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SWANA
Le
lobby pro-israélien
Un débat entre James Petras et Norman Finkelstein
propos
recueillis par Hagit Borer
pour
le collectif SWANA [Asie du Sud et de l’Ouest, et Afrique du
Nord] de la radio (américaine) KPFK
8
février 2007
Hagit Borer :
Personne ne doute qu’il y ait une relation spéciale entre Israël
et les Etats-Unis. Israël est le premier récipiendaire d’aide
étrangère des Etats-Unis, avec plus de 3 milliards de dollars
annuellement, auxquels il convient d’ajouter des cadeaux Bonux
divers, comme les livraisons d’armes, les remises de dettes et
autres traitements de faveur. Israël est le seul pays qui reçoive
la totalité de son enveloppe d’aide américaine au début de
l’année fiscale, ce qui lui permet de percevoir des intérêts
accrus durant la même année [en plaçant ces fonds, ndt].
C’est aussi le seul pays qui soit autorisé à dépenser
jusqu’à un quart de cette aide ailleurs qu’aux Etats-Unis, ce
qui permet à ces dépenses d’échapper à tout contrôle américain.
Mis à part leur soutien financier, les Etats-Unis apportent
depuis des années un soutien constant à l’occupation de la
Palestine par Israël, ainsi qu’à l’oppression toujours
actuelle des Palestiniens, et ils ont systématiquement soutenu le
refus israélien de s’engager dans des négociations de paix
effectives ou dans des accords de paix. Ils ont opposé leur véto
un nombre incalculable de fois à des résolutions onusiennes
visant à amener Israël à se conformer au droit international.
Ils ont permis à Israël de mettre au point des armes nucléaires
et de ne pas signer le traité contre la prolifération nucléaire.
Plus récemment (en juillet 2006), ils ont soutenu fortement
l’agression israélienne contre le Liban. Le soutien à Israël
traverse tous les partis américains ; il est extrêmement
puissant au Congrès, où l’on n’entend qu’extrêmement
rarement (voire jamais) s’exprimer une critique visant Israël.
Il caractérise, par ailleurs, la quasi-totalité des
administrations américaines, depuis celle de Johnson, George W.
Bush étant sans doute le plus pro-israélien de tous les présidents
des Etats-Unis.
Quelle
est la raison de ce soutien extrêmement fort ? Les avis à
ce sujet varient énormément. Dans des cercles fortement pro-israéliens,
on entend souvent dire que les raisons en sont principalement
morales : la dette que des Etats-Unis envers Israël, après
l’Holocauste ; la nature d’Israël – unique démocratie
au Moyen-Orient ; Israël en tant que qu’allié moral et
potentiellement stratégique des Etats-Unis dans leur guerre
contre le terrorisme. A l’intérieur de cercles moins pro-israéliens
et ayant moins tendance à considérer que la position et la
conduite d’Israël seraient morales, les opinions varient également.
Une
des opinions en présence découle de la position d’allié des
Etats-Unis d’Israël – le soutien dont Israël bénéficie
n’est que simple paiement de services rendus, couplée avec la
position invariable de la population juive d’Israël. Noam
Chomsky, parmi d’autres auteurs, défend cette opinion. Mais
selon ses détracteurs, le soutien américain à Israël, loin de
servir les objectifs des Etats-Unis, il ne fait que les mettre en
danger. Les motivations de ce soutien seraient à trouver dans les
activités du lobby israélien (aussi connu sous l’intitulé de
lobby juif ou Aipac [American-Israel Public Affairs Committee]),
qui utilise son influence formidable pour remodeler la politique
étrangère américaine afin de la mettre au service des intérêts
israéliens. Cette opinion a été, tout récemment, associée
à un article paru dans The London Review of Books, coécrit par
le professeur Merscheimer, de l’Université de Chicago, et le
professeur Walt, de l’Université Harvard.
Ce
débat est le sujet de notre émission, aujourd’hui.
Permettez-moi
de vous présenter nos invités : Norman Finkelstein est
professeur de science politique à l’Université De Paul.
Bienvenu à notre émission, Norman !
Norman Finkelstein
: Merci !
Hagit Borer
: Le professeur Finkelstein est l’auteur de plusieurs ouvrages
consacrés à l’histoire du sionisme et au rôle joué par l’Holocauste
dans la politique actuelle de l’Etat d’Israël. Son dernier
livre, publié en 2005, est intitulé Beyond Chutzpah, on The
Misuse of Anti-Semitism and the Abuse of History [Au-delà du
Culot à la mode israélienne : du mésusage de l’antisémitisme
et de la distorsion de l’Histoire].
Notre
deuxième invité est James Petras. James est professeur émérite
de sociologie à l’Université d’Etat de New York Binghamton.
Soyez le bienvenu à notre émission, James !
James Petras :
Très heureux d’être ici, Hagit !
Hagit Borer :
Le professeur Petras est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le
pouvoir de l’Etat et la nature de la mondialisation dans le
contexte des relations entre les Etats-Unis et l’Amérique
latine, ainsi, plus récemment, qu’au sujet du Moyen-Orient. Son
dernier livre, publié en 2006, a pour titre Le pouvoir d’Israël
aux Etats-Unis [The Power of Israel in the United States]. Nous
allons peut-être commencer avec vous, James ; pourriez-vous
nous dire, dans une brève déclaration préliminaire, où vous
vous situeriez, par rapport à la question pendante d’un débat
sur les raisons du soutien de vieille date et invétéré apporté
à l’Etat d’Israël par les Etats-Unis ?
James Petras
: Eh bien, je pense que je dirais probablement que le lobby
pro-israélien, le Lobby sioniste, est le facteur dominant dans la
détermination de la politique américaine au Moyen-Orient, en
particulier dans la toute dernière période. Et je pense qu’il
faut examiner ce phénomène, sans s’en tenir au seul Aipac [American
Israli Public Affairs Committee, le principal organe du lobbying
israélien aux USA, ndt]. Je m’explique : nous devons
examiner toute une série de boîtes à idées pro-sionistes,
depuis l’American Enterprise Institute, au sommet, et en
redescendant la pyramide, après quoi, nous devons comprendre
toute une configuration du pouvoir, qui n’implique pas seulement
l’Aipac, mais le Président des Principales Associations Juives
Américaines, qui en comporte cinquante-deux. Nous devons prendre
en compte les individus occupant des postes cruciaux dans le
gouvernement, comme nous l’avons fait récemment en ce qui
concerne Elliott Abrams, Paul Wolfowitz, Douglas Feith et
d’autres encore. Nous devons étudier cette armée d’éditorialistes
ayant accès aux principaux quotidiens [américains]. Nous devons
passer au scanner les donateurs super-friqués du parti Démocrate,
les magnats des médias, etc. Et je pense que cela, ainsi que les
leviers détenus au sein du Congrès et du gouvernement, ce sont
les éléments décisifs de la détermination [par les sionistes]
de la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient. Je tiens à le
souligner.
