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Analyse
Gaza 2009: de la nécessité de dé-osloïser
l'esprit des Palestiniens
Haidar Eid*
On Amin, Arabic Media Internet
Network, 13 mars 2009
http://www.amin.org/articles.php?t=ENews&id=2846
« Non seulement les Blancs sont coupables d’être
passés à l’offensive, mais, par certaines manœuvres habiles, ils
ont réussi à contrôler les réponses que les Noirs apportaient à
leurs provocations. Non seulement ils ont donné des coups de
pied aux Noirs, mais ils leur ont aussi dicté de quelle manière
ils devaient réagir à ces coups de pied. Depuis longtemps, le
Noir écoutait patiemment les avis qu’on lui prodiguait quant à
la meilleure façon de répliquer aux coups de pied. Avec une
lenteur douloureuse, il commence aujourd’hui à montrer des
signes qu’il relève de son droit, que dis-je, de son devoir, de
répliquer aux coups de pied de la manière qui lui paraît
appropriée. » - - Steve Biko
Un des aspects les plus
importants du massacre de Gaza (2009), c’est ce déversement sans
précédent, et stupéfiant, de soutien populaire à la cause
palestinienne ; c’est là quelque chose qui n’a pas dû remplir de
joie les signataires des accords d’Oslo (en 1993). Le retour des
slogans de libération, d’avant Oslo, par opposition à
l’indépendance, ont, sans l’ombre d’un doute, créé un nouveau
dilemme, non seulement pour les élites politiques d’Oslo, mais
aussi pour la Gauche, stalinisée et oennegéïsée [sur ONG, ndt].
Le processus d’ « osloïsation »,
c’est-à-dire cette combinatoire de corruption, d’oennegéïsation,
de bradage des principes révolutionnaires et de logorrhée
sloganique, ainsi que la fiction de la « solution » à deux
prisons, avait reçu un coup magistral avec les élections de
2006. A en juger aux déclarations non seulement des officiels de
l’Autorité palestinienne, mais aussi de la Gauche, et même du
gouvernement Hamas, le but ultime de l’actuelle rivière de sang
est désormais la création d’un Etat palestinien, quel qu’en soit
la forme, c’est-à-dire la soi-disant « solution à deux Etats ».
La contradiction entre un soutien international formidable, la
renaissance de la campagne
« Boycott-Désinvestissement-Sanctions », la marée des
manifestations contre l’Israël de l’Apartheid et ses crimes de
guerre contre les Palestiniens de Gaza, ainsi que la
réitération, par la plupart des organisations politiques, du
mantra des deux Etats, est un signe puissant du besoin d’un
programme alternatif qui fasse de la dé-osloïsation de la
Palestine la toute première de ses priorités.
Pour comprendre les Accords
d’Oslo et le dommage extrême qu’ils ont causé à la cause
palestinienne, il faut recourir à la contextualisation
historique du soi-disant « processus de paix », ou plutôt de ce
que nombre de penseurs critiques ont qualifié d’industrie de la
paix. Cette compréhension est une étape indispensable sur la
voie d’un processus de dé-osloïsation, un terme auquel je
reviendrai ultérieurement plus en détail.
Il avait été prétendu que
l’Accord d’Oslo aurait représenté le premier pas sur la voie de
l’autodétermination et d’un Etat (palestinien) indépendant. Mais
il est clair, désormais, seize ans après la célèbre poignée de
mains sur la pelouse de la Maison-Blanche, à Washington,
qu’aucun Etat ne sera établi, à court terme, en raison du fait
qu’Oslo a tout simplement ignoré l’existence du peuple
palestinien en tant que peuple. Autrement dit, ces accords ont
offert au sionisme ce qu’il s’ingéniait à obtenir depuis
toujours. L’infâme déclaration de Golda Meir, pour qui les
Palestiniens n’existent pas, est à cet égard hautement
significative.
