Quand j’avais 14 ans, ma famille déménagea d’un quartier
majoritairement juif de Long Island (New York), vers un autre
qui ne l’était absolument pas. Le pourcentage d’élèves juifs
dans ma classe chuta d’environ 80% à quelque 5%. Ce fut pour moi
un bouleversement spectaculaire.
Comme font tous les
minoritaires du monde, je cherchai à me raccrocher à tout qui
peut assurer un sentiment de sécurité et d’appartenance. Durant
mes premières semaines dans ma nouvelle école, je trouvai un ami
qui rentrait d’Israël. Sa famille se préparait à accomplir son
aliya [1]. Il
m’informa qu’il avait fondé dans notre ville une section du
mouvement de jeunesse sioniste Jeune Judée. Il m’invita à le
rejoindre. L’année suivante, je fus élu membre de l’exécutif
régional du mouvement. Durant ma dernière année d’études
secondaires, j’en fus le président pour la région de Long
Island.
Je passai l’année suivante en
Israël pour suivre un cours de formation de Jeune Judée. Durant
cette année, j’eus la confirmation qu’Israël était ma maison.
Après avoir décroché ma licence aux Etats-Unis (sur insistance
de mes parents), je retournai en Israël. Je devins citoyen
israélien.
A Jeune Judée, l’éducation
sioniste que je reçus et que je transmis à bien d’autres après
moi affirmait que ce déménagement vers Israël entraînait un
changement qualitatif dans votre conception du monde. C’était
bien plus qu’un changement d’adresse. En d’autres termes,
émigrer vers Israël devait revêtir une signification très vaste.
Devenir Israélien voulait dire contribuer de manière positive,
d’une manière ou d’une autre, au développement de l’Etat
d’Israël et du peuple juif. Alors, comme encore aujourd’hui, je
compris que le défi le plus pressant et le plus irrésistible
pour l’Etat d’Israël était/est de trouver une voie pour conclure
la paix avec nos voisins arabes. C’est ce à quoi j’ai consacré
les 30 dernières années de ma vie.
Si le but ultime du sionisme
est de créer un havre de paix pour le peuple juif, un endroit où
développer notre propre Etat et notre propre société, notre
culture et notre héritage, où prospérer et nous surpasser, alors
la principale limite à cet idéal est le conflit permanent avec
le monde arabe en général et les Palestiniens en particulier.
Je crois que la lutte pour le
sionisme ne fut jamais conçue comme conflit israélo-arabe. Notre
transformation historique en tant que peuple grâce au sionisme
fut altérée en cours de route par l’échec du monde arabe à
accepter l’Etat juif dans la région. Les incessantes guerres
israélo-arabes façonnèrent notre lutte pour notre identité dans
notre propre Etat. Beaucoup de notre identité actuelle est
souillée par notre incapacité à ce jour, malgré nos tentatives,
à construire une paix durable avec nos voisins.
Le principal conflit interne
actuel au sein même de l’Etat d’Israël concerne la nature de nos
relations avec nos voisins palestiniens. Même le second conflit
interne le plus urgent - celui qui oppose Juifs religieux et
Juifs laïques - se centre dans une grande mesure sur notre
relation à la Terre d’Israël et sur ce que ceci entraîne quant
au contrôle des territoires palestiniens. Pour beaucoup
d’Israéliens, le contrôle des territoires relève de problèmes de
sécurité. Pour beaucoup d’autres c’est avant tout une affaire
religieuse liée à la promesse de Dieu au peuple juif. C’est une
question de foi. Elle ne peut être débattue sur un plan
rationnel.
Sur la sécurité, notre
évaluation finale relative aux Palestiniens consiste à savoir
jusqu’à quel point ils sont vraiment intéressés et engagés à
conclure la paix avec Israël. Avec la question de « vouloir » la
paix se pose celle d’en être capables. L’évaluation implique la
manière dont nous percevons l’acceptation palestinienne du droit
d’Israël à exister. Les Palestiniens éprouvent toujours de
grandes difficultés à reconnaître ce droit, dans la mesure où
nous désirons définir Israël comme l’Etat du peuple juif.
