|
RIA Novosti
Pas
de duel Bush - Ahmadinejad à l'ONU
Dmitri Kossyrev
27 septembre 2007
L'intervention du président iranien à la 62e session de
l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies était
attendue avec impatience par tous ceux qui s'étaient réunis au
siège de l'ONU ce jour-là. Son apparition à la tribune a été
accueillie par des applaudissements, qui sont plutôt rares. Et la
veille, quand Mahmoud Ahmadinejad s'exprimait devant la
prestigieuse université new-yorkaise de Columbia, on a appris que
tous les billets pour cette manifestation avaient été vendus en
une heure et demie, soit avec la même rapidité que ceux du
concert de Bruce Springsteen qui se déroulait en même temps. C'étaient
essentiellement des opposants d'Ahmadinejad qui se sont réunis à
l'entrée de l'université. Beaucoup y étaient allés comme à un
film d'horreur, pour se titiller les nerfs. Mais ils y sont venus
quand même.
Quoi qu'il en soit, Mahmoud Ahmadinejad n'a évidemment rien de
Bruce Springsteen. Ce serait plutôt une édition, modèle réduit,
du grand Luciano Pavarotti. Quand ce dernier faisait son
apparition sur scène, par exemple, dans le rôle de Turridu de la
Cavalleria Rusticana, tout le monde savait qu'il chanterait
exactement la même chose que les autres ténors dans le même rôle
et que l'histoire se terminerait de la même façon - Turridu
serait poignardé. Néanmoins, "avec Pavarotti", le
public sortait de la salle en larmes, transportés d'émotion. Les
autres ténors n'arrivaient jamais à produire un tel effet. Or,
il faut toujours que quelqu'un soit le premier.
Quand Mahmoud Ahmadinejad est intervenu cette fois à l'Assemblée
générale, il a en fait interprété la même partie qu'il y a un
an ou deux. En effet, il n'a dit rien qu'il n'ait déjà déclaré
dans ses deux premières interventions (sauf qu'il a qualifié les
Etats-Unis de "puissance voyou"). Il n'en reste pas
moins que l'impression produite par cette partie déjà connue n'a
pas faibli.
Beaucoup s'attendaient à ce que le premier jour de la session
soit celui d'un duel entre le président des Etats-Unis, George W.
Bush (par tradition, il est intervenu le premier, à 9 heures du
matin), et le président de la République islamique d'Iran,
Mahmoud Ahmadinejad (qui est intervenu dans l'après-midi, à 17
heures). Mais il n'y a pas eu de duel parce que ces deux hommes évoluaient
sur des plans différents et dans des dimensions différentes.
Bush se comportait en vrai politique. La première partie de
son discours était consacrée à la lutte globale pour la liberté
et contenait des listes plutôt incertaines de pays où la démocratie
était étouffée et d'autres où des progrès avaient été
enregistrés. Cette classification montre on ne peut mieux
pourquoi l'Amérique n'est pas aimée dans le monde. C'est aussi
un concentré de cette philosophie politique à laquelle la future
administration américaine ferait mieux de renoncer.
L'administration en place aura sans doute du mal à renoncer à
l'approche qui lui est habituelle.
Le président américain a consacré le second volet de son
discours aux bonnes actions de son pays partout dans le monde. Il
a, par exemple, évoqué le doublement du financement américain
de la lutte contre le SIDA - de 15 à 30 milliards de dollars. Et
la lutte contre le paludisme pour laquelle Washington dépense 1,2
milliard de dollars. Il a aussi rappelé qu'en partenariat avec
d'autres pays, les Etats-Unis avaient formé quelque 600.000
enseignants et administrateurs. Tout cela n'a été en fait qu'un
passage progressif de Bush à la présentation de cette Amérique
qui est effectivement nécessaire aujourd'hui au monde et le sera
encore longtemps après qu'elle aura renoncé au rôle de "démocratisateur"
universel. Somme toute, le discours a été très bien rédigé.
Pour ce qui est de Mahmoud Ahmadinejad, il ne parlait pas comme
politique, mais plutôt comme prophète, comme défenseur du bien
et de la justice. Il a prétendu, par exemple, que la noble
institution du mariage et la nature même de la femme, en tant que
manifestation sublime de la beauté divine, seraient humiliés
dans notre monde. Dans ce monde, a-t-il dit, les droits de l'homme
sont bafoués, quand on coupe, par exemple, l'eau courante et l'électricité
à des peuples entiers (il s'agissait, en l'occurrence, des
Palestiniens) et qu'on les prive de leur terre. Mahmoud
Ahmadinejad n'a pas oublié de mentionner dans son discours les
quelque 900 millions de personnes sur terre qui ne vivent qu'avec
un dollar par jour. Il a affirmé, en outre, que l'hypocrisie et
le mensonge régnaient de nos jours dans les relations entre les
peuples. Il a déclaré que les vainqueurs de la Seconde Guerre
mondiale suivaient toujours la "feuille de route" de
leur domination globale, qu'ils avaient davantage de droits que
les autres pays, alors que des organisations du type Conseil de sécurité
de l'ONU tenaient à la fois le rôle d'accusateur, de juge et de
bourreau.
Répétons-le, Mahmoud Ahmadinejad n'a absolument rien dit de
nouveau. Il n'a, par exemple, rien dit du scandale autour des
programmes nucléaires iraniens et, en général, il n'a dit rien
qui puisse être considéré comme une nouvelle politique. Il est
vrai, cependant, qu'il a exhorté les Etats-Unis à abandonner
enfin la voie de l'arrogance et de soumission à Satan, à se
secouer de la saleté qui les recouvre. Il a rappelé que l'heure
du déclin de l'empire approchait, comme celle de la perte par
l'Occident de la possibilité de diriger le monde. Mais il avait déjà
dit auparavant tout cela ou quelque chose d'approchant. Par
ailleurs, l'ONU est justement cet endroit où l'on prononce, en règle
générale, ce genre de discours. Du moins on en prononçait à l'époque
où on avait l'impression que l'ONU pourrait faire changer le
monde.
L'un des mérites du grand Pavarotti est qu'il a fait de l'opéra
une distraction relativement de masse, en lui épargnant le sort
de passe-temps rétro pour des élus. Ses concerts remplissaient
non seulement des salles aux fauteuils de velours, mais aussi des
stades immenses. Quant à Ahmadinejad, il restitue à la politique
internationale ce dont elle ne peut guère se passer, à savoir la
foi d'une certaine partie de l'humanité en la possibilité d'un
monde équitable et d'une politique honnête. Qui plus est,
Mahmoud Ahmadinejad rétablit le caractère public et le
dramatisme théâtral en quelque sorte à l'ONU elle-même qui
ressemble parfois trop à une organisation pour les bureaucrates
top niveau, faisant lecture de discours diplomatiques et évasifs
qui ne s'adressent qu'à eux. Pour la plupart du monde,
l'Organisation des Nations Unies est un endroit où des leaders,
tels que Fidel Castro, Hugo Chavez et Mahmoud Ahmadinejad, disent
ce que beaucoup d'autres pensent. Et ce, même si ces fameux
"autres" savent parfaitement que ce spectacle archaïque,
cet opéra, finira forcément et que le rideau tombera.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2007 RIA
Novosti
 |