Opinion
Les lunettes roses
de Romney et les bonnes intentions
d'Obama
Dmitri Kossyrev
Photo: RIA
Novosti - © REUTERS/ Michael
Reynolds/Pool
Mercredi 24 octobre
2012
Source :
RIA Novosti
Comment les Américains voient le
monde qui les entoure? Certains
conservateurs américains, notamment les
radicaux du Tea Party plutôt discrets
ces derniers temps, seraient enclins à
l'isolationnisme. Ils estiment qu'il est
inutile de gaspiller des milliards de
dollars pour rendre le monde meilleur.
Mais une grande partie des démocrates,
au contraire, ne veut pas s'arrêter aux
frontières nationales et espère
sincèrement changer le monde – le tout
au profit des États-Unis, grâce à la
"puissance douce"… voire parfois la
"puissance dure".
Dans
le débat sur la politique internationale,
le candidat républicain n'a même pas
essayé de s'imposer face à Barack Obama
et le démocrate a remporté le troisième
duel télévisé. Les affaires
internationales préoccupent peu les
citoyens du pays: elles intéressent
sérieusement à peine plus de 5% des
électeurs.
En revanche, ce thème préoccupe ceux
qui ne vivent pas aux États-Unis. Si
l'électeur américain souhaite seulement
voir comment les candidats s'attaquent
et parent les affronts verbaux de leur
adversaire, nous aimerions, à
l'extérieur, savoir ce qu'ils veulent et
peuvent réellement faire au-delà de
leurs frontières. Et comment cela
affectera notre vie. Pour l'instant,
elle ne changera d'aucune façon. Les
deux candidats sont pratiquement
jumeaux.
Parlons plutôt d'économie
La retranscription totale du débat de
Floride met en évidence une chose
intéressante : les deux rivaux ne
voulaient simplement pas aborder les
sujets internationaux. Romney
s'efforçait constamment de tourner la
discussion vers les affaires intérieures
et économiques, où il pense être
meilleur. Obama n'avait absolument rien
contre. Le présentateur a pourtant tenté
de rappeler quel était le sujet de leur
réunion, mais en vain.
Déjà la veille, la presse américaine
avait tout dit sur les débats imminents
et écrit le scénario pour les deux
candidats. Les journalistes pensaient
que compte tenu de la dynamique
électorale au profit de Romney, Obama
n'avait pas d'autre choix que
d'attaquer, voire d'aller au K.O.
Autrement dit, mettre en évidence
l'incompétence de Romney et se moquer de
son voyage catastrophique à l'étranger
l'été dernier. Quant à Romney, dans ce
cas, il devait faire dévier la
discussion vers la défense et
l'industrie de l'armement dans les Etats
"hésitants". Et ainsi de suite.
Bien sûr, Obama a attaqué - mais à sa
manière, doucement. Par exemple, pour
réagir à l'allégation de Romney selon
laquelle la marine américaine n'avait
jamais été en aussi faible nombre que
depuis le début du siècle dernier, le
président a répondu: "Tout à fait,
gouverneur Romney, nous avons également
moins de baïonnettes et de chevaux,
quant à la flotte, il y a une chose
qu'on appelle des porte-avions, les
avions se posent dessus…".
Bref, le public a vu le chef en la
personne d'Obama. Et c'est la raison de
sa victoire. Romney, au lieu de
contredire son interlocuteur plus
habile, acquiesçait. Ce qui vaut mieux
que dire des imbécillités.
Pas si différents
Comment les Américains voient le
monde qui les entoure ? Certains
conservateurs américains, notamment les
radicaux du Tea Party plutôt discrets
ces derniers temps, seraient enclins à
l'isolationnisme. Ils estiment qu'il est
inutile de gaspiller des milliards de
dollars pour rendre le monde meilleur.
Mais une grande partie des démocrates,
au contraire, ne veut pas s'arrêter aux
frontières nationales et espère
sincèrement changer le monde – le tout
au profit des États-Unis, grâce à la
"puissance douce"… voire parfois la
"puissance dure". Les démocrates sont
traditionnellement plus tournés vers
l'activité extérieure et cette situation
n'a pas changé.
Quoi qu'il en soit, les débats sur le
"soft" et le "hard" existent aussi bien
entre les partis qu'en leur sein.
Et voici le résultat: les discours
"internationaux" des deux candidats ont
changé sous nos yeux durant la campagne.
Il devient aujourd'hui extrêmement
difficile d'identifier des différences
concrètes dans leurs intentions de
changer ce "monde austère et
incontrôlable", qui à la fois "souhaite
l'intervention américaine et la
rejette". Cette magnifique définition
est tirée d'un commentaire du New York
Times à quelques jours du débat.
