Opinion
La guerre inévitable
de l'OTAN
Fidel Castro Ruz
Fidel Castro - Photo:
RIA Novosti
Mercredi 2 mars 2011
À la différence de l’Égypte et de la Tunisie, la Libye
occupe la première place de toute l’Afrique en Indice du développement humain et
en espérance de vie. L’éducation et la santé y reçoivent une
attention spéciale de l’État. Le niveau culturel de sa population
est sans doute plus élevé. Ses problèmes sont d’une autre
nature. La population ne manquait pas d’aliments ni des services
sociaux indispensables. Le pays avait besoin d’une importante
main-d’œuvre étrangère pour concrétiser ses plans de production
et de développement social ambitieux.
Aussi fournissait-il du travail à des centaines de milliers
d’Égyptiens, de Tunisiens, de Chinois et d’autres nationalités.
Il disposait d’énormes ressources et réserves en devises
convertibles, déposées dans les banques des pays riches, ce qui
lui permettait d’acheter des biens de consommation, voire des
armes perfectionnées, auprès de ces mêmes pays qui veulent
aujourd’hui l’envahir au nom des droits humains.
La colossale campagne de mensonges orchestrée par les médias a
provoqué une grande confusion dans l’opinion publique mondiale.
Il se passera du temps avant qu’on puisse reconstruire ce qu’il
s’est vraiment passé en Libye et trier les faits réels des
mensonges divulgués.
Des chaînes sérieuses et prestigieuses comme TeleSur ont été
contraintes d’envoyer des reporters et des opérateurs dans un
camp et dans l’autre pour informer de ce qu’il se passe
vraiment.
Les communications étaient bloquées, les diplomates honnêtes
risquaient leur vie en parcourant les
quartiers et en observant les activités, de jour ou de nuit,
pour faire connaître les événements. L’Empire et ses principaux
alliés recourent aux moyens les plus perfectionnés pour diffuser
des informations dont il faut déduire des brins de vérité.
Les visages des jeunes qui protestaient à Benghazi, des hommes
et des femmes portant ou non le voile, exprimaient sans aucun
doute une indignation réelle.
On peut apprécier l’influence qu’exerce encore la composante
tribale dans ce pays arabe où 95 p. 100 de la population est
musulmane.
L’Empire et l’OTAN – sérieusement inquiets devant la vague
révolutionnaire déclenchée dans le monde arabe qui produit une
grande partie du pétrole sur lequel repose l’économie de
consommation des pays développés et riches – ne pouvaient pas
laisser filer l’occasion du conflit interne surgi en Libye pour
promouvoir une intervention militaire. Les déclarations
formulées par l’administration étasunienne dès le premier moment
ont été catégoriques à cet égard.
Les circonstances ne pouvaient être plus propices. La droite
républicaine a, aux élections de novembre dernier, assené un
coup très fort au président Obama, cet expert en rhétorique.
Le groupe fasciste de la « mission remplie », soutenu maintenant
sur le plan idéologique par les extrémistes du
Tea Party, a réduit
les possibilités du président à un rôle tout simplement
décoratif ; son programme de santé est en danger, ainsi que la
douteuse relance de l’économie à cause du déficit budgétaire et
du gonflement incontrôlable de la dette publique qui bat
désormais tous les records historiques.
Malgré leur déluge de mensonges et la confusion qu’ils ont
semée, les États-Unis ne sont pas parvenus à entraîner
la Chine
et
la Fédération
de Russie à faire adopter par le Conseil de sécurité une
intervention militaire en Libye, bien qu’ils aient obtenu en
revanche l’approbation de leur objectif momentané au Conseil des
droits de l’homme. La secrétaire d’État n’a laissé planer aucun
doute quant à une intervention militaire : « Nous n’écartons
aucune option. »
Le fait est que, comme je l’avais prévu,
la Libye
est désormais en proie à une guerre civile que les Nations Unies
n’ont rien pu faire pour éviter, même si leur secrétaire général
a jeté sa bonne part d’huile sur le feu.
Le hic – ce que les différents acteurs n’imaginaient sans doute
pas – c’est que les chefs de la rébellion ont déclaré qu’ils
refusaient toute intervention militaire étrangère.
Selon différentes agences de presse,
Hafiz Ghoga, porte-parole du Comité de la révolution, a déclaré
le lundi 28 février :
« "C’est le peuple libyen qui libérera le reste du pays". »
« "Nous avons l’armée requise pour libérer Tripoli" – a-t-il
assuré en annonçant la formation d’un "Conseil national" pour
représenter les villes du pays aux mains de l’insurrection.
« "Ce que nous voulons,
ce sont des informations secrètes, mais absolument pas qu’on
touche à notre souveraineté aérienne, terrestre et maritime",
a-t-il ajouté lors d’une rencontre avec les journalistes dans
cette ville située à mille kilomètres à l’est de Tripoli.
Selon une dépêche de l’AFP de lundi dernier,
« l’intransigeance des
responsables de l’opposition en matière de souveraineté
nationale reflétait l’opinion que de nombreux Libyens ont
manifestée spontanément à la presse internationale à Benghazi ».
Une professeure de sciences politiques de l’université de
Benghazi,
Abeir Imneina, a
affirmé ce même jour :
« " Il y a un très
fort sentiment national en Libye."
