Opinion
Le massacre du
vendredi 22 (1ère partie): un coup de
pub
Israël Adam Shamir
Israel
Adam Shamir
Vendredi 29 juillet
2011
Quand les larmes
auront séché et que le silence sera
revenu, nous reconnaîtrons la qualité
cinématographique du Massacre d'Utoya,
sorti tout droit des films d'horreur les
plus trash. Dans le genre Scream ou
Vendredi 13 ou Cauchemar à Elm Street,
nous avons vu souvent un serial killer
s'introduire dans un paisible camp
d'ados, l'été, pour assassiner des
jeunes vacanciers. Le tueur du vendredi
22 a transposé la pellicule dans la vie,
approfondissant ainsi l'interpénétration
de l'art et de la réalité, depuis les
films gore, les jeux de massacre en
ligne, des attaques de drones sans nom
dans des pays lointains, pour finir en
beauté avec la longue tuerie sur l'île
au milieu du fjord.
Tirer sur des gens qui ne peuvent pas
riposter est le dernier degré de
bassesse des assassins de masse, des
bourreaux, et des soldats de l'OTAN.
Pendant deux heures, le tueur a traqué
sans risque, professionnellement, en
toute confiance, froidement, les jeunes
désarmés, les descendant un par un comme
des pigeons. Breivik détestait les
musulmans, les socialistes, probablement
Kadhafi aussi, puisqu'il est musulman et
socialiste, et son exploit devrait
rappeler aux peuples d'Europe que les
guerres hors de nos frontières amèneront
la guerre sur notre sol en retour, bien
mieux qu'un millier de terroristes que
pourrait envoyer Kadhafi. Trop de permis
de tuer ont été mis en circulation.
Pourquoi l'a-t-il fait? Nous pouvons
répondre à la question: ce massacre a
été essentiellement un coup de pub pour
le grand œuvre du tueur, les 1500 pages
de son manifeste qui a pour titre 2083.
Ce n'est pas vraiment un monument de
l'esprit humain, plutôt un fatras
copié-collé des écrits néoconservateurs
sur l'Islam, violemment anticommunistes.
Néanmoins cela nous est utile
précisément parce que la quantité de
gens abattus se voulait une incitation à
le lire. Si ce Breivik était atteint du
syndrome d'Erostrate, voyons pourquoi il
a fait feu sur le temple de tant de
vies. Et surtout, voyons où il s'est
trompé.
2083 révèle un nouveau virus politique
vicieux, mis au point dans les
laboratoires des think-tanks
néoconservateurs, section génie
génétique. Pendant des années on pensait
qu'un nazi pouvait détester les juifs et
être ami avec les musulmans, parce que
c'était le cas sous le nazisme d'Hitler.
Un nazi n'était pas censé détester les
rouges parce que le communisme était une
idéologie totalitaire semblable, selon
Karl Popper et George Bush. Un néo-nazi
devrait aimer Adolf Hitler et brandir
l'étendard du racisme.
Or le travail prolongé des idéologues
juifs liés aux néoconservateurs a réussi
à renverser les positions. Aujourd'hui
nous avons une kyrielle de partis et de
mouvements qui joignent des idées
d'extrême droite à la sympathie pour les
juifs, la tolérance envers les gays, et
la haine de l'Islam. L'auteur de 2083
est pro-juifs, pro-gays, violemment
antimusulman et anticommuniste. Il est
plus proche de Pym Fortuyn, l'homme
politique hollandais d'extrême droite
assassiné, qui était judéophile et gay.
Il manifestait avec EDL, une mouvance
anglaise vivement judéophile et
antimusulmane.
Le 2083 de Bereivik est lourdement
influencé par les écrits juifs néocons
d'extrême droite. Comme c'est souvent le
cas avec les compilateurs qui font du
copié-collé, il est difficile de séparer
complètement les mots du compilateur et
ceux des auteurs dont il est parti. Si
cela devait être publié un jour, le
copyright en reviendrait probablement à
David Horowitz, et à Bat Yeor, et Daniel
Pipes ainsi qu'Andrew Bostom auraient
les honneurs de la page trois. Ce sont
ces auteurs-là qui l'ont inspiré pour
commettre son meurtre de masse.
Quelques heures à peine avant le
massacre, écrit Gilad Atzmon, Joseph
Klein avait publié un article intitulé
"Les Quisling de Norvège", dans le
magazine FrontPage, en y rajoutant un
appel au meurtre. Klein écrivait:
"l'infâme norvégien Vidkun Quisling, qui
avait prêté main forte à l'Allemagne
nazie alors qu'elle conquérait son
propre pays, doit être en train
d'applaudir dans sa tombe... La Norvège
est effectivement sous l'occupation de
la gauche antisémite et des musulmans
radicaux, et se révèle disposée à
contribuer à la destruction effective de
l'Etat juif d'Israël."