Selon l'article, voici toute la
différence entre les deux adversaires :
Romney voudrait retourner dans les
années 1990, à l’époque où les Français
qualifiaient ironiquement les USA
d'hyperpuissance. Obama, lui, vit au
jour le jour en réagissant aux
événements désagréables et en évitant
une ingérence excessive dans les
affaires des autres. On voudrait que les
candidats regardent vers l'avenir, mais
ils n'y arrivent pas.
Selon ceux qui ont directement
participé aux négociations
russo-américaines en 2009 et dans les
années qui ont suivi, Barack Obama croit
lui aussi sincèrement à la possibilité
d'une renaissance des États-Unis en tant
qu'hyperpuissance mais il faut d'abord
survivre - sans pertes ni bêtises
républicaines – à l'époque difficile que
le pays traverse aujourd'hui.
Au final, le voyage de Romney en
Europe et en Israël, où il a dit
beaucoup d'idioties, est oublié. Il a
beaucoup appris depuis. L'Iran ? Il n'y
a de facto aucune différence entre lui
et Obama. L'Afghanistan? La question est
seulement de savoir comment partir – en
trottinant ou en courant. Israël? Bien
sûr, Romney cherche à se faire passer
pour un meilleur protecteur, mais
l'est-il vraiment?
Comme l'a déclaré Obama à une
certaine période de la campagne, "vous,
gouverneur Romney, proposez de faire la
même chose que nous faisons, sauf que
vous en parlez en prenant une voix plus
haute". Bref, il l'a félicité: bien
joué, il a appris quelque chose.
Le républicain exige l'augmentation
des dépenses militaires ? On constate en
effet une différence entre les candidats
dans ce sens. Mais est-ce que Romney nie
la conviction d'Obama selon laquelle on
ne vit plus à l'époque où les USA
pouvaient se permettre d'envoyer, à
l'étranger, des centaines de milliers de
soldats sans se ruiner? Non, il esquive
simplement cette question.
Pour finir, pensez-vous réellement
que les deux candidats ont des approches
différentes en ce qui concerne la
Russie? Effectivement, le sujet de
Moscou a été évoqué. Romney a dit que la
Russie "poursuivait son combat à l'Onu",
qu'il ne regarderait pas Vladimir
Poutine à travers des lunettes roses et
qu'il serait "inflexible" avec lui. Mais
est-ce qu'Obama porte réellement des
lunettes roses?
Le silence, après un
redémarrage réussi
Les relations russo-américaines
dépendent très peu aujourd'hui de
l'époque où vivra mentalement le
prochain président américain – dans le
passé, le présent ou même dans le futur.
Le fait est que pour les USA, la
Russie est une importante partie du
problème de l'Asie centrale et de
l'extrémisme islamique ou une partie de
l'ascension de la Chine et de l'Inde ou
une partie de quelque chose d'autre. Et
pour la Russie, les États-Unis sont
exactement la même chose – un fragment
d'un tableau d'ensemble complexe.
Autrement dit, l'époque à laquelle la
survie du monde dépendait du dialogue
entre Khrouchtchev et Kennedy - ou Nixon
et Brejnev - est définitivement révolue.
Désormais, le monde est interdépendant
et pour cette raison, toutes les
décisions russo-américaines sont
précédées d'une longue analyse de leur
impact sur des sujets internationaux
bien plus importants.
Igor Ivanov, président du Conseil
russe pour les affaires internationales,
faisait partie de ceux qui ont "lancé le
redémarrage" entre les USA et la Russie
dès 2008, alors que George W. Bush
s'apprêtait à libérer son poste. Voici
quelle est son appréciation de la
situation actuelle: les deux pays ne
peuvent pas se permettre une
"déconnexion" totale telle que celle qui
s'était produite après la guerre entre
la Russie et la Géorgie en Ossétie du
Sud, en août 2008. Elle a freiné la
politique des deux pays dans bien des
domaines. Au final, le redémarrage a
commencé et en 2011, leurs objectifs
communs étaient dans l'ensemble mis en
œuvre.
Aujourd'hui, un nouveau problème
émerge: on ignore quelle direction
prendre. Il n'y aura probablement aucune
confrontation entre les deux pays - au
pire des cas un "échange de politesses"
si Romney arrivait au pouvoir. Mais dans
les années à venir, on n'assistera pas
non plus à une "coopération stratégique"
si ne s'établissent pas de larges
relations humaines, qui dicteront aux
dirigeants leur politique étrangère.
En Russie, la classe politique est
traditionnellement convaincue qu'il est
plus simple de s'entendre avec les
républicains. Mais dans le cas présent
on se demande: s'entendre à quel sujet?
Sur la couleur des lunettes, à travers
lesquelles on regardera l'autre?
© 2012
RIA Novosti
Publié le 25 octobre 2012
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