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Palestine Think Tank
Gilad Shalit: La Grande Illusion
Une analyse du discours
Gilad Atzmon
Shalit père: Noam
- Getty images
on PalestineThinkTank.com, 7 février 2009
http://palestinethinktank.com/2009/02/09/gilad-atzmon-gilad-shalit-the-grand-illusion/
Voici de cela quelques jours, Noam Shalit
(le « père de ») a
fustigé le Hamas, au motif que celui-ci retiendrait son fils
prisonnier sans raison. Miraculeusement, il a réussi le tour de
force d’oublier que son fils Gilad était bel et bien un soldat
combattant, qui servait en tant que gardien de mirador d’un camp
de concentration, et qu’il avait été capturé dans un bunker
blindé surplombant Gaza…
Le Père Shalit a ainsi enjoint au Hamas
d’ « arrêter de nous prendre en otages des symboles de guerres
du passé ». Il a également prétendu que le Hamas serait impliqué
dans rien moins qu’une « résistance imaginaire ». Apparemment,
ce sont là des déclarations vraiment gonflées, de la part d’un
père supposé être extrêmement préoccupé par le sort de son fils.
La saga de Gilad Shalit est, à n’en pas
douter, un cas d’étude exemplaire de l’identité israélienne. En
dépit du fait que Gilad Shalit est un soldat et qu’il a été
directement impliqué dans les crimes de l’armée israélienne
contre une population civile, les Israéliens et les lobbies
juifs, dans le monde entier, persistent à le présenter comme une
« victime innocente ». Le slogan massue de la campagne pour
Shalit est celui-ci : « Gilad Shalit, un être humain, un JUIF ».
Alors, je me demande s’il est vraiment un simple « être
humain », comme le suggère ce slogan, ou bien s’il ne
s’agirait pas, plutôt, d’un Elu, comme l’implique le prédicat
« juif ». Et s’il n’est qu’un simple être humain, alors,
pourquoi jugent-ils bon de rajouter ce « juif » ? Que peut-il
donc bien y avoir, dans ce titre de « juif », qui puisse être
dans l’intérêt de la campagne pour la libération de Shalit ?
L’affiche de la campagne :
« Libérez Gilad Shalit : un être humain ; un JUIF ! »
(authentique !)p>
Apparemment, le recours aux prédicats
« être humain » et « juif », dans une telle proximité, est
tout-à-fait informatif et significatif. Dans les discours juifs
et « progressiste » post-holocaustiques, « être humain » est un
synonyme d’ « innocent » et « juif » est un succédané de
« victime ». Par conséquent, le slogan de la campagne pour
Shalit doit être compris ainsi : « LIBEREZ Gilad Shalit, la
victime innocente » [ !]
A ce stade, il est loisible de se demander
comment un soldat combattant, servant de garde d’un camp de
concentration, peut devenir ainsi une « victime innocente » ?
Apparemment, dès lors qu’il s’agit du discours israélien, peu de
chose suffit. En réalité, c’est simplement une question de
rhétorique.
Il est notable qu’au sein de la société
israélienne, très militarisée, comme on sait, le soldat est
exalté, son sang est précieux, en comparaison de celui de
citoyens juifs ordinaires. Les Israéliens adorent leurs soldats,
et ils pleurent toute perte de leurs forces armées avec de
spectaculaires lamentations. Etant donné que ‘Tsahal’ est une
armée populaire, l’amour des Israéliens pour leurs soldats peut
être perçu simplement comme une autre manifestation de leur
amour-propre intrinsèque. Les Israéliens, tout simplement,
s’aiment eux-mêmes autant qu’ils haïssent leurs voisins [ce qui
n’est pas peu dire, ndt]. En Israël, la mort en opération d’un
combattant de ‘Tsahal’ reçoit généralement bien plus d’attention
que celle d’un civil ayant été exposé à ce que d’aucuns
qualifient de « terrorisme ».
De même, en Israël, un prisonnier de guerre
de ‘Tsahal’ aura tendance à focaliser un maximum d’attention
médiatique. Ron Arad, Ehud Goldwasser et Gilad Shalit sont des
noms qui sont cité dans tous les foyers, en Israël, leurs noms
et leurs visages sont familiers, pour tous les Israéliens, ainsi
que d’autres, qui sont parties au conflit. Considérant qu’Israël
est constamment en état de guerre, l’intérêt collectif
outrancier pour ce militaire est plutôt énigmatique, sinon
intriguant.