Ce sont là des termes batailleurs, et
Breitvik les reprenait en armant ses
flingues. 2083 apporte la preuve de ces
sources. Les citations du FrontPage de
David Horowitz et de ses auteurs
prennent des centaines de pages. Bernard
Lewis y est à l'honneur. La célèbre Bat
Yeor, une dame juive égyptienne qui
réside en Suisse, qui a implanté le
terme d'"Eurabie" (une prétendue
conspiration pour soumettre l'Europe au
joug arabe) et qui a beaucoup fait pour
promouvoir la peur de l'islam, était en
correspondance avec le tueur, et elle
l'avait "gentiment" conseillé, lui
adressant des textes inédits de sa main.
C'est la seule personne nommément
mentionnée dans sa "Déclaration
d'Indépendance Européenne", et elle
devrait bientôt adresser ses conseils
aux nouveaux Européens indépendants,
selon Bat Yeor en personne.
Robert Spenser, un acolyte de David
Horowitz du Jihad Watch, est une autre
des idoles du tueur, de même que le
sioniste américain Andrew G. Bostom, qui
s'est auto-proclamé expert en
"antisémitisme islamique". Daniel Pipes
est présenté avec sa thèse selon
laquelle "le phénomène palestinien a été
créé dans le but de justifier le Jihad".
Quant à Melanie Phillips, la sioniste
anglaise d'extrême-droite, amie du
dirigeant du BNP, elle est bien là
aussi, avec d'autres pro-fascistes qui
détestent l'islam. Ce sont ces gens-là,
d'ailleurs, qui m'ont plusieurs fois
condamné pour mon "anti-sémitisme", ce
qui est assez cocasse.
Politiquement, les sympathies du tueur
vont aux USA et à Israël: "les créateurs
de l'Eurabie ont mené une campagne de
propagande avec succès contre ces deux
pays dans les media européens. Ce
montage a été facilité par les courants
préexistants, antisémites et
antiaméricains, dans certaines régions
de l'Europe". Pour ce qui est de
l'économie, il préférait Milton
Friedman, n'aimait pas les impôts, et il
était contre les systèmes de sécurité
sociale.
Il détestait les Palestiniens, et parle
d'un "Jihad terroriste palestinien".
Comme tout bon sioniste, il répétait
avec des trémolos la rengaine: "Muhammad
Amin al-Hussein, le grand Mufti de
Jérusalem, et dirigeant nationaliste
arabe, qui était derrière la création de
la Ligue Arabe et qui a été le père
spirituel de l'OLP, était un
collaborateur proche de l'Allemagne
nazi, et il avait rencontré Hitler en
personne. Dans un appel à la radio
depuis Berlin, il avait appelé les
musulmans à abattre les juifs partout où
ils en trouveraient... il avait visité
incognito les chambres à gaz
d'Auschwitz". Parmi les premières choses
que les Européens indépendants devraient
faire, il faudrait couper toute aide aux
Palestiniens.
Pour Breivik, comme pour ses maîtres
juifs, Adolf Hitler est l'incarnation du
mal. Il a a accepté et soutenu
l'antiracisme, au moins pour des raisons
tactiques. Sa haine pour le
multiculturalisme est culturel, et non
pas basé sur la race: il a abattu des
Norvégiens aux yeux bleus tout comme
leurs hôtes basanés. Il détestait même
David Duke, parce qu'il est contre les
juifs. Sa haine pour l'Islam ne s'arrête
pas aux frontières de la Norvège ou de
l'Europe; comme les néocons, il haïssait
les musulmans partout où il pouvait en
dénicher.
Il consacre plusieurs pages à la
description des crimes turcs, qui
incluent les massacres d'Arméniens, de
Grecs, et de Kurdes. Il y a un long
chapitre sur l'histoire moderne du
Liban, d'où, curieusement les guerres
israéliennes sont absentes, et tous les
problèmes de ce pays sont présentés en
termes de division entre chrétiens et
musulmans. Son héros historique favori
est Vlad l'Empaleur, le prince roumain
mieux connu sous le nom de comte
Dracula.
Sa logique est primitive et défectueuse:
"Si tous les groupes ethniques étaient
égaux et toutes les cultures aussi,
pourquoi donc les Africains noirs, les
Afro-caribéens, les Pakistanais, les
Indiens, les Chinois, et les Européens
de l'Est veulent-ils quitter leurs pays
en masse, pour s'en venir vivre en
Occident?". La réponse toute simple:
"parce que l'Occident a constamment
pillé leurs pays et continue à le
faire", ne vient pas à l'esprit de
Breivik.
