Peace Palestine
L’Etre
et le Temps. Du discours politique juif et du combat palestinien
Gilad
Atzmon
Vendredi
2 février 2007
Le
discours moderne du juif « politique » est le discours
d’un orphelin, c’est l’état auto-infligé d’enfants privés
de mère et de père.
L’homo
politicus tue son père.
Je
ne fais nulle allusion, ici, au complexe d’Œdipe, rien de
libidinal là-dedans. Il n’est nullement jaloux de son papa,
parce que, voyez-vous, il n’aime pas sa maman, non plus.
Cette
tendance meurtrière métaphorique affecte tant la gauche que la
droite ; tant le sioniste que son opposant, le socialiste
soi-disant « antisioniste ».
Le
sioniste de droite n’a d’autre fin que l’assassinat de son Père
en Diaspora.
Le
sioniste de gauche, quant à lui, n’a d’autre fin que d’éradiquer
notre Père, le Seigneur.
L’un
comme l’autre, ils tuent leurs pères. Ils veulent rejoindre une
nouvelle famille, une famille meilleure, pour ainsi dire.
Pour
le sioniste, c’est la Nation qui tient lieu de nouvelle famille.
Il veut devenir une Nation comme d’autres Nations.
Pour
l’antisioniste de gauche, c’est la « classe laborieuse ».
Il veut devenir un homme comme les autres.
Mais
l’un comme l’autre échouent.
Plutôt
que se contenter d’Etre au monde, ils s’adonnent au Devenir.
Ils insistent à Devenir ce qu’ils ne sont pas.
Vu
sous un autre angle, le discours politique juif, dans lequel les
juifs sont centraux, n’a d’autre finalité que l’oubli de
l’Etre. L’homo politicus se spécialise dans l’érection d’une authenticité
factice.
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L’idéologie peut être conçue comme une résurrection de la
maternité, l’élévation de la paternité, la revivification du
sol (la mère patrie) et la renaissance de l’âme (les mânes
paternels). Le sionisme, l’anti-sionisme et la politique juive,
de manière générale, sont l’abolition de tout ceci. L’homo
politicus contemporain dénie le sol et rejette l’âme. [En
anglais, jeu de mot entre ‘soil’ (sol) et ‘soul’ (âme) :
The modern political man denies the soil and the rejects the soul.
Ndt]
La Terre, loin d’être « hic
et nunc », se matérialise dans une contrée lointaine
(Sion).
La vieille âme – Dieu, l’esprit – doit être rejetée, au
motif qu’elle est immatérielle. L’ « opium du
peuple », qu’il appelle ça.
L’idéologie peut tout aussi bien être comprise comme un cadre
intellectuel relativement récent, qui permet au passé de former
un logos, un principe modelant la vision du futur. Néanmoins,
dans le discours politique juif, le temps est en constante désintégration.
Pour l’homo politicus,
c’est le futur qui constitue un passé.
Plutôt que « le passé » – notion abstraite –,
pour lui, c’est « un passé » – un enchaînement
conscient d’événements discrets, sélectionnés avec soin.
Le discours politique juif se révèle pour ce qu’il est :
un attentat brutal contre l’histoire et l’historicisme. Il préfère
la notion de « compile » ; il picore et choisit
seulement des chapitres de l’Histoire retenus de manière très
sélective.
Dans le discours politique juif, l’histoire ressemble plutôt à
un ensemble d’événements scellés : des axiomes.
Pour le sioniste, la Bible est un axiome historique (un registre
cadastral). L’antisémitisme est un autre axiome. Ensemble, ces
deux axiomes forment l’épopée du retour.
Pour le socialiste antisioniste, c’est l’émergence de la
Politique de la Classe Laborieuse naissante, concomitante à celle
du nazisme, qui constitue la clé permettant de comprendre le passé.
L’holocauste est un axiome. Il sert de point de départ, de
discours de destruction, scellé et isolé.
L’histoire juive est un amalgame unique de précieux événements
cinglant avec confiance dans un océan de points aveugles.
Le roman politique juif, tant de gauche que de droite, est un enchaînement
de slogans frelatés.
Le sioniste simule l’amour d’Eretz Israël [la Terre d’Israël,
ndt], tout en la détruisant, elle et ses habitants indigènes.
L’antisioniste de gauche simule l’amour pour la classe
laborieuse (en cheminant vers sa banque).
L’un comme l’autre affectionnent « un passé » ;
l’un comme l’autre résistent à la notion « du passé ».
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Ce qui précède explique pour quelle raison les juifs politiques
(tant sionistes qu’antisionistes) ne seront jamais capables de
saisir ce qu’est la cause palestinienne ni de comprendre ce que
signifie le discours de la libération.
La libération palestinienne tourne entièrement autour de la
question de la terre. Il y est question de conserver la clé de la
porte d’entrée de votre grand-père depuis soixante ans. Il y
est question d’authentique sacrifice, de la douleur réelle
enracinée dans un passé organique qui ne diffère pas réellement
du présent, ni même du futur proche.
Tandis que le discours politique juif, lui, est tout entier axé
sur la volonté de faire passer l’image d’un nouveau Devenir,
la résistance palestinienne est tout entière une question d’Etre.
Etre qui vous êtes, aspirant à cette terre qui est enracinée
dans votre âme, comme un olivier.
La Palestine, c’est le véritable devenir.
La résistance palestinienne est, de fait, la renaissance de la
terre et la résurrection de l’âme.
Etre Palestinien, c’est se trouver sur le front de la lutte
mondiale pour la libération. Etre Palestinien, c’est être ce
que le juif politique n’a cessé de rêver devenir, mais qu’il
n’a jamais été.
Etre Palestinien, c’est être humain.
Contrairement au discours politique juif, lequel est engagé de
manière obsessionnelle dans la présentation d’un narratif
historique virtuel fait d’appartenance et de possession, les
Palestiniens sont les présocratiques de notre temps ; ils
n’ont jamais essayé de créer un roman national ; leur
roman national, c’est leur présent. Ils incarne l’épique de
la création et de la recréation. Ils sont l’Etant – étant
au milieu de l’Etant, ils sont, du même coup le véritable
Devenir de leur authentique libération.
Traduit
de l’anglais par Marcel Charbonnier
http://www.peacepalestine.blogspot.com/2007/02/gilad-atzmon-being-and-time.html
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