Opinion
Opérations
militaires de l'OTAN en Libye:
accélérateur d'une dislocation
géopolitique mondiale ?
Dimanche 24 juillet
2011
Résumé et synthèse par Xavière
Jardez (Revue de
presse : GEAB – 6/7/11)
Dans son bulletin GEAB N° 51 (Global
Europe Anticipation Bulletin – janvier
2011)*, le
Laboratoire Européen d'Anticipation
Politique (LEAP) – think tank
monégasque dirigé par Franck Biancheri -
prévoyait que l’année 2011 serait une
année difficile pour ceux qui n’étaient
pas préparés à la crise systémique
globale, c'est-à-dire « une crise
que affecte les fondements même du
système (tous les secteurs et tous les
relais, et non pas un secteur
particulier comme c'était le cas avec la
bulle Internet par exemple) et une crise
qui affecte simultanément toute la
planète (et non pas comme en 1929 un
espace atlantique Etats-Unis et Europe
de l'Ouest encore peu intégré in
fine) ». Selon le LEAP,
l’intervention anglo-américano-française
en Libye en est la parfaite illustration
ainsi qu’un puissant soutien à la
dislocation géopolitique mondiale.
On demanda à l’opinion publique
d’approuver, non de penser
Le vrai contexte du conflit libyen n’a
rien à voir avec ce que gouvernements et
médias en donnent tant en
Grande-Bretagne qu’en France et aux
Etats-Unis. Il débute avec la révolution
en Tunisie et sa propagation aux autres
pays arabes avec des résultats
divergents. Dans l’analyse de GEAB
52 (février 2011), la Libye
apparaissait dans la catégorie des « pays
dont les régimes pouvaient contenir
jusqu’à la fin de 2012, en recourant à
la violence, les tentatives de
changement ». Y figuraient aussi
l’Algérie, l’Arabie saoudite, la Syrie
contre lesquels, selon le bulletin, ni
la Grande-Bretagne, ni la France, ni les
Etats-Unis n’oseraient lancer une action
militaire « pour défendre les
populations » ou « accélérer
le changement » pour les raisons
suivantes :
- une trop grande population
- des régimes dont la déstabilisation
serait dangereuse pour l’Occident
- des implications régionales
potentiellement « explosives »
- des obstacles logistiques
- une certaine opposition de puissances
non-occidentales à une résolution
onusienne de soutien
- un destin militaire incertain
- un fort impact sur les prix
mondiaux du pétrole et du gaz.
La différence de traitement entre la
Libye et ces derniers pays est que les
opérations militaires y apparaissaient
techniquement, politiquement et
militairement possibles à moindre
risque, contrairement aux pays cités.
Kadhafi a été diabolisé dans les médias
occidentaux mais a été courtisé, ces
dernières années par les leaders
occidentaux, notamment Sarkozy lui
offrant tous les honneurs, pour lui
vendre armes et réacteurs nucléaires.
Son pays est vaste mais peu peuplé,
croulant sous le pétrole dans une région
hostile à la centralisation du pouvoir.
Il était donc la cible rêvée si l’on
arrivait à donner à cette action
militaire une légitimité internationale.
Qui fut la suivante :
« Le peuple libyen est attaqué
brutalement par un dictateur
méprisable ; les démocraties (une
espèce de mini-OTAN) doivent
protéger de toute urgence le peuple
libyen en révolte (dont personne n’a
vu de photos même dans Benghazi, à
l’inverse de ce qui s’est passé pour les
foules en Egypte, au Yémen à Bahreïn,
Jordanie), de massacres de masse
perpétrés par le dictateur libyen (ici
encore pas de preuves, pas de photos) ;
les révolutionnaires ont de plus formé
un gouvernement alternatif dont la
légitimité doit être soutenue (sans
savoir vraiment qui en faisait partie à
l’exception de l’ancien ministre de
l’intérieur, Abdel Fattah Younis –
certainement un grand démocrate - et
quelques exilés de Londres et des
Etats-Unis depuis des décennies). »
On demanda donc, spécialement en France,
à l’opinion publique d’approuver, non de
penser.
Pas de plan B en cas d’échec occidental
Les jours qui suivirent ont très
rapidement montré que le peuple libyen
ne s’est pas soulevé, … que les
services secrets français, britanniques
et la CIA opéraient en Libye bien avant
le « déclenchement » officiel de la
rébellion ; que le soutien à
cette coalition de la part des pays
arabes ou africains a été quasi
inexistant ; qu’une large portion de
l’Occident (Allemagne, Pologne…)
a été opposé à cette intervention
militaire ; que Sarkozy, Cameron et
Obama n’avaient pas de plan B si le
« blitzkrieg » échouait, que la
situation était source de risques
géopolitiques majeurs pour le monde
arabe et l’Europe.
(….)
