Opinion
Emasculer
l'humanité
Israël Shamir
Israel Adam Shamir
Mardi 15 novembre
2011
Hollywood a
installé en nous une ferme croyance aux
dénouements heureux. Nous avons beau
savoir qu'ils sont rares, les "happy
ends", les films renouvellent notre
espérance à intervalles réguliers,
tandis que la réalité la mine. La
semaine dernière, lorsque la Haute Cour
britannique a tranché, en faveur de
l'extradition de Julian Assange en
Suède, l'espoir a encore perdu la
partie.
Quelques jours plus tôt, j'avais demandé
à Julian ce qu'il ferait si la cour lui
rendait sa liberté, après plus d'un an
d'arrêt domiciliaire avec un bracelet
électronique au pied. "Je suivrai
l'inspiration du moment, sans obéir au
aucun plan ni balisage, comme par
exemple aller où je voudrai, et faire ce
que je veux", avait-t-il répondu. Hélas,
ça ne va pas être possible.
C'est vraiment la saison où l'on voit
les ânes braire de joie devant le lion
en captivité. The Guardian, le journal
qui a gagné des millions en puisant dans
la mine d'or des informations fournies
par Julian, et qui ensuite s'est
retourné contre lui, pour devenir le
pire ennemi de l'audacieux Australien, a
publié un triste papier par
l'éditorialiste d'un obséquieux tabloïde
suédois de droite, Expressen, Mme. Karim
Olsson. Elle raconte une histoire de
Suédois déçus par Assange, "le héros
devenu zéro", en omettant opportunément
de mentionner le rôle qu'elle-même a
joué là-dedans. Car le meurtre en
effigie de Julian Assange, c'est en
grande partie son œuvre. L'Expressen a
obtenu le scoop des deux amies
féministes qui sont allées voir une
policière amicale, et en temps réel, l'Expressen
a publié en gros titre "Assange
recherché pour viol" aussitôt, avant
d'avoir pu joindre le bureau du
procureur, et avant que les poursuites
commencent.
Ca tombait trop bien, l'Expressen
appartient à Karl Johan Bonnier, le
Murdoch suédois, et son empire
médiatique a soutenu la coalition de
droite du gouvernement, promu la
participation suédoise dans les guerres
US, le bombardement de la Libye et
l'envoi de troupes en Afghanistan. Le
Guardian a tout simplement commandé
l'article choc à une éditorialiste qui
publie des articles racistes appelant à
la déportation des Arabes hors du
paradis suédois. C'est bizarre qu'ils
n'aient pas demandé un article d'opinion
à la procureuse suédoise Ms. Ny qui
s'est rendue célèbre en disant que tout
homme appartient de droit à la prison,
dès lors qu'une femme porte plainte,
même si on n'arrive pas à tenir de
preuves solides.
La chasse à courre contre Assange coûte
très cher. Cette histoire de passade
recyclée en viol ruine la Grande
Bretagne comme la Suède, et a presque
détruit Assange. Pour vous donner une
idée du coût pour le contribuable, ses
avocats lui ont déjà présenté une note
de 600 000 livres, soit presque un
million de dollars. Tout le personnel
impliqué dans l'accusation, y compris
les juges, va exiger le double ou le
triple. Nos gouvernements n'ont pas de
quoi financer les écoles et la santé
publique, mais ils sont toujours prêts à
dépenser des millions pour mettre
quelqu'un derrière les barreaux pour des
motifs ridicules.
Il y a certes des motivations politiques
derrière cette affaire, mais le cas d'Assange
n'est pas exceptionnel, parce que la
Suède est victime d'une expérimentation
sociale cruelle, en termes de
redéfinition des sexes: il n'y a pas
longtemps, un Suédois a été envoyé en
taule pour 18 mois parce qu'il n'était
pas arrivé à réveiller correctement sa
partenaire avant une séance amoureuse
matinale. Les Suédois ont de bonnes
raisons de redouter le système
judiciaire suédois, et ils ont de plus
en plus peur des Suédoises. Ils s'en
tirent en allant chercher des épouses à
l'étranger, ou bien ils se font gays et
adoptent des enfants venus d'ailleurs.
Quelle honte, alors que la Suède abrite
les femmes les plus éblouissantes au
monde: parfaitement charpentées, avec
leurs blondes crinières soulevées par le
vent, et leurs yeux bleus qui reflètent
franchise et encouragements.
Jadis, j'avais été en transe après les
avoir vues pour la première fois, danser
sur une pelouse autour d'un mât de mai,
bronzant sans soutien gorge sur un petit
pont de bois enjambant un lac aussi bleu
que le ciel, posées comme des sirènes
sur des rochers, car le sol suédois
n'est pas tendre, mais hérissé de
grandes pierres ferrugineuses et
cuivrées. Ces roches ont été polies et
roulées par les murailles de glace lors
de leurs mouvements millénaires, lorsque
la Suède s'est libérée de la banquise.
