Opinion
André
Pshenichnikov,
téméraire combattant contre l'apartheid
israélien
Israël
Adam Shamir
Mercredi 13 mars
2013
Le téméraire André Pshenichnikov, 24
ans, se bat contre l'apartheid
israélien. C'est un cas, un cas si peu
commun qu'il se retrouve dans une prison
égyptienne pour avoir franchi la
frontière sans papiers. Son histoire
vient de loin. J'avais d'abord entendu
parler de lui en tant que jeune
programmeur, d'une banlieue de Tel-Aviv,
installé dans le camp de Deheishe, près
de Bethléem, en Cisjordanie occupée. Il
n'y était pas pour faire un reportage
sur le mode de vie des Palestiniens, ni
pour un journal, ni pour se faire
connaître, il ne cachait ni ne
soulignait son identité israélienne. En
fait, il ne se conduisait pas en
militant, on ne le voyait pas dans les
manifs, il ne goûtait pas aux joies de
la popularité. Il avait simplement loué
une chambré, il travaillait dans le
bâtiment ou faisait le service dans un
restaurant pour touristes, comme
n'importe quel Palestinien de son âge à
Deheishe, il vivait de son salaire avec
des gens ordinaires. Mais il avait
franchi la plus blindée des frontières.
Imaginez un jeune blanc de Philadelphie
cueillant le coton dans les champs et
vivant avec les noirs dans une case sur
une plantation du Mississippi, à
l'époque de Jim Crow. Personne n'est
allé aussi loin. Il brisait un tabou
important, parce que les Israéliens
croient dur comme fer que les
Palestiniens leur tireraient dessus à la
première occasion. Son exemple est une
réfutation de ce fantasme. Il avait
renoncé dans sa chair à l'apartheid, en
vivant comme les Palestiniens.
Mais cela ne se passait pas très bien.
J'étais toujours suspect, dit-il. Les
gens étaient hostiles, à part quelques
téméraires. Les Palestiniens ne
comprenaient pas ce qu'il faisait là, et
l'avaient subrepticement livré à la
sécurité israélienne comme on se
débarrasse d'une patate chaude. Et les
Israéliens de le faire condamner aussi
sec, pour s'être introduit dans les
territoires palestiniens, ce qui est
interdit selon la loi israélienne.
Cela ne l'avait pas refroidi, il était
décidé à poursuivre sa croisade
personnelle; il a déclaré qu'il
renonçait à sa citoyenneté israélienne,
et a demandé la nationalité
palestinienne. Aucune réponse de
l'Autorité palestinienne, car celle-ci
ne se positionne pas en tant que
gouvernement alternatif, comme le
souhaiteraient bien des Israéliens.
André Pshenichnikov (un nom qui pourrait
se traduire par "l'enfariné") né en URSS
juste avant qu'elle ne s'effondre, avait
été emmené en Israël par ses parents. Il
y a fait ses études, et a servi dans
l'armée israélienne, mais n'en est pas
moins resté un bon petit Russe
idéaliste. Il n'a pas réussi à devenir
ce qu'on attend là-bas d'un juif, mais
il est devenu humain à part entière, ce
qui mérite tous les honneurs.
Cela peut paraître extravagant, qu'un
personnage à la Tourgueniev surgisse
dans notre ère pragmatique, et qu'il y
en ait qui partent à la rencontre du
peuple des travailleurs. Mais le peuple
travailleur, comme au temps jadis,
continue à livrer ces belles âmes aux
forces de sécurité, parce qu'il ne les
comprend pas.
Il y a bien des adolescents qui
reçoivent un choc très positif avec ce
qu'ils découvrent en faisant leur
service militaire. L'occupation est si
brutale que cela leur fait un choc, qui
les amène à rejeter la pensée officielle
israélienne. Après leur service
militaire ils émigrent ou se retirent de
toute vie publique. Certains vont plus
loin. André Pschenichnikov, enfant
soviétique d'une mère russe et
chrétienne, ne pouvait pas comprendre
ses camarades bien déshumanisés par le
lavage de cerveau sioniste, humiliant
les Palestiniens aux check-points,
arrêtant les hommes et insultant les
femmes, ou tirant sur les enfants
palestiniens pour le fun. Et c'est
pourquoi il était parti s'installer à
Deheishe.
Ses amis de la gauche pro-palestinienne
l'ont invité à un colloque au Caire. La
police lui a confisqué son passeport, et
l'imprudent gamin a sauté par dessus la
frontière sans papier. S'il croyait
qu'il allait être reçu en héros, il a
vite déchanté. Les Égyptiens l'ont mis
sous les verrous, pour deux ans, alors
que ce délit est généralement passible
d'une amende ou au maximum d'une semaine
de prison. Pour les Égyptiens, ce
n'était qu'un Israélien suspect parmi
tant d'autres. Peut-être que les
services secrets israéliens avaient
demandé à leurs collègues égyptiens de
le garder au frais aussi longtemps que
possible. Son désir sincère de soutenir
les Palestiniens à ce degré-là, on ne le
comprenait pas plus dans le Sinaï qu'à
Deheishe. C'est tragique, le cas de ceux
qui en franchissant la ligne rouge
rendent les autres extrêmement
soupçonneux. C'est ce qui est arrivé aux
Allemands anti nazis pendant la Seconde
guerre mondiale: les gens ne savaient
pas quoi en faire, mais c'est eux qui
ont été à la base des changements qui
ont suivi la guerre.
Ce genre de gamin est indispensable si
nous voulons démanteler l'apartheid en
Palestine - Israël. Les gouvernements
arabes devraient les porter aux nues, au
lieu de les garder sous clé. Il y a trop
peu d'Israéliens ou de juifs qui
choisissent de vivre au milieu des
Palestiniens. quelques Israéliens l'ont
fait, tels Uri Davis ou Neta Golan, qui
se sont mariés de l'autre côté de la
"ligne verte". Amira Hass a vécu à Gaza
et à Ramallah, mais elle continuait à
écrire pour Haaretz. J'ai passé la plus
grande partie de ma vie à Jaffa, dans la
ville palestinienne du bord de mer, mais
c'est une cité traditionnellement
cosmopolite sous administration
israélienne, et beaucoup d'artistes et
d'écrivains israéliens y habitent. André
avait fait un bond important.
La patrie russe d'André a entendu parler
de son sort et a décidé de donner un
coup de main à son enfant égaré. C'est
l'autorité palestinienne qui devrait en
faire plus pour le tirer d'affaire, et
nos amis, amis de la Palestine en Égypte
et ailleurs peuvent aussi faire quelque
chose. Il a agi en étourdi, mais ses
intentions étaient nobles, et nous avons
besoin de ce genre de personnes.
Traduction: Maria Poumier
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