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IRIN
Les Conventions de Genève sont-elles toujours valables ?
Les civils, principales
victimes du conflit armé au Sri Lanka (photo d’archives)
Photo: Sri Lankan Government information Department
DAKAR, 24 juin 2009 (IRIN)
Il y a 150 ans, la bataille de Solferino faisait
40 000 morts et blessés chez les soldats et au sein de la
population civile. Les médecins étant rares,
Henry Dunant, un civil suisse, avait aidé les villageois à
soigner les victimes. Son expérience, qui avait mis en exergue
les conséquences directes et terribles de la guerre sur les
civils, l’avait amené à fonder le Mouvement international de la
Croix-Rouge, qui célèbre son anniversaire le 24 juin.
Le Mouvement de la Croix-Rouge est à l’origine d’une convention,
visant à établir les règles de la guerre, qui a finalement été
approuvée en 1949 sous le nom des
Conventions de Genève ; ces Conventions ont pour objectif de
protéger les combattants, les prisonniers et les non-combattants
en situation de conflit. Des protocoles additionnels, entrés en
vigueur en 1977, portent sur la protection des civils en
situation de conflits internationaux et internes.
Mais les définitions même des concepts de guerre, d’attaque
criminelle, de parti prenante au conflit et de civil sont
devenues ambiguës. IRIN a demandé à des experts humanitaires et
juridiques dans quelle mesure les conflits avaient évolué au
XXIe siècle et si les Conventions de Genève et les protocoles
additionnels s’appliquaient toujours en matière de protection
des civils en période de conflit.
Comment les conflits ont-ils évolué au XXIe siècle ?
Mary Kaldor est professeur et directrice du
Centre d’étude de la gouvernance mondiale à la London School of
Economics and Political Science. Elle a notamment publié The
Imaginary War (1990) La Guerre imaginaire, New and Old Wars:
Organized Violence in a Global Era (1999) Nouvelles et Anciennes
Guerres : La violence organisée à l’ère mondiale et Global Civil
Society: An Answer to War (2003) La Société civile mondiale :
une réponse à la guerre.
« La bataille de Solferino était très différente des conflits
contemporains : à l’époque, les parties belligérantes étaient
souvent des armées qui s’attaquaient entre elles et les
principales parties prenantes aux conflits étaient des Etats.
Maintenant, la majorité des violences sont commises à l’encontre
des civils.
« Aujourd’hui, les guerres ne sont parfois même pas déclarées en
tant que guerres, donc on pourrait dire que les Conventions de
Genève ne s’appliquent même pas forcément. On voit un mélange de
crime organisé, de guerres et de violations des droits humains ;
le conflit en Sierra Leone en est un exemple typique.
« Dans les guerres de contre-insurrection menées actuellement en
Irak ou en Afghanistan, les Etats-Unis ont dit qu’ils ne
pouvaient pas distinguer les combattants des civils ».
Une enfant blessée au
cours d’un conflit, en Afghanistan (photo d’archives)
Photo: Abdullah Shaheen/IRIN
Knut Doermann est
conseiller juridique à la division juridique du siège genevois
du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et auteur d’Elements
of War Crimes under the Rome Statute of the International
Criminal Court Les crimes de guerre, d’après le Statut de Rome
de la Cour pénale internationale.
Il est peut-être vrai qu’aujourd’hui, les situations sont plus
complexes. Quand vous avez des groupes armés non-étatiques qui
se scindent en différents groupes, par exemple, comment
interagir avec chacun d’entre eux ? Connaissent-ils suffisamment
la loi ?
La distinction [entre un civil et une partie prenante au conflit
telle qu’elle a été définie dans le Protocole additionnel 1, en
1977] est de plus en plus complexe. Les civils perdent leur
protection quand ils prennent directement part aux hostilités,
mais qu’est-ce que cela signifie ? Entre donner des vivres à un
soldat et tuer un soldat, il y a une zone grise énorme.
Hugo Slim est spécialiste humanitaire et
chercheur associé à l’Institute of Ethics, Law and Armed
Conflict de l’université d’Oxford ; il est également l’auteur de
Killing Civilians: Method, Madness and Morality in War Tuer des
civils : Méthode, folie et moralité en temps de guerre, publié
en 2008.
