|
IRIS
Amérique latine : la
France de plus en plus inaudible et déconsidérée
Jean-Jacques Kourliandsky
Jean-Jacques Kourliandsky - © Photo: IRIS
Vendredi 25 février 2011
Tristes tropiques pour la diplomatie française. Le président de
la République, préparant son G-20 de 2011, avait pourtant mis la
barre très haut. « Il faut reprendre position en Amérique
latine, avec ces pays qui sont des têtes de pont (..) avec
lesquels la France construira des partenariats du XXIe
siècle », avait-il déclaré tambour battant en octobre 2010.
Mme Michèle Alliot-Marie, a
bien effectué les 21 et 22 février 2011 une visite au Brésil
relativement longue. Le Brésil, il est vrai, n’est-il pas un
partenaire stratégique de la France depuis la visite effectuée
par le président français en 2008 ? Les deux pays n’ont-ils pas
un agenda de plus en plus dense, prenant en compte la
mondialisation de l’horizon brésilien, de l’Afrique, du
Proche-Orient et de l’Iran ? Qui plus est l’environnement des
affaires a pris ces derniers temps du volume. 450 entreprises
françaises sont présentes là-bas et bataillent durement avec
d’autres concurrents. Avec Coréens et espagnols, pour disputer
le contrat du TGV Rio de Janeiro-São Paulo, par exemple, et avec
Suédois et Nord-Américains pour décrocher la timbale du
renouvellement des avions de chasse militaires.
La visite a-t-elle répondu aux objectifs qui auraient du être
les siens ? La ministre était-elle le bon interlocuteur ? La
lecture de la presse brésilienne permet de s’interroger. Elle
plante un décor assez décapant pour la France, la défense de ses
intérêts, comme pour l’approfondissement d’un partenariat
inscrit dans la durée. O Globo, le grand quotidien de Rio, après
avoir rappelé les enjeux de la visite, a en effet présenté la
ministre française de la façon suivante : « Michèle Alliot-Marie
vient au Brésil dans un moment délicat, puisqu’elle court le
risque de perdre sa charge en raison de ses liens avec
l’ex-président de Tunisie, Zine El Abidine Ben Ali . Selon
l’opinion publique, sa visite de deux jours au Brésil sera sa
dernière comme ministre des affaires étrangères de la France.
D’après une enquête rendue publique ce mardi par le journal
français Libération, 68% des Français ne lui « font plus
confiance » (..) Les parents de la ministre auraient profité du
voyage pour faire des transactions immobilières avec un
entrepreneur proche de Ben Ali. Au-delà de ce scandale, le
positionnement peu clair de la diplomatie française face aux
révoltes populaires du monde arabe a affecté, selon la presse
française, le président Nicolas Sarkozy » a conclu O Globo. O
Estado de São Paulo, le quotidien des milieux d’affaire, a très
directement demandé à Mme Alliot-Marie
si « elle ne regrettait pas d’avoir fourni des armes à Ben Ali
utilisées contre les manifestations démocratiques ». Meionorte a
lui aussi informé ses lecteurs, que la « ministre arrive au
Brésil à un moment où elle est durement critiquée en France »
(..) car « il a été découvert qu’elle a passé des vacances en
Tunisie pendant la révolte, utilisant l’avion particulier d’un
proche de Ben Ali » (..) ainsi que d’avoir facilité l’envoi de
gaz lacrymogènes ».
Le Brésil, dira-t-on, n’est pas en Amérique latine le seul
membre du G-20. Il y a plus au nord, associé au sein de l’ALENA
aux Etats-Unis et au Canada, le Mexique. Le Mexique doit
d’ailleurs après la France présider le G-20. La diplomatie
d’influence avait mobilisé tous ses moyens pour créer un climat
propice à l’écoute par Mexico des grandes propositions
françaises sur la réforme et la régulation du système financier
international. De grands évènements culturels avaient été
programmés à cet effet pour présenter en 2011 le Mexique aux
Français, et en 2012 la France aux Mexicains. Manifestement,
tous ces beaux projets sont partis à vau l’eau. L’année du
Mexique en France a été suspendue. Ernesto Cordero, ministre des
finances du Mexique, a refusé d’assister à la réception de
bienvenue donnée par le président Sarkozy aux délégations du
G-20 présentes à Paris le 19 février. Il a tenu dans son
ambassade parisienne des propos laissant entendre qu’il avait
refusé tout contact bilatéral avec la ministre française de
l’économie, Christine Lagarde. La grande politique a
manifestement trébuché sur la communication très particulière du
président français qui monte en épingle médiatique la situation
de jeunes femmes françaises détenues à l’étranger, quelles qu’en
soient les raisons. Or le 9 mars 2009, alors qu’il était en
visite officielle au Mexique, le chef de l’Etat français avait
de façon insolite interpellé publiquement les sénateurs
mexicains. Au mépris des modes opératoires diplomatiques
concernant le traitement de ce type de dossiers, il avait
signalé à la tribune du parlement la situation d’une
ressortissante française condamnée par la justice Mexique.
