une Assemblée constituante…)
|3|
Bases américaines dans la région en 2009 : Guantanamo, Cuba ;
Roosevelt Roads et Fort Buchanan, Puerto Rico ; Soto Cano à
Palmerola, Honduras d’où partaient les offensives contre le
Nicaragua sandiniste ; Comalapa, El Salvador : Curazao et Aruba
se sont ajoutés avec le Plan Colombia ; Valle de Huallaga,
Pérou ; Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio et
Hacienda Larendia, Colombie. Manta en Equateur sera remplacé par
Palanquero, Malambo et Apiai. Source : La crisis de Honduras en
el marco del nuevo Sistema Internacional de Defensa, Elsa M. Bruzzone
et José Luis Garcia, 05/08/2009.
|4|
http://www.rfi.fr/actufr/articles/1...
|5|
"Siempre trabajaremos para buscar acuerdos, para ayudar a que
los conflictos se resuelvan, para que las tensiones desaparezcan
y para que todos trabajemos en los objetivos que tenemos delante
más importantes",
http://www.rtve.es/noticias/2009080...
|6|
http://es.noticias.yahoo.com/9/2009...
|7|
http://www.radiolaprimerisima.com/a...
|8|
http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|9|
http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|10|
El Heraldo, vendredi 14 août 2009. El Heraldo est un des
quotidiens les plus lus au Honduras. Il soutient le coup d’Etat
comme tous les autres ; seul le mensuel El Libertador informe
sur la répression et l’oligarchie putschiste.
|11|
Les Accords de San José sont issus des négociations orchestrées
par le président du Costa Rica, Oscar Arias, et supervisées par
les Etats-Unis. Ces accords impliquent entre autres un
gouvernement de « réconciliation et d’union nationale »
comprenant différents représentants de divers partis politiques
en attendant les prochaines élections présidentielles ; une
amnistie générale pour les délits politiques en relation avec ce
conflit et l’interdiction de toute consultation populaire
appelant à une assemblée constituante.
http://www.opalc.org/index.php?opti....
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