Opinion
Quand l'opportuniste
BHL cherche à inscrire son nom dans l'Histoire du peuple
tunisien
Inès Fezzani
Mercredi 19 janvier 2011
Avec les événements relatifs à l’attaque par le
groupe Anonymous des sites ayant dénié leurs services à la
plateforme de Wikileaks, Bernard-Henri Lévy a semble-t-il
découvert l’existence d’une communauté de hackers activistes.
Une force de contestation aux potentialités bien alléchantes
qu’il aura pensé pouvoir moduler pour servir ses buts – diriger
contre ses cibles personnelles en les appâtant avec sa
rhétorique alambiquée et auto-contradictoire.
L’appel qu’il lance aux hackers de tous les pays de s’unir
et de coordonner des attaques ciblées sur les sites officiels
tunisiens sonne résolument faux. Il ne suffit pas de prendre à
l’occasion des accents altermondialistes pour occulter la
substance résolument impérialiste d’un discours.
Nous Tunisiens avons la conviction que notre
colère est légitime et que notre révolte est à la fois
nécessaire et salutaire. Mais la foi que nous avons en notre
cause ne nous aveugle pas encore au point de ne pas comprendre
les motivations réelles de l’appel au sabotage de BHL. Alors que
notre but est de faire entendre nos revendications, celui de BHL
se limite à encourager la destruction des infrastructures, non
pas dans l’optique de nous aider à avancer dans notre marche
vers la démocratie, mais dans celle d’assurer un chaos
persistant dans un pays au bord de la rupture. La vraie
révolution est une construction, et non une destruction.
Nos manifestations, notre relais de
l’information via les réseaux sociaux, nos campagnes de don de
sang dans les hôpitaux pour soutenir les victimes, nos comités
de quartier de rondes de nuit organisées par les habitants
soucieux de la sécurité. Or le plan ingénieux de BHL pour la
Tunisie c’est « faisons des dégâts tant que c’est presque
gratuit ». Tant qu’il y est, qu’il soutienne également le
pillage des magasins et autres déprédations commises par une
minorité motivée par autre chose que le combat civique,
déplorable réalité de ce type de transition dans le rapport de
force entre le pouvoir et la rue que nous sommes actuellement en
train de vivre.
BHL qui s’indigne également dans son
intervention le silence honteux des autorités françaises
n’appelle pourtant pas à une attaque des sites français. Homme
de contacts et de multiples réseaux, entretenant des relations
cordiales sinon amicales avec nombre des hommes politiques
français, pourquoi ne se fait-il pas entendre auprès d’eux,
pourquoi ne les contacte-t-il pas directement pour leur exposer
son indignation toute candide de pourfendeur des injustices du
monde et soutien des peuples en révolution ? Quand la Ministre
des Affaires Etrangères française Michèle Alliot-Marie propose
le savoir-faire français à la police tunisienne pour « régler
les situations sécuritaires » (séance de l’Assemblée Nationale
du 12 janvier 2011), pourquoi ne lance-t-il pas un appel à
l’attaque des sites de l’Elysée ?
L’amitié de longue date qui lie BHL au président
français Nicolas Sarkozy n’a jamais empêché le philosophe de se
prononcer parfois, entre deux sorties en commun à Marrakech ou
au Val d’Isère, aux antipodes de la politique de l’homme d’Etat.
Des prises de positions très critiques à l’encontre par exemple
de la participation de la France aux JO de Pékin ou de la visite
officielle du colonel Kaddhafi à l’Elysée ont été largement
relayées par la presse écrite et les médias audiovisuels dont
BHL a les faveurs. Pourtant, il n’avait jamais rien reproché au
président Sarkozy sur sa gestion des relations
franco-tunisiennes mêlées de faveurs personnelles (comme
l’indulgence envers les deux jeunes Trabelsi, neveux de l’épouse
du président tunisien, dans l’affaire des yachts volés).
Aujourd’hui alors que Ben Ali a fui la Tunisie
et que la France, partenaire et collaboratrice de longue date
d’un des régimes les plus autoritaires d’Afrique du Nord, a
refusé d’accueillir sur son territoire le tyran déchu, il n’est
pas très risqué de se positionner du côté des ennemis de la
dictature. La position embarrassante de la France vis-à-vis du
régime tunisien ne date pourtant pas des dernières semaines et
une voix dénonciatrice, une seule, aurait été la bienvenue.
Pendant de longues années, au vu et au su de
toute une classe politique, économique et médiatique, la France
sous les présidences successives de Mitterrand, Chirac et
Sarkozy fait des affaires avec l’entourage proche du président
tunisien, notamment au travers de Princesse El Metari Holding,
groupe commercial de Sakhr el Metari, gendre de Ben Ali ou au
travers de partenariats tels que ceux qui lient des grands
groupes français comme Danone ou Carrefour à des entreprises
tunisiennes aux mains des Trabelsi, famille de l’influente
épouse de l’ex-président.