« "De plus, l'exemple
de l'Irak fait peur dans l'ensemble du monde arabe",
souligne-t-elle, en référence à l'invasion américaine de 2003,
censée apporter la démocratie dans le pays, puis par contagion à
l'ensemble de la région, un scénario totalement démenti par les
faits.
« "On sait bien
comment cela s'est passé en Irak, qui se trouve en pleine
instabilité, ça ne donne vraiment pas envie de suivre le même
chemin. On ne veut pas que les Américains viennent pour finir
par devoir regretter Kadhafi".
« Selon Abeir
Imneina, "il y a aussi le sentiment que c'est notre révolution,
que c'est à nous qu'il appartient de la faire". »
Quelques heures après la diffusion de cette dépêche, deux des
principaux journaux des USA, The New York Times et
The
Washington Post, s’empressèrent d’offrir de nouvelles
versions sur ce point, que rapporte l’agence DPA le 1er
mars :
« L’opposition libyenne pourrait demander à l’Occident de
bombarder par
air des
positions stratégiques occupées par des forces fidèles au
président Mouammar el-Kadhafi, fait savoir aujourd’hui la presse
étasunienne.
« La question est discutée par le Conseil révolutionnaire
libyen, précisent
The New York Times
et
The Washington Post
dans leurs versions numériques.
« Selon
The New York Times,
ces discussions traduisent la frustration croissante des chefs
rebelles devant la possibilité que Kadhafi récupère le pouvoir.
« Au cas où les actions aériennes se réaliseraient dans le cadre
des Nations Unies, cela n’impliquerait aucun intervention
internationale, a expliqué le porte-parole du Conseil, cité par
The New York Times.
« Le Conseil est constitué d’avocats, d’universitaires, de juges
et de notables de la société libyenne.
« The
Washington Post
a cité
des rebelles qui reconnaissent que, sans l’appui de l’Occident,
les combats contre les forces loyales à Kadhafi pourraient durer
longtemps et coûter beaucoup de vie. »
Il est curieux que cette liste du Conseil ne signale aucun
ouvrier, aucun paysan, aucun bâtisseur, aucune personne en
rapport avec la production matérielle, ou un jeune étudiant ou
un combattant de ceux qu’on voit dans les manifestations.
Pourquoi cette insistance à présenter les rebelles comme des
membres éminents de la société libyenne en train d’inviter les
États-Unis et l’OTAN à bombarder et à tuer des Libyens ?
On saura un jour la vérité à travers des gens comme la
professeure de sciences politiques de l’Université de Benghazi,
si éloquente quand elle raconte la terrible expérience qu’ont
vécue des millions d’Iraquiens, tués, sans abri, sans emploi ou
contraints d’émigrer.
Aujourd’hui, mercredi 2 mars, l’agence EFE présente ce
porte-parole rebelle faisant des déclarations qui, à mon avis,
infirment et confirment à la fois celles de lundi :
« Benghazi (Libye), 2 mars. La direction rebelle en Libye a
demandé aujourd’hui au Conseil de sécurité de l’ONU de lancer
une attaque aérienne "contre les mercenaires" du régime Mouammar
el-Kadhafi.
« "Notre armée ne peut pas lancer des attaques contre les
mercenaires en raison de son rôle défensif", a affirmé le
porte-parole rebelle
Hafiz Ghoga en conférence
de presse à Benghazi.
« "Une attaque aérienne stratégique est différente d’une
intervention étrangère, que nous refusons", a souligné le
porte-parole de forces d’opposition qui se sont montrées
contraires à tout moment à une intervention militaire étrangère
dans le conflit libyen. »
À laquelle des nombreuses guerres impérialistes
ressemblerait celle-ci ?
À celle d’Espagne en 1936, à celle de Mussolini contre
l’Éthiopie en 1935, à celle de George W. Bush contre l’Iraq en
2003, ou à n’importe laquelle des dizaines de guerres lancées
par les États-Unis contre les peuples d’Amérique, depuis
l’invasion du Mexique en 1846 jusqu’à celle des Malvinas en
1982 ?
Sans exclure, bien entendu, l’invasion mercenaire de Playa Girón,
la sale guerre et le blocus contre notre patrie, une invasion
dont nous fêterons le cinquantième anniversaire le 16 avril
prochain.
Toutes ces guerres, comme celle du Viet Nam qui a coûté des
millions de vies, ont eu pour points de départ les
justifications et les mesures les plus cyniques.
Pour ceux qui doutent encore qu’une intervention militaire aura
forcément lieu en Libye, je tiens à citer l’agence de presse AP,
que je considère bien informée, dont un
dépêche d’aujourd’hui affirme :
« Les pays de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
(OTAN) élaborent un plan d’urgence qui prend pour modèle les
zones d’exclusion de vols établies dans les Balkans dans les
années 90, au cas où la communauté internationale déciderait
d’imposer un embargo aérien sur
la Libye,
ont affirmé des diplomates. »
Et de conclure :
« Selon ces fonctionnaires, qui devaient conserver l’anonymat en
raison du caractère délicat de la question, les options
envisagées reprennent l’idée de la zone d’exclusion de vols
imposée par l’alliance militaire occidentale sur
la Bosnie
en 1993, qui eut l’aval du Conseil de sécurité, et lors des
bombardements de l’OTAN sur le Kosovo en 1999, QUI NE L’EURENT
PAS. »
À suivre demain,
Fidel Castro Ruz
Le 2 mars 2011
Le dossier Libye
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