Les Suédois disposaient ces immenses
monolithes tout autour d'un ancien
chêne, comme une flotille. Puis ils
hissèrent des amas de pierres sur les
ruines brûlées des puissantes chefferies
vikings. Des siècles plus tard, ces
anciens sanctuaires attirèrent les
églises du voisinage, décorées du sol au
plafond par Albertus Pictor au XVème
siècle.
Les chênes sont toujours aussi feuillus
et puissants et verts, les lacs sont
encore propres, l'armada de pierre se
dresse toujours au milieu des vertes
prairies, mais les églises sont vides.
Elles sont devenues des clubs pour
vieilles dames, tenues par une dame
pasteure, comme j'ai pu le constater
dimanche dernier dans une magnifique
église près de Vasteras. Les hommes ont
été lentement poussés vers la sortie,
loin des postes de pouvoir dans
l'église, et maintenant les croyants ne
s'y intéressent plus.
Ce ne sont pas seulement les églises
suédoises qui ont perdu leurs pasteurs
mâles, les propriétaires des journaux
suédois préfèrent louer les services de
femmes dociles comme Karin Olsson; il y
a peu d'éditorialistes hommes, sauf
s'ils sont gays. Les éditeurs suédois ne
publient plus que des livres qui
séduiront les femmes; des livres qui
glorifient les femmes et font des hommes
des monstres, comme la cauchemardesque
Trilogie du Millénium, par le savant
Stieg Larsson. Les musées suédois
montrent le genre d'art censé attirer le
public d'un New Age gynocentré. Les
universités suédoises sont dominées par
des professeures. En Suède, votre
carrière est compromise, si on découvre
que vous êtes un mâle hétérosexuel. On
dirait que le pays est en guerre contre
la sexualité naturelle; les manuels
scolaires font la promotion de la norme
unisexe; les enfants ne sont plus
désignés comme lui et elle, mais au
neutre, et le moindre flirt est
poursuivi pénalement.
Et la guerre aux mâles n'a pas débouché
sur une Suède plus charitable. La
sécurité sociale suédoise est en train
d'être démantelée par les disciples
d'extrême droite de Ronald Reagan; le
néo-conservateur Karl Rove envoie des
soldats suédois se faire tuer pour
l'OTAN en Afghanistan, et bombarde la
Libye au nom de l'État suédois. Et les
citoyens suédois ne sont pas plus gâtés.
Plus de mal-bouffe, et l'obésité -plaie
jadis inconnue au Nord- défigure
désormais leur silhouette autrefois
splendide. Leur pensée est désormais
contrôlée par des médias configurés à la
nouvelle mode, tandis que leurs libertés
chèrement conquises ont été vendues au
nom de la commisération.
Si l'on regarde en arrière, il
semblerait que les libertés de la Suède,
tout comme les nôtres, ont connu leur
zénith juste après 1968. A l'époque, la
Suède était la plus implacable pour
honnir la guerre au Vietnam. Les
déserteurs US rêvaient de fuir en Suède,
avec la même intensité que le Yossarian
de Heller. A cette époque, les petites
Suédoises cherchaient les aventures, et
non les stratégies judiciaires. Les
Suédois passaient leur temps à
reconstruire leur église, à modeler le
système de bienfaisance scandinave
unique, à produire les films de Bergman
et des voitures Volvo. Aujourd'hui même
Volvo a été vendue aux Américains, qui
l'ont aussitôt revendue aux Chinois.
1968 a été aussi une année indépassable
pour les États-Unis. A l'époque, les
plus riches des Américains finançaient
l'État à hauteur de 90% de leurs
revenus, alors qu'ils n'y consacrent
plus que 30%. Et ils ne s'en acquittent
même pas, grâce aux boucliers fiscaux et
autres manigances. Le salaire minimum de
l'ouvrier américain a connu son point
culminant en 1968. Oui, 1968, c'est le
moment où l'humanité a été le plus près
du firmament.
Enfants de la révolution vaincue de 68,
nous étions libres d'aimer, de fumer, de
penser et d'agir. Nous pouvions voyager
et prendre l'avion sans être déshabillés
à l'aéroport, et on ne nous confisquait
pas nos gaudrioles.
Nous pouvions faire l'amour et fumer
dans les cafés. Depuis, c'est la
dégringolade; toute fumée est bannie, la
pensée libre a été incarcérée entre les
barreaux du Politiquement Correct, et
l'action politique réduite à
l'inscription à des groupes sur facebook.
L'amour est devenu un champ de mines
sous des lois victoriennes. On nous a
ramenés aux jours où Mr Pickwick devait
se retrouver poursuivi par sa logeuse
pour n'avoir pas tenu sa promesse. La
Suède n'est pas la seule victime de ce
zèle révolutionnaire. Partout, dans le
monde entier, il y a des hommes qui
perdent leur place au soleil; ce n'est
pas une coïncidence si nos libertés
s'évanouissent au même moment.
