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IRIB
La France n'a plus la cote, en
Afrique
Samedi 30 juillet
2011
IRIB-Violemment dénoncée dans la
presse, de plus en plus vilipendée par
la société civile, la cote de la France
est en chute libre, en Afrique. Retour
sur un phénomène qui a véritablement
commencé, au début des années 90, et qui
ne cesse de prendre de l’ampleur.
Abdoulaye Wade, Alassane Ouattara, Ali
Bongo, Côte d'Ivoire diplomatie,
discours de Dakar Françafrique, France
François Fillon, Karim Wade, Laurent
Gbagbo, Nicolas Sarkozy,Omar Bongo,
politique.
Roland Désiré Aba’a est un jeune
fonctionnaire gabonais. Il est membre du
Conseil économique et social (CES). Le
14 juillet, il a entamé à Libreville, la
capitale, une grève de la faim, sur la
place publique, pour dénoncer la
mainmise de la France sur son pays:
«Si la perte de ma vie peut
contribuer à démontrer aux yeux du monde
que le Gabon est confisqué par la
France, je descendrais, heureux, dans ma
tombe».
Plus précisément, Roland Désiré Aba’a
formule trois exigences, pour solder les
«préjudices causés à son pays par la
France»: l’annulation totale de la dette
extérieure du Gabon vis-à-vis de Paris,
le démantèlement de toutes les bases
militaires françaises, au Gabon, et la
renégociation des accords qui lient les
deux pays. Soutenu, par des ONG locales,
son combat commence à émouvoir un nombre
croissant de ses concitoyens.
Un fait
inédit, au Gabon
Sans en exagérer la portée, cette
mise en cause spectaculaire de la
France, au Gabon, est un fait inédit. Le
pays fait, en effet, partie du club
fermé des meilleurs amis de la France,
en Afrique. Jusqu’à son décès, en juin
2009, Omar Bongo Ondimba, qui l’a
dirigé, pendant quatre décennies, était
considéré comme le bras droit de Paris,
après le décès, en 1993, de Félix
Houphouët-Boigny, le premier Président
de la Côte d’Ivoire.
Tumba Alfred Shango Lokoho,
originaire de République démocratique du
Congo, enseigne l’histoire des
civilisations et la géopolitique
africaines, à l’Université Sorbonne
Nouvelle, à Paris. Pour lui, c’est le
signe que l’élection présidentielle
controversée d’août 2009 reste, encore,
en travers de la gorge de beaucoup de
Gabonais.
Avec un peu plus de 42% des
suffrages, Ali Bongo, ostensiblement,
soutenu, par Robert Bourgi, l’un des
conseillers occultes du Président
français, Nicolas Sarkozy, avait été
déclaré vainqueur. Succédant, ainsi, à
son père, Omar Bongo Ondimba, à la tête
de ce petit «émirat pétrolier» d’Afrique
centrale.
«Le monde a changé. On le voit bien
avec ce que l’on appelle le "printemps
arabe". C’est une question de
génération. Aujourd’hui, les jeunes sont
informés par la télévision, Internet et
les téléphones portables. Ils
connaissent davantage le monde et
aspirent à voir évoluer les sociétés,
dans lesquelles, ils vivent», explique
Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique
et Directeur de recherches, à l’Institut
des relations internationales et
stratégiques (Iris).
Le sentiment
anti-français ne se cache plus
Le Gabon vient, ainsi, à son tour,
grossir les rangs des pays africains où
un sentiment anti-français va crescendo.
Et qui transparaît, de plus en plus, au
travers d’éditoriaux au vitriol de la
presse africaine. Celle-ci saisit la
moindre occasion, pour tirer à boulets
rouges sur le «pays des droits de
l’Homme». Après la chute de Laurent
Gbagbo, les journaux, qui le
soutenaient, s’étaient déchaînés contre
la France, qu’ils ont accusée d’avoir
chassé leur champion du pouvoir et
installé, à sa place, Alassane Ouattara.
Ils ne sont plus seuls à vouer Paris aux
gémonies.
«Après avoir participé au défilé
militaire du 14 juillet, aux côtés de
Nicolas Sarkozy, François Fillon s’est
envolé, pour une tournée, en Afrique.
S’agissant de la Côte d’Ivoire, cette
visite prend l’allure d’un service
après-vente», a persiflé le journal
burkinabè l’"Observateur Paalga", dans
sa livraison du 15 juillet dernier.
Et d’enfoncer le clou: «Après
Abidjan, cap sur Libreville, un autre
pion important du pré carré français. A
défaut du fou pressé, pardon, du
sous-préfet [Nicolas Sarkozy, ndlr],
c’est Fillon le garde-cercle qui fait le
tour des pâturages les plus luxuriants
de son domaine.»
"La Nouvelle Tribune", un quotidien
béninois, n’était pas en reste:
«Mensonges politiques. Mensonges
diplomatiques. C’est ce qu’il s’est
empressé, au lendemain de la célébration
de la fête nationale française de venir
servir aux Africains. Pourtant, à
l’exception du Ghana, par les
destinations qu’il a choisies, pour sa
tournée africaine, le Premier ministre
français a laissé entrevoir la
contradiction entre ses discours et ses
actes».
Du 14 au 17 juillet, le chef du
gouvernement français s’est rendu, en
Côte d’Ivoire, au Gabon et au Ghana.