Pourtant, affirmer qu’
« Oslo » et « Camp David » auraient été de grandes opportunités
manquées, et des « percées », et que le soi-disant « processus
de paix » était sur les rails, jusqu’à ce que les Palestiniens
(lire : les victimes colonisées) ne l’ait fait voler en éclats,
c’est une déformation idéologique délibérée d’une réalité
alléguée à seule fin de préparer les Palestiniens à encore plus
de concessions. Aucune paix véritablement complète n’a été
créée, ni à Oslo, ni à Washington ; ce qui a été mis sur pied,
en lieu et place, c’est bien davantage un plan
américano-israélien visant à résoudre le conflit, après la
destruction de l’Irak et l’effondrement de l’Union soviétique,
ainsi que leur tentative de construire un « nouveau
Moyen-Orient », pour reprendre l’expression de Condooleeza Rice
– un Moyen-Orient se caractérisant par une hégémonie
américano-sioniste, soutenue par des régimes (arabes)
despotiques.
L’Accord d’Oslo était
mort-né, parce qu’il ne garantissait pas les droits nationaux et
politiques minimaux de quelque dix millions de Palestiniens.
Tant qu’il y aura des réfugiés, des cantons, des détenus, des
blocus, des colonies, la « torture légalisée » des prisonniers,
la dépossession, les assassinats ciblés et l’occupation, aucune
paix globale ne sera possible. C’est une illusion qui s’est
emparée des esprits des signataires des accords d’Oslo.
Ces accords ont conduit à la
création d’une « autonomie administrative » limitée, dans la
bande de Gaza et dans certaines parties de la Cisjordanie. La
population locale s’est vu reconnaître le « droit » d’élire une
autorité qu’elle serait autorisée à qualifier de « nationale ».
Aujourd’hui, la question posée est de savoir ce qui peut bien
faire que l’Autorité nationale palestinienne serait au-dessus de
toute question ? Quel est le fondement « légitime » sur lequel
elle a été établie ? C’est très simple : les Accords d’Oslo ! Il
est aujourd’hui devenu évident qu’en dépit de la célèbre poignée
de mains sur la pelouse de la Maison-Blanche et à Annapolis,
ainsi que le discours optimiste au sujet d’un « Nouveau
Moyen-Orient », ces accords, contrairement aux résolutions du
Conseil de sécurité de l’Onu, n’ont pas garanti la création du
moindre Etat palestinien indépendant, ni le retour chez eux des
réfugiés, ni même la démolition des colonies juives, ni des
compensations pour les Palestiniens qui ont perdu – et qui
continuent à perdre – leur maison, leurs terres, leurs
propriétés, ni la libération de tous les prisonniers politiques
palestiniens, ni l’ouverture de tous les checkpoints, qui sont
devenus des cauchemars quotidiens pour les résidents de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza, etc.
En dépit de toutes ces
poignées de mains, de ces embrassades et de ces conférences de
presse feutrées, Israël a lancé une des guerres les plus
sanglantes de toute l’histoire du conflit contre la population
civile de Gaza, tuant en vingt-deux jours plus de 1 400
personnes, dont 438 enfants, 120 femmes, 95 vieillards, 16
médecins, 5 journalistes, 5 femmes étrangères, et détruisant
plus de 40 000 bâtiments (institutions et logements privés),
laissant nombre de familles sans abri. Cela, bien entendu, n’a
pas été mentionné en tant qu’objectif des Accords d’Oslo, mais
rien, non plus, n’a été mentionné, dans ces Accords, qui eussent
pu empêcher un tel bain de sang de se produire.
Telle est la réalité
politique que les officiels palestiniens qui ont signé cet
accord n’aiment pas se voir rappeler. En réalité, ce qui a été
créé, dans certaines parties de Gaza et de la Cisjordanie, c’est
une entité extrêmement étrange – une sorte de bantoustan avalisé
par la communauté internationale. Gaza, en 2009, est par
conséquent le miroir d’Oslo. Quand nous avons à l’esprit que de
75 à 80 % des habitants de la bande de Gaza sont des réfugiés,
les résultats des élections de 2006 deviennent plus
compréhensibles non seulement dans leur contexte anticolonial,
mais également en termes sociopolitiques. Ce qu’Oslo a créé, à
Gaza, ainsi d’ailleurs qu’en Cisjordanie, ce sont,
littéralement, deux mondes différents, dont les deux ont été
gouvernés par des institutions non-démocratiques, une pléthore
d’appareils de sécurité, un tribunal militaire digne du
tiers-monde (réclamé par l’administration Clinton), la
corruption, la mauvaise gouvernance, l’inefficacité et le
népotisme – pour ne mentionner qu’un petit nombre de
caractéristiques néocoloniales, parmi d’autres.
