Opinion
Six mois de
printemps arabe
Avancées, surplace, reculs et calculs
Djamel Bouatta
Manifestation au Maroc
Mardi 21 juin 2011
Tour d’horizon du printemps
arabe qui
a bouclé six mois d’existence avec au
tableau de chasse deux proies : Ben Ali
et Moubarak. Bientôt Ali Saleh,
réfugié en Arabie Saoudite où il est
soigné après un attentat contre sa
personne à Sanaa, dans une
mosquée proche du palais présidentiel.
Idem pour Kadhafi et Bachar Al-Assad qui
ont trop de sang dans les mains pour
espérer rebondir.
Après la contre-révolution bahreïnie,
blocage en Libye, au Yémen et en Syrie.
Ailleurs, le vent de la révolte ne
souffle pas assez fort, mais les
pouvoirs tentent de redistribuer les
cartes en promettant des réformes. Au
Maroc, Mohammed VI a juré vendredi de
substituer la main de fer de son makhzen
par une monarchie parlementaire. Ce
système hybride est jugé insuffisant par
le mouvement des jeunes qui ne vont pas
abandonner la rue, malgré le référendum
de juillet sur la nouvelle Constitution.
La Jordanie devrait théoriquement suivre
la voie marocaine si son jeune roi veut
préserver son statut. En Algérie, il n’y
a pas de moutures de réformes encore,
hormis l’exposé de Bouteflika devant le
Conseil des ministres. Son processus est
à son stade initial de ramassage des
propositions auprès de partis, de
syndicats, de personnalités et
d’associations. Beaucoup de monde certes
et, pour remplir les yeux de l’opinion
et de l’étranger, le Palais des nations
a même abrité un florilège de
représentants de la société civile ! Aux
yeux de l’opposition, c’est du déjà vu.
Le pays a l’habitude de ces
grands-messes levées en un tour de main
pour entonner une variante de la
partition du régime. Ce vacarme amplifié
par “la famille révolutionnaire” qui,
après un demi-siècle d’indépendance, se
dit convaincue que sa mission est loin
d’être achevée, n’a pas mobilisé
l’opinion préoccupée par les vacances de
l’été et le Ramadhan. Au point où les
audiences de Bensalah et de ses deux
accesseurs, un général en retraite et le
conseiller-porte-voix de Bouteflika, ne
passent plus en ouverture sur l’Unique !
Tandis que la Maroc vote en juillet, les
Algériens ne connaîtront ce qui leur est
réservé qu’en automne et ils sont
dispensés de vote puisqu’il a été décidé
que ce nouveau train de réformes sera
adopté par le Parlement bien qu’il soit
décrié même par des proches du pouvoir.
L’Algérie n’est pas à une contradiction
près. Bon, revenons au printemps arabe.
Ça a commencé en hiver en Tunisie. La
révolte populaire partie d’une gifle
assénée par une policière à un
universitaire vendeur à la sauvette a
assez rapidement eu gain de cause. Ben
Ali s’est enfui en Arabie Saoudite un
mois plus tard, le 14 janvier. Puis ce
fut l’Égypte et la place Tahrir du Caire
qui tente aujourd’hui de réinventer un
nouveau système politique qui fera
certainement tâche dans le monde arabe
partant du fait que Misr reste encore “oum
dounia”. Le pharaon des temps modernes,
Moubarak, un temps répressif, a vite
capitulé lui aussi. Puis, c’est parti
ailleurs. En Algérie, après cinq jours
de casses urbaines, le pouvoir reprend
la situation en main, décrète que la
révolte des adolescents n’a rien de
politique et que ce n’est qu’une
histoire de prix de produits de
premières nécessités. Et à l’argent de
pleuvoir, pas de souci, il y en a
justement. Le pays vit alors une
formidable mobilisation syndicale pour
des augmentations de salaires qui sont
exhaussées. À l’heure qu’il est, il en
reste plus que les retraités à
satisfaire. Évidemment qu’il faudra à un
moment payer la facture de cette fuite
en avant. Le pouvoir a fini par prendre
conscience que la question n’est pas
seulement d’ordre économico-sociale et
qu’il n’est pas exempt d’une
contamination du printemps arabe même si
la rue reste calme. La Libye, la Syrie,
le Yémen et le Bahreïn commencent à se
soulever presque simultanément. Deux
jours après l’incarcération de Moubarak