La France
enchaîne les maladresses
Au début des années 90, après la
chute du mur de Berlin, un vent de
démocratie venu de l’Europe de l’Est
avait déferlé sur l’Afrique
subsaharienne. Une occasion saisie par
l’intelligentsia africaine, pour
fustiger la Françafrique, cette relation
complexe et ambiguë faite de raison
d’Etat, de lobbies et de réseaux
politico-affairistes entre la France et
ses ex-colonies africaines. Et qui s’est
souvent traduite par le soutien de Paris
à des régimes peu recommandables et à la
légitimité discutable.
Le reste des populations africaines a
emboîté le pas à ses élites, au début
des années 2000, lors des crises, au
Togo et en Côte d’Ivoire. Mais jamais la
mise en cause de Paris n’a été aussi
forte et spectaculaire qu’aujourd’hui.
Le paradoxe, c’est que cette
dégradation, sans précédent, se produit
avec le Président Nicolas Sarkozy, qui
avait promis d’en finir avec la
Françafrique. De fait, il a esquissé une
timide réforme des accords de défense et
de coopération militaires, tant décriés,
entre Paris et ses alliés africains,
histoire de les rendre «plus
transparents et plus modernes».
Le problème, c’est qu’il a commis
quelques bévues, qui ont, totalement,
annihilé ces petits pas, dans la bonne
direction. La plus spectaculaire aura
été le discours qu’il a prononcé, le 26
juillet 2007, à l’Université Cheikh Anta
Diop, à Dakar (Sénégal), dans lequel, il
a affirmé que «le drame de l’Afrique,
c’est que l’homme africain n’est pas
assez entré dans l’histoire».
«Une véritable catastrophe, qui
prouve, d’ailleurs, une totale
méconnaissance de l’Afrique de sa part.
D’autant qu’il l’a prononcé, devant des
historiens sénégalais, qui comptent
parmi les meilleurs, en Afrique et dans
le monde. L’intervention militaire de la
France, en Libye, sans que la diplomatie
française se soit concertée avec l’Union
africaine, a été une maladresse de
plus», indique Philippe Hugon.
Autre impair grossier, de la part du
locataire de l’Elysée, la poignée de
main entre Karim Wade, le fils du chef
de l’Etat sénégalais et le Président
américain, Barack Obama, lors du Sommet
du G-8, le 27 mai dernier, à Deauville,
dont il a été l’initiateur. En Afrique,
en général, et au Sénégal, en
particulier, elle a été perçue comme une
preuve supplémentaire de la préparation
d’une «succession dynastique», avec la
complicité active de l’ancienne
puissance colonisatrice.
"Les Africains entretiennent avec la
France une relation d’amour-haine,
empreinte d’une certaine schizophrénie",
tempère Tumba Alfred Shango Lokoho.
"Dans le fond, ils ne la détestent
pas vraiment. Avec elle, ils se
comportent en amoureux très exigeants.
Ils veulent qu’elle soit parfaite et ne
lui pardonnent pas la moindre incartade.
Quand elle prend ses distances, ils le
lui reprochent. Et quand elle
s’intéresse d’un peu trop près à leurs
affaires, ils s’en émeuvent",
analyse-t-il.
Une relation
amour-haine
Depuis leur indépendance, en 1960,
les liens entre Paris et ses anciennes
colonies sont, en effet, très complexes.
La France n’est jamais tout à fait
partie du continent noir. L’idée du
général de Gaulle était simple: donner
l’indépendance aux Africains, puisqu’ils
la réclamaient, tout en continuant à
contrôler les matières premières dont
regorge leur continent. Une politique,
poursuivie, sans état d’âme, par ses
différents successeurs.
«Pendant très longtemps, Paris s’est
très fortement engagée, en Afrique, par
le biais d’accords bilatéraux, dans
toute une série d’opérations très
importantes, y compris, militaires, pour
défendre son pré carré.
Elle dépensait sans compter, dans la
mesure où il s’agissait d’octroyer des
aides à des entreprises françaises.
D’autant qu’elle était sûre de
bénéficier d’un retour sur
investissement, à travers les bénéfices
engrangés par ces dernières», a confié,
en avril 2010, au magazine panafricain
"Continental", Jean-Pierre Dozon,
anthropologue, directeur d’études, à
l’Ecole des hautes études en sciences
sociales (EHESS) et spécialiste de
l’Afrique.
Lorsqu’il a été élu, pour la première
fois, président de la République, le
socialiste François Mitterrand avait
promis de mettre fin à cet héritage
encombrant de plus en plus dénoncé par
nombre d’Africains. Une promesse qui n'a
pas fait long feu. Pire, c’est même sous
son mandat que la France a connu l’une
des pages les plus noires de son
histoire, en Afrique, lorsqu’elle a
apporté, entre 1990 et 1994, au Rwanda,
son soutien au régime hutu, qui allait
planifier et mettre en œuvre le
génocide.
«La France a commis et commet,
encore, des erreurs, en Afrique. Mais
attention à ne pas en faire le bouc
émissaire de tous nos problèmes, nos
insuffisances et nos malheurs», estime
Tumba Alfred Shango Lokoho.
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Publié le 30 juillet 2011 avec l'aimable
autorisation de l'IRIB
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