Tunisie
Le gouvernement
tunisien est-il impuissant face aux
salafistes jihadistes ?
Imed Bahri
Photo:
Kapitalis
Lundi 21 mai 2012
Malgré les nombreux signaux attestant la
montée du salafisme jihadiste dans le
pays, les autorités continuent
d’observer une sorte de laxisme sinon
complice du moins dangereusement
indulgent.
Par Imed Bahri
Appels incessants au meurtre des
juifs, des laïcs et des mécréants,
prêches incendiaires dans un grand
nombre de mosquées, agressions contre
des journalistes, des artistes et des
militants politiques, recrutement de
jeunes combattants pour la Syrie au vu
et au su de tout le monde, y compris,
bien sûr, de la police, démonstrations
de force, comme dimanche à Kairouan,
avec un déploiement de gros moyens,
sabres, chevaux au galop, chants
guerriers, treillis militaires sur
tenues afghanes et, bombe sur le gâteau,
le nom d’Oussama Ben Laden scandé par
une foule ivre de violence et de
vengeance…
Une
indulgence complice
Laxiste ou complice, ou les deux à la
fois, le gouvernement regarde et ne
bouge pas le petit doigt, même pas pour
libérer les mosquées conquis par des
éléments jihadistes ou pour mettre hors
d’état de nuire les recruteurs du réseau
Al-Qaïda, qui envoient de jeunes
lycéens, étudiants ou chômeurs se faire
exploser sur quelque front de jihad
islamique.
Interrogé, lors d’un presse de
presse, vendredi, au palais du
gouvernement, à la Kasbah, sur les imams
appelant les jeunes tunisiens à aller se
battre en Syrie, Ahmed Bergaoui, un
responsable du ministère des Affaires
religieuses a reconnu, que certaines
mosquées tunisiennes sont aux mains
d’islamistes radicaux appelant les
jeunes à «aller au jihad» en Syrie
contre le régime de Bachar El-Assad.
«C’est un problème et nous sommes en
train de chercher des solutions», a-t-il
admis, exprimant ainsi l’impuissance du
gouvernement dominé par Ennahdha à sévir
contre les salafistes qui se mettent
hors-la-loi, ou son indulgence complice
vis-à-vis d’un mouvement que beaucoup
d’observateurs soupçonnent le parti
islamiste tunisien de vouloir
l’instrumentaliser pour asseoir son
projet de dictature islamiste dans le
pays.
M. Bergaoui a également affirmé, en
parlant du pèlerinage à la Mecque,
effectué par 30.000 Tunisiens chaque
année, que «l’Arabie saoudite est
devenue très rigide et ne veut plus
accorder de visas aux jeunes de moins de
35 ans, après avoir constaté que de
nombreux jeunes restent sur son
territoire, soit pour travailler soit
pour rejoindre le jihad». Et d’ajouter,
imperturbable, comme si le sujet n’était
pas suffisamment grave ou ne concernait
pas le gouvernement en place: «Ces
jeunes doivent répondre de leurs actes
devant l’Arabie saoudite, soucieuse de
combattre le terrorisme».
Selon des estimations officielles,
quelque 400 mosquées sont tombées sous
la coupe de radicaux religieux depuis la
révolution en Tunisie qui compte environ
5.000 lieux de culte. Cela fait presque
1 mosquée sur 10. Et c’est déjà beaucoup
quand on connaît la capacité de nuisance
de ces pyromanes.
«Ils sont
dangereux», estime Marzouki
La veille, le ministre de l’Intérieur
Ali Lârayedh avait aussi évoqué cette
question, sans fournir de chiffres sur
le nombre de jeunes concernés. «Nous
déplorons que des jeunes s’engagent dans
de mauvaises aventures. Certains ont été
tués, d’autres emprisonnés, d’autres
continuent de combattre en Syrie. Nous
suivons ces choses de près», a-t-il
déclaré en marge d’une réunion avec le
chef du gouvernement libyen Abdel Rahim
Al-Kib.
L’ambassadeur syrien près l’Onu,
Bachar Jaâfari, a évoqué, le 10 mai, la
présence de «terroristes étrangers» en
Syrie. Il a assuré que son gouvernement
possédait les confessions enregistrées
de «26 terroristes dont certains
affiliés à Al-Qaïda», précisant qu’il
s’agissait pour la plupart de Tunisiens
et de Libyens, plus un Palestinien et un
Jordanien.
Dans son entretien à l’hebdomadaire
‘‘Le Point’’, le président de la
république provisoire Moncef Marzouki, a
comparé les salafistes à… l’extrême
droite européenne. «Ils sont dangereux
et l’on n’est pas parvenu à les
démocratiser», a-t-il déclaré.
Considérant les salafistes comme «les
ennemis numéro un d’Ennahdha»
(affirmation qui a besoin d’être étayée
par des preuves tangibles), M. Marzouki
a estimé que ces derniers «causent des
problèmes à court terme» et «peuvent
constituer une milice», mais «ils ne
peuvent pas mettre en danger notre
république et notre démocratie». Et de
conclure: «J’ai reçu les chefs
salafistes et je les ai avertis que
s’ils utilisent la violence, la
république se défendra.»
Pour l’instant, la république laisse
faire, malgré les nombreux signaux
envoyés par la frange jihadiste de ce
mouvement: les affrontements avec les
jihadistes armés à Rouhia, le 18 mai
2011, puis à Bir Ali Ben Khalifa, le 1er
février 2012, la découverte de caches
d’armes dans plusieurs régions du pays,
la reconstitution de réseau Al-Qaïda, le
recrutement, l’entrainement et l’envoi
de jihadistes tunisiens en Libye et en
Syrie, sans parler des agressions contre
des journalistes, des artistes, des
militants politiques et de la société
civile, ou encore des attaques de
magasins et dépôts de spiritueux...
Quand les responsables du
gouvernement jugeront-ils enfin que
l’aggravation du phénomène jihadiste
dans le pays nécessite une réaction
urgente et vigoureuse de la part des
autorités sécuritaires pour mettre le
pays à l’abri des violences terroristes?
Copyright © 2011
Kapitalis. Tous droits réservés
Publié le 21 mai 2012 avec l'aimable
autorisation de Kapitalis
Le dossier
Tunisie
Les dernières mises à jour
|