Hagit Borer:
James, permettez-moi de vous interrompre. Peut-être Norman
pourrait-il maintenant faire, lui aussi, sa déclaration
introductive ?
Norman Finkelstein
: Eh bien, tout d’abord, je vous remercie de m’avoir invité.
Je dirais que je me situe moi-même, sur le spectre (politique),
quelque part vers le milieu. Je ne pense pas que ce soit
uniquement le Lobby qui détermine la relation américano-israélienne.
Et je ne pense pas non plus que ce soient seulement les intérêts
des Etats-Unis qui détermineraient la qualité des relations
entre eux et Israël. Je pense qu’il faut regarder le panorama
d’ensemble, puis s’intéresser au tableau local. En
l’occurrence, dans le panorama – celui de la politique américaine
au Moyen-Orient, de manière générale –, la connexion
historique entre les Etats-Unis et Israël est fondée sur les
services signalés qu’Israël procure aux Etats-Unis, dans la région,
dans son ensemble, depuis pas mal de temps. Cela est devenu
particulièrement visible en juin 1967, quand Israël a abattu le
principal défi – ou le principal défi potentiel – à la
domination américaine dans la région, à savoir le président égyptien
Gamal Abdul Nasser.
Ainsi,
à propos de la vaste question que représente la dimension régionale
des relations américano-israéliennes, je pense qu’il est exact
de dire que cette alliance est fondamentalement basée sur des
services rendus. Par ailleurs, il est extrêmement clair, à
l’examen des archives, que les Etats-Unis furent euphoriques après
qu’Israël eut écrasé l’Egypte – plus exactement, après
qu’Israël eut écrasé Nasser et le nassérisme – et il est
également évident, toujours à l’examen des archives, que les
Etats-Unis n’ont jamais ressenti comme un enjeu fondamental le
fait qu’Israël maintînt son contrôle sur les territoires
qu’il avait conquis durant la guerre de juin 1967, à savoir le
Sinaï (égyptien), les hauts plateaux du Golan (syriens) ainsi,
à l’époque, que la Cisjordanie (jordanienne) et Jérusalem
(jordanienne). Manifestement, les Etats-Unis n’y ont jamais eu
le moindre intérêt, et dès 1967, ils voulaient exercer des
pressions sur Israël afin de l’engager à se retirer totalement
(desdits territoires). Il est parfaitement évident, si, encore
une fois, vous examinez les archives, qu’Israël, dès lors, a
été en mesure de faire entrer le Lobby en action aux Etats-Unis.
En
1967-1968, la grande question du moment, c’étaient les élections
présidentielles américaines, et le vote juif. Israël allait
faire en sorte de mobiliser toute la puissance de l’électorat
juif afin de faire obstacle aux efforts américains visant à lui
imposer de se retirer des territoires occupés. Et, dès 1967, le
Lobby a été particulièrement efficace, je pense : il a réussi
à considérablement rehausser le seuil au-delà duquel les
Etats-Unis étaient prêts à passer à l’action et à imposer
un retrait israélien, tout à fait de la façon dont ils allaient
imposer à l’Indonésie, en 2000, de se retirer du Timor. Les
deux occupations [israélienne, et indonésienne, ndt] commencent
approximativement à la même période : en 1974, l’Indonésie
envahit Timor avec le feu vert américain et, en 1967, Israël
conquiert la Cisjordanie, la bande de Gaza, etc., avec le feu vert
américain. Ainsi, la question qui coule de source est celle-ci :
les deux occupations ont duré très longtemps. L’occupation
indonésienne fut infiniment plus destructrice, tuant plus d’un
tiers de la population du Timor oriental. Mais il est exact
qu’en 2000, les Etats-Unis ont bel et bien intimé à l’Indonésie
l’ordre de retirer ses troupes du Timor. Pourquoi ne l’ont-ils
pas fait, dans le cas de l’occupation israélienne ? A ce
point, je pense qu’il est exact de répondre : « C’est
le Lobby… »
Hagit Borer
: J’ai l’impression qu’une des choses par lesquelles il faut
vraiment que nous commencions, quand nous essayons de traiter de
ce sujet, c’est la question de savoir ce que nous désignons, si
toutefois nous sommes en mesure de le faire, sur un niveau plus ou
moins mondial, sous le vocable d’ « intérêts américains » ?
Ce concept est tellement flou que nous pouvons dire que les
« intérêts américains » ont systématiquement
caractérisé, à un degré ou un autre, des administrations américaines
pourtant fort différentes. Je dis ceci parce qu’il me semble
qu’il serait très difficile d’évaluer dans quelle mesure des
politiques qui se prolongent, [quasi identiques] concernant Israël,
ne seraient pas compatibles avec les intérêts américains, si
nous ne discutions pas un minimum de la perception que nous avons
de ces [fameux] « intérêts américains » ?
Alors, James, vous voulez bien nous en parler un peu… ?
James Petras
: Oui, volontiers. De fait, sur cette question, nous devons être
clairs : parlons-nous des intérêts de l’exécutif et des
trusts américains au Moyen-Orient, en particulier, ou
parlons-nous de ce que devraient être les intérêts [nationaux]
des Etats-Unis ?
Hagit Borer
: Parlons de ces fameux « intérêts » tels qu’ils
sont… Disons : quels sont les objectifs des différentes
administrations américaines successives, par opposition à ce qui
serait le véritable intérêt des peuples américain et israélien,
qui peut effectivement en différer considérablement….