Les gens se font du mal en temps de guerre à peu près de la même
façon depuis des milliers d’années. Mais à mesure que la
technologie évolue, nous devrons continuer à adopter de
nouvelles conventions et de nouveaux protocoles sur les nouveaux
armements. C’est déjà le cas, comme on peut le voir avec le
nouveau
traité sur les sous-munitions [approuvé en décembre 2008],
le traité international de 1997 sur l’interdiction des mines
terrestres, et la
convention de 1997 sur les armes chimiques.
Les Conventions de Genève et les protocoles vont-ils
assez loin pour protéger les civils en période de conflit, ou
bien a-t-on besoin d’un autre système au XXIe siècle ?
Knut Doermann : Les Conventions de Genève sont
un outil indispensable pour protéger les civils en période de
conflit international. Le gros avantage, c’est qu’elles ont été
universellement ratifiées et sont donc reconnues de tous. Leurs
dispositions principales (telles que l’obligation de ne pas
attaquer les civils) sont incontestées, même pour les parties
non-étatiques. Les protocoles additionnels ont été négociés en
1977, à une époque de guérillas, au cours desquelles, par
nature, les belligérants se mêlent à la population civile, alors
ce n’est pas nouveau.
Des bombes à
sous-munitions, au Liban (photo d’archives)
Photo: Manoocher Deghati/IRIN
Ce qui est plus difficile, c’est le respect de
ces conventions. On observe trop souvent un manque de volonté
politique [ou] un manque de connaissances ou de formation, qui
permettrait de respecter les règles. Les tribunaux
internationaux peuvent créer un effet de dissuasion et permettre
de traduire en justice les auteurs de violence, mais les Etats
doivent d’abord remplir leurs obligations.
L’examen international de la conduite observée en période de
conflit armé est un aspect important, pour permettre une
meilleure application du droit humanitaire international. Pour
être efficace et crédible, cet examen ne doit pas être sélectif,
ni perçu comme tel.
Le principe de distinction peut exiger plus de clarté. Pour
tenter de clarifier la zone grise, le CICR a publié des
indications sur la définition d’une participation directe
aux hostilités.
Et nous avons travaillé avec 17 pays pour élaborer le
Document de Montreux, en 2008, qui définit le droit
international applicable aux activités des entreprises
militaires et de sécurité privées.
Mary Kaldor: La dernière chose que nous devons
faire, c’est de laisser tomber le droit humanitaire
international (DHI), mais il doit être complété par des lois
pénales internationales et des lois internationales sur les
droits humains, pour aborder certains aspects que le DHI ne peut
pas aborder. Par exemple, on peut soutenir que tuer un civil en
temps de guerre est un mal pour un bien, militairement
nécessaire ; mais en vertu des droits humains et des lois
nationales, seule l’autodéfense justifie le meurtre d’un civil.
Hugo Slim : Les Conventions de Genève vont
assez loin. Le spectre des violences a toujours été trouble ; le
CICR emploie les termes de « conflits internationaux », «
conflits internes » et « troubles internes » pour les définir ;
cela devrait couvrir la plupart des zones d’ombre.
En revanche, nous avons effectivement besoin de plus de clarté
sur la question de l’ambigüité du terme « civil » et sur ce qui
constitue une participation directe au conflit. On aura
peut-être besoin pour cela d’un protocole additionnel, ou d’une
nouvelle note directive.
La vérité, c’est que quand les Conventions de Genève ne
fonctionnent pas, ce n’est pas parce que les gens essayent de
trouver une faille dans la loi, mais parce qu’ils rejettent les
valeurs de distinction et de proportionnalité.
Françoise Saulnier est directrice juridique
à Médecins sans frontières et définit depuis 18 ans le cadre de
la responsabilité juridique qui incombe à l’organisation
non-gouvernementale (ONG) en période de conflit. Elle est
l’auteur du Dictionnaire pratique du droit humanitaire.
Toute critique [du] droit humanitaire issue de la guerre contre
le terrorisme est injuste. Les conflits asymétriques
(internationaux et internes, guérillas et terrorisme) ?existent?
depuis des siècles. Ces conventions internationales ont déjà
pris en compte et arbitré les divers dilemmes rencontrés au
cours des guerres de décolonisation et des guerres civiles
survenues après l’indépendance dans beaucoup de pays en
développement. A ce titre, elles abordent toutes les formes
d’insurrection et d’opérations militaires de
contre-insurrection.
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