Opinion
Birmanie, nouvel
avant-poste américain contre la Chine
Dmitri Kossyrev
Photo: RIA
Novosti -
© AFP/ Soe
Than WIN
Lundi 5 décembre
2011
La visite de la secrétaire d’Etat
américaine Hillary Clinton en Birmanie,
qui s’est achevée samedi, n’a donné
aucun résultat, et il ne pouvait en être
autrement. Pour l’instant, la visite
même de Clinton est suffisante. Car sa
venue signifie qu’il n’existe plus de
"junte birmane", il n’y a plus de pays
soupçonné de mener des jeux nucléaires
secrets. Et plus d’échec évident de la
politique favorite des Etats-Unis des
sanctions et de l’isolement.
S'agit-il alors d'une nouvelle
tentative de taquiner… pardon, de
refreiner la Chine sur l’axe sud clé de
sa politique étrangère. Plus
précisément, sur l’axe sud-ouest.
Toutefois, on ignore complètement quel
est le résultat de cette tentative. Par
contre, en termes de droits de l’homme,
l’effet de propagande de la visite est
indéniable. Si Clinton a visité
Naypyidaw (Pyinmana) (la nouvelle
capitale belle et propre de la Birmanie
"isolée" et "étouffée par les
sanctions"), cela signifie que la
démocratie y est en marche. Sinon,
comment Madame la secrétaire d’Etat y
serait-elle allée?
La prospérité
résultant des sanctions
L’histoire des sanctions américaines
et européennes contre le régime birman
extrêmement tenace, répressif et suspect
est longue. Aucune élection n’y a été
organisée depuis 1990, et avant 1990 la
situation était loin d’être meilleure.
Et la question était seulement de
savoir comment agir dans cette
situation. On faisait la même chose
qu’avec l’Iran, la Corée du Nord et la
Syrie : pression et isolement. Mais
grâce aux investissements (12,3
milliards de dollars) et autres
activités de la Chine, sans parler des
pays de l’Association des nations de
l’Asie du Sud-Est (ANASE) et bien
d’autres, d’année en année la Birmanie
se portait de mieux en mieux.
La question des pays voisins est
importante. La Birmanie a de la chance
de ce côté-là – ses voisins directs sont
l’Inde, la Chine et la Thaïlande qui ne
veulent surtout pas voir à leurs côtés
un Etat ruiné et aigri par les
sanctions, qui plus est avec des tribus
rebelles qui cultivent le pavot à
opium.Mais ils veulent voir le début des
changements politiques. C’est bien ce
que disaient ces mêmes pays, la Russie
et bien d’autres : les sanctions ne
permettront pas de mettre en œuvre les
changements, d’autant plus que la
réforme de l’Etat est un processus long.
On disait et on expliquait à la Birmanie
qu’il faut changer pour éviter le pire.
Et les changements ont commencé au
printemps de cette année.
Faisons un bilan. Les Etats-Unis ont
établi un contact avec un pays où
l’influence économique de leur principal
concurrent, la Chine, est pratiquement
totale, et où la démocratisation a été
initiée par la Chine avec ses
partenaires. Alors que vont faire les
Etats-Unis, dont l’ascendant sur ce pays
a été volontairement réduit à néant?
Etant donné que les changements sont
déjà visibles (les élections, une
nouvelle constitution, un président
civil, bien que ce soit un militaire à
la retraire), il faut envoyer en
Birmanie la secrétaire d’Etat américaine
après 50 ans d’interruption. Dans quel
but? Selon The Washington Post, tester
l'attachement du nouveau gouvernement à
la cause des réformes.
Et l’entretien s’est déroulé de la
manière suivante : le président Thein
Sein a expliqué pendant 45 minutes à son
invitée ce qu’il avait l’intention de
continuer à faire dans le domaine de la
démocratie, et Clinton a exposé ce que
les Etats-Unis feraient en retour. Selon
le principe "pas à pas". Après tout, il
ne faut pas tout donner d’un seul coup.
Telle a été la visite de Clinton, sans
compter ses rencontres avec les leaders
de l’opposition et des organisations non
gouvernementales.
Mais il y a autre chose. Qu’en est-il
des soupçons légitimes concernant les
ambitions nucléaires? Il y a cinq ans on
avait des soupçons. Mais aujourd’hui… Le
sénateur Richard Lugar a demandé Hillary
Clinton de discuter avec les dirigeants
birmans au sujet de cette histoire
ancienne. Et c’est tout.