James Petras
: Parfait. Dit comme cela, je pense qu’il est tout à fait clair
que la politique des Etats-Unis vise à la construction d’un
empire, à l’extension de leur contrôle politique, économique
et militaire sur le monde entier, mais plus particulièrement sur
le Moyen-Orient. Et les Etats-Unis poursuivent cette politique par
les moyens militaires ou grâce aux mécanismes du marché, comme
l’extension de firmes, la prise de contrôle de régimes
clients, etc. Et si nous regardons en particulier le Moyen-Orient,
les Etats-Unis ont été très efficaces en obtenant des traités
avec la plupart des pays producteurs de pétrole, mis à part l’Irak
et l’Iran (et même dans leur cas, s’il n’y a pas de tels
accords, c’est principalement parce que les Etats-Unis eux-mêmes
excluent d’avoir des relations avec ces deux pays). Les
compagnies pétrolières américaines se sont extrêmement bien débrouillées,
par des moyens non-militaires.
Elles
ont élargi leurs liens commerciaux – Goldman Sachs vient tout
juste de signer un gros contrat avec la principale banque
saoudienne. La Grande-Bretagne est en train de mettre sur pied un
second marché spécialisé dans les fonds islamiques. Aucune
compagnie pétrolière n’a soutenu la guerre en Irak. C’est un
des bobards qui ont été colportés – la soi-disant « guerre
pour le pétrole »… Les compagnies pétrolières faisaient
des affaires fabuleuses avant cette guerre, et elles étaient extrêmement
réticentes devant le risque de s’y trouver impliquées. Cela,
à mon avis, nous amène à la question fondamentale de savoir
« pourquoi, alors » [cette guerre], puisqu’elle ne
pouvait que porter atteinte aux intérêts économiques
fondamentaux des Etats-Unis. Comme nous le constatons, il y a eu
beaucoup de responsables militaires américains qui étaient opposés
à la guerre contre l’Irak, car ils avaient le sentiment
qu’elle porterait atteinte à la capacité militaire des
Etats-Unis à défendre globalement l’Empire – exactement de
la même façon que la guerre du Vietnam portait atteinte à la
capacité d’intervention des Etats-Unis, en Amérique centrale
contre les Sandinistes, ou pour empêcher le renversement du Shah
d’Iran, etc.
Ainsi,
du point de vue des intérêts impériaux globaux, la guerre d’Irak
n’était manifestement pas dans l’intérêt des compagnies pétrolières.
J’ai étudié tous les documents, j’ai interviewé des
responsables des compagnies pétrolières, j’ai épluché leurs
rapports d’activités des cinq années précédant la guerre, et
on ne trouve nulle trace [de leur implication]. Au contraire, si
vous affinez vos recherches sur les divers membres du pouvoir
sioniste aux Etats-Unis (ce qui à mon avis est une manière plus
correcte, conceptuellement, de parler de tout cela, plutôt que de
parler « du Lobby »), vous aller trouver que des gens
aux loyautés duplices, comme Paul Wolfowitz, Douglas Feith,
Richard Perle et Elliott Abrams (ce félon), avaient à leur ordre
du jour de promouvoir les intérêts d’Israël.
Hagit Borer
: James, peut-être devrions-nous poursuivre là-dessus.
Fondamentalement, si je vous suis bien, vous suggérez que
jusqu’à ce qu’elle soit militairement impliquée en Irak,
vous caractériseriez la politique américaine au Moyen-Orient –
je veux dire, envers et contre le Lobby – comme extrêmement réussie.
Aussi, je me demandais, simplement…
James Petras :
Oui, c’est ce que nous appelons « l’impérialisme de
marché ».
Hagit Borer
: Certes… Norman, des commentaires, à ce sujet ?
Norman Finkelstein
: Bien. Vous devez
prendre les intérêts en considération à différents niveaux.
Malheureusement, cela devient nébuleux et compliqué, alors même
qu’on aimerait bien disposer d’un tableau simple. Mais je ne
pense pas que cela soit si simple quand vous vous efforcez de le
cerner. Avant toute chose, vous devez examiner les intérêts en
termes de qui les définit.
Et je conviens, je pense que c’est là quelque chose de
certainement évident pour vos auditeurs, qu’il y a des intérêts
différents, selon qu’ils sont définis par le pouvoir des
trusts, ou démocratiquement par les désirs et les choix des
citoyens ordinaires, dans tout système démocratique. Aussi,
limitons-nous aux premiers – la question des intérêts
capitalistes, puisqu’à l’évidence, ils jouent le rôle
principal dans la détermination de la politique américaine. Plutôt,
cela devrait être évident, non que ce soit toujours le cas…
Hagit Borer
: Supposons donc que ce soit parfaitement évident…
Norman Finkelstein :
Ils jouent un rôle absolument déterminant. Mais encore faut-il
examiner la façon dont ils conçoivent la « meilleure manière
de préserver et d’accroître leurs intérêts ». Il faut
dire que la manière dont ils les perçoivent peut sembler à
quelqu’un comme vous et moi parfaitement irrationnelle. Cela est
dû au fait qu’ils mènent des politiques qui en réalité les lèsent.
Mais le fait que cela puisse nous sembler irrationnel ne signifie
nullement que ça le soit, à leurs yeux. Prenons le cas concret
du moment. Il se peut qu’il ait été irrationnel, pour les
Etats-Unis, d’envahir l’Irak, car il existe d’autres moyens
de contrôler le pétrole, ou comme l’ont dit d’aucuns, les mécanismes
du marché son tels qu’à l’échelle mondiale, vous n’avez
plus besoin de contrôler une ressource naturelle pour vous
assurer que vous en obtenez le meilleur prix ou que son écoulement
est garanti, au meilleur prix possible. La contrôler n’est plus
aussi important que par le passé, dans le monde moderne. Nous ne
sommes plus à l’époque où Lénine écrivait son traité sur
l’Impérialisme.
Maintenant,
cela peut être effectivement rationnel, et il y a peut-être un
bon argument pour le faire. Mais cela ne signifie nullement que
les gens au pouvoir ne seraient pas en train de prendre des décisions
afin de servir leurs propres intérêts, qui peuvent, à nous,
nous sembler irrationnels. Dans le cas de l’Irak, si vous
regardez concrètement ce qu’il se passe : Primo, il
n’existe pas la moindre preuve que des gens comme Wolfowitz et
sa bande s’efforçaient de promouvoir un agenda israélien.
