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Opinion
Introduction à l’Apartheid
State of Israël (ASOI), après l’adoption de la dernière loi
d’apartheid (en date) par Israël
Ilan Pappé
Ilan Pappé
on Counterpunch.org, 22 mars 2011
http://www.counterpunch.org/pappe03222011.html
Ceux d’entre
nous qui sont des militants vétérans du combat pour la paix et
la justice en Palestine ont très souvent été frustrés par leur
incapacité à galvaniser suffisamment de soutien au sein des
establishments politique et médiatique occidentaux contre
l’occupation brutale de la Cisjordanie et contre l’étranglement
de la bande de Gaza. Nous pensions que l’évidence claire comme
du cristal de roche de l’oppression et que les politiques
criminelles crevant les yeux qui se sont déchaînées depuis 1967
auraient dû à tout le moins entraîner une réaction mondiale
similaire à celle à laquelle nous assistons aujourd’hui à propos
de la Libye, voire à une réaction encore plus importante.
Mais nous
connaissons tous les raisons qui font que cela ne s’est pas
produit et que cela n’arrivera pas. Et pourtant, nous avons
peut-être négligé une raison particulière, à savoir l’action
particulièrement réussie déployée par le camp de la paix
israélien, qui semble avoir réussi à tuer dans l’œuf tout effort
allant dans ce sens. Les sionistes libéraux croient dur comme
fer à l’existence de deux entité distinctes, l’une étant Israël,
tandis que l’autre, se trouvant de l’autre côté de la Ligne
verte de 1967, n’aurait pratiquement rien en commun avec la
première. L’acceptation de cette doxa comme s’il s’agissait d’un
fait avéré est le principal prétexte généralement invoqué par l’
Occident pour ne pas agir contre Israël (un prétexte également
invoqué par certains des meilleurs amis de la Palestine, ainsi,
bien entendu, que par l’Autorité palestinienne). La ligne ainsi
tracée n’est pas simplement une frontière politique ; c’est
essentiellement une frontière morale. Tout ce qui advient dans
le monde occupé est diamétralement opposé à la vie dans l’Israël
démocratique. De là découle l’argument selon lequel si vous
traitez Israël en Etat paria, vous porterez du même coup
atteinte à la « bonne » entité, à savoir l’Etat [israélien]
antérieur à [la guerre de juin] 1967. C’est aussi le fondement
de la continuation du soutien à la « solution à deux Etats »
fondant la paix sur la [très
hypothétique] capacité d’Israël à se réinventer, dans une
nouvelle version morale, à l’intérieur des frontières
antérieures à 1967.
J’espérais
que cette distinction aurait au moins disparu du vocabulaire et
du dictionnaire du mouvement occidental de solidarité avec la
Palestine (où l’on peut encore l’entendre employer par loyauté
envers le camp de la paix en Israël, l’Autorité palestinienne et
le thaumaturge invisible de la realpolitik). La fausseté de ce
distinguo a été démontrée une fois encore cette semaine
(précisément le 20 mars) avec l’adoption d’une énième loi
d’apartheid en Israël. Cette nouvelle loi permet aux colonies
juives construites sur des terres d’Etat à l’intérieur d’Israël
de ne pas admettre de citoyens palestiniens titulaires de la
nationalité israélienne en tant que résidents et légalise la
possibilité, pour ces nouveaux colons, de ne pas vendre de
terres aux citoyens palestiniens de l’Etat [d’Israël]. Ce n’est
qu’une loi parmi bien d’autres à avoir été adoptées récemment
(le serment de loyauté faisant légalement des citoyens de
deuxième classe des Palestiniens d’Israël et une autre loi ne
les autorisant pas à vivre avec leurs conjoints palestiniens
originaires de territoires occupés sont deux des exemples les
plus célèbres des lois d’apartheid adoptées récemment). La
nouvelle loi, à l’instar des précédentes, institutionnalise
l’Etat d’Apartheid Israélien, l’ASOI (Apartheid
State of Israel).
L’ASOI est
désormais un des pires régimes ségrégationnistes au monde. Il
contrôle la quasi-totalité de la Palestine (à l’exception de
Gaza, qu’il emprisonne hermétiquement depuis 2005). En valeur
absolue, Israël détient le plus grand nombre de prisonniers
politiques (il a été indiqué récemment que la Chine en détient
moins de mille et que l’Iran en détient quelques milliers) :
près de dix mille. Israël a le plus grand nombre de lois et de
règlements ségrégationnistes au monde, si l’on excepte les
régimes arabes en cours d’effondrement et des Etats voyous comme
la Birmanie et la Corée du Nord. Il détient le record
d’imposition de lois et règlement d’exception (état d’urgence)
qui privent les citoyens de leurs droits humains et civiques les
plus élémentaires. Sa politique à l’encontre de la population
indigène discriminée, qui constitue aujourd’hui près de la
moitié de la population totale de l’ASOI, comporte des atrocités
telles que celle consistant à empêcher les gens d’utiliser leurs
sources, de cultiver leurs champs, de construire de nouvelles
maisons, de se rendre à leur travail, dans leurs écoles ou leurs
universités, leur interdisant de commémorer leur histoire de
manière générale, et en particulier la Nakbah [défaite] de 1948.
L’ASOI est
protégé par des philosophes de gauche, juifs pour la plupart,
mais pas seulement, aux Etats-Unis et en Occident, ainsi que par
les nouveaux pays membres de l’Union européenne dont le
comportement lamentable à l’époque de l’Holocauste explique sans
doute leur soutien inconditionnel à l’ASOI. Celui-ci jouit du
soutien inconditionnel de nombreuses communautés juives de par
le monde, des chrétiens sionistes et de firmes cyniques
bénéficiant de la prédilection de l’élite militaire de l’ASOI
pour l’usage d’armes mortelle ad libitum, ainsi que du système
bancaire progressiste de l’Etat israélien et de son savoir-faire
en matière de hautes-technologies.
L’ASOI
pourrait devenir la République Libre d’Israël & Palestine (Free
Republic of Israel and Palestine – FRISP), ou quelque chose
du même genre, où tous les habitants pourraient jouir des même
droits pour lesquels on se bat, aujourd’hui, partout dans le
monde arabe et que l’Occident prétend répandre et protéger dans
le monde entier. Si l’ASOI ne devient pas la FRISP, toute action
telle que celle aujourd’hui entreprise par l’Occident en Libye
serait à juste titre considérée avec suspicion, en raison de son
caractère cynique et malhonnête.
Le lien
[entre Israël proprement dit et territoires occupés, ndt] a
perdu de son attrait depuis qu’il a été utilisé à mauvais
escient par Saddam Hussein en 1991. Mais le temps est venu de le
remettre au goût du jour. Il est temps de prendre conscience du
fait qu’il n’y aura pas de Nouveau Moyen-Orient – de fait, il
n’y aura pas de paix mondiale – tant que l’ASOI continuera à
jouir de l’impunité et tant qu’il ne sera pas maîtrisé, arrêté
dans ses menées et, un jour – espérons-le – remplacé par la
réellement démocratique FRISP.
Ilan Pappé enseigne au
College of Social Sciences
and International Studies de l’Université d’Exeter, au
Royaume-Uni. Il est le directeur du European Center for
Palestine Studies de cette même université et il codirige l’Exeter
Center for Ethno-Political Studies, tout en militant sur le
plan politique. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage
A Modern History of
Palestine.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
Le
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