Et vu qu’en réalité il n’existe aucun
problème, on peut présenter la mention
de ce thème lors de l’entretien entre
Hillary Clinton et Thein Sein comme la
préparation d’un accord grandiose
conformément auquel le "mauvais" régime
renoncerait à toute activité nucléaire
illégale, notamment, conjointement avec
la Corée du Nord.
Un camouflet
pour Pékin
En réalité, un tout autre sujet
intrigant commence à tourner autour de
la Birmanie et qui, aussi étrange que
cela puisse paraître, est aujourd’hui
central dans toute la politique
étrangère de l’administration de Barack
Obama. Les Etats-Unis délaissent le
Proche-Orient pour se tourner vers le
Pacifique, où la situation n’est pas non
plus très bonne pour les Etats-Unis, et
la Birmanie en est un parfait exemple.
Et dans d’autres pays d’Asie du
Sud-Est la situation n’est pas aussi
extrême, mais semblable : l’influence de
la Chine croît, et celle des Etats-Unis
chute en raison de leurs propres
erreurs. Pour cette raison au cours des
derniers mois Obama et son entourage
s’efforcent constamment de montrer
qu'ils exercent une pression sur la
Chine dans tous les forums politiques et
qu'ils décèlent les points faibles de
Pékin sur les axes à première vue
infaillibles de sa politique.
Par exemple, en Birmanie.
De même cette fois… Il est impossible
d’imaginer que le pays qui, grâce à la
Chine, a non seulement réussi à résister
à la pression américaine mais a
également commencé à établir des records
économiques puisse jouer un mauvais tour
à son bienfaiteur pour les beaux yeux
d’Hillary Clinton.
Mais à en croire les médias
américains, c’est précisément le cas. Le
fait est qu’en septembre les nouvelles
autorités birmanes ont suspendu un
projet chinois de 3,6 milliards de
dollars. Il s’agit d’un réservoir, d’un
barrage et d’une immense centrale
électrique sur le fleuve Irrawaddy, près
de la frontière chinoise, avec des
fournitures d'électricité pour la Chine
insatiable.
Comme toujours, dans ces cas-là
l’histoire est plus compliquée qu’il ne
paraît. Il existe une note détaillée qui
explique comment les Etats-Unis
n’apprécient pas le soumissionnaire du
projet et inclut des informations sur le
financement par l’ambassade américaine
en Birmanie des écologistes qui ont
organisé une campagne contre l’expulsion
des tribus du futur site du réservoir.
Il est difficile de savoir quelle
sera la suite. Tout pays cherche à
éviter d’être dépendant d’un seul
partenaire. Aucun pays ne voudra
renoncer à son principal investisseur en
échange de promesses d'amitié "par
étapes" avec Washington. On doit donc
s’attendre à un jeu long et complexe où
il y a un très grand nombre d’acteurs.
Par exemple, l’Inde. Pour l’instant,
la politique des autres voisins de la
Birmanie (par exemple, des pays de
l’ANASE) pour résister à la pression
américaine lui convenait. Mais la Chine
n’a pas simplement investi en Birmanie.
Entre autre elle a ouvert un couloir
stratégique, y compris un axe routier,
entre ses frontières sud-ouest et
l’océan Indien. Ainsi New Dehli est
inquiet, et ne s’oppose aucunement à
l’équilibrage d’influences entre les
deux superpuissances dans ce pays.
Et la position des pays de l’ANASE
est complexe et il existe des différends
internes.
Taquiner légèrement la Chine est une
bonne chose. Par contre, transformer la
Birmanie de réserve chinoise en réserve
américaine ne l’est pas, et dans
l’ensemble le nouvel affront des
Etats-Unis plaît aux pays de cette
partie d’Asie tant qu’il ne provoque
aucun regain de tension dans la région.
C’est probablement la raison pour
laquelle l’ANASE a joué un rôle
particulier dans cette histoire. En
acceptant à une époque la Birmanie dans
ses rangs (ce qui rendait furieuse
l’administration de Bush), les membres
de l’ANASE étaient conscients qu’un jour
ce pays serait président d’une série de
rencontres internationales avec la
participation des Etats-Unis, de la
Chine et d'autres pays.
Par deux fois cet honneur a été
refusé à la Birmanie pour ne pas
provoquer les Etats-Unis, dont l’ANASE
souhaitait le retour en Asie. Et selon
certaines informations, cette année il a
été annoncé aux diplomates américains :
cela suffit, en 2014 la Birmanie sera
présidente, et pour la suite c’est à
vous de décider.
La décision a été prise. Et Hillary
Clinton s'est rendue en Birmanie.
L’opinion de l’auteur ne coïncide
pas forcément avec la position de la
rédaction
© 2011 RIA
Novosti
Publié le 6 décembre 2011
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