Hagit Borer
: Permettez-moi de vous interrompre : l’agenda israélien,
que serait-il, s’il devait y en avoir un ?
Norman Finkelstein
: Il existe bel et bien un agenda israélien, loin de moi l’idée
de contester cela. L’agenda israélien est fondamentalement
comme suit : Israël se fout pas mal de quel pays vous écrasez,
au Moyen-Orient, dès lors que tous les trois ou quatre ans, et
parfois tous les trois ou quatre mois, vous écrasez ce pays
arabe-ci ou ce pays arabe-là simplement pour donner une leçon,
et transmettre au Moyen-Orient le message que nous contrôlons la
situation et que si sortez des rangs, nous allons prendre notre
grosse massue et nous allons vous casser le crâne. Maintenant, il
se trouve qu’à la fin des années 1990, Israël eût préféré
que le crâne que nous choisîmes de fracasser eût été le crâne
de l’Iran…
Rien
n’indiquait que l’Irak venait en tête des priorités israéliennes.
De fait, tout ce discours au sujet du fameux document qui avait été
écrit par ces néocons préconisant d’attaquer l’Irak – ce
fameux document… - avait été remis à Netanyahu lorsqu’il
prit ses fonctions afin de le convaincre de placer l’Irak en tête
de liste. C’est bien différent d’Israël remettant ce
document aux néocons, qui auraient ensuite comploté afin de
pousser le gouvernement américain à attaquer l’Irak. C’est
le contraire qui s’est produit. Israël aurait préféré
attaquer l’Iran. Toutefois, les gens au pouvoir chez nous, sans
doute avec des raisons malintentionnées, à mon avis, ayant décidé
de s’en prendre à l’Irak, Israël était bien entendu dans
tous ses états, parce qu’Israël est toujours dans tous ses états
quand il s’agit d’écraser tel ou tel pays arabe. Cela a
toujours été sa politique, depuis un siècle – depuis les débuts
du sionisme. Le cliché le plus rabâché par le pouvoir israélien,
c’est : « Les Arabes ne comprennent que le langage de
la force ». Aussi, quand les Etats-Unis se sont embarqués
dans leur campagne contre l’Irak, les Israéliens exultaient –
mais ils exultent toujours… Cela ne signifie nullement que des
gens comme Wolfowitz, et a fortiori des gens comme Cheney,
seraient en train de s’efforcer de servir un agenda israélien.
Il n’existe aucune preuve étayant ce genre d’allégation.
C’est là pure spéculation, basée sur des arguments tels l’ethnicité.
Prenons
un exemple simple, un exemple, je l’appellerai James (je n’ai
pas l’habitude d’appeler les gens par leur prénom), mais Jim
Petras a mentionné… Prenons le cas d’Elliott Abrams. Voilà
un de ces cas intéressants. Elliott Abrams est le gendre de
Norman Podhoretz. Et Norman Podhoretz fut le premier gros bonnet néoconservateur
partisan d’Israël, rédacteur en chef de la revue Commentary.
Mais si vous regardez des gens comme Podhoretz, intéressez-vous
à leur histoire. Je vais prendre un livre dont je suis sûr que
Jim le connaît, en 1967, donc, Podhoretz publie son célèbre
livre de mémoires, intitulé Making It. C’est ainsi qu’il a
rencontré le succès et qu’il s’est intégré dans la vie américaine.
Il était encore jeune, et déjà rédacteur en chef, de
Commentary ! Lisez ce livre : lisez ses fameux mémoires,
écrits deux mois avant la guerre de juin 1967, il y a, en tout et
pour tout, une demie phrase au sujet d’Israël dans tout le
bouquin. Les gens tels Podhoretz, Midge Decter, ainsi que tous les
néocons… J’ai parcouru toute la littérature consacrée à
cette question, et je l’ai lue très attentivement. Avant juin
1967, tout le monde se foutait allègrement d’Israël. Israël
n’apparaît jamais dans aucun de leurs mémoires, à aucun des
événements de cette période. Ils deviennent pro-israéliens
quand Israël peut leur servir, dans leur quête de pouvoir et
d’argent aux Etats-Unis. Elliott Abrams est tout aussi dévoué
à Israël que son beau-père, Norman Podhoretz, l’était, à
savoir : quand c’est expédient, quand c’est utile. Cette
idée de servir un agenda israélien, en particulier chez
quelqu’un d’aussi sophistiqué que Jim Petras, me semble
absurde. Ce pouvoir, Jim le connaît pourtant aussi bien que moi !?
Hagit Borer
: Permettez-moi seulement de vous interrompre, pour permettre à
James de…
James Petras
: C’est vraiment très étrange d’entendre quelqu’un dire
que Wolfowitz n’aurait pas été influencé par l’agenda israélien
alors qu’il s’est fait pincer en train de refiler des
documents secrets à Israël, dans les années 1980. Et Douglas
Feith a perdu son habilitation auprès des services de sécurité
au motif qu’il a refilé des documents à Israël ; Elliott
Abrams a écrit un livre prônant la conservation de la « pureté »
de la race juive…
Norman Finkelstein
: Je sais… Ils ont écrit ce genre de conneries… et vous les
croyez ? Jim, vous pensez qu’ils en ont quoi que ce
soit à cirer de… ?
James Petras
: La question n’est pas de savoir si on les croit ou non ;
la question, c’est celle d’examiner la preuve documentée
d’un soutien aveugle à Israël, quelles que soient ses
politiques – et c’est là une position qui est celle des Présidents
des Principales Associations Juives Américaines [l’équivalent
du CRIF aux Etats-Unis, ndt]. Ils apportent à Israël un soutien
inconditionnel !
Hagit Borer :
Permettez-moi de m’interposer un peu, ici. Je pense qu’il y a
plusieurs choses. Une, c’est que… Je me demande, par exemple,
je ne sais pas si vous seriez d’accord, James, avec l’intérêt
israélien particulier que Norman a identifié, en relation avec
l’invasion de l’Irak. Mais en supposant que vous soyez
d’accord avec cette idée que les intérêts israéliens sont précisément
cela, à savoir, nommément, écraser un pays arabe quel qu’il
soit, principalement parce qu’il s’agirait là d’une
« bonne idée » ?...