Cette étroite collaboration aurait pu soulever
l’indignation d’un BHL familier des sphères d’élite françaises,
si seulement ses prises de position étaient motivées par des
principes et non des intérêts. BHL qui n’a jamais exprimé de
soutien à la cause des opposants politiques tunisiens exilés,
n’a jamais manifesté aux côtés de nos compatriotes de la
diaspora, se sert aujourd’hui de la révolution que le peuple
tunisien défend au prix du sang de sa jeunesse pour satisfaire
les exigences des buts qu’il poursuit. Nous pourrions qualifier
sa démarche d’arrivisme historique.
Les innombrables interventions médiatiques du
philosophe attestent de la géométrie variable des principes
qu’il défend selon les acteurs en cause. On l’a vu soutenir
l’armée israélienne dans sa mutinerie des civils de Gaza ou se
positionner pour la guerre du Golfe au nom d’une lutte prétendue
contre le terrorisme sans égard pour les victimes. Positions
aberrantes mais soit, qui se justifient peut-être par une
étrange perspective du monde. Mais lorsqu’il en vient à se
contredire lui-même dans ses combats successifs, il fournit
lui-même les preuves de ses arrangements libres avec la réalité
au gré des objectifs à atteindre.
Ainsi, au fil des pages relatant son enquête
parsemée d’affabulations Qui a tué Daniel Pearl ?, l’a-t-on vu
accuser le régime pakistanais d’avoir pris part dans la mort
abominable du journaliste américain en étroite collaboration
avec les terroristes islamistes, et a contrario affirmer son
soutien à ce même régime lors de la révolte de la Mosquée Rouge,
justifiant le sang civil versé par les troupes d’intervention du
pouvoir au nom d’une lutte contre ce même terrorisme islamiste.
De la même façon, a-t-il apporté son soutien à
Tsahal lorsqu’elle assassine des activistes humanitaires à bord
de la flottille de la liberté qu’il qualifie d’ « épopée
misérable », oubliant semble-t-il son propre soutien dans un
appel cosigné avec Bernard Kouchner, Max Gallo et d’autres il y
a plus de 30 ans de cela à une flottille humanitaire pour le
peuple vietnamien affamé par une guerre terrible. Alors qu’il
s’érige en défenseur acharné de Sakineh Ashtiani, l’Iranienne
condamnée à mort pour adultère, il n’exprime aucun soutien pour
Haneen Zoabi, arabe-israélienne membre de la flottille
internationale et membre de la Knesset lors de son lynchage
médiatique et politique à son retour en Israël et la procédure
visant à la déchoir de sa nationalité israélienne.
L’engagement de BHL pour la défense des intérêts
de l’Etat d’Israël dans le conflit arabo-israélien et sa
présence sur la scène publique israélienne n’est un mystère pour
personne, tout comme nul n’ignore que malgré l’existence de
divergences nombreuses dans les points de vue des citoyens
tunisiens sur leur politique intérieure et extérieure, il est un
sujet qui de tout temps les a fédéré, c’est la solidarité avec
le peuple palestinien et l’attachement pour la cause
palestinienne. Recevoir un soutien, ne serait-ce que symbolique,
d’une personne aussi opposée à nos principes nous semble aussi
incongru que si au temps de la lutte contre l’apartheid en
Afrique du Sud on avait vu Jean-Marie Le Pen monter à la tribune
pour lancer un appel à la solidarité avec Nelson Mandela.
Pendant plus de deux décennies, nous Tunisiens
avons été les victimes d’une dictature policière, dans
l’indifférence générale de toutes les classes politiques, de
tous les penseurs, de tous les philosophes de la République
Française. Les bonnes affaires et le caractère « laïc » du
régime qui nous privait de liberté d’expression et d’action leur
suffisait certainement pour relativiser nos souffrances, sous
l’excuse que Ben Ali, c’était le rempart contre l’islamisme. BHL
s’était-il jamais penché sur la question tunisienne et s’il l’a
fait s’est-il jamais fendu d’un appel à saboter les organes d’un
pouvoir tant que durerait notre répression ?
Sa soudaine solidarité avec le peuple tunisien
ne cache-t-elle pas plutôt la poursuite de desseins différents,
le même type de desseins qui lui font tirer à boulets rouges sur
le régime pakistanais un jour et soutenir son action sanglante
un autre jour ou approuver certaines flottilles humanitaires
alors qu’il en condamne d’autres ? Ni les Tunisiens ni les
hackers ne sont dupes : alors que ceux-ci n’accepteront jamais
d’être l’instrument dévoué à l’exécution d’un des plans retors
soutenus par BHL, ceux-là n’accepteront à aucun prix d’en être
l’alibi. La Tunisie 2011 vient de vivre sa seconde indépendance
et le peuple tunisien est allé courageusement chercher sa
liberté ; car plus jamais nous ne voulons être la Tunisie de Ben
Ali, la Tunisie des petits arrangements entre amis des palais
présidentiels de l’Elysée et de Carthage, la colonie du temps de
la Tunisie française ou encore la Tunisie au service des
arrivistes.
Inès Fezzani, Écrivaine tunisienne, Carthage,
Tunisie
Publié sur Tunisie Magazine le 17 janvier 2011
Publié le 19 janvier 2011 avec l'aimable autorisation d'Oumma.com
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