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Obama et les minorités en politique
Rêve américain, réalités françaises
Esther Benbassa
La campagne d’un Barack Obama pour les élections présidentielles
américaines invite à reposer la question des minorités et de
leur place en politique. Là-bas, mais aussi chez nous.
Fils d’un père kenyan de confession musulmane et d’une mère
américaine blanche, Obama est aussi issu, pour moitié, de
l’immigration. Il n’est pas au sens strict, à la différence de
son épouse, un African
American, l’un de ces Noirs natifs des États-Unis
descendants d’esclaves. Il est cependant ce métis incarnant le
rêve américain, offrant ou censé offrir aux plus méritants et
aux plus travailleurs la possibilité de réussir. Même si cette
promesse est restée non tenue pour des millions d’immigrés, elle
ne leur en a pas moins insufflé la force nécessaire pour donner
corps à la première puissance mondiale. La candidature d’Obama
ranime le rêve, cette fois pour toutes les minorités du pays. Et
son élection représenterait indéniablement un tournant
symbolique non seulement à l’intérieur du pays, mais aussi
ailleurs dans le monde.
Elle s’inscrirait dans le
sillage du Civil Rights
Act de 1964, du
National Voting Rights
Act de 1965, qui ont
fait des Afro-Américain des citoyens de plein droit, et surtout
dans celui de cette « action positive » (affirmative
action) que nous appelons injustement en France «
discrimination positive ». Certains de nos compatriotes tendent
à croire qu’elle consiste à privilégier les minorités dites
visibles dans divers secteurs aux dépens des « autochtones »,
contribuant ainsi à la communautarisation. De surcroît, dans «
discrimination positive », le mot discrimination ôte toute
positivité à cette politique susceptible d’aider à la formation
de nouvelles élites et à la création de cette cohésion sociale,
facteur de stabilité, à laquelle aspirent, pourtant, nos
responsables politiques.
Les mesures prises aux
États-Unis en faveur de cette mobilité sociale si nécessaire à
toute démocratie moderne ont permis l’émergence d’une classe
moyenne et d’une élite noires, sans pour autant, bien sûr,
achever le règlement de la question noire ni mettre fin au
racisme. Pour diverses raisons liées à l’histoire de leur
immigration et de leur positionnement dans la société
américaine, les Hispaniques n’ont pas pu profiter de la même
manière que les Noirs de cet ascenseur social. Les Asiatiques,
eux, constitueront les élites de demain avec un taux de
fréquentation des universités prestigieuses d’environ 40%, en
particulier en Californie.
Barack Hussein Obama est
le produit même de l’action positive, d’un contexte qui lui a
permis de poursuivre ses études dans les meilleures universités
du pays et d’en arriver là où il se trouve aujourd’hui. Son
élection donnerait sans doute un regain d’espoir à des millions
de jeunes issus des minorités visibles à travers le monde. Elle
imposerait peut-être de penser autrement la difficile question
du racisme et des discriminations. Point d’optimisme exagéré,
toutefois. Une seule certitude : le pays le plus puissant du
monde serait dirigé par un métis d’origine immigrée et
d’ascendance musulmane, même si lui-même est chrétien.
L’origine d’un dirigeant
influe-t-elle sur son mode de gouvernance ? Ou l’accès au
pouvoir transcende-t-il au contraire certaines contingences ? La
question reste ouverte. Elle est la même que celle qu’on pose au
sujet des femmes lorsqu’elles sont à la tête d’institutions ou
d’entreprises. Moitié de l’humanité, mais traitée encore comme
une minorité, la gent féminine exerce-t-elle autrement le
pouvoir ? Ou le pouvoir l’empêche-t-il justement d’exercer ses
fonctions différemment ? Question mineure, dirions-nous, face à
l’élection possible d’un Obama.
On a beaucoup souligné le
caractère « exceptionnel », foncièrement nouveau, de cette
candidature. Certes, peut-être pour les États-Unis. Mais pas
autant que cela vu de France, un pays qui a de longue date
laissé accéder aux plus hautes responsabilités de l’État nombre
de Juifs, membre de la seule vraie minorité « ethnico-religieuse
» du pays au XIXe
siècle, émancipée en
1790-1791, une première en Europe. Dès 1848, juste avant la
révolution, Michel Goudchaux devient ministre des Finances,
suivi après la révolution par Adolphe Crémieux, ministre de la
Justice, puis Achille Fould ministre des Finances. Leurs
successeurs seront nombreux. La France aura aussi été le seul
pays en Europe à faire Premiers ministres – à une époque où
leurs attributions étaient proches de nos Présidents actuels –
trois Français juifs : Léon Blum, René Mayer et Pierre
Mendès-France. Plus tard, Laurent Fabius, d’ascendance juive,
prolongerait à sa façon la lignée – sans oublier les
innombrables ministres : Camille Sée, Jules Moch, Jean Zay,
Maurice Schumann, etc.