James Petras :
Je pense que c’est quelque chose de particulièrement
superficiel…
Hagit Borer
: Mais la question qui se pose, c’est aussi celle de savoir si
cela a servi les intérêts américains ? Ainsi, nous avons
vu l’Amérique s’en prendre à des pays qui, parfois, en
termes de pouvoir, sont autrement négligeables – simplement
pour prouver que quiconque oserait se rebiffer contre la puissance
américaine ne serait qu’un mauvais exemple, qu’il faudrait écraser
sans tarder…
Norman Finkelstein
: Je suis entièrement d’accord avec ça…
James Petras
: Israël envoyait des flingues en Iran encore en 1987, durant
l’infâmant scandale Iran-Contra… Alors, dire qu’ils n’étaient
pas intéressés à détruire l’Irak en tant que défi à l’hégémonie
israélienne et en raison du soutien de ce pays aux Palestiniens,
en particulier aux familles des dirigeants palestiniens assassinés…
c’est absurde ! Et je pense…
Norman Finkelstein
: Oh, vous savez…
Hagit Borer
: Puis-je vous arrêter à cet endroit précisément… parce que
nous allons avoir une pause publicitaire
James Petras
: Je veux répondre à votre question…
Hagit Borer
: Nous y reviendrons… A ce point dans notre conversation, je
pense que nous devrions changer un peu de sujet, et…
James Petras
: Permettez-moi de terminer mon dernier commentaire. Je pense que
dès lors que les bureaux du Pentagone sont bondés, comme un
bordelle débordé un samedi soir, d’agents du renseignement
israélien, qui sont plus nombreux y compris que les membres du
personnel du Pentagone lui-même – plein de généraux israéliens,
en train de faire [notre] politique en Irak, je ne pense pas
qu’on puisse dire que ce gens soient « simplement des
responsables du Pentagone comme les autres ». Je pense que
vous ne pouvez pas faire abstraction du fait que Feith, Wolfowitz,
Elliott Abrams et consorts se sont engagés à faire des intérêts
israéliens leur première préoccupation au Moyen-Orient,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Je pense qu’il est absurde
de penser qu’il s’agirait simplement d’hommes politiques de
droite, qui se trouveraient soutenir une politique militariste.
C’est Wolfowitz, qui a décidé du programme !
Feith
a constitué le Bureau des Projets Spéciaux, ce panel politique
qui a fabriqué de toutes pièces la désinformation qui a servi
de prétexte à la guerre contre l’Irak. Ils se consultaient en
permanence, jour après jour, heure après heure, avec le
gouvernement israélien. Cela a été catégoriquement attesté
cent fois et je pense qu’il est impossible de dénier cette réalité
en disant : « Eh bien, vous ne pouvez pas déduire
que telle affiliation ethnique produira telle ou telle
politique… » Oh que si, qu’on le peut ! Quand ce
groupe ethnique fait passer une position qui met la primauté
d’un gouvernement étranger au centre de sa politique étrangère,
en mettant en danger la vie de milliers de citoyens américains…
leurs intérêts économiques dans la région… alors, il est
absurde de dire : « Ces types sont un ramassis de décideurs
politiques irrationnels ».
Hagit Borer :
James, permettez-moi de poursuivre cette interview, et de fait de
passer à un sujet un peu différent. Voici : ne serait-il
pas possible (vous savez, c’est une question pour vous deux),
par exemple, de penser que quel que soit la composition du groupe
des néocons… il ne s’agit pas d’un groupe qui défende les
intérêts israéliens, c’est un groupe qui représente les
alliances entre des hommes politiques particuliers des deux pays,
et des configurations de pouvoir particulières dans les deux
pays, l’un par rapport à l’autre – mais, en aucun cas –
de tous les hommes politiques israéliens, ni de l’entièreté
de la structure politique israélienne – ni de tous les hommes
politiques américains, ni de l’ensemble des structures
politiques américaines ?
James Petras
: Absolument !
Hagit Borer
: Alors, dans ce cas, il ne s’agit pas réellement d’intérêts
américains. Il s’agit simplement des intérêts d’un groupe
particulier d’individus, un groupe qui est tout aussi intéressé
à obtenir ce qu’il veut aux Etats-Unis qu’en Israël. C’est
juste, fondamentalement, si vous voulez, une merveilleuse relation
symbiotique. Norman, que dites-vous de cette interprétation ?
Norman Finkelstein
: Dans mes observations préliminaires, j’ai dit qu’il y a un
chevauchement d’intérêts au niveau régional, pour des raisons
que vous avez pour partie suggérées. Vous avez dit que les
Etats-Unis s’en prennent souvent à des régimes simplement afin
de démontrer leur puissance, et qu’Israël a, lui aussi, un désir
de faire étalage de sa force. Souvent, il y a chevauchement, ou
confluence d’intérêts. Je pense toutefois qu’il est exact,
aussi, de dire que sur la question spécifique de l’occupation
– il y a conflit d’intérêts. En l’absence d’un Lobby
sioniste, il est fort vraisemblable que les Etats-Unis auraient
exercé les pressions requises sur Israël afin de le contraindre
à se retirer des T.O.
Sur
des questions comme celles de l’Irak et de l’Iran, je ne vois
absolument aucune preuve que les Etats-Unis seraient tirés par
les basques par des opérations du type épée dans les reins au
sein du Pentagone. Ces opérations, que mentionne Jim, sont
tellement triviales – en comparaison avec la planification à très
haut niveau qui s’opère entre les Etats-Unis et Israël,
quotidiennement, légalement et en toute conscience. Vous n’avez
pas besoin de déjouer ces aventures de « cape et d’épée »,
se déroulant au sein du Pentagone, même si elles sont pour la
plupart authentiques, pour démontrer l’existence de cette
collusion, de cette planification conjointe et de cette
coordination entre les Etats-Unis et Israël ! La question
n’est pas de savoir si ces magouilles ont bien lieu, ou non. La
question, c’est de savoir « quels intérêts, au juste,
sont servis » par ces magouilles bien réelles ! Il y a
cette notion selon laquelle, d’une certaine façon, ils réussiraient
à distordre et à déformer la politique américaine dans une région
cruciale, à propos d’une ressource naturelle fondamentale :
cette notion, à mon avis, n’a absolument aucun fondement. Cela
défie toute rationalité et tout raisonnement relevant du simple
bon sens – en particulier venant [de James] (dans ma jeunesse,
j’ai été l’étudiant de James Petras à l’Université
Binghamton, de 1971 à 1974, il était marxiste, et à l’époque,
il vous expliquait comment les gens au pouvoir agissent en
fonction d’intérêts, découlant… d’une base dans laquelle
ces dirigeants sont les principaux bénéficiaires.