Quels étaient les objectifs des
participants à l’intervention
militaire ? Pour Obama, pris au piège de
l’effondrement du « mur du
pétro-dollar » dû à la révolution
arabe, et englué dans des problèmes
budgétaires, financiers et économiques,
à qui il était impossible de s’afficher
comme un adversaire direct d’un autre
pays musulman après l’Irak et
l’Afghanistan, il s’agit de maintenir « le
mur » par l’établissement de
régimes « amis », de consolider
le camp occidental en générant des
conflits entre l’Occident et le reste du
monde, de vendre des armes et
d’engendrer des zones d’instabilité
autour de l’Europe pour ralentir toute
velléité d’indépendance
stratégique de l’Europe. Pour Cameron,
soutien fidèle des Etats-Unis, ses buts
traditionnels épousent ceux de leur
parrain, et s’y ajoute, celui jamais
démenti, d’affaiblir la cohésion de
l’Europe continentale. Sarkozy, converti
aux vertus de l’américanisme, légitimant
au nom de la démocratie, tout action
servant les intérêts de l’Occident, a
abandonné, sur l’autel de
l’intervention en Libye, les deux
pendants de la politique étrangère des
dernières décennies, à savoir, le
renforcement de la cohésion européenne
autour de la France et de l’Allemagne et
l’affaiblissement de l’influence US en
Méditerranée. Pour Sarkozy, même les
plus fervents soutiens à l’intervention
en Libye affirment qu’elle est là à des
fins de politique domestique, pour
remonter sa popularité. Si rien ne
marche en Libye, il deviendra pour
Obama, le principal coupable.
Quant aux pays arabes, opposés
a priori à l’intervention en Libye, ils
s’y sont ralliés car le danger pour
eux n’est pas Kadhafi, mais les
révolutions populaires arabes et
tout ce qui peut les affaiblir est le
bienvenu. Ils ont ainsi eu le
plaisir de voir l’Occident engager un
conflit qui leur évite d’étendre un
soutien aux mouvements révolutionnaires
qui éclatent chez leurs voisins. Si
Israël joue dans ce conflit la carte de
la discrétion, il ne fait aucun doute
que son influence est primordiale dans
le conflit libyen, car il lui permet de
miner le mouvement révolutionnaire arabe
qui l’inquiète.
Cauchemar géopolitique
C’est ainsi que le conflit libyen
accélère le processus de dislocation
géopolitique mondial selon certaines
lignes :
- incapacité des Etats-Unis à assumer le
leadership militaire. Depuis 1945, c’est
la première fois que la coalition qu’ils
ont assemblée réunit si peu de pays.
L’Occident étant réduit au strict
minimum. Il n’y a ni Asiatiques, ni
Africains, ni Latino-Américains. Des
Arabes, seul le Qatar est visible.
- LEAP pense que le conflit libyen
aboutira à l’émergence d’un vrai centre
européen de défense et au-delà de la
défense, la position de l’Allemagne axée
sur la diplomatie prévaudra.
- failles dans l’unité de l’OTAN
- naissance d’une diplomatie Euro-BRIC
avec l’abstention de l’Allemagne au
Conseil de Sécurité fidèle à sa ligne
d’indépendance vis-à-vis de Washington,
initiée par Schröeder
- impasse de l’Europe sur la « Somalie
méditerranéenne » : piraterie, mafias en
tous genres,
terrorisme, instabilité régionale…
ces conséquences sont loin des promesses
de changements démocratiques en Libye
prophétisées par la coalition.
L’intervention en Libye peut donner lieu
à un cauchemar géopolitique pire que
celui de la Yougoslavie, l’Irak et
l’Afghanistan réunis. Elle est une
aubaine pour ceux qui souhaitent
affaiblir les mouvements
révolutionnaires dans le monde arabe. En
France, concernant cette guerre, la
propagande médiatique est telle qu’il
est impossible d’accorder la moindre foi
aux sondages. Le Laboratoire
Européen d'Anticipation Politique
(LEAP) remarque d’ailleurs que
« la cote de popularité d Nicolas
Sarkozy continue de chuter, ce qui est
bien incompatible avec les fortes
adhésions à sa politique libyenne
affirmées par les sondeurs » (1).
Version intégral :
http://www.leap2020.eu/Operation-militaire-en-Libye-Un-accelerateur-puissant-de-la-dislocation-geopolitique-mondiale_a6826.html
(1)
Alors qu’en mars 63% des Français
soutenaient -
soi-disant
- l’intervention française en Libye, le
1er
juillet ils n’étaient plus que 30% à y
être
« plutôt favorable ».
Selon une enquête de l’hebdomadaire
Le
Point,
publiée le 20 juillet : 66% des Français
ne souhaitent pas la réélection de
Nicolas Sarkozy.
*
Le bulletin GEAB est la lettre
confidentielle du Laboratoire
Européen d'Anticipation Politique
que dirige Franck Biancheri, un des père
du programme Erasmus, longtemps
conseiller du département des Relations
extérieures et pour les Affaires
économiques et financières
internationales de la Principauté de
Monaco. Ses analyses et prévisions
suscitent toujours un grand intérêt.
© G. Munier/X.Jardez
Publié le 30 juillet 2011 avec l'aimable
autorisation de Gilles Munier
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