Il se demande: "Si nous sommes vraiment
égaux, pourquoi le reste du monde
veut-il vivre à l' occidentale, ce style
de vie créé principalement par les
blancs? De même, pourquoi donc
veulent-ils prendre part au capitalisme,
diriger des affaires, travailler pour
l'industrie des blancs, aspirer au
bien-être des blancs, et acheter et
utiliser des biens issus de la
créativité et de la naïveté des blancs
occidentaux?
La réponse correcte est: "mais non, il
n'en est rien; seulement ils reçoivent
des bombes sur la figure ou subissent
des blocus, dès qu'ils entendent suivre
leur propre mode de vie, comme dans la
Cuba socialiste, la Corée du Nord ou la
Libye."
On ne saurait caractériser Breivik comme
un fondamentaliste chrétien, ni même
comme un chrétien tout court, ou un
chrétien sioniste. Ses sentiments envers
le christianisme sont au mieux des
sentiments tièdes. Il ne parvient même
pas à décider s'il est chrétien, il en
est encore à "peser le pour et le
contre. Certaines des critiques contre
le christianisme... sont légitimes."
Comme les militants juifs, il approuve
le "Concile Vatican II des années 1960,
qui a tendu la main aux juifs", alors
que la droite conservatrice déteste
habituellement cela, précisément.
Breivik est livide face à l'immigration
musulmane, quoique ses arguments soient
valables pour l'immigration en général;
il insiste toujours pour souligner
l'élément "musulman". Mais il n'appelle
pas son pays à cesser de tourmenter les
Etas musulmans, alors que c'est pourtant
la principale raison de l'immigration
musulmane.
Pourtant, le débat sur l'immigration est
pratiquement réglé en Europe. La
compréhension des coûts sociaux élevés
de l'immigration a pénétré toutes les
strates de la société européenne.
L'immigration constitue un grand
problème pour l'Europe avec, en toile de
fond, la dénatalité. Personne n'en veut,
sauf les riches privilégiés. Si, à une
époque, l'immigration apparaissait comme
une baguette magique pour éviter aux
citoyens l'ennui des corvées, quelque
chose de comparable aux esclaves dans la
Grèce antique, ou des machines, les
peuples ne voient plus les choses de
cette façon, dans la mesure où les
immigrants se sont affranchis, quoique
non intégrés. S'ils choisissent de
travailler, ils provoquent certainement
plus de chômage et de baisse des
salaires, et dans le cas contraire, ils
alourdissent les comptes de la sécurité
sociale. C'est peut-être un peu tard,
mais en tout cas maintenant le débat est
clos en Europe. Aujourd'hui, un
Norvégien n'a pas besoin de flinguer ses
concitoyens pour exprimer son désaccord
avec l'immigration: c'est devenu un lieu
commun.
L'essayiste de Counterpunch Vijay
Prashad a écrit: "les jeunes socialistes
assassinés avaient dans leurs rangs des
enfants d'immigrés du Sri Lanka et de
l'Afrique du Nord. Leur Norvège n'était
pas celle de Breivik. C'est probablement
pour cela que Breivik ne les aimait pas:
il n'avait pas envie que leur Norvège
déplace sa Norvège. Prashad a condamné
les conservateurs européens qui "sont
incapables de concevoir que des êtres
humains puissent partager leur existence
avec des gens différents", mais
l'histoire du Sri Lanka n'est pas la
meilleure recommandation pour la
coexistence pacifique. Si pourtant les
habitants du Sri Lanka veulent "partager
leur existence avec des gens
différents", il va falloir qu'ils
s'entraînent chez eux, pas en Norvège.
Prashad peut bien qualifier Merkel et
Sarkozy de nazis parce qu'ils refusent
une immigration supplémentaire, mais le
massacre d'Utoya a adressé un signal
fort: c'est vrai que la plupart des gens
en ont assez de l'immigration et veulent
qu'on y mette un terme.
En fait, l'immigration a beaucoup
ralenti en Norvège. Le gouvernement
norvégien, comme beaucoup d'autres
gouvernements d'Europe occidentale, a
rendu l'immigration pratiquement
impossible. On se souvient du cas d'une
jeune femme du Caucase qui après avoir
vécu une dizaine d'années en Norvège, y
avoir achevé ses études universitaires,
y avoir écrit un roman en norvégien,
s'est malgré cela trouvée déportée comme
une vulgaire étrangère en situation
irrégulière. Le multiculturalisme est un
slogan dépassé, et Breivik est aussi
périmé que Prashad.
Traduction: Maria Poumier
Le sommaire d'Israel Shamir
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