Depuis cette date, la presse mexicaine, les partis politiques de
droite comme de gauche et le gouvernement mexicain ont fustigé
la méthode, jugée ingérente. Le président français s’est entêté
dans ses démarches et pressions à caractère public.
L’accompagnement culturel du G-20 en a fait les frais. La France
prétendait placer en 2011 toutes les activités de l’Année du
Mexique sous le parrainage moral de la personne incarcérée au
Mexique pour complicité d’enlèvement. Le Mexique a refusé tout
aussi publiquement cette conditionnalité. Les organisateurs des
manifestations programmées, de Lyon à Paris en passant par
Toulouse, présentent aujourd’hui l’ardoise financière au
président français. Les diplomates, de façon insolite, se sont
insurgés dans une tribune libre du journal Le Monde, contre une
« diplomatie » qui, en mélangeant les dossiers, - la carpe des
affaires individuelles avec le lapin des politiques d’Etat-,
paralyse finalement les unes comme les autres. Les relations
franco-mexicaines sont désormais gravement altérées, sans que
pour autant le sort de Florence Cassez ait bougé d’un
centimètre.
Il y a quelques années c’est une autre jeune femme qui
mobilisait le président français, la franco-colombienne Ingrid
Betancourt, alors détenue par les FARC. Recevant à l’Elysée en
juillet 2007 Felipe Calderón, le président mexicain, Nicolas
Sarkozy avait mis en bonne place dans leur échange, ainsi qu’en
fait foi le communiqué publié à l’issue de cet entretien, le
dossier Betancourt. On connaît la suite. Le président français a
harcelé les autorités colombiennes, exigeant la libération d’un
responsable de la guérilla, Rodrigo Granda, alors détenu, afin
d’obtenir un hypothétique échange. Elargi grâce à cette
intervention française, Rodrigo Granda a repris du service actif
au sein des FARC. Le président français alors a changé son fusil
médiatique d’épaule. Il a pris le micro de RFI, pour tenter
d’attendrir le chef des ravisseurs, qualifié pour l’occasion, de
« Monsieur Marulanda », et ainsi par la magie du verbe obtenir
que l’otage lui soit remise. L’intéressée a finalement été
libérée début juillet 2008 par les forces armées colombiennes.
Ce qui n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’organiser à l’intention
des Français un show télévisé avec les enfants de l’ex-otage et
son premier ex-mari.
La Colombie, dira-t-on, n’avait pas l’importance du Brésil ou du
Mexique. Et la France a pu sans trop de dommages passer quelques
années en froid avec Bogota. Sans doute. Mais la crédibilité de
la France à l’étranger en général, et en Amérique latine de
façon particulière, a été écornée par la conception de la
diplomatie révélée par cette obsession médiatique. Destinée à
influencer les téléspectateurs français, cette forme de
communication instrumentalise les victimes et obère gravement la
diplomatie et les intérêts nationaux. Du reste, les retombées de
cette affaire n’en finissent pas de provoquer des dégâts
collatéraux. Le 22 février 2011, le journal de Bogota, El Tiempo,
a sélectionné dans Wikileaks les bonnes pages envoyées au
Département d’Etat par l’ambassade des Etats-Unis en Colombie,
au sujet de l’activisme français concernant l’enlèvement
d’Ingrid Betancourt. Selon le quotidien El Tiempo, une dépêche
envoyé le 24 juin 2008 par les diplomates nord-américains
signale qu’un intermédiaire du président français « a dit à
Reyes » (= l’un des responsables des FARC) « que le gouvernement
français demanderait à l’Union européenne la levée de la
classification des FARC comme groupe terroriste et autoriserait
l’ouverture à Paris d’un bureau des FARC, en échange de la
libération d’Ingrid Betancourt ».
Plusieurs jeunes françaises sont actuellement détenues au
Brésil, la plupart pour trafic de stupéfiants. On ne peut
légitimement au vu de l’obsession féminine et émotionnelle de la
diplomatie élyséenne en Amérique latine, qu’être préoccupé pour
l’avenir de la relation bilatérale franco-brésilienne.
Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l'IRIS
Le dossier Amérique latine
Les dernières mises à
jour
Tous les droits des auteurs des Œuvres
protégées reproduites et communiquées sur ce site, sont
réservés.
Publié le 25 février 2011 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
|