D’autre part, l’écrasante majorité des Palestiniens, en ce
compris la quasi-totalité de la direction de l’OLP, se sont
complètement résignés à l’existence d’Israël comme fait
irréversible. Ils sont prêts à l’accepter dans le cadre d’un
accord de paix négocié.
Il n’existe aucun doute quant
à la détermination et à la capacité des Palestiniens à réprimer
le terrorisme et les attaques contre Israël. Ils en ont fourni
la preuve. Ils n’agissent pas ainsi par amour pour Israël. Mais
l’Autorité palestinienne en Cisjordanie comprend pleinement que
le terrorisme et les attaques contre Israël contrecarrent ses
propres intérêts nationaux, lesquels consistent à réaliser ses
aspirations à construire un Etat palestinien. Le peuple
palestinien désire que la communauté internationale accepte son
Etat comme membre à part entière. Ils affichent leur sens des
responsabilités à ce sujet, tant envers eux-mêmes qu’envers la
communauté internationale. C’est pourquoi celle-ci a accepté de
doter l’Autorité palestinienne de 250 millions de dollars
supplémentaires destinés aux services de sécurité palestiniens,
au système judiciaire ainsi qu’à l’érection de prisons en
Cisjordanie. Au-delà de ce que les Palestiniens accomplissent
pour eux-mêmes, la sécurité d’Israël sera toujours assurée et
garantie par Israël lui-même. Une coopération et une
coordination positives entre les services de sécurité de chaque
camp fournira la meilleure garantie de sécurité à long terme
pour chaque peuple.
Relever la dimension
sécuritaire des relations israélo-palestiniennes nous force à
saisir les limites et la fragilité de la réalité actuelle.
Jusqu’à un certain point, c’est la question de « la poule et
l’œuf ». Les Palestiniens s’activeront à empêcher des attaques
contre Israël tant qu’un processus de paix négocié offrira
l’espoir d’un accord. Les Palestiniens relanceront leur lutte,
en ce compris la lutte armée, s’ils perçoivent que l’occupation
perdure sans fin et que ne s’établit aucun Etat palestinien aux
côtés d’Israël. Pour ceux des Israéliens prêts à consentir à des
concessions territoriales aux Palestiniens si elles assurent
leur sécurité, il est important de comprendre la relation
dynamique entre sécurité et territoire. Persister à garder sous
contrôle des territoires considérés par les Palestiniens comme
leur futur Etat aura pour résultat d’amoindrir la performance
palestinienne dans le domaine de la sécurité. A cet égard, le
concept sioniste selon lequel ériger des implantations améliore
la sécurité est complètement faux. Perpétuer l’existence et
l’expansion des implantations [juives] en terres palestiniennes
met directement en danger la sécurité de l’Etat d’Israël et des
Israéliens.
Par définition, faire la paix
c’est prendre des risques. Il faut évaluer ces risques sur base
des intérêts et des perceptions de la menace. Le risque majeur
qui pèse aujourd’hui sur la pérennité de l’entreprise sioniste
réside en notre éventuelle incapacité à nous extraire nous-mêmes
de l’occupation. Le temps nous est compté quant à la viabilité
et à la faisabilité de créer un Etat palestinien aux côtés
d’Israël. L’avenir du peuple juif en Terre d’Israël n’avait
jusqu’ici jamais été aussi inextricablement lié aux aspirations
du peuple palestinien. L’accomplissement des aspirations
nationales du peuple palestinien est ce qui permettra
l’accomplissement ultime des aspirations nationales juives.
Notre sécurité est leur sécurité. Leur sécurité est la nôtre. Le
temps presse pour chacun de nous. Mais il en reste encore assez
pour parvenir à un accord qui sauvera chaque mouvement national
de la destruction mutuelle.
Gershon Baskin est co-directeur israélien de
l’IPCRI-Israel/Palestine Center for Research and Information
[1]
Aliya : émigration, littéralement « montée », en Israël. NdT.
Traduction Kol Shalom
Publié le
8 juillet 2008 avec l'aimable autorisation de Kol Shalom.