La semaine dernière, un survivant de
l’Holocauste, Thomas Blatt (82 ans), a témoigné au procès de
John Demjanjuk. Blatt a déclaré qu’il fait encore des cauchemars
où il revoit la période qu’il a passée dans le camp de Sobibor :
« J’y retourne, dans mes rêves : ceux-ci sont terriblement
réels. Dans mes rêves, je suis encore là-bas. Cela m’obsède,
continuellement : tel est le prix que j’ai payé, pour m’en être
sorti… »
John Demjanjuk, Ukrainien d’origine (89
ans) est accusé par le Tribunal de Munich d’avoir joué le rôle
d’un ‘complice indirect*’ dans la mort de 27 000 juifs, dans le
camp de Sobibor, alors qu’il était lui-même un prisonnier de
guerre de l’Allemagne. Car, voyez-vous, le système judiciaire
allemand en est à poursuivre des « auxiliaires » du crime nazi.
Ce qui est fort gênant, c’est le fait que cela n’arrange pas
grand-chose, dans le procès en question. Demjanjuk nie tout lien
avec le crime qu’on lui impute. De plus, le procureur allemand
ne dispose pas de la moindre preuve d’une implication
personnelle ou indirecte de Demjanjuk avec un quelconque crime,
ou avec tout autre événement criminel lié à l’Holocauste.
M. Blatt ne se rappelle pas, lui non plus,
de Demjanjuk. Il n’est pas non plus en mesure de dire si
celui-ci est coupable, comme on l’en accuse, d’avoir contribué à
gazer quelque 27 900 juifs. « Cela fait plus de soixante ans »,
a-t-il expliqué… « Je ne me souviens même pas du visage de mes
parents. C’est au tribunal de trancher : était-il là-bas, ou
non ? S’il y était à l’époque où j’y étais moi-même, alors je
peux aisément imaginer qu’il a poussé des juifs, à la pointe de
la baïonnette, dans les chambres à gaz… »
D’après le quotidien britannique
The Mirror, M. Blatt a été convoqué à ce tribunal « pour
donner une voix vivante à l’horreur, en lieu et place d’un récit
historique poussiéreux ». Apparemment, dans l’état qu’a atteint
l’état hyperréaliste de notre monde, les documents historiques
et la factualité sont réduits à l’état de « poussière », tandis
qu’un témoignage personnel, saturé de spéculation,
d’associations d’idées et d’émotions, est considéré représenter
une « voix vivante » persuasive. En fin de compte, Demjanjuk, un
vieillard, est accusé, dans ce procès, d’avoir contribué à la
mort de non moins de 27 900 personnes. Le tribunal allemand
ferait mieux d’apporter quelque chose de concret, plutôt que de
pures spéculations.
M. Blatt a affirmé mordicus que « les
Ukrainiens ‘comme Demjanjuk’ étaient les pires de tous. Nous
avions plus peur d’eux que des Allemands ». Il y avait
« cent-vingt gardes ukrainiens, et seulement dix-sept hommes de
la S.S., àun
moment donné… », a indiqué ce Blatt au tribunal allemand. Blatt
affectionne manifestement les généralisations. Je me demande si
un garçon palestinien suggérant que les juifs ‘comme Blatt’ qui
ont assassiné sa famille l’année dernière en bombardant un abri
de l’Onu à Gaza, serait, lui aussi, accueilli à bras ouverts au
tribunal de Munich. Pour une raison étrange, dans le contexte du
discours libéral occidental, dès lors qu’il s’agit de juifs, la
généralisation ne pose aucun problème, pas plus que le recours à
des catégorisations raciales et le fait de suggérer qu’il puisse
y avoir une culpabilité par association. Et, d’une manière ou
d’une autre, le reste de l’humanité se voit enjointe d’éviter ce
même discours.
Toutefois, ces accusations grossières, de
but en blanc, portées contre les Ukrainiens, en tant que
personnes qui, apparemment, sont prises pour des preuves à
conviction, au tribunal de Munich, peuvent en réalité, mettre en
évidence la motivation sinistre qui préside au procès en cours.
Comme les autres, les Allemands semblent montrer certains signes
patents de « fatigue de la Shoah ». Ils semblent préférer
décliner leur responsabilité dans le passé nazi, et laisser les
prisonniers de guerre ukrainiens tout prendre en pleine gueule.
De la même manière, nous pouvons nous attendre à ce qu’à un
certain stade, l’Amérique et la Grande-Bretagne ne décident de
recourir à la même tactique, en accusant leurs collaborateurs
dans le monde arabe de la mort et des carnages qu’elles-mêmes
ont laissés derrière elles. Israël, qui est en train d’être
confronté à son dossier judiciaire de plus en plus fourni de
crimes contre l’humanité, pourrait, lui aussi, mettre l’astuce
allemande en pratique. Il pourrait aussi être tenté de
sélectionner des Palestiniens au hasard et de les accuser
d’avoir joué un rôle objectif dans les crimes perpétrés contre
le peuple palestinien, non ?
Mais il y a quelque chose d’encore plus
intéressant, dans ce procès honteux en cours. Alors que
Demjanjuk nie avoir joué un quelconque rôle, fusse objectif,
dans les crimes nazis, M. Blatt reconnaît volontiers avoir
travaillé pour la S.S. et apporté sa contribution à ce qu’il
qualifie lui-même de machine de mort : « Un autre travail (que
je devais faire) consistait à couper les cheveux des femmes qui
allaient être tuées », explique-t-il. « Celles qui venaient de
pays comme la Hollande croyaient au mensonge », affirme-t-il.
« Les femmes me disaient : « S’il vous plaît : ne me coupez pas
les cheveux trop court ! » Mais les juifs polonais, eux, ils
savaient déjà. Ils avaient entendu énormément d’histoires
terribles, ils avaient senti la fumée des brasiers, la nuit ».
Blatt poursuit : « Ils disaient : « Comment peux-tu faire ça ?
Comment peux-tu travailler pour la S.S. ? » « Si je le faisais,
c’était pour survivre ».
L’on peut se demander si la volonté de
survie de Blatt est plus cachère que le désir d’un prisonnier
ukrainien de rentrer chez lui. Autrement dit, étant donné l’aveu
fait par Blatt de sa collaboration à la S.S., pourquoi n’a-t-il
pas été accusé, par le même tribunal allemand, d’avoir été un
« supplétif » du crime nazi ?
Une réponse possible, c’est que Blatt et
juif, alors que Demjanjuk, lui, est un Goy. Aussi terrible cela
soit-il, aux yeux du tribunal de Munich, la volonté de
‘survivre’ d’un juif est sans doute supérieure au désir d’un
Ukrainien de survivre jusqu’à la fin de la guerre en un seul
morceau. Si tel est effectivement le cas, le tribunal allemand
ne fonctionne ni moralement ni de manière universelle. Par
conséquent, il serait raisonnable d’avancer que le tribunal de
Munich est incapable de tirer les leçons nécessaires et
élémentaires du passé nazi de l’Allemagne.
La justice allemande, d’une manière ou
d’une autre, persiste à différencier les gens en fonction de
leur race et de leur ethnicité.
[* Un ‘complice indirect’ est une personne qui apporte
assistance à la perpétration d’un crime, mais qui n’y participe
pas, en réalité, en tant que complice principal].
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