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Nucléaire
La dissuasion nucléaire est contraire au droit international
Francis Boyle
Mercredi 21 octobre 2009
Si l’usage d’armes de destruction massive est contraire au droit
international, la menace d’y recourir l’est aussi, rappelle le
professeur Francis Boyle. Ce qui implique que la doctrine de la
dissuasion nucléaire est illicite ainsi que l’a formellement
établit la Cour internationale de Justice de La Haye, en 1996.
Comme la preuve de l’illicéité de la dissuasion nucléaire a
une importance capitale, je reproduis ici le texte complet du
paragraphe 47 de l’avis consultatif de la Cour internationale de
justice [1] :
« En vue de diminuer ou d’éliminer les risques d’agression
illicite, les États font parfois savoir qu’ils détiennent
certaines armes destinées à être employées en légitime défense
contre tout État qui violerait leur intégrité territoriale ou
leur indépendance politique. La question de savoir si une
intention affichée de recourir à la force, dans le cas où
certains événements se produiraient, constitue ou non une
« menace » au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la [Charte
[des Nations Unies]->article9287.html] est tributaire de divers
facteurs. Si l’emploi de la force envisagé est lui-même
illicite, se déclarer prêt à y recourir constitue une menace
interdite en vertu de l’article 2, paragraphe 4. Aussi serait-il
illicite pour un État de menacer un autre État de recourir à la
force pour obtenir de lui un territoire ou pour l’obliger à
suivre ou à ne pas suivre certaines orientations politiques ou
économiques. Les notions de ‹menace› et d’‹emploi› de la force
au sens de l’article 2, paragraphe 4, de la Charte vont de pair
en ce sens que si, dans un cas donné, l’emploi même de la force
est illicite – pour quelque raison que ce soit – la menace d’y
recourir le sera également. En bref, un État ne peut, de manière
licite, se déclarer prêt à employer la force que si cet emploi
est conforme aux dispositions de la Charte. Du reste, aucun État
– qu’il ait défendu ou non la politique de dissuasion – n’a
soutenu devant la Cour qu’il serait licite de menacer d’employer
la force au cas où l’emploi de la force envisagé serait
illicite. »
Il s’agit là d’un des passages les plus importants de l’avis.
Il remet en cause toute la base de la licéité de la « dissuasion
nucléaire ». En bref : comme toute destruction massive est
contraire au droit et criminelle, toute menace de destruction
massive est par là même également contraire au droit et
criminelle. Donc la dissuasion nucléaire est de toute évidence
illicite et criminelle.
Examinons la phrase-clé suivante : « Si l’emploi de la force
envisagé est lui-même illicite, se déclarer prêt à y recourir
constitue une menace interdite en vertu de l’article 2,
paragraphe 4. » Comme l’anéantissement de villes et
l’annihilation de millions d’humains est de toute évidence
contraire au droit, il s’ensuit que si un État menace de le
faire, il viole le droit. C’est précisément ce que font
actuellement les États possédant l’arme nucléaire avec la
dissuasion nucléaire, autrement dit l’équilibre de la terreur [Mutual
Assured Destruction (MAD), destruction mutuelle assurée].
Le paragraphe 47 poursuit ainsi : « Les notions de ‹menace›
et d’‹emploi› de la force au sens de l’article 2, paragraphe 4,
de la Charte vont de pair en ce sens que si, dans un cas donné,
l’emploi même de la force est illicite – pour quelque raison que
ce soit – la menace d’y recourir le sera également. » Encore une
fois : comme l’annihilation massive de millions d’humains est de
toute évidence contraire au droit, la menace de le faire l’est
également. Ici, la Cour condamne à nouveau implicitement la
dissuasion nucléaire.
Ensuite, on peut lire : « En bref, un État ne peut, de
manière licite, se déclarer prêt à employer la force que si cet
emploi est conforme aux dispositions de la Charte. » Or, à
nouveau, la menace de destruction massive qui est au centre de
la dissuasion nucléaire, apparaît comme incompatible avec la
Charte. La Cour conclut avec la remarque : « Du reste, aucun
État – qu’il ait défendu ou non la politique de dissuasion – n’a
soutenu devant la Cour qu’il serait licite de menacer d’employer
la force au cas où l’emploi de la force envisagé serait
illicite. » Encore une fois : un État n’a pas le droit de
menacer d’employer la force si son emploi est contraire au droit
et aucun des États n’a soutenu devant la Cour un point de vue
opposé bien que l’occasion s’en soit présentée. La Cour a
stipulé que les États possédant l’arme nucléaire, en fonction de
leur propre argumentation, ne pourront pas à l’avenir contester
légalement l’idée que la dissuasion nucléaire est contraire au
droit. La dissuasion nucléaire est illicite et criminelle car
elle repose sur la menace crédible de faire une chose –
l’annihilation massive de civils – qui est considérée, au moins
depuis la Charte de Nuremberg de 1945, comme contraire au droit
et criminelle.
[1]
Francis Boyle se réfère à l’avis consultatif publié le 8 juillet
1996 par la Cour internationale de justice. Cet avis faisait
suite à la Résolution 49/75 K de l’Assemblée générale des
Nations Unies qui demandait, le 15 décembre 1994, à la Cour
internationale de justice de rendre dans les meilleurs délais un
avis consultatif sur la question suivante : « Est-il licite,
selon le droit international, de recourir à la menace ou à
l’emploi d’armes nucléaires dans quelques circonstances que ce
soit ? »
Francis Boyle,
professeur de droit international. Il rédigea aux États-Unis la
loi anti-terrorisme de 1989 sur les armes biochimiques,
transcrivant en droit national la Convention sur les armes
biologiques de 1972. Titulaire de deux doctorats de l’université
de Harvard, un de Droit (Magna cum laude) et un en Sciences
politiques, il enseigne à l’université de l’Illinois, à
Champaigne. Dernier ouvrage publié en français :
Guerre biologique et terrorisme.
Source:
Horizons et débats
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