La plupart de ces
politiciens juifs appartenaient à la gauche. Une forte tradition
que celle-là dans le monde juif contemporain. Chacun connaît le
rôle important joué par nombre de Juifs dans l’élaboration de la
pensée et l’action socialistes de Marx à Rosa Luxemburg,
Ferdinand Lassalle, Eduard Bernstein ou les révolutionnaires
juifs russes. La liste est longue. L’antisémitisme récurrent des
partis de droite, surtout jusqu’à la Seconde Guerre mondiale,
explique en partie cette inclination, et même si certaines
franges de la gauche n’ont pas elles non plus manqué de cultiver
des penchants antisémites, tout au moins jusqu’à l’Affaire
Dreyfus. Cette sympathie pour la gauche se retrouve aussi dans
le « vote juif », si du moins il y en a un, lequel a perduré
jusqu’à l’élection du président Chirac. Aux États-Unis, on
observe d’ailleurs la même tendance : les Juifs votent
massivement pour les démocrates. En 2000, M. Bush avait
recueilli seulement 19% des voix juives, pour sa seconde
présidence 24 %. Alors qu’en France, les sympathies juives on
plutôt viré à droite, les Juifs américains se déclarent toujours
très majoritairement pro-Obama.
Pourquoi cette France qui
hier a su faire sa place aux Juifs, ne promeut-elle pas
aujourd’hui de candidats issus cette fois des « minorités
visibles » ? Les partis, aussi bien de gauche que de droite, les
imaginent-ils incapables de mobiliser la population autour
d’eux, alors qu’on sait qu’ils font des scores honorables dès
qu’ils se présentent à des élections ? D’où vient cette peur ?
Les politiciens imaginent-ils les Français plus racistes qu’ils
ne le sont ? Pourquoi ces socialistes qui, dans le passé, firent
accéder des Juifs aux plus hauts postes, demeurent-ils si
réticents face aux Français issus de l’immigration ? Croient-ils
devoir se contenter de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes – éternels
champions de la lutte contre les discriminations – et ne plus
contribuer à faire à nouveau bouger les lignes ? Ou cette gauche
qui s’épuise à se chercher a-t-elle vraiment perdu le ressort du
changement ?
Certes, de son côté, le
président Sarkozy a ouvert les portes du gouvernement à des
Françaises d'origine immigrée. Cette percée, significative,
sera-t-elle durable et étendue ? Imagine-t-on vraiment demain un
candidat à la présidence d’origine arabo-musulmane, noire,
tsigane ou simplement portugaise ? Le contentieux colonial
est-il encore trop prégnant ? La France se sent-elle menacée
pour refuser de céder de vrais lieux de pouvoir aux
ressortissants de ses « minorités » ? Le pays connaît-il un
nouveau nationalisme qui le referme sur lui même ? Ou sont-ce
seulement les élites en poste qui redoutent d’avoir à faire de
la place à de nouveaux venus ? La peur de l’islam joue-t-elle là
à plein ? Le temps n’est-il donc pas venu que ces minorités
s’intègrent pleinement aux rouages de la démocratie, surmontant
enfin les obstacles hérités d’une histoire difficile ?
Qu’il soit élu ou non
cette semaine, le parcours américain d’Obama doit nous aider à
faire sauter tous ces verrous. Les politiciens de tout bord se
doivent de reconsidérer sans fausse pudeur la stratégie de la «
discrimination positive ». Une nouvelle dynamique, un déblocage
de l’ascenseur social paraissent indispensables. Ce que la
France a pu faire avec ses Juifs, bien avant les États-Unis,
pourquoi ne le ferait-elle pas maintenant avec ses minorités
issues de l’immigration ? This is the change we need…, comme diraient les partisans
d’Obama.
Une partie de cet article a été publié ce jour par
Le Figaro :
http://www.lefigaro.fr/debats/...
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