Hagit Borer
: Norman, permettez-moi de vous demander…
Norman Finkelstein :
Juste une seconde… M. Wolfowitz…, M. Feith et tous les autres,
d’où tirent-ils leur pouvoir ?… Ils tirent leur pouvoir
de l’Etat américain. Si Israël devient plus fort, leur pouvoir
n’augmente en rien. Si les Etats-Unis s’affaiblissent, leur
pouvoir décroît. Donc, actuellement, nous assisterions à ce phénomène
étrange de gens qui, en raison de leurs loyautés ethniques,
voudraient renforcer un autre Etat, même si cela affaiblit, ce
faisant, le pouvoir d’où découle leur propre pouvoir… Cela
ne semble pas crédible !
James Petras
: Là, Norman, vous allez chercher midi à quatorze heures !
Je suis sûr que Norman n’a pas acquis ce genre de logique dans
mes cours ! J’ai bien peur qu’il soit sorti des rails,
quelque part – en dépit de certains livres excellents qu’il a
écrits sur les « extorsions » sionistes, sur l’Holocauste
et sur la réfutation du plagiat de Dershowitz. Mais je crains que
dès lors qu’il est question du lobby essentiellement juif, il
ait une certaine macula aveugle, ce qui est compréhensible. Dans
beaucoup d’autres groupes nationaux et ethniques – dans
lesquels ont peut critiquer le monde entier, mais où, dès lors
qu’il s’agit d’identifier le pouvoir et la malfaisance de
son propre groupe…
Hagit Borer
: Je pense que nous devrions tous, peut-être… peut-être
pouvons nous maintenant clore ce chapitre, OK ?
James Petras :
Laissez-moi au moins finir ma phrase !... La multiplicité
des organisations pro-israéliennes n’a strictement rien d’un
roman de « cape et d’épée » : elles ont exercé
(et exercent) des pressions sur le Congrès, elles sont impliqués
dans le corps exécutif, où elles contribuent largement à déterminer
la politique des Etats-Unis au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne
soutiennent aucune autre puissance coloniale ; ils se sont
opposés à l’occupation / impérialisme colonial continument
depuis la Seconde guerre mondiale. Ils se sont opposés à
l’occupation britannique de Suez en 1955/1956. Ils ont poussé
ces pays d’Europe, et d’autres pays [coloniaux] dehors, afin
d’établir l’hégémonie américaine au moyen d’accords économiques
et militaires. La politique américaine vis-à-vis des Israéliens
est très différente de celles que suivent les Etats-Unis
ailleurs dans le monde. Israël est le seul pays à percevoir 3
milliards de dollars annuellement des Etats-Unis, et cela fait
trente ans que ça dure. Ce n’est pas là quelque chose qui se
produirait en raison d’une aventure de « cape et d’épée » !
C’est le résultat – comme Norman le sait pertinemment, en sa
qualité d’analyste brillant – d’un pouvoir organisé, un
pouvoir organisé qui admet ouvertement et affirme très
explicitement qu’Israël est sa préoccupation première… et
que « ce qui est bon pour Israël est bénéfique pour les
Etats-Unis ». C’est là exactement ce qu’ils disent,
Norman…
Norman Finkelstein
: Je sais. Mais peu
importe ce qu’ils disent…
Hagit Borer
: Permettez-moi de vous interrompre. Je dois lancer le jingle, et
nous pourrions peut-être en profiter pour changer de sujet ?...
James Petras :
Bon. OK. Je n’ai rien dit : Norman était un de mes
meilleurs étudiants !...
Hagit Borer
: Je pense qu’à ce point dans notre débat, nous pouvons tomber
d’accord sur le fait, les mecs, que vous avez beaucoup de
respect l’un pour l’autre. Mais, à l’évidence, vous n’êtes
pas du même avis sur certains sujets. Je voulais passer à la
question de savoir s’il y a réellement des cas montrant que dès
lors qu’il y a des conflits d’intérêts, disons entre les
Etats-Unis et Israël, il y a aussi des cas où les Etats-Unis
exercent véritablement des pressions sur Israël afin qu’au
moins dans quelques cas, il cesse d’agir à l’encontre de ce
que ce pays souhaiterait. Car il me semble que si nous ne trouvons
pas de tels cas, alors, fondamentalement, la discussion deviendra
une de ces histoires de « poutre dans son propre œil ».
Nous voyons beaucoup de coopération, beaucoup d’intérêts
communs, mais ces intérêts peuvent avoir pour origine les deux côtés.
S’il y a des cas où il y a peut-être des intérêts en jeu,
qui se séparent, et où nous pouvons constater qu’en réalité,
nous pouvons parler de discorde. Norman, faisant partie de ceux
qui pensent que c’est là une possibilité, pourriez-vous nous
en parler ?
Norman Finkelstein
: Bien. Le problème, c’est que je ne veux pas développer
l’idée que ce genre de cas individuels pourrait prouver que le
responsable est tel ou tel côté. Vous prenez au hasard un livre
écrit par Steve Zunes, et il s’apprête à démontrer que le
gouvernement des Etats-Unis obtient toujours ce qu’il veut.
Maintenant, si vous prenez au hasard un ouvrage d’un auteur du
camp opposé, il va vous démonter que c’est Israël qui finit
toujours par obtenir ce qu’il veut, quand surgit un conflit
d’intérêts. Et chaque camp peut produire une liste
d’exemples – pour démontrer sa thèse.
Je
ne pense pas qu’on puisse prouver quoi que ce soit en citant une
poignée de cas, d’un côté – le professeur Chomsky citera
certainement ce cas récent où Israël a été sévèrement réprimandé
par Bush pour avoir essayé de vendre des hautes technologies à
la Chine – et puis vous allez trouver d’autres cas, dans le
camp d’en face. Même s’il est important d’examiner les précédents
empiriques, je ne pense pas que ces archives empiriques – en
elles-mêmes et d’elles-mêmes – résolvent la question.
