Opinion
Sept points sur la
Lybie
Domenico Losurdo
Le siège
de l'OTAN
Samedi 27 août 2011
Désormais même les
aveugles peuvent être en mesure de voir
et de comprendre ce qui est en train
d’arriver en Libye :
-
C’est une guerre promue et
déclanchée par l’OTAN qui est en
cours. Cette vérité finit par
filtrer sur les organes mêmes
d’ « information » bourgeoise.
Sur La Stampa du 25
août, Lucia Annunziata écrit : c’est
une guerre « entièrement
"extérieure", c’est-à-dire faite par
les forces de l’OTAN » ; c’est « le
système occidental, qui a promu la
guerre contre Kadhafi ». Une
vignette de l’International
Herald Tribune du 24 août nous
montre des « rebelles » qui
exultent, mais ils sont commodément
installés sur un avion qui porte
l’écusson de l’OTAN.
-
Il s’agit d’une guerre préparée
depuis longtemps. Le Sunday
Mirror du 20 mars a révélé que
déjà « trois semaines » avant la
résolution de l’ONU étaient à
l’œuvre en Libye des « centaines »
de soldats britanniques, encadrés
dans un des corps militaires
les plus sophistiqués et les
plus redoutés du monde (SAS). Des
révélations ou admissions analogues
peuvent être lues sur l’International
Herald Tribune du 31 mars, à
propos de la présence de « petits
groupes de la Cia » et d’une « ample
force occidentale en action dans
l’ombre », toujours « avant
l’éclatement des hostilités le 19
mars ».
-
Cette guerre n’a rien à voir avec la
protection des droits humains. Dans
l’article déjà cité, Lucia
Annunziata observe avec angoisse :
« L’OTAN qui a atteint la victoire
n’est pas la même entité qui a lancé
la guerre ». Entre temps, l’Occident
est gravement affaibli par la crise
économique ; réussira-t-il à garder
le contrôle d’un continent qui, de
plus en plus souvent, perçoit
l’appel des « nations non
occidentales » et en particulier de
la Chine ? Par ailleurs, ce même
quotidien qui présente l’article d’Annunziata,
La Stampa, ouvre le 26 août
sur un titre en pleine page :
« Nouvelle Libye, défi
Italie-France ». Pour ceux qui
n’auraient pas encore compris de
quel type de défi il s’agit,
l’éditorial de Paolo Paroni (Duel
de la dernière affaire) est
clair : depuis le début des
opérations guerrières, caractérisées
par l’activisme frénétique de
Sarkozy, « on a immédiatement
compris que la guerre contre le
Colonel allait se transformer en un
conflit d’un autre type : guerre
économique, avec un nouvel
adversaire, l’Italie évidemment ».
-
Voulue pour des motifs abjects, la
guerre est menée de façon
criminelle. Je me limite
seulement à quelques détails
repris dans un quotidien au-dessus
de tout soupçon. L’International
Herald Tribune du 26 août, dans
un article de K. Fahim et R.
Gladstone, rapporte : « Dans un
campement au centre de Tripoli ont
été retrouvés les corps criblés de
balles de plus de 30 combattants
pro-Kadhafi.
Deux
au moins étaient ligotés avec des
liens en plastique, et ceci laisse
penser qu’ils ont subi une
exécution. Parmi ces morts, cinq ont
été trouvés dans un hôpital de
fortune ; l’un était sur une
ambulance, étendu sur un brancard et
ligoté par une ceinture et portant
encore une perfusion intraveineuse
dans le bras ».
-
Barbare
comme toutes les guerres coloniales,
la guerre actuelle contre la Libye
démontre comment l’impérialisme se
fait de plus en plus barbare. Dans
le passé, innombrables ont été les
tentatives de la Cia d’assassiner
Fidel Castro, mais ces tentatives
étaient conduites en secret, avec un
sentiment si ce n’est de honte du
moins de crainte des possibles
réactions de l’opinion publique
internationale. Aujourd’hui, par
contre, assassiner Kadhafi ou
d’autres
chefs d’Etat non appréciés à
l’Occident est un droit ouvertement
proclamé. Le Corriere della Sera
du 26 août 2011 titre
triomphalement : « Chasse à Kadhafi
et à ses fils, maison par maison ».
Tandis que j’écris, les Tornado
britanniques, se prévalant aussi de
la collaboration et des informations
fournies par la France, s’emploient
à bombarder Syrte et à exterminer
l’entière famille de Kadhafi.
-
Non moins barbare que la guerre a
été la campagne de désinformation.
Sans le moindre sentiment de pudeur,
l’OTAN a martelé systématiquement le
mensonge selon lequel ses opérations
guerrières ne visaient qu’à la
protection des civils ! Et la
presse, la « libre » presse
occidentale ? Elle a, à un moment,
publié avec ostentation la
« nouvelle » selon laquelle Kadhafi
bourrait ses soldats de viagra de
façon à ce qu’ils puissent plus
facilement commettre des viols de
masse. Cette « nouvelle » tombant
rapidement dans le ridicule, voici
alors une autre « nouvelle » selon
laquelle les soldats libyens tirent
sur les enfants. Aucune preuve n’est
fournie, on ne trouve aucune
référence à des dates et des lieux
déterminés, aucun renvoi à telle ou
telle source : l’important est de
criminaliser l’ennemi à anéantir.
-
Mussolini en son temps
présenta l’agression fasciste contre
l’Ethiopie comme une campagne pour
libérer ce pays de la plaie de
l’esclavage ; aujourd’hui l’OTAN
présente son agression contre la
Libye comme une campagne pour la
diffusion de la démocratie. En son
temps Mussolini n’avait de cesse de
tonner contre l’empereur éthiopien
Hailé Sélassié comme « Négus des
négriers » ; aujourd’hui l’OTAN
exprime son mépris pour Kadhafi « le
dictateur ». De même que la nature
belliciste de l’impérialisme ne
change pas, ainsi ses techniques de
manipulation révèlent de
significatifs éléments de
continuité. Pour
clarifier qui exerce
réellement aujourd’hui la dictature
à niveau planétaire, plutôt que de
citer Marx ou Lénine, je veux citer
Emmanuel Kant. Dans un texte de 1798
(Le conflit des facultés), il
écrit : « Qu’est-ce qu'un monarque
absolu ? Celui qui, quand il
commande : "la guerre doit être", la
guerre suit en effet ». En
argumentant de la sorte, Kant
prenait pour cible, en particulier,
l’Angleterre de son époque, sans se
laisser tromper par les formes
« libérales » de ce pays. C’est une
leçon dont nous devons tirer
profit : les « monarques absolus »
de notre époque, les tyrans et
dictateurs planétaires de notre
époque siègent à Washington, à
Bruxelles et dans les plus
importantes capitales occidentales.
Publié vendredi 26
août 2011 sur le blog de l’auteur
http://domenicolosurdo.blogspot.com/
Traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio
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