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Bolivie
Lettre
ouverte d'Evo Morales, président de la Bolivie,
à propos de la «directive retour» de l'Union Européenne
Evo Morales - Photo AP
16 juin 2008
Jusqu’à
la fin de la seconde guerre mondial, l’Europe fut un continent
d’émigrants. Des dizaines de millions d’européens partirent
aux Amériques pour coloniser, échapper aux famines, aux crises
financières, aux guerres ou aux totalitarismes européens et à
la persécution des minorités ethniques. Aujourd’hui, je suis
avec préoccupation le processus de la dite « directive
retour ». Le texte, validé le 5 juin dernier par les
ministres de l’intérieur des 27 pays de l’Union Européenne,
doit être voté le 18 juin au Parlement Européen. Je sens que se
durcissent de manière drastique les conditions de détention et
d’expulsion des migrants sans papier, quelle que soient leur
temps de permanence dans les pays européens, leur situation de
travail, leurs liens familiaux, leur volonté et leurs efforts
d’intégration.
Les
européens arrivèrent massivement en Amérique Latine et aux États-Unis,
sans visas ni conditions imposées par les autorités. Ils furent
toujours bienvenus et continuent de l’être dans nos pays du
continent américain, qui alors absorbèrent la misère économique
européenne et ses crises politiques. Ils vinrent sur notre
continent pour exploiter les richesses et les transférer en
Europe, avec un coût très élevé pour les populations indigènes
d’Amérique. Comme c’est le cas de notre Cerro
Rico de Potosi et de ses fabuleuses
mines d’argent qui ont apporté la masse monétaire au continent
européen du XVIème au XIXème siècle. Les personnes, les biens
et les droits des migrants européens furent toujours respectés.
Aujourd’hui,
l’Union Européenne est la destination principale des migrants
du monde, conséquence de son image positive d’espace de prospérité
et de libertés publiques. L’immense majorité des migrants va a
l’UE pour contribuer à cette prospérité, et non pour en
profiter. Ils occupent des postes dans les travaux publics, la
construction, les services aux personnes et les hôpitaux, postes
que ne peuvent ou ne veulent pas occuper les européens. Ils
contribuent au dynamisme démographique du continent européen, à
maintenir la relation entre actifs et inactifs que rendent
possible vos généreux systèmes de sécurité sociale et ils
dynamisent le marché interne et la cohésion sociale. Les
migrants offrent une solution aux problèmes démographiques et
financiers de l’UE.
Pour
nous, nos migrants représentent l’aide au développement que
les européens ne nous donnent pas –en effet, peu de pays
atteignent réellement l’objectif minimum de 0.7 % de leur
PIB pour l’aide au développement. L’Amérique Latine a reçu,
en 2006, 68 000 millions de dollars de transferts de fonds, soit
plus que le total des investissements étrangers dans nos pays. Au
niveau mondial, ils atteignent 300 000 millions de dollars, dépassant
les 104 000 millions accordés pour l’aide au développement.
Mon propre pays,
la Bolivie
, reçoit plus de 10% du PIB en transferts (1 100 millions de
dollars) ou un tiers de nos exportations annuelles de gaz naturel.
Cela
signifie que les flux migratoires sont bénéfiques autant pour
les Européens que pour nous autres du Tiers Monde, bien que de
manière marginale puisque nous perdons également des contingents
de main d’œuvre qualifiés qui se comptent par millions, et
pour lesquels, d’une manière ou d’une autre, nos États, bien
que pauvres, ont investi des ressources humaines et financières.
Lamentablement,
le projet de « directive retour » complique
terriblement cette réalité. Si nous concevons que chaque État
ou groupe d’États peut définir ses politiques migratoires en
toute souveraineté, nous ne pouvons accepter que les droits
fondamentaux des personnes soient niés à nos compatriotes et frères
latino-américains. La « directive retour » prévoit
la possibilité d’un emprisonnement des migrants sans papier
allant jusqu’à 18 mois avant leur expulsion – ou « éloignement »,
selon les termes de la directive. 18 mois ! Sans jugement ni
justice ! Tel qu’il est aujourd’hui, le projet de texte
de la directive viole clairement les articles 2, 3, 5, 6, 7, 8, et
9 de
la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme de 1948. En particulier l’article 13 de
la Déclaration
annonce :
« 1.
Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence
à l’intérieur d’un Etat.
2.
Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien,
et de revenir dans son pays. »
Et,
le pire de tout, il existe la possibilité d’emprisonner des mères
de familles et des mineurs, sans tenir compte de leur situation familiale
ou scolaire, dans des centres d’internement où nous savons que
les dépressions, les grèves de la faim et les suicides existent.
Comment peut-on accepter sans réagir que soient concentrés dans
des camps des compatriotes et frères latino-américains sans papier
qui, pour une immense majorité ont passé des années à travailler
et à s’intégrer ? De quel côté est aujourd’hui le devoir
d’ingérence humanitaire ? Où est la « liberté de circuler »,
la protection contre l’emprisonnement arbitraire ?
Parallèlement,
l’Union Européenne essaie de convaincre
la Communauté Andine
des Nations (Bolivie, Colombie, Equateur et Pérou) de signer un
« Accord d’Association » qui comprend en troisième
pilier, un Traité de Libre Commerce, de la même nature et contenu
que ceux qu’imposent les États-Unis. Nous subissons une intense
pression de la part de
la Commission Européenne
pour accepter des conditions de profonde libéralisation pour le
commerce, les services financiers, la propriété intellectuelle ou
nos services publiques. De plus, au nom de la protection
juridique, nous subissons des pressions à propos des processus de
nationalisation de l’eau, du gaz et des télécommunications réalisés
à l’occasion de
la Journée Internationale
des Travailleurs (1er mai -
NDT). Je demande, dans ce cas, où est la « sécurité
juridique » pour nos femmes, adolescents, enfants et travailleurs
qui cherchent de meilleurs horizons en Europe ?
Promouvoir
la libre circulation de marchandises et des finances, alors qu’en
face nous assistons à l’emprisonnement sans procès pour nos frères
qui essaient de circuler librement, c’est nier les fondements de
la liberté et des droits démocratiques.
Dans
ces conditions, si cette « directive retour » est
approuvée, nous serions dans l’impossibilité éthique d’approfondir
les négociations avec l’Union Européenne et nous nous réservons
le droit de mettre en place pour les citoyens européens les mêmes
obligations de visa imposées au Boliviens depuis le 1er avril
2007, selon le principe de réciprocité diplomatique. Nous ne l’avons
pas exercé jusqu’à ce jour, justement dans l’espoir de voir
de bon signaux de la part de l’UE.
Le
monde, ses continents, ses océans et ses pôles, vivent d’importantes
difficultés globales : le réchauffement climatique, la
pollution, la disparition lente mais certaine des ressources énergétiques
et de la biodiversité tandis qu’augmentent la faim et la pauvreté
dans les pays, fragilisant nos sociétés. Faire des migrants, qu’ils
soient avec ou sans papier, les boucs émissaires de ces problèmes
globaux, n’est pas une solution. Cela ne correspond à aucune réalité.
Les problèmes de cohésion sociale dont souffre l’Europe ne sont
pas la faute des migrants, mais le résultat du modèle de développement
imposé par le Nord, qui détruit la planète et démembre les sociétés
des hommes.
Au
nom du peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent, de régions
du monde telles que le Maghreb, de l’Asie et des pays
d’Afrique, je lance un appel à la conscience des liders
et des députés européens, des peuples, citoyens et activistes
d’Europe, pour que le texte de la « directive retour »
ne soit pas approuvé.
Telle
que nous la connaissons aujourd’hui, c’est une directive de la
honte. J’appelle également l’Union Européenne à élaborer,
dans les mois prochains, une politique migratoire respectueuse des
droits humains qui permette de maintenir ce dynamisme profitable
à nos deux continents et qui répare une fois pour toute la terrible
dette historique, économique et écologique qu’ont les pays d’Europe
envers une grande partie du Tiers Monde, qui referme une fois pour
toute les veines toujours ouvertes de l’Amérique Latine. Vous ne
pouvez rater aujourd’hui vos « politiques d’intégration »
comme vous avez échoué avec votre prétendue « mission civilisatrice »
du temps des colonies.
Recevez,
chers tous, autorités, euro parlementaires, camarades, un fraternel
salut depuis
la Bolivie. Et
en particulier, notre solidarité envers tous les « clandestins ».
Evo
Morales Ayma
Président de
la République
de Bolivie
Traduction :
Perrine Escoriguel
Crédits photo : AP
Cette
lettre du président Evo Morales est traduite
dans de nombreuses langues par les traducteurs de Tlaxcala. Prière
de la diffuser.
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