Y a-t-il une méthode derrière cette
folie furieuse? Alexandre Douguine,
esprit conspirationniste et prophète de
la Russie moderne, a déclaré qu'il y
avait à l'œuvre une antique conspiration
féminine pour nous ramener au
matriarcat. Nombreux sont les
observateurs conservateurs qui s'en
prennent aux féministes. Mais si les
hommes ont visiblement perdu la guerre,
la victoire des femmes reste soumise à
examen. Autrefois, les femmes avaient le
choix: rejoindre le monde des affaires
ou rester à la maison avec les enfants.
Autrefois, les femmes pouvaient élever
une famille sans se sentir fautives.
Autrefois les femmes pouvaient aimer
qu'on les flatte. C'est fini, car la
déshumanisation des mâles a bientôt été
suivie par la déféminisation des femmes.
Je pense que la réalité est pire que
n'importe quelle conspiration à la
Douguine. On s'aperçoit, parmi ceux qui
tiennent les rênes de notre monde, que
des hommes féminisés sont plus faciles à
contrôler. Émasculer les hommes, c'est
une étape dans la reprogrammation de
l'humanité en termes de troupeau docile,
parce que les hommes vraiment hommes
sont imprévisibles. Les hommes masculins
sont enclins à la rébellion, prêts au
sacrifice, et attirés par l'action. Ce
n'est pas une coïncidence si les ennemis
de l'Empire sont tous des mâles bien
mâles, qu'il s'agisse de Kadhaffi, de
Fidel Castro, de Chavez, de Lukashenko,
de Poutine, ou de Julian Assange. Les
hommes sont désormais ciblés et destinés
à l'élimination; les fourmis
travailleuses n'ont pas besoin de sexe.
Les mots d'ordres féministes sont
devenus la façon la plus simple pour se
débarrasser d'un homme, c'est ce que
nous apprend l'affaire DSK. Dominique
Strauss Kahn a perdu son poste convoité
au sommet du fonds Monétaire
International, et sa position de pouvoir
est passée entre les mains d'une dame
peu suspecte de lézarder la suprématie
du dollar américain.
Une fausse déclaration par une tricheuse
professionnelle, c'est tout ce qu'il a
fallu pour le priver de sa liberté,
qu'il a recouvrée après avoir dépensé
beaucoup d'argent. Il a fallu en outre
la connivence des media mainstream, ce
qui est un indice certain que quelque
chose cloche là-dedans.
DSK doit être un vrai mâle, à en juger
par sa femme superbe, talentueuse, à
l'intelligence solide, et aux multiples
réussites. Peut-être que c'est aussi un
monstre sioniste capitaliste, mais
d'homme à homme je ne peux pas lui en
vouloir d'avoir fait des avances à "une
journaliste et romancière brillante en
France", ou pour avoir flirté avec "une
brillante économiste hongroise". C'est,
après tout, un vrai Français, en somme.
Elles ont eu chacune une occasion de lui
dire non, et elles l'ont fait. Dans une
société saine, cela devrait suffire.
Est-ce que les avances de DSK
constituent du harcèlement? Peut-être,
et alors? Moi, les banques me harcèlent
constamment avec des offres de crédit,
et ne portent-elles pas plus atteinte à
mon psychisme qu'une petite invitation à
des entractes buissonniers? Est-ce
qu'une proposition en affaires est moins
pesante qu'une proposition en amour? Ces
femmes ont juste refusé ses avances,
comme moi je refuse celles des banques,
et je ne les ai pas renvoyées devant les
tribunaux, alors que les gynocrates
réclament à la fois dédommagements et
vengeance. Ne devrions-nous pas aussi
poursuivre les jeunes Zuleika Dobsons de
ce monde pour le pouvoir sexuel dont
elles disposent sur leurs serfs rétifs?
Devons-nous castrer nos hommes, voiler
nos femmes, ou ériger des murs de
séparation comme dans les trains
indiens?
Les attaques contre Assange, DSK et
Kadhaffi font partie de la campagne pour
déshumaniser l'humanité. L'empire
déteste Loukashenko et Poutine, et pas
seulement parce qu'ils ne laissent pas
piller leur pays, mais aussi à cause de
leur franche masculinité. Eric Walbert
dans son livre Great Games parle de la
tragédie en profondeur qui se déroule
sous les révolutions colorées: ceux qui
les organisent "castrent les États
modernes" afin de les transformer en
lavettes post-modernes. Cette
"castration" est l'un des plans
importants des dirigeants, et cela va
bien plus loin que les enjeux éphémères
liés aux pipe-lines et aux ressources.
La défaite d'Assange, c'est une défaite
pour tous les hommes, et une défaite
pour l'humanité; elle nous promet un
futur sinistre, à moins que nous
fassions quelque chose. Ce n'est pas
seulement notre liberté, mais notre
masculinité, qui est en jeu.
Traduction: Maria Poumier
Le sommaire d'Israel Shamir
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