en Egypte, le 15 février, la Libye
prend feu : révoltes, émeutes,
répressions, et Kadhafi qui ne veut pas
partir… L’OTAN s’en mêle le 17 mars,
selon un calendrier onusien trop bien
géré ! Comme lors des révolutions
tunisienne et égyptienne, les opposants
au régime demandent plus de libertés et
de démocratie, un meilleur respect des
droits de l'homme, une meilleure
répartition des richesses ainsi que
l'arrêt de la corruption au sein de
l'État et de ses institutions. Kadhafi,
est le plus ancien dirigeant du monde
arabe en fonction, il est au pouvoir
depuis 41 ans. L’OTAN poursuit ses
bombardements à Tripoli tandis que les
insurgés s’organisent en État à
Benghazi. Plus personne sur la scène
internationale pour clamer son soutien à
Kadhafi, même du bout des lèvres. Ses
jours sont comptés. Le soulèvement
bahreïni le 14 février est également une
vague de contestations populaires,
sociales et politiques. Mais le roi du
petit pays qui abrite la Ve Flotte
américaine fait appel à ses soutiens au
motif que la révolte serait menée par
l’Iran via la communauté chiite de
Bahreïn. Le 17 mars, les chars flambant
neufs de l’Arabie Saoudite entre dans le
pays pour tuer dans l’œuf cette révolte
au cœur du Golfe. Les monarchies du
Conseil de coopération du Golfe ont
soufflé… Ce n’est que partie remise même
si le roi saoudien a imposé son
hégémonie sur la région. Début mars, le
feu prend aux frontières de l’Arabie
Saoudite. Des rebelles qui veulent
renverser un gouvernement à la botte des
USA ! La répression commence à
faire bain de sang. L’Occident s’émeut
et avertit. Le temps passe, Ali Saleh au
poste depuis une trentaine d’années ne
désespère pas de voir son fils le
remplacer, rejette la médiation du CCG
et tire sur la foule, comme Kadhafi et
le roitelet de Bahreïn. Mais, le 3 juin,
il est blessé, déserte son palais pour
se réfugier chez son voisin saoudien.
Les USA interviennent pour mettre fin au
chaos, sous prétexte d’empêcher Al-Qaïda
d’intervenir. Les Saoudiens reprennent
leur médiation avec la rébellion. Dans
l’histoire, les Yéménites auront
démontré qu’ils aspirent comme tout le
monde aux libertés démocratiques, eux
que l’on disait enfermés dans leur bulle
tribale. Quatrième dossier du printemps
arabe au Machrek, et non le moindre, la
Syrie qui reste un peu l’énigme quant au
comportement occidental et à ce qui s’y
passe réellement. La rébellion, ancienne
de plus de trois mois, va crescendo,
provoquant de plus en plus de morts et
maintenant un exode de réfugiés vers la
Turquie voisine. Pourquoi, l’ONU et
l’OTAN, les ONG, les USA, l’UE n’ont pas
bougé depuis plus de trois mois ? Alors
que l’Occident a plus de mal à cacher la
réalité de la répression dans ce pays.
La réponse est donnée par les Américains
eux-mêmes : la Syrie de Bachar Al-Assad
représente un peu le meilleur ennemi
d’Israël, son remplacement par un
pouvoir un tant soit peu démocratique
pourrait représenter un grand danger
pour les Israéliens. Le régime des
Alaouites serait au cœur de l’échiquier
moyen-oriental. L’édifice de Damas, basé
sur l’appui de la République islamique
iranienne, la sous-traitance du
Hezbollah au Liban et celle de Hamas en
Palestine, n’est-il pas en train de
s’écrouler ? Des opposants syriens ont
formé dimanche un “conseil national”
face au régime de Damas. Son
porte-parole Jamil Saïb a précisé que ce
conseil pour mener la révolution
syrienne est composé de toutes les
communautés et des représentants des
forces politiques nationales à
l'intérieur et à l'extérieur de la
Syrie. Jamil Saïb et son groupe ont tenu
cette première conférence de presse dans
le village de Kharbet Al-Joz, dans
l'extrême nord de la Syrie, à la
frontière avec la Turquie qui a pris ses
distances des autorités de Damas.
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Publié le 21 juin 2011 avec l'aimable
autorisation de Liberté
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