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Le Web de l'Humanité
Les islamistes à l’assaut de
Casablanca
Hassane Zerrouky
Jeudi 6 septembre 2007 Maroc
. À la veille du scrutin législatif, les socialistes battent le
rappel des troupes dans la capitale économique. Mais le Parti de
la justice et du développement pourrait y rafler la mise.
Casablanca, envoyé spécial.
La signature entre le Maroc et le groupe - Renault-Nissan
d’un investissement de 600 millions d’euros pour
l’implantation d’un site de construction de 200 000 véhicules
par an à l’horizon 2010 a éclipsé la campagne des élections
législatives qui s’achève aujourd’hui. Le groupe Renault
possède déjà une usine de montage au Maroc produisant 30 000 véhicules
par an. Un accord qui est tombé à point. C’est une sorte d’éclaircie
dans un ciel assombri par la publication du déficit record de la
balance commerciale pour les sept premiers mois de 2007 de 70,15
milliards (7,1 milliards d’euros) en 2007 contre 56 milliards de
dirham (5 milliards d’euros) en 2006. Et le Marocain moyen ne
boude pas son plaisir de voir le groupe Renault-Nissan choisir son
pays. Mais de là à ce que cet accord, au demeurant très médiatisé,
fouette une campagne électorale quelque peu morne, d’aucuns hésitent
à franchir le pas vers la poussée islamiste.
En effet, malgré le forcing des partis, cette campagne a du
mal à s’emballer, notamment à Casablanca, la capitale économique
du pays, qui assure 40 % du PIB marocain. La corniche de Aïn
Diab, quartier cossu et vitrine touristique de Casablanca, 25
kilomètres de côte bordant l’océan Atlantique, où le pire côtoie
le meilleur, semble à mille lieux des élections législatives.
Les gens qui fréquentent ce lieu de plaisir, ne semblent pas du
tout inquiets par la poussée islamiste dans la mégapole
marocaine. À quelques jours du mois de jeûne du ramadan, qui débute
le 13 septembre, on vient boire le dernier verre en admirant le
coucher du soleil sur l’océan. Car pendant un mois, l’alcool
sera interdit. Yasmine, vingt-quatre ans, et son - copain Aziz, étudiants
à l’université de Casablanca, affichent cette tranquille
assurance de ces enfants des couches moyennes supérieures, aux
commandes du pays. « Le roi nous protège. Il ne laissera
pas les islamistes imposer leur ordre moral », dit-elle
avant d’aller danser sur un air de musique gnaoua, ce genre
importé au Maroc par les descendants d’esclaves africains.
Pourtant, juste à côté, jouxtant Aïn Diab, se trouve le
quartier populaire de Hay Hassani, près de 400 000 habitants, où
Saâddedine Othmani, psychiatre, secrétaire général du Parti de
la justice et du développement (PJD, islamiste) est tête de
liste, affrontant un ténor de l’USFP (Union socialiste des
forces populaires), l’avocat Mohamed Karam. De ce fait, cette
circonscription a valeur de test national. D’autant que les
islamistes escomptent rafler la majeure partie des 31 sièges en
lice à Casablanca.
Ce jeudi, les socialistes, conduit par leur secrétaire général,
Mohamed Al Yazghi, battent le rappel de leurs troupes. Ils
organisent une marche populaire pour contrer les islamistes. Ces
derniers restent confiants. « Le PJD sera le premier parti »,
clame leur leader islamiste, dont le programme, assure-t-il,
« se base sur le référentiel islamique », réitérant
à ceux qui doutent de ses intentions que le PJD demandera
« l’inscription de la charia dans la Constitution ».
Il faut faire le choix « entre ceux qui poussent le Maroc
vers le tunnel noir et ceux qui défendent la démocratie et le
progrès social », rétorque le leader de l’USFP, pour qui
le PJD est quelque part moralement responsable de la vague
terroriste qui a frappé le Maroc. Un argument qui ne convainc pas
l’universitaire Mohamed Darif, spécialiste de l’islamisme,
pour qui une nouvelle vague terroriste profiterait au PJD parce
que ce parti est perçu par de nombreux Marocains comme « une
alternative à l’islamisme radical ».
Reste à savoir si cette surenchère à laquelle se livrent les
partis en compétition va convaincre le petit peuple d’aller
voter. « Pourquoi voter, ça ne changera rien à ma vie »,
clame Aziz, vendeur de cigarettes de contrebande, originaire du
quartier de Sidi Moumen, d’où sont partis les kamikazes qui se
sont fait exploser en mai 2003. Aziz suit les consignes de Cheikh
Yassine, le charismatique leader islamiste du mouvement Justice et
bienfaisance, de loin la plus importante force politique
marocaine, qui a appelé au boycott du scrutin. Dans cette ville où
plusieurs centaines de milliers de personnes vivant dans des
bidonvilles et se considèrent comme des exclus sociaux, où le chômage
et la paupérisation sont visibles, même le PJD, malgré sa rhétorique
religieuse, sa dénonciation du « tourisme sexuel »
dont il a fait un cheval de bataille électoral, est perçu par
une partie des pauvres comme un parti de l’establishment.
© Journal l'Humanité
Publié le 7 septembre avec l'aimable autorisation de l'Humanité.
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