Opinion
Fonds souverains
libyens :
les « rebelles » réclament 2,5 milliards
cash
Francesco Piccioni
Jeudi 25 août 2011
La guerre a été
faite pour des raisons purement
humanitaires et gare à vous si vous en
doutez.
Les plus malveillants iront aussi
penser que le pétrole (production : 1,6
millions de barils par jour, en
conditions normales) y est pour quelque
chose, mais rien de plus. Ensuite, les
« rebelles » se réunissent à Doha, dans
le Golfe persique, pour essayer de
débloquer les « fonds souverains
libyens » qui circulent de par le monde.
Ou bien au moins 2,5 milliards de
dollars cash, pour payer immédiatement
« les salaires » du gouvernement in
pectore (ceux qui s’y croient
déjà, NdT) et diverses autres
dépenses dans un pays ravagé par les
bombardements.
La Suisse a déjà fait savoir
qu’elle est prête ; il ne lui manque que
l’accord du Conseil de sécurité de l’Onu
-qui a « congelé » au début de la guerre
tous les fonds remontant à Tripoli.
Mais à Berne on pense que
l’affaire sera vite réglée. Dès
qu’arrivera l’accord, les comptes
redeviendront actifs et à disposition
des « propriétaires légitimes », qui
seront entre temps nommés par le
« nouveau gouvernement ». Un édifice
assez compliqué, et qui, bien sûr, n’est
pas facile à « restituer » sans quelque
résistance de la part des
« détenteurs ». Mais Mahmou Jibril (hier,
mercredi 24 août, en visite à l’Elysée,
aujourd’hui à Rome chez Berlusconi, NdT)
président exécutif du Cnt, réclame qu’on
trouve la somme minimale nécessaire
d’ici la fin du Ramadan, c’est-à-dire
dans quelques jours.
Les avoirs de Tripoli qui sont en
circulation dans le monde ne sont pas
des petits sous : en 2004, Kadhafi avait
été effacé de la liste des « Etats
voyous » (et c’était l’époque de Bush,
un connaisseur). La Libyan Investment
Authority (Lia) a eu à gérer un
surplus annuel de plus de 30 milliards
de dollars provenant des ventes de
pétrole, et, très rapidement, la somme
destinée aux investissements à
l’étranger est devenue réellement
conséquente. On parle d’au moins 70
milliards, mais ce doit être beaucoup
plus.
En janvier (2011), par exemple,
le très peu patriote représentant de la
Lia, Mohammed Layas, a -comme le
rappellent Wikileaks et Dinucci[1]-
prévenu l’ambassadeur étasunien que son
institut
venait de verser 32 milliards de
dollars dans les banques étasuniennes.
Un mois plus tard ils étaient tous
séquestrés. Un vol tout en souplesse,
avant la rapine à main armée qu’on
appelle guerre. 45 autres milliards sont
sûrement gardés dans des banques
européennes : surtout françaises et
anglaises (là aussi on pourrait avoir
quelque soupçon…), sans parler des
dizaines
d’autres investissements dans
quasiment le monde entier. Le cas
italien a été au centre de trop de
polémiques pour en parler encore de
façon diffuse. La participation libyenne
à Unicredit, qui a coûté à Alessandro
Profumo son fauteuil de directeur[2],
a un poids de 7,5% dans la banque (plus
de 1,5 milliard, à sa valeur d’hier). On
trouve des participations importantes
aussi chez Finmeccanica (2%), Eni (1%)
et, depuis toujours, à la Juventus
(7,5), tandis que le départ de chez Fiat
(sur pressions de Reagan) remonte à
1986.
Outre la Lia, opère aussi dans le
monde la Banque centrale (libyenne,
NdT), même si ce n’est pas toujours
directement en son nom propre.
Par exemple, en Italie, elle
détient 60% de Arab banking
Corporation, dont le siège est à
Milan. Tout aussi forte sa présence chez
Tamoil et dans le groupe Olcese. Nombre
de ces participations sont cependant
difficiles à reconstruire, parce que de
petites dimensions, et effectuées par
l’intermédiaire de « sociétés vecteurs »
en rien transparentes : elles opéraient
ainsi à l’époque pour contourner
l’embargo étasunien, et ensuite, elles
se sont trouvées très bien « dans
l’ombre ». Tarak Ben Ammar a dû
intervenir plusieurs fois pour
redimensionner la participation libyenne
à Mediaset (le groupe de presse de S.
Berlusconi, NdT). En France, la
Banque centrale est présente pour 10%
dans Quinta Communications, mais aussi
chez Lagardère, EdF,
Alcatel, Bnp Paribas. Aux
Etats-Unis -après la fin de l’embargo-
la liste est pratiquement infinie : de
la tristement célèbre Halliburton à
Xérox, Honeywell, Exxon, Chevron et
Pfizer.
En Angleterre les sociétés
suivantes ont aussi un sociétaire venant
du gouvernement libyen : Glaxo, Shell,
Vodafone, British Petroleum.
Mais, pour faire de bonnes
affaires, on ne s’est pas laissé
distancer non plus ni en Allemagne
(Siemens), ni en Russie (Rusal et
Norilsk), ni en Espagne (Repsol), et pas
non plus, bien sûr, en Suisse (Nestlé).
Le traitement réservé aux fonds
souverains libyens ouvre cependant une
partie dangereuse avec les autres
« fonds souverains » de pays « non
totalement démocratiques » opérant sur
les marchés du monde entier.
La prudence sera maintenant
encore plus grande chez les Chinois, à
Singapour (le très puissant Temasek) et,
bien entendu, pour tous les fonds -sans
aucune exclusion- des pays du Golfe.
Parce qu’une monarchie, bien que
« petro », n’est par définition pas
démocratique. Non ?
Edition de jeudi 25
août 2011 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110825/manip2pg/08/manip2pz/308854/
Traduit de
l’italien par Marie-Ange Patrizio
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