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Expresso.republica.it
Opération
essaim de feu
Général Fabio Mini
Le général Fabio Mini
on Expresso.republica.it, 8 octobre 2007
http://espresso.repubblica.it/dettaglio/Operazione-sciame-di-fuoco/1796788
« Tout est prêt, en vue de la guerre. L’offensive ne frappera pas seulement les
installations nucléaires, mais elle anéantira toute la puissance
iranienne. En concentrant les forces offensives les plus modernes
sous la forme de hordes semblables à celles de Gengis Khan. »
L'usine nucléaire iranienne de Bushehr
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Ceux qui pensaient que le feu vert à
l’attaque israélo-américaine contre l’Iran serait venu du
Congrès des Etats-Unis étaient dans l’erreur. Comme étaient
dans l’erreur ceux qui pensaient qu’un président Bush frustré
par le chaos irakien, par la situation en Afghanistan et par les
pressions du lobby militaro-industriel aurait fini par décider
seul. C’est grâce aux déclarations du nouveau ministre français
des Affaires étrangères que l’attaque contre l’Iran aura
lieu. Dans ces années de menaces et de contre-menaces,
d’excuses et de prétextes pour faire la guerre, les seuls
propos « révélateurs » jamais formulés jusqu’ici
sont ceux contenus dans la phrase laconique en français :
« nous devons nous préparer au pire ». Beaucoup
l’ont prise comme une gaffe, d’autres y ont vu une provocation
fanfaronne, d’autres encore l’ont considérée comme une
incitation, et d’autres, enfin, comme une résignation devant un
événement inéluctable. Cette phrase contient peut-être bien
tout cela, mais l’essence profonde des propos de Kouchner est
tout autre. |
Durant ces quinze dernières années
d’interventions militaires de divers types et dans toutes les régions
du monde, des connexions et des affinités étranges se sont mises
en place. Les armées sont intégrées par les entrepreneurs privés,
les idéalistes le sont par les mercenaires, les affaires par
l’idéologie, et la vérité s’est mêlée à des mensonges
que même la logique de la propagande ne parvient plus à excuser.
Et une des connexions les plus insolites est celle qui s’est réalisée
entre militaires, intervenants humanitaires et politique étrangère,
jusqu’à permettre que chacune de ces trois composantes puisse
se reposer sur les deux autres. Le liant principal de cette
alliance, c’est la concession de l’urgence. La politique étrangère
a perdu son caractère de continuité des rapports entre les Etats,
au sein des organisations internationales. Depuis longtemps, désormais,
on se consacre à gérer des rapports d’urgence, des rapports
temporaires liés à des intérêts ou à des positions
transitoires, susceptibles de changer, à géométries variables.
D’autre part, cette politique de l’urgence est la seule qui
permette des engagements limités et sélectifs. De plus, étant
donné que l’ampleur de l’urgence peut faire l’objet de
manipulation ou d’interprétation, elle peut être construite ou
déconstruite, à volonté. Selon une même logique, les armées,
durant ces quinze dernières années écoulées, se sont vouées
exclusivement à l’émergence, de préférence à l’extérieur
et pour des motifs ainsi dit humanitaires, de façon à
s’assurer d’un consensus et d’un soutien. Il n’y a plus
d’armée capable de défendre son propre territoire ou
d’assurer la défense, en cas de guerre. Il est de plus en plus
difficile de trouver un Etat qui soit menacé de guerre par un
autre Etat, et toutes les armées du monde comptent,
aujourd’hui, sur un préavis d’au moins douze mois pour
mobiliser les ressources adéquates à la défense nationale. Les
armées se sont, pour cette raison, spécialisées dans
l’urgence, soit comme type, soit comme tempo et comme rythme de
leurs interventions.
Quand Kouchner dit, candide, que nous devons
nous « préparer au pire », il ne fait pas autre chose
qu’interpréter une philosophie qui ne se donne pas pour
objectif la recherche du mieux, de la solution la moins
traumatisante, mais au contraire, de celle qui invoque la gestion
de l’urgence par le politique, par l’instrument militaire et
par des organisations humanitaires désormais liées avec du fil
renforcé. C’est aussi l’aveu de l’incapacité de cette même
politique à penser et à trouver des solutions durables, de
l’incapacité des instruments militaires de gérer des
situations conflictuelles jusqu’à la stabilisation complète
ainsi que celui de l’incapacité des organisation humanitaires
à résoudre les problèmes des gens dans une perspective à un
terme un peu plus lointain que celle offerte par l’urgence.
Enfin, Kouchner reconnaît que la somme de ces incapacités
conduit inéluctablement à la guerre. Donc : partons en
guerre !
Il est évident que, dans ces conditions,
quelques coups de main soient nécessaires, qui garantissent la
concrétisation de l’urgence et des interventions des diverses
composantes : quelque chose doit se passer – ce que les
analystes appellent « la gâchette » [trigger, ang.]