Permettez-moi de vous donner quelques exemples sur la façon dont,
à mon avis, cela fonctionne. Prenons deux premiers exemples.
Commençons avec la guerre de 1948. Pourquoi le président américain
Truman a-t-il reconnu Israël ? On assiste à toutes sortes
de débats à ce sujet. Une assertion constamment formulée,
c’est celle du rôle joué par le lobby juif. Nommément :
Truman se présentait aux élections présidentielles et il
voulait en particulier obtenir les voix de l’électorat
new-yorkais… tandis que le parti démocrate, lui, voulait
l’argent juif. C’est grâce au lobby juif de l’époque que
Truman a rapidement reconnu l’Etat d’Israël, même s’il
allait s’aliéner les intérêts arabes, lesquels étaient extrêmement
hostiles à la création d’Israël.
Que
disent les archives ? Je les ai lues très attentivement.
Elles montrent ceci : Primo, notre principal intérêt, à
l’époque, c’était le pétrole saoudien, or les Etats-Unis
entament des discussions avec les Saoudiens : « Qu’allez-vous
autoriser le gouvernement américain à faire en ce qui concerne
la fondation de l’Etat d’Israël ? » Et les
Saoudiens, en substance, répondirent ceci : « Nous
vous laisserons reconnaître Israël, mais si vous lui fournissez
de l’armement, il y aura des problèmes. Ils font allusion à
des armes après la création d’Israël, tandis que la guerre était
imminente. Et que font les Etats-Unis ? Ils reconnaissent
Israël, c’est-à-dire, ils vont aussi loin qu’ils peuvent
aller. Truman va jusqu’au bout, parce qu’il a besoin du vote
juif, et de l’argent juif. Mais il impose immédiatement un
embargo sur les armes destinées à la région. Quant au secrétaire
d’Etat de l’époque, Marshall, il dit : « Tout
indique qu’Israël va perdre cette guerre. » C’était ce
que nos services de renseignement nous disaient.
Nous
nous trompions. Mais c’est ce que disaient les services américains
du renseignement, à l’époque. Aussi, ils étaient prêts à
laisser anéantir Israël, parce que c’était ce que nos
services de renseignement nous disaient, si le prix [de sa survie]
devait être la perte du soutien des Saoudiens. Il est vrai que
Truman est allé jusqu’à la limite – cette limite, c’était
la « reconnaissance d’Israël », afin d’obtenir
les votes juifs, mais il n’a jamais outrepassé la limite au-delà
de laquelle il se serait aliéné un intérêt américain
primordial dans la région, à savoir les Saoudiens. Prenons 1956,
que Jim a cité, mais je ne pense pas qu’il sache ce qui s’est
réellement passé. En 1956, c’est exact – les Etats-Unis ont
dit à la Grande-Bretagne, à la France et à Israël – de
sortir d’Egypte. Et il est exact que nous sommes apparus très
anticolonialistes. Mais l’unique raison pour laquelle les
Etats-Unis l’ont fait, c’est parce que les Britanniques, les
Français et les Israéliens agissaient dans leur dos. Au moment même
où se produisait l’invasion tripartite de l’Egypte, les
Etats-Unis étaient en train de comploter afin de renverser le
gouvernement de la Syrie. Et les Etats-Unis voulaient se débarrasser
de Nasser, mais ils n’ont pas apprécié le timing – parce que
ce timing n’avait pas été choisi par eux, mais bien par les
Britanniques, les Français et les Israéliens, derrière notre
dos. Encore une fois, ce sont les intérêts américains qui ont déterminé
la politique américaine, et non je ne sais trop quel engagement
anticolonial ou autres billevesées. C’était tout simplement
dans l’intérêt des Etats-Unis. Point barre.
James Petras
: Holà ! Norman a déjà eu cinq minutes. Je demande le même
temps. Il nous a fait toute une conférence. Si vous examinez la
politique américaine vis-à-vis d’Israël, les Etats-Unis se
mettent à dos pratiquement le monde entier au profit d’un petit
pays qui ne présente pratiquement aucune valeur économique pour
eux, qui est un albatros diplomatique, et qui a ses propres intérêts
hégémoniques, militaires et politiques à dominer le
Moyen-Orient. Nous allons à l’Onu et nous nous aliénons toute
l’Europe et l’ensemble du tiers-monde quand Israël détruit Jénine,
quand Israël s’engage dans des politiques génocidaires dans
les territoires occupés, quand Israël viole les Conventions de
Genève.
Les
Etats-Unis le soutiennent, et ils se discréditent totalement aux
yeux de tous les pays ayant le souci du droit international, et
des usages diplomatiques dans les relations internationales. Je ne
parle pas ici simplement de l’opinion publique musulmane, ou de
l’opinion publique arabe… Je parle de l’opinion publique
mondiale. Ensuite, dire que les Etats-Unis ont des intérêts
chevauchants avec Israël, c’est totalement aberrant. Je veux
dire – je ne sais pas où Norman a mis sa tête. Les Etats-Unis
sont impliqués dans plusieurs pays pour y instaurer des régimes
néocoloniaux. Ils ne sont pas en train d’occuper et
d’installer des gouvernements coloniaux. Ils préfèrent des
clientèles locales. Et il en ont un au Liban, avec le président
Fouad Siniora, qui recevait un soutien américain pendant qu’Israël
attaquait son pays, soi-disant pour attaquer le Hezbollah, mais en
réalité en affaiblissant totalement la marionnette américaine
Siniora. C’est dans l’intérêt des Etats-Unis, ça ?