En gagnant les guerres de
1948, 1956 et 1967, et en obtenant la reconnaissance
internationale, arabe et palestinienne, Israël – en tant qu’Etat
colonial de peuplement pratiquant l’apartheid – espérait passer
à un nouveau stade, un stade requérant la constitution d’une
« nouvelle conscience » chez les Palestiniens colonisés. C’est
précisément en cela que réside le danger d’Oslo : l’osloïsation,
dans ce contexte néo-sioniste, signifie la création d’un
paradigme nouveau, au travers duquel vous faites disparaître la
conscience de votre supposé ennemi – « l’Autre » -, après quoi
vous y substituez une mentalité unidimensionnelle, via la
construction d’une fiction (« deux Etats, pour deux peuples »)
dont l’idéal est inatteignable. Même le fasciste Lieberman
entonne désormais la même chanson.
Autrement dit, viser à la
création du Palestinien des deux Etats revient à viser à créer
une fausse conscience, sous l’impulsion d’une intelligentsia
assimilée, dont certains des membres ont un passé
révolutionnaire. Chanter les slogans de la « solution à deux
Etats », des « deux Etats, pour deux peuples », du « retour aux
frontières de 1967 », - voire même d’une « hudnah [trêve] de
longue durée » (comme l’a proposé le Hamas) – vise à garantir la
subordination et la conformité des Palestiniens, en particulier
de ceux qui nourrissent des idées révolutionnaires. Fini, le
droit au retour des six millions de réfugiés palestiniens et
leur dédommagement ; même chose, en ce qui concerne les droits
nationaux et culturels de la population indigène de la Palestine
de 1948.
Cet objectif, toutefois, ne
voit jamais l’antithèse qu’il génère comme le résultat d’un
déplacement, d’une exploitation et d’une oppression ; il ignore
la conscience révolutionnaire qui a été formulée tout au long
des différentes phases de la lutte des Palestiniens. Il ne prend
pas non plus en compte le legs de résistance civique et
politique qui est devenu la marque de fabrique du combat des
Palestiniens. Il en découle la nécessité de formuler une
politique palestinienne alternative. La prise de conscience de
la corruption de l’Autorité palestinienne et de l’énorme gouffre
interclasses que les Accords d’Oslo ont créé ont été à l’origine
de la dé-osloïsation qu’ont représentée l’Intifada d’Al-Aqça et
le résultat des élections de 2006. C’est là une prise de
conscience oppositionnelle que les signataires d’Oslo n’ont pas
prise en compte. Ces deux événements [Intifada d’Al-Aqça et
élections de 2006, ndt] représentent un rejet total des Accords
d’Oslo, et de leurs conséquences [néfastes].
La bande de Gaza, toutefois,
est vue par l’Autorité palestinienne comme un des trois blocs
d’immeubles d’un Etat indépendant, bien que ce bloc soit séparé,
géographiquement, du deuxième, à savoir la Cisjordanie. Le
troisième bloc, Jérusalem, étant sous contrôle israélien total.
Aucun Palestinien vivant dans les territoires occupés ne croit
que les « zones semi-autonomes », dans la bande de Gaza et la
Cisjordanie – c’est-à-dire les zones se trouvant classées en
catégorie A – pourraient représenter les fondations d’un Etat
indépendant. Ce à quoi Oslo a abouti, en réalité, c’est à une
Afrique du Sud-bis. Quand les Noirs Sud-africains voulaient
quitter leurs townships pour aller s’installer dans des villes
« blanches », ils devaient obtenir un pass. Durant la période
dite « de paix », les Palestiniens – non pas seulement ceux qui
travaillaient en Israël, mais aussi ceux qui voulaient se rendre
en Cisjordanie à partir de Gaza, ou vice-versa, avait besoin de
demander une « autorisation ». En plus de ladite autorisation,
les Palestiniens devaient détenir une « carte magnétique »,
c’est-à-dire une carte informatisée, contenant un mot de passe
aboutissant directement au dossier sécuritaire de son porteur.
Aucun d’entre eux ne pouvait
aller travailler en Israël, ou se rendre en Cisjordanie, voire
même aller à l’hôpital à l’intérieur de la « ligne verte » sans
un tel « permis » et sans détenir la fameuse « carte
magnétique ». Si l’un d’entre eux se voyait décerner ces papiers
d’une valeur inestimable, il n’en était pas, pour autant,
autorisé à aller visiter une quelconque région autre que celle
dont l’accès lui avait été concédé. S’il se faisait
éventuellement « pincer » dans une autre zone, son permis et sa
carte lui étaient immédiatement confisqués, sans parler de la
torture, auquel il se trouvait exposé. De nos jours, plus
personne ne se voit remettre ces luxueux « permis » et
« carte ». En quoi l’apartheid, en Afrique du Sud, était-il
différent ?
Les chefs tribaux des
bantoustans sud-africains croyaient généralement qu’ils étaient
à la tête d’Etats indépendants. Heureusement, l’ANC, en dépit de
ses innombrables compromis avec le National Party [raciste, ndt],
n’avait jamais accepté l’idée d’une séparation et de
bantoustans. La direction palestinienne officielle, par
ailleurs, vers la fin du millénaire, se vante d’avoir obtenu la
création d’un bantoustan, affirmant qu’il se serait agi d’un
Etat indépendant en puissance. A n’en pas douter, c’est là le
prix suprême que le sionisme soit en mesure de décerner à son
« Autrui », après en avoir dénié l’existence un siècle durant,
et après que ce même « Autre » ait démontré qu’il était humain.
Pour que le sionisme puisse poursuivre sa présence en Palestine,
l’ « Autre » doit être assimilé et réduit en esclavage sans être
conscient de sa servitude. D’où la garantie d’une gouvernance
« semi-autonome » sur les villes palestiniennes les plus
peuplées, et d’où la logique qui a présidé aux Accords d’Oslo.
Oslo, dès lors, a apporté un
niveau de corruption sans aucun précédent en Palestine, et la
coordination sécuritaire avec Israël, sous la supervision d’un
général – ironie des ironies – américain, est devenue la norme.
Répéter le mantra des deux Etats, agiter le drapeau palestinien,
chanter l’hymne national palestinien et – plus important –
reconnaître Israël, en ignorant les droits des deux-tiers du
peuple palestinien : voilà Oslo.
La leçon que nous avons
retenu de Gaza 2009, c’est l’impérieuse nécessité de fédérer
tous les efforts afin de lutter contre les conséquences des
Accords d’Oslo, et de former un Front Uni, sur une plateforme de
résistance et de réformes. Cela ne pourra être obtenu sans
démanteler l’Autorité palestinienne et sans prendre conscience
du fait que les ministères, les premiers ministres et les
présidences, à Gaza et à Ramallah, ne sont que des façades non
sans ressemblance avec les Homelands sud-africains dit
« indépendants », avec à leur têtes leurs chefs tribaux. Le
programme national classique, inventé et adopté par la
bourgeoisie palestinienne, a touché à sa fin sans parvenir à ses
fins. La plupart des forces politiques, y compris le parti au
pouvoir à Gaza [le Hamas, ndt], ne parviennent pas à expliquer
de quelle façon six millions de réfugiés palestiniens pourraient
retourner à l’intérieur de l’Etat israélien des [seuls] juifs,
et comment un Etat palestinien indépendant pourrait être créé,
concomitamment ?
D’où la nécessité d’un
paradigme alternatif, qui se départisse de la fiction de la
solution à deux prisons, un paradigme qui fasse des sacrifices
de la population de Gaza un tournant dans la lutte pour la
libération, une lutte pour la libération qui fasse fond sur le
mouvement mondial anti-apartheid qu’a initialisé Gaza 2009.
La dé-osloïsation de la
Palestine est, par conséquent, la pré-condition sine qua non de
l’instauration d’une paix dans la justice.
Traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier
Dr Haidar Eid,
professeur associé à
la Faculté de Littérature anglaise, Université
Al-Aqsa, Gaza. Membre de l’Association Pour Un Seul Etat
Démocratique.
haidareid@yahoo.com
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