– qui détermine l’urgence politique, il faut que la sécurité
collective soit placée devant un danger immédiat, et il faut prévoir
une catastrophe humanitaire (de la plus grande ampleur possible).
On doit, en substance, avoir un appareil gestionnaire capable d’ « inventer »
l’urgence et d’en inventer une issue à même d’autoriser le
détachement et le désengagement par rapport à la recherche
d’une solution aux problèmes. L’attaque contre l’Iran
rentre parfaitement dans ce cadre, et, tout bien considéré, il
s’agit là d’un cadre désormais quasi achevé. La
disponibilité des prétextes pour l’attaque est multiple.
L’idée que l’Iran voudrait développer
une bombe nucléaire, et qu’il veule détruire Israël, est désormais
largement admise par tout le monde. Certes, manquent encore les
recoupements et les preuves, outre les fanfaronnades, mais il y a
eu, par le passé, des témoignages de fanfaronnades terroristes
qui se sont, de toute façon, concrétisées, et personne ne veut
plus prendre de risque, fût-ce par amour de la vérité. L’idée
d’une attaque iranienne, ou d’une attaque soutenue par l’Iran,
contre les forces américaines présentes en Irak, quand bien même
il n’en existe aucune preuve, est en train de convaincre même
les plus sceptiques. Tôt ou tard, a force d’en parler et de
l’évoquer, cela sera perçu comme une invite ou un défi, et
l’attaque sera effectuée pour de vrai. La politique iranienne
de soutien au Hamas et au Hezbollah rend Téhéran extrêmement
vulnérable. Une perte de sang froid, ou une erreur, de la part de
ces formations, suffirait à déclencher [contre l’Iran] une
intervention militaire immédiate.
Un porte-avions américain
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La politique extérieure des plus
grandes puissances, Europe comprise, s’est désormais
habituée à l’idée qu’une intervention militaire
serait en mesure de repousser l’Iran sur les positions
qu’il avait, voici de cela une vingtaine d’années.
S’installe, par ailleurs, l’idée selon laquelle
l’objectif n’est pas tant, ni seulement, celui d’empêcher
la formation d’une puissance militaire, mais aussi celui
d’éliminer ce pays en tant qu’acteur régional détenteur
d’intérêts pétroliers et stratégiques dans toute
l’Asie du Centre-Sud. Sur le plan militaire, tout est désormais
prêt, et depuis longtemps. Les plans d’attaque sont en
vigueur depuis 1979, époque de la crise à l’ambassade
américaine en Iran, et ils ont été mis à jour au moyen
des nouvelles technologies et structures.
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La thèse selon laquelle il s’agirait
d’une attaque visant essentiellement les structures atomiques de
l’Iran sans dommages collatéraux pour la population civile
n’est qu’un fantasme pieux chez ceux qui sont désormais
habitués à mentir. Même l’idée qu’elle puisse se limiter
au territoire iranien est moins suspecte, parce que le but de
l’obstination et de l’ostentation des ayatollahs, d’une
part, et des israélo-américains, de l’autre, concerne des intérêts
et des ambitions qui s’étendent très au-delà du Golfe
persique.
Toute attaque, quelle qu’en soit la nature,
produira des pertes énormes tant militaires que civiles, dès
lors qu’on peut envisager une urgence nucléaire causée par des
retombées radioactives ou une fuite de radiations. Une attaque,
quelle qu’elle soit, ne pourra avoir pour objectif que la
destruction pure et simple des structures défensives : bases
aériennes et bases de missiles, dépôts d’armes, rampes de
lancement mobiles, ports militaires, unités en cours de
navigation, défenses anti-aériennes et radars, moyens terrestres
mobiles et blindés, centres de communication, de commandement et
de contrôle devront être éliminés avant, ou en même temps que
l’attaque contre les installations nucléaires. Or, beaucoup de
ces structures sont situées dans les principales concentrations
de population.
Même en tenant compte des missiles de croisière
les plus sophistiqués, des bombes intelligentes guidées sur les
objectifs par des commandos israéliens et américains, depuis
longtemps déjà à pied d’œuvre en Iran, une marge très élevée
de dommages collatéraux demeure. Si, en lieu et place des bombes
à explosif conventionnel « bunker busters », des
mini-bombes nucléaires ou à fission, ou encore des bombes à
neutrons étaient utilisées, le pourcentage des dommages pourrait
augmenter, mais pas dans les proportions énormes affirmées par
beaucoup d’observateurs.
Même la thèse selon laquelle des frappes
chirurgicales seraient possibles avec une seule composante – aérienne
et par missiles – est un miroir aux alouettes. Une action complète,
visant, comme on dit vouloir le faire, à renvoyer le potentiel
belliqueux iranien à l’âge de la pierre, présuppose des
actions d’attaque multiple, au moyen de forces multiples, dans
des temps restreints, de manière à interdire à l’adversaire,
comme le disait le colonel Boyd, toute capacité de décision, de
riposte et de contre-stratégie. L’action multiple doit également
empêcher la rétorsion directe de la part des forces aériennes
et maritimes iraniennes contre les installations et les transports
de pétrole dans le Golfe persique et dans la Mer d’Oman.