Norman Finkelstein :
Ben oui…
James Petras :
Et quand vous évoquez le fait qu’Israël prendrait des mesures
qui recouperaient celles des décideurs politiques américains,
vous négligez le fait que la majorité des généraux américains
étaient opposés à la guerre contre l’Irak et que les agents
d’Israël aux Etats-Unis (car c’est bien de cela dont il
s’agit, et ils devraient s’enregistrer en tant qu’agents
d’une puissance étrangère) s’en prenaient à eux (aux généraux)
en les qualifiant de poules mouillées, parce qu’ils refusaient
d’obéir aux préceptes guerriers des sionistes du Pentagone. Il
y a toute une série de responsables de l’armée et d’hommes
politiques conservateurs qui étaient opposés à la guerre en
Irak. Et si vous regardez les chiffres… si vous regardez Cheney :
Cheney recevait les siens de la part d’Irving (Scooter) Libby
– un autre agent, encore un membre de cette fraternité liée à
Wolfowitz. C’est un des protégés de Wolfowitz…
Norman Finkelstein
: A mon avis, Cheney est assez grand pour décider tout seul…
James Petras :
Regardez ; si vous essayez de dresser une matrice du pouvoir,
autour de la prise de décision politique américaine au
Moyen-Orient, à seule fin de dire qu’il s’agit d’ « intérêts
communs », sans examiner le fait que les Israéliens ont
fait sauter un navire de surveillance américain, tuant des
dizaines de marins et qu’ils s’en sont tirés blancs comme
neige et qu’ils continuent de recevoir des aides américaines,
alors que des officiers américains ont été tués ou blessés
par les avions de guerre israéliens, alors que ce navire était hérissé
de drapeaux américains, et vous, vous venez nous parler d’intérêts
se recoupant ! En voilà, du culot ! En voilà, de la
chutzpah !
Oui, vraiment, c’est de la chutzpah. Et
il est très révélateur que vous vous soyez lancé dans une
explication détaillée, ou tout du moins dans ce qui se voulait
une explication, à propos de Suez, et que vous vous soyez bien
gardé de dire qu’en 1967, Israël a été le seul pays, dans
toute l’histoire des Etats-Unis, à avoir bombarder un navire américain
sans même s’excuser – et sans recevoir de représailles de la
part des Etats-Unis. Mais pour vous, c’est une question de
« force ». C’est une question d’ « influence ».
Et je pense que nier ces réalités… et dire : « ce
sont simplement des intérêts qui se recoupent, les sionistes
n’ont aucun pouvoir au sein du gouvernement américain, ou
s’il s’agit bien de sionistes, ce sont des sionistes qui ne
sont pas liés à Israël, etc… ». Etrange, cette variété
de sioniste qui ne fasse pas acte d’allégeance à l’Etat d’Israël,
non ?
Hagit Borer
: Nous n’avons plus que cinq minutes. Je veux vous demander une
ou deux choses dont j’aimerais traiter. Peut-être la plus
importante a trait au fait que ce débat, à propos du Lobby israélien
en général, n’a émergé dans les médias consensuels que
depuis environ un an. Bien entendu, cela est dans une large mesure
dû à l’article de
Mearsheimer et Walt, puis, pourquoi ne pas le dire, par les
attaques contre le bouquin de Carter. Il y avait des attaques,
avant ça, et des évaluations, ainsi que des débats, sur le rôle
du Lobby, avant ça. Mais jamais ces critiques n’avaient été
évoquées par les médias, et elles n’avaient jamais été
recensées par, disons, la New York Review of Books, ni elles
n’avaient jamais été débattues par des publications ou des médias
importants aux Etats-Unis. De fait, l’article de Mearsheimer et
Walt fut, dans un premier temps, refusé par Atlantic Magazine,
qui l’avait pourtant commissionné. Aussi, peut-être
pourriez-vous commenter un peu la raison pour laquelle ce débat
finit par faire surface, et pourquoi il s’agit désormais d’un
sujet de débat plus légitime qu’auparavant dans les cercles
consensuels américains ?
James Petras :
Très rapidement, je vais vous donner trois raisons : à
cause du désastre en Irak, le public est ouvert au débat, en
particulier en raison de la prééminence des sionistes dans la décision
de faire cette guerre – aussi, je pense que vous avez une
opinion publique ouverte en raison du mécontentement causé par
la guerre et aussi en raison de leur préoccupation à propos de
ceux qui nous ont précipités dans cette guerre et dans ce
bordel. Ensuite, il y a une lutte inter-élites aux Etats-Unis,
actuellement, entre des secteurs de l’establishment militaire,
des secteurs du Congrès, les conservateurs contre les pro-israéliens,
contre les pro-guerre. Enfin, il y a l’arrogance et la brutalité
des sionistes, en particulier, de leurs organisations, qui se démènent
pour tenter d’empêcher ce débat : cette arrogance et
cette violence ont un effet en retour, et je pense que les gens en
ont marre de l’interdit jeté par les sionistes sur la pièce de
théâtre au sujet de Rachel Corie, à New York et ailleurs –
aussi, à mes yeux, telles sont les principales raisons.
Hagit Borer
: James, désolé ; il faut qu’on se magne… Nous
n’avons plus que quelques minutes. Plus qu’une minute et
demie, me dit la régie ! Aussi, Norman, pouvez-vous nous
faire une conclusion ?
Norman Finkelstein
: Eh bien, je suis
d’accord sur les raisons énumérées par Jim… peut-être ne
les énoncerais-je pas de la même manière que lui. Il est clair
que la débâcle en Irak constitue le cadre général de
l’ouverture de ce débat. A mon avis, ça n’est pas là le résultat
le plus positif, car cela va sans doute se terminer, je pense, par
la création d’un « bouc émissaire » des guerres désastreuses
menées par les Etats-Unis. A mes yeux, la deuxième raison,
c’est le fait que l’approche israélienne, dont il semble
qu’elle ait marché depuis 1967, à savoir cette approche
consistant à recourir tout simplement à la force tous les quatre
matins, conformément à la politique américaine, à appliquer
une force disproportionnée, cette approche ne fonctionne pas.
Aussi,
des questions se posent au sujet de l’ « utilité »
de la guidance d’Israël et de ses instructions sur la meilleure
façon de contrôler le Moyen-Orient. Cela n’a pas fonctionné,
en Irak, et cela s’est avéré un désastre, au Liban, l’été
dernier (juillet – août 2006). Et la troisième raison, me
semble-t-il, c’est qu’Israël est en passe de devenir, de plus
en plus, ce que l’on pourrait qualifier de « république
bananière boursouflée », avec des scandales quotidiens et
cette sorte de gaspillage de ressources et que, de ce fait, Israël
s’est aliéné de larges secteurs de l’opinion juive américaine
« progressiste ».
Hagit Borer : Je vous remercie infiniment, James et Norman. Je pense que nous
devons conclure, maintenant, sur ce point d’accord entre vous
deux. Merci infiniment d’être venus répondre à mes questions.
traduit
de l’anglais [Etats-Unis] par Marcel Charbonnier
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