Dans le roman national israélien, le soldat
est campé comme un être innocent, « pris » dans une guerre qu’il
est condamné à mener, à son corps défendant. Le combattant
israélien est un combattant qui « tire dans le tas, puis
sanglote ». Dans le narratif historique et dans la mentalité
bernée israéliens, les Israéliens « aspirent à la paix » et
c’est, d’une certaine manière, toujours « les autres » qui
apportent l’hostilité et la violence. Cette auto-intoxication
sans détours est tellement imbue dans l’image que les Israéliens
ont d’eux-mêmes que cela leur permet de déclencher et d’initier
une guerre après l’autre, sans être totalement convaincus que
c’est toujours les « Arabes » qui tenteraient de rejeter les
Israéliens à la mer.
En ce sens, il faut voir dans la « guerre
contre le terrorisme » israélienne une bataille contre la
terreur, à l’intérieur des Israéliens. La bataille, constante,
contre « les Arabes » est un biais qui permet de résoudre
l’anxiété hébraïque auto-infligée que les Israéliens sont
incapables de gérer, voire même de regarder en face. C’est
précisément en ce sens que le fait de balancer des bombes au
phosphore contre des femmes, des vieillards et des enfants, agit
à l’instar d’une pilule collective de Valium : cela calme le
mental israélien, cela apaise sa terreur intrinsèque. Tuer en
masse, cela soigne l’état de terreur collective insulaire
israélienne. Cela explique comment il se fait que 94 % de la
population juive israélienne a soutenu le dernier génocide en
date, à Gaza [
http://news.hosuronline.com/NewsD.asp?DAT_ID=722 ]. Les
conséquences sont dévastatrices : non seulement la majorité
absolue des juifs israéliens disent NON au commandement « Tu
aimeras ton voisin », mais ils disent, en réalité, OUI au crime,
en plein jour.
Dans leur mentalité manipulée, les
Israéliens sont poussés à des guerres « où ils n’ont pas le
choix » [héb. ‘ein breira’, ndt], « à l’insu de leur plein
gré », en dépit du fait qu’ils ne sont que de simples « victimes
innocentes ». En réalité, cette aliénation, ou plutôt, cette
dissonance cognitive, est au noyau même de l’existence
israélienne anti-éthique. L’Israélien est immergé dans une
notion auto-inculquée de totale innocence ; c’est en quelque
sorte toujours l’Autre qui endosse la culpabilité et la faute
[1]. Cette contradiction totale entre l’auto-perception
israélienne, à savoir l’« innocence » et la pratique israélienne
manifestée, à savoir une barbarie inouïe, peut être perçue comme
une forme grave de détachement du réel, prêt à verser dans la
psychose collective.
Le cas Shalit incarne très bien cette
inadéquation. Sans cesse, les officiels israéliens et les
lobbies juifs nous demandent de faire preuve de notre compassion
à l’égard d’un soldat combattant qui servait de gardien de la
plus grande prison de toute l’Histoire. Un Américain de droite,
par exemple, aurait la décence de ne pas requérir notre empathie
compassionnelle envers un marine US qui aurait été blessé durant
son service en tant que tortionnaire à Guantanamo Bay. De même,
rares sont ceux qui oserait requérir notre empathie
compatissante envers un fantassin allemand qui aurait joué un
rôle similaire à celui de Gilad Shalit dans un camp de
concentration, en Europe orientale, au début des années 1940. De
plus, quelqu’un peut-il imaginer le genre de protestation juive
que soulèverait une campagne imaginaire utilisant un slogan
suprématiste du type : « Libérez Wolfgang Heim, un Etre humain,
un Aryen ! » ??
Autant je comprends la grave préoccupation
de Noam Shalit pour le sort de son fils, autant je ne peux que
lui donner ce conseil, en espérant qu’il le prendra en
considération : son fils Gilad n’est pas exactement ce qu’on
pourrait appeler un ange innocent. Au minimum, à l’instar de
tous les Israéliens, il fait partie intégrante du perpétuel
péché israélien. Il était soldat dans une armée criminelle qui
sert une cause criminelle et qui lance des guerres criminelles.
Je suggère donc sincèrement à M. Noam Shalit d’envisager de
modifier son discours. Il devrait laisser tomber son ton de
prédicateur bien-pensant, et adopter, en lieu et place, soit la
dignité, soit un appel désespéré à la merci du Hamas. Soit vous
reconnaissez les exactions de votre fils et vous êtes fier de
lui, en militant nationaliste juif que vous êtes, soit (mais pas
les deux à la fois) vous sollicitez la clémence du Hamas. Si
j’étais à sa place, je choisirais probablement la seconde
option. Noam Shalit ferait bien mieux d’éliminer le mot
« otage » de son dictionnaire. Ni lui ni son fils ne sont des
otages du Hamas. S’ils sont otages de quelque chose, c’est d’un
projet nationaliste juif qui est ne va pas tarder à attirer la
pire des catastrophes sur le peuple juif. Ils sont tous deux
prisonniers d’une guerre criminelle contre « ton prochain », à
savoir la population civile palestinienne.
Etant donné les crimes contre l’humanité
qu’Israël perpètre de manière réitérée, tout ce qui reste à
faire à l’Etat juif, c’est produire un bourrage de crânes
purement rhétorique qui, en effet, devient de plus en plus
fallacieux et inopérant. Aussi n’ai-je pas été autrement surpris
de découvrir que Noam Shalit n’est pas simplement un père en
souci, c’est aussi un polémiste postmoderniste pénétré. «La
résistance : contre quoi ? Contre qui ?», feint de
s’interroger le père Shalit, tentant de passer par pertes et
profit, sans autre forme de procès, la cause palestinienne.
Vous, les gens du Hamas, vous êtes en train de nous prendre « en
otages de symboles qui appartiennent, dans le meilleur des cas,
aux guerres d’hier, au monde d’hier, qui a depuis lors changé au
point d’en être méconnaissable ! »
M. Shalit, j’aimerais que vous nous disiez
qu’est-ce qui, au juste, a « changé au point d’être
méconnaissable » (si ce n’est le paysage de Gaza ?). S’il vous
plaît : éclairez notre lanterne, car, tout ce que nous sommes en
mesure de voir, c’est que vous-même, vous continuez à vivre sur
une terre palestinienne volée, et que vous faite de l’appel
biblique au
pillage
une réalité contemporaine dévastatrice. Ce que nous voyons,
c’est que vos fils et vos filles continuent à être impliqués
dans des pratiques génocidaires assassines, comme ils n’ont
jamais cessé de l’être depuis soixante ans.
M. Shalit, permettez-moi de vous donner un
conseil : réveillez vous, le plus tôt sera le mieux ! Il n’y a
strictement rien de changé, en réalité, tout au moins, du côté
israélien. Le seul changement que je sois en mesure
d’apercevoir, c’est le fait roboratif que vous et votre peuple,
vous ne remportez plus de victoire militaire. Certes, vous vous
arrangez toujours pour tuer des enfants, des femmes et des
vieillards ; certes, vous avez trouvé le moyen de lâcher des
armes non-conventionnelles sur des civils habitant la région la
plus densément habitée de notre planète, néanmoins, vous n’avez
pas remporté la guerre. Vos campagnes militaires n’apportent
strictement rien, si ce n’est la mort et le carnage. Vos
agissements génocidaires meurtriers n’ont abouti à rien, si ce
n’est à démasquer, d’une part, ce qu’a toujours été le projet
national juif et, d’autre part, ce dont l’Israélien est capable.
Votre puissance de dissuasion imaginaire
fond comme neige au soleil tandis que j’écris ces mots, et les
roquettes du Hamas continuent à pilonner le sud d’Israël. Reste
que l’Etat juif s’est assuré d’une position éminente
d’incarnation du mal.
Si un « changement au-delà du
reconnaissable » peut être décelé, c’est bien le fait qu’après
Gaza, nous savons tous qui vous êtes. Et dans quel camp vous
vous situez !
=====
Note :
[1] : Les Amalécites, l’Inquisition espagnole, les nazis, les
Polonais, les communistes, les Arabes, le Hamas, le Venezuela,
l’Iran et, depuis peu, la Turquie.
Traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier
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