Elle devra neutraliser les menaces par
missiles contre les bases militaires américaines en Asie centrale
et au Moyen-Orient. Elle devra interdire des actions iraniennes de
stratégie indirecte en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, au
Liban, à Gaza, dans le Caucase ou partout ailleurs où un chiite
est susceptible de créer des emmerdes. Téhéran, de surcroît,
contrôle la côte septentrionale du détroit d’Hormuz, et la
fermeture de cette route maritime au trafic des pétroliers
pourrait faire s’envoler le prix du baril de pétrole jusqu’à
atteindre des prix oscillant entre les 200 et 400 dollars le
baril. Le même résultat serait obtenu au cas où l’Iran se
vengeait des opérations de sabotage et des bombardements contre
les installations pétrolières d’autres pays de la région.
C’est la raison pour laquelle la stratégie
militaire d’une attaque contre l’Iran ne saurait consister en
des frappes chirurgicales ou en une seule composante. Il ne peut
s’agir d’autre chose que de la « Swarm Warfare »,
de la guerre de l’essaim et de la horde, qu’Arquilla et
Ronfeld ont ré-exhumée après l’usage indépassable qu’en
fit Gengis Khan. En termes modernes, cette stratégie active
toutes les dimensions de la guerre – terrestre, navale, aérienne,
par missiles, spatiale, virtuelle et informationnelle – sur des
théâtres et à des niveaux multiples. A cette fin, il faut que
l’ « essaim » des diverses composantes et des
actions qui se déroulent en se concentrant sur un lieu et une
dimension donnés pour se transférer ensuite sur d’autres lieux
et d’autres dimensions puisse, quoi qu’il en soit, interdire
une quelconque réaction. Les hordes chargées de la destruction
physique des cibles doivent s’intégrer et se concentrer sur les
objectifs avec les hordes virtuelles des actions diplomatiques, de
la guerre psychologique, ainsi qu’avec celles de la manipulation
de l’information.
Ensuite, les actions militaires doivent avoir
pour but de créer une urgence humanitaire qui permette à des
organisations internationales d’intervenir en territoire
iranien. De toute évidence, la catastrophe doit être attribuée
à la responsabilité des Iraniens eux-mêmes. Dans ce domaine, y
compris, tout est désormais fin prêt, ou presque, en particulier
depuis l’exhortation de Kouchner. Des agences internationales et
des ONG sont déjà en train de trépigner pour partir en Iran
enlever le voile des femmes. Si on leur donne la possibilité
d’intervenir afin de recueillir les réfugiés, de soigner les
blessés, de compter les morts et mettre en place une élection
par mois, ce sera la course, pour aller apporter la démocratie en
Iran !
La complexité de ce scénario ne doit pas
nous inciter à croire que l’on doive mobiliser des forces énormes.
Les capacités de bombardement des avions israéliens et américains
sont tellement élevées qu’elles peuvent détruire des
objectifs multiples avec un nombre limité d’aéronefs. Les
missiles de croisière qui peuvent être lancés depuis la mer
sont désormais des armes technologiques qui n’ont pas besoin
d’une intervention de masse pour réaliser les destructions désirées,
même à grande échelle. La multiplicité des plans et des
niveaux d’intervention pourrait éventuellement poser des problèmes
de coordination, de commandement et de contrôle, mais rien
d’exceptionnel. Les Etats-Unis et Israël collaborent entre eux
depuis un demi-siècle, et les problèmes de pseudo-autorisations
de pays tiers aux survols ou au transit [terrestre] de troupes
sont désormais dépassés, soit par des accords politiques signés
avec les pays concernés, soit par la prédisposition de ces deux
puissances à ignorer les objections.
Reste la grave et importante inconnue du
post-urgence. L’inconnue sur l’avenir d’un Etat d’origine
et de mentalité impériales, qui se voit rétrogradé du rôle
d’Etat voyou à celui d’Etat en faillite et d’aspirant au rôle
de puissance régionale à celui de trou noir politique et stratégique.
Reste très prégnante l’inconnue de la réaction non point tant
à la défaite ou au redimensionnement des aspirations, mais à
l’humiliation. Il n’est nullement exclu que ce qu’on veut à
tout prix éviter, à savoir la nucléarisation de l’Iran, entièrement
à démontrer et entièrement à réaliser, ne soit au contraire
favorisé, grâce à l’aide de puissances extérieures, précisément
par l’humiliation.
Traduit de l’italien par Marcel Charbonnier
[ * Fabio Mini, général de l’armée
italienne, a été commandant en chef des forces armées de l’Otan
au Kosovo jusqu’au 1er octobre 2007.]
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