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Opinion
L'intervention en Libye: une opération
stratégique contre-révolutionnaire montée contre les révolutions
du Jasmin
Gilbert Léonard
Paris, dimanche 20 mars 2011
Il y a des faits que les journalistes ne
mettent pas en évidence mais dont l'importance n'échappe pas à
un esprit exercé aux méandres de la politique française et
internationale.
Et dans le cadre du "sommet de Paris de soutien pour le peuple
Libyen" qui a eu lieu hier samedi 19 mars, certains faits
méritent d'être soulignés:
1- C'est depuis le salon "Napoléon
III" du palais de l'Élysée que Nicolas Sarkozy a fait sa
déclaration de clôture.
2- Ce sommet a eu lieu en l'absence de l'Union Africaine, et
pour cause.
3- Les décisions de ce sommet reposent sur la participation des
pays Arabes aux possibles combats au sol, et pour cause.
1- Depuis le salon Napoléon III de
l'Élysée: un symbole fort qui en dit long
Quand le président Français fait sa déclaration depuis le salon
"Napoléon III", quel message veut-il faire passer, et à qui
s'adresse-t-il ?
Faut-il rappeler qui est Napoléon III?
Napoléon III, c'est ce prince-président élu président de la
République Française en décembre 1848 et qui organisa un coup
d'État 3 ans plus tard, précisément le 2 décembre 1851, pour
restaurer l'Empire napoléonien.
Il s'est fait "sacré" Empereur un an plus tard, précisément le 2
décembre 1852, en admiration pour son oncle Napoléon 1er "sacré"
aussi un 2 décembre de 1804; cet oncle que d'aucuns présentent
comme un homme éclairé qui prononça de très beaux discours de
tolérance; ils ne supportent pas que l'on rappelle qu'il a
rétabli l'esclavage raciste et a fait coulé le sang dans
beaucoup de contrées.
Que de symboles!
Dans le contexte de l'intervention en Libye présentée comme une
opération contre le massacre de civils,
il est bon de rappeler que 2 jours après son coup d'État
contre la République, Napoléon III prince-Président réprima dans
le sang les révoltes ouvrières et paysannes à Paris et dans les
provinces; le peuple s'opposait à ce coup d'État et
réclamait sa part dans "la réussite économique de la France": au
moins 400 morts dans les fusillades de l'armée, rien que sur les
grands boulevards parisiens.
Il est bon de rappeler la violence avec laquelle la censure de
la presse avait été rétablie par ce prince-président devenu
Empereur: presse muselée et aux ordres.
Aujourd'hui, en 2011, en Guadeloupe, colonie française
sous régime départemental spécifique, les résistants
sympathisants du LKP sont victimes de tout un arsenal répressif;
syndicalistes, journalistes, avocats, militants, tous sont visés
par un régime qui n'a pas digéré le succès planétaire en
février 2009 d'un mouvement de libération des peuples qui
demandent la fin des Pwofitasyons.
Comment pourrait-on accorder du crédit à ce même régime qui
prétend agir "pour le peuple Libyen" ?
2- Sommet en l'absence de l'Union
Africaine (UA) : et pour cause!
C'est très logiquement que l'Union Africaine (UA) n'a pas
participé à ce sommet de Paris.
En effet, le 10 mars, soit neuf jours avant ce sommet de Paris,
le Conseil de Paix et de Sécurité de l'Union Africaine(UA) a
refusé catégoriquement, je cite, "toute intervention
militaire, quelle qu'en soit la forme" . Il a appelé
tous les États membres de l'UA à "apporter un soutien
logistique et humanitaire à tous les travailleurs migrants
Africains désireux de quitter la Libye".
Mais les forces Euro-occidentales ont décidé comme à la bonne
époque coloniale d'intervenir militairement en Libye et de
mépriser la décision du conseil de paix et de sécurité de
l'Union Africaine.
Les forces Euro-occidentales soutiennent des insurgés "sans
armes" qui s'en prennent à tous ceux qui sont Noirs en Libye,
au prétexte qu'ils sont tous des mercenaires de Khadafi, même
quand ils font partie de l'armée régulière libyenne.
Mais pourquoi les insurgés ne s'en prennent-ils pas aux autres
mercenaires ?
Pourquoi la presse relaie-t-elle ces images sans rappeler qu'il
y a des Libyens Noirs et que l'on en trouve logiquement dans
l'armée régulière libyennes ?
Quel est le but visé ? est-ce pour alimenter des tensions entre
communautés ?
Il est vrai qu'aux yeux de certains en France, cet aspect des
choses pourrait paraître secondaire dans un pays où le directeur
de la rédaction du Journal Du Dimanche a récemment affirmé avec
insistance au journal de France3, chaine de télévision publique
et nationale, que le racisme était "moins grave" que
l'antisémitisme; cela n'a déclenché la réaction ni des officines
anti-racistes, ni du pouvoir, ni des politiques. La perception
de la concurrence mémorielle est à géométrie variable et
hiérarchisante.
Ce mépris de la décision de l'UA a aussi une autre
signification.
Certes, certains pouvoirs craignent que leur soutien pour des
frappes de la Libye ne fasse jurisprudence et n'ouvre la porte à
leur propre éviction par les mêmes forces pour les mêmes raisons
officielles.
Mais, confrontés aux mouvements de revendications de plus en
plus forts et de plus en plus fréquents de leurs citoyens,
les forces politiques tant du pouvoir que de l'opposition réelle
comprennent de plus en plus que les forces Euro-occidentales
sont prêtes à changer de pions au gré de leurs seuls intérêts
par un jeu d'alternance de coups d'État ou d'élections
contrôlées; ils comprennent de plus en plus que leurs
propres citoyens sont leur meilleur bouclier de protection, tel
en Côte d'Ivoire.
Et cette prise de conscience n'est pas favorable à ceux qui
veulent profiter des ressources de ces pays au détriment de
leurs populations.
3-Participation des pays Arabes aux
possibles combats au sol, et pour cause!
Les forces Euro-occidentales
prêtent mains fortes à des insurgés que l'ont dit sans armes
mais équipés d'avions militaires et de batteries anti-aériennes.
Ces insurgés sans armes ont d'ailleurs abattu eux-mêmes un de
leurs avions; cet épisode a d'ailleurs permis dans un premier
temps de "prouver" à l'opinion internationale que les
avions de Khadafi ne respectaient pas le cessez-le-feu et
bombardaient des zones civiles. Mais personne ne se pose la
question de ce que faisait cet avion militaire des insurgés dans
cette zone civile ?
Ce mode d'accusation rappelle l'épisode du Koweït avec la fausse
histoire très émouvante des bébés jetés au sol après que l'on
aurait débranché les couveuses: c'était pour justifier la
première guerre du Golfe.
Les forces euro-occidentales ont répété qu'elles n'allaient pas
intervenir dans les combats au sol; elles laissaient aux Arabes
le soin de s'attaquer entre eux pour le face à face, le boulot
qui nourrit la haine la plus profonde.
Mais la Ligue Arabe est elle aussi inquiète de la direction que
prennent les choses.
Elle commence à dire qu'elle n'approuve pas les bombardements.
Elle a réalisé que les peuples Arabes ont compris l'opération
Harmattan en Libye et qu'ils ne soutiennent pas les
bombardements.
Les peuples Arabes ont compris
que les insurgés en Libye sont armés;
Ils savent que les insurgés Arabes dans les autres pays ne sont
pas armés.
Ils observent que la communauté internationale n'aide
militairement que les insurgés déjà armés en Libye;
Ils constatent que les autres insurgés non armés sont réprimés
dans le sang avec l'aide de pays qui soutiennent les
bombardements de la Libye.
Ils ont compris que l'opération Harmattan n'est qu'une opération
stratégique pour contre-carrer les révolutions du Jasmin.
Et voilà qu'aujourd'hui 20 mars, au lendemain du sommet et des
premiers bombardements, l'analyse des forces en présence évolue.
L'on commence à entendre que les insurgés seraient finalement
suffisamment équipés et qu'ils pourront résister à l'armée de
Khadafi une fois son aviation et ses chars mis hors de combat.
Un ancien Ministre français des
Affaires Étrangères n'a-t-il pas déclaré que l'un des objectifs
de la "Communauté Internationale" était la scission de la Libye.
La prise de conscience est une arme redoutable et plus